Navigation – Plan du site

AccueilNuméros35Dossier « Économie politique de l...Du calcul biophysique à l’évaluat...

Dossier « Économie politique de l'écologie »

Du calcul biophysique à l’évaluation des risques financiers

Trois mondes de la comptabilité de la nature
From Biophysical Calculation to Financial Risk Assessment: Three Worlds of Accounting for Nature
Del cálculo biofísico a la evaluación de los riesgos financieros. Tres mundos de la contabillidad de la nauraleza
Sylvain Maechler et Valérie Boisvert
Traduction(s) :
From Biophysical Calculation to Financial Risk Assessment: Three Worlds of Accounting for Nature [en]

Résumés

Les instruments de gestion du capitalisme ne reflètent qu’imparfaitement les interactions entre l’économie et la nature. De ce fait, les impacts de l’activité économique sur cette dernière sont largement ignorés dans les processus décisionnels. Tel est le récit qui sous-tend la proposition d’intégration de la nature à un instrument central du capitalisme : la comptabilité. Cette entreprise fait intervenir une diversité d’acteurs et de pratiques, avec des objectifs et des effets tout aussi variés. En nous appuyant sur une démarche chronologique, nous montrons comment trois formes de comptabilité de la nature – que nous proposons de qualifier de « mondes de la comptabilité » – ont été développées au fil du temps et coexistent aujourd’hui. Le premier est une comptabilité publique exprimée en unités biophysiques, matérielles et énergétiques, ayant pour but de mettre au jour l’exploitation et l’échange inégal de ressources naturelles. On a pu par la suite observer l’essor d’une comptabilité monétaire, dite du capital naturel, visant à internaliser les externalités environnementales, d’abord uniquement liée à la comptabilité nationale puis étendue à la comptabilité privée des entreprises. Finalement, un dernier projet a récemment émergé en relation avec les normes comptables traditionnelles ou financières. L’objet en est la mesure des impacts de la nature et de sa dégradation sur les performances économiques et financières des entreprises. À partir de l’analyse de ces trois mondes, nous suggérons que l’emprise croissante de la pensée et des pratiques comptables sur la nature, surtout sous ses formes les plus récentes, entraîne moins sa marchandisation ou sa financiarisation que son invisibilisation ou sa dilution dans la logique de reproduction du capitalisme financier. Nous interrogeons pour finir la possible émergence d’un régime unifié de comptabilité de la nature.

Haut de page

Texte intégral

« Les images dressées par la comptabilité sont forcément incomplètes, puisque la comptabilité ne peut reconnaître que les choses qui peuvent être mesurées, qui peuvent être mesurées en prix, et qui sont échangées contre des prix. Dans la mesure où la comptabilité est une source importante d’informations sur diverses organisations, cette partialité peut être très dangereuse… En ce qui concerne (par exemple) l’environnement, il est évident que l’image comptable est partielle » (Gray, 1990, p. 31‑32, traduction des auteurs)

Introduction

  • 1 Nous utilisons ce terme de manière à souligner le contraste frappant entre l’activité technocratiq (...)

1La citation ci-dessus issue d’un rapport publié en 1990 par l’Association des comptables agréés (ACCA) intitulé The Greening of Accountancy dresse un constat en apparence implacable et frappé au coin du bon sens, auquel adhèrent explicitement depuis près de quarante ans un nombre croissant d’acteurs : les instruments de gestion du capitalisme ne reflètent qu’imparfaitement les interactions entre l’économie et la nature. Selon le récit dominant qui sous-tend le développement d’une comptabilité de la nature1, les impacts des activités économiques sur l’environnement resteraient largement ignorés dans les décisions quotidiennes prises par les acteurs. Faire face à ce défi calculatoire et informationnel serait cependant réalisable, à condition de faire entrer la nature dans la comptabilité publique comme privée. Tel a été l’agenda des nombreux acteurs qui se sont impliqués au cours des quatre dernières décennies dans le vaste domaine de la « comptabilité socio-environnementale », avec la conviction que cette dernière pourrait susciter une prise de conscience des dommages environnementaux en leur donnant une visibilité (Pearce, Markandya & Barbier, 1989 ; Maunders & Burritt, 1991 ; Richard & Rambaud, 2020 ; Bebbington et al., 2021 ; Feger & Mermet, 2021). L’information, éventuellement monétaire, sur les valeurs de la nature ainsi mise à disposition ne pourrait plus être ignorée des acteurs économiques.

2Tandis que les dénonciations de la marchandisation ou de la financiarisation de la nature sont nombreuses et la littérature critique sur ce thème abondante (Kemp-Benedict & Kartha, 2019 ; Bracking, 2020 ; Barral, 2021 ; Tordjman, 2021), cette dernière s’est comparativement peu intéressée aux projets de comptabilité de la nature. Seuls quelques auteurs y décèlent une étape singulière de l’expansion du capitalisme au vivant, plutôt qu’un simple symptôme de ce processus (Sullivan & Hannis, 2017 ; Levidow, 2020). Pourtant, les travaux de recherche sur la comptabilité en ont souligné la dimension intrinsèquement politique, depuis les négociations qui précèdent et entourent le développement de normes comptables jusqu’aux relations de pouvoir qui s’observent lors de leur application puis de leur contrôle par des auditeurs certifiés (Capron, 2005 ; Ramirez, 2013). En tant qu’infrastructure de calcul, la comptabilité ne peut être appréhendée comme l’expression neutre d’une réalité économique objective, mais plutôt comme la résultante de choix sociaux qui contribuent à façonner la représentation du réel. La comptabilité doit dès lors être étudiée comme un objet politique et performatif (Chiapello, 2008 ; Mennicken & Miller, 2012 ; Maechler, 2023). Les approches régulationnistes se sont toutefois peu intéressées à cet objet, et moins encore à sa relation avec des enjeux environnementaux, eux-mêmes trop rarement investis (Zuindeau, 2007 ; Brand & Görg, 2008 ; Boisvert & Vivien, 2012 ; Cahen-Fourot, 2020 ; Görg et al., 2020). Cette contribution vise donc à souligner l’importance prise au cours des dernières décennies par les enjeux comptables en matière de régulation de la relation entre capitalisme et nature. En nous appuyant sur une démarche chronologique, nous examinons comment trois projets distincts de comptabilité liée à la nature ont été développés au fil du temps et coexistent aujourd’hui. Nous nous proposons de les qualifier de « mondes de la comptabilité », en référence aux « mondes communs » de Boltanski et Thévenot (1991), au sens où ils prennent la forme d’un ensemble de pratiques (comptables) sous-tendues par des représentations, des normes et des valeurs partagées par une communauté d’acteurs, portées par un récit sur la dégradation de la nature et les moyens d’y remédier, donnant lieu à des dispositifs et des institutions permettant de leur donner vie. Ils s’appuient sur des ontologies différentes, abordent la nature dans des acceptions, à des échelles et sous des angles variables. S’ils partagent une ambition commune de donner plus de visibilité à l’environnement dans le calcul ou l’évaluation des performances économiques, ils se caractérisent aussi par les espaces sociaux et politiques particuliers dans lesquels ils se déploient et les publics auxquels ils s’adressent. En somme, ils représentent des modalités alternatives d’organisation de la visibilité de la « nature » – saisie dans des acceptions diverses pour servir des projets variés – par la comptabilité. À l’inverse des régimes mis en évidence et analysés par les science studies (Pestre 2006), les « mondes comptables » présentés ici ne constituent pas strictement des séquences historiques qui se succèderaient, même s’ils sont apparus à des périodes distinctes. Certains d’entre eux ont connu des moments d’éclipse relative, sans toutefois disparaitre totalement. Ils coexistent, aujourd’hui, sans réelle concurrence ni hiérarchie apparentes si ce n’est en termes de visibilité, et sans grande perméabilité, dans le sens où ils sont très situés. Portés par des acteurs distincts, ils s’inscrivent dans des arènes différentes. Chacun d’entre eux esquisse un cadre pour réguler et gouverner la relation entre capitalisme et environnement, mais aucun d’entre eux ne s’est imposé comme l’approche hégémonique et structurante qui permettrait d’épuiser la question. Aucun n’a encore débouché sur l’édiction de normes coercitives auxquelles des acteurs économiques devraient impérativement se plier, quand bien même la dernière forme de comptabilité étudiée, dont l’émergence est récente, pourrait remplir ce rôle, mais sans pour autant réellement porter préjudice aux deux autres.

3Les premières tentatives d’établissement de comptabilités physiques en économie visaient à mettre au jour des formes d’exploitation masquées par l’expression monétaire, à donner une autre appréciation des rapports d’échange et à relativiser les évaluations dominantes des rendements et de la productivité. À un niveau macroéconomique, cette comptabilité avait notamment pour but de révéler des échanges écologiques inégaux entre nations. D’autres projets, relevant de ce qui a été qualifié de comptabilité du capital naturel, se sont progressivement développés en parallèle. Ils affichent l’objectif d’internaliser les externalités environnementales, préalablement rendues visibles par le biais de leur évaluation monétaire. Cette ambition, d’abord limitée à la comptabilité nationale, s’est rapidement étendue à la comptabilité privée des entreprises. Cependant, l’opérationnalisation d’une telle comptabilité peine à dépasser le stade de projet et s’appuie avant tout sur de grands récits mobilisateurs plutôt que sur une réelle technique comptable, écologique, statistique ou économique, de sorte que la promesse d’une internalisation des externalités n’a pas réellement été tenue (Maechler & Boisvert, 2023a). L’avatar le plus récent de la comptabilité de la nature s’inscrit dans une perspective de gestion des risques financiers axée autour du concept comptable de « matérialité » de ces risques. Son objet n’est pas de mesurer les impacts de l’économie sur la nature, mais de mesurer les risques que fait peser la nature sur les performances économiques et financières des firmes. Arguant du fait que les secteurs les plus affectés par les risques climatiques, et par extension écologiques, sont aussi vraisemblablement ceux qui affectent le plus la nature car ils en dépendent très étroitement, les promoteurs de cette comptabilité considèrent qu’elle pourrait favoriser une réallocation des investissements vers des secteurs moins exposés. Elle serait dès lors potentiellement bénéfique à la conservation de la nature. Cette comptabilité, portée par les opérateurs traditionnels de la normalisation comptable (financière), ne concerne finalement qu’assez peu la nature en tant que telle, au sens où elle n’est appréhendée qu’à travers ses effets économiques possiblement très indirects (Maechler, 2023). Dans l’ensemble, ces trois projets de comptabilité témoignent de la difficulté à saisir et rendre compte de la nature dans une perspective de valorisation économique. Outre la difficulté fréquemment relevée soulevée par le choix de la métrique (Salzmann & Ruhl, 2000), la délimitation d’entités commensurables, d’unités et de classes d’équivalence soulève de tels défis qu’elle est le plus souvent contournée. En dehors des ressources, objets d’une exploitation directe, ce sont des droits d’accès, d’usage ou de propriété relatifs à la nature qui font l’objet d’échanges économiques. L’observation de ces derniers ne permet donc d’aboutir qu’à une estimation indirecte et partielle des valeurs de la nature effectivement en jeu. De même, la dégradation de la nature est appréciée au seul prisme des coûts et risques qu’elle engendre pour l’activité économique. À l’instar des autres tentatives de mise en nombre de la nature, les projets de comptabilité ne s’en emparent pas frontalement mais cherchent à la cerner à travers une série d’approximations.

4À partir d’une analyse de ces trois mondes, nous suggérons que l’emprise croissante de la pensée et des pratiques comptables sur la nature, surtout dans leurs formes les plus récentes, entraîne moins sa marchandisation ou sa financiarisation que son invisibilisation au profit d’une logique de reproduction du capitalisme financier. Alors que leurs promoteurs invoquent la nécessité de rendre la nature visible pour le capitalisme et ses institutions comme étant la justification majeure de leurs entreprises respectives, ni la mesure biophysique des grands agrégats économiques, ni les évaluations du « capital naturel » ou des risques financiers imputables au changement climatique n’ont comme véritable objet la nature. Par-delà la diversité des métriques, des échelles et des projets, c’est en dernière analyse la dépendance et la vulnérabilité des économies ou des modèles d’affaires qui s'en trouvent soulignées. Cet article vise ainsi à remettre en perspective la capacité des outils calculatoires et managériaux mis en place par et pour les acteurs du capitalisme global à transformer les pratiques de ces mêmes acteurs, en revenant sur le contexte de leur développement, leurs effets et leur degré effectif de déploiement.

5Notre analyse s’appuie sur trois types de matériaux et de méthodes : une revue de la littérature grise, principalement des normes, des protocoles, des études de cas et des documents de consultation ; ainsi que des observations participantes et des entretiens réalisés lors de réunions consacrées au développement, à la normalisation, à la promotion et à la diffusion des trois régimes d’instruments comptables présentés plus haut. L’un d’entre nous a ainsi suivi 24 réunions réelles ou virtuelles, de durées variables, d’une heure à plusieurs jours, entre mars 2019 et novembre 2021, emblématiques ou constitutives des différents mondes comptables évoqués plus haut. Certaines s’inscrivaient dans le premier d’entre eux, telles les activités du London Group, arène d’experts nationaux et internationaux formalisée au sein de la Division statistique de l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’appréhension du second monde s’est faite à travers la participation à la rédaction des normes de l’Organisation Internationale de la Normalisation (ISO) pour l’évaluation monétaire de la nature (ISO 14008 & ISO 14007), ainsi que par le suivi de l’élaboration et de la promotion auprès des entreprises de différentes normes de la Natural Capital Coalition, notamment lors de sommets annuels dédiés (European Business & Nature Summit). L’analyse du troisième monde s’est quant à elle appuyée sur l’observation des processus de consultation en vue du développement de nouvelles normes comptables. Ces observations ont permis « d’ouvrir la boîte noire » de ces diverses arènes, de « combiner les différents points de vue des acteurs révélant les stratégies multiples et les intérêts divergents dans la production d’un discours global » (Maertens, 2016, p. 3). Elles ont été complétées par douze entretiens semi-structurés avec diverses personnes impliquées dans ces régimes : personnel onusien et d’organisations de conservation de la nature – essentiellement statisticiens et économistes –, ainsi que des comptables et autres consultants privés.

6Après avoir présenté les concepts clés sur lesquels reposent notre analyse et notre distinction entre les trois mondes de la comptabilité étudiés, nous les examinerons plus précisément. Nous reviendrons enfin sur les effets et enjeux de cette pensée-pratique comptable appliquée à la nature et sur la possibilité que se dégage et se stabilise un régime en la matière.

1. Distinguer les « mondes de la comptabilité »

7De manière générale, la comptabilité ne relève ni entièrement du marché ni de l’État, mais d’une communauté hybride et transnationale d’acteurs (Perry & Nölke, 2006 ; Graz, 2019). Cela est particulièrement manifeste pour les comptabilités dites de la nature, dont l’élaboration mobilise administrations, chercheurs, acteurs des mondes de la conservation et des affaires. Bien qu’il s’agisse d’un domaine éminemment technique, requérant une expertise spécialisée, l’élaboration et la diffusion des outils comptables supposent aussi leur traduction en formules et récits mobilisateurs à même d’en favoriser l’appropriation par un large public, laquelle fait appel à d’autres compétences. Aussi les différents acteurs impliqués exercent-ils des rôles variés que nous nous attacherons à analyser en nous appuyant sur le concept d’entrepreneur politique, qui désigne des personnes à même de proposer et/ou d’influencer des décisions et de traduire une idée en innovations et pratiques politiques (Mintrom, 2019). Nous en distinguons deux types, perméables toutefois au vu de l’hybridité et du multi-positionnement des acteurs. D’une part, les entrepreneurs techniques qui contribuent au développement de connaissances, à l’interface entre science et politique. D’autre part, les « entrepreneurs de signification » (Maor, 2017), à même de donner un sens plus large à ces connaissances techniques et de les traduire en « idées simples mais puissantes » (Lordon, 2000, p. 185).

8D’un point de vue technique, l’établissement d’une comptabilité de la nature repose sur l’adoption préalable de conventions d’équivalence, deuxième concept sur lequel s’appuie cet article. Le rôle des mécanismes de quantification dans la visibilisation de ce qui ne l’était pas auparavant a été régulièrement souligné (Lovell & MacKenzie, 2012 ; Mennicken & Espeland, 2019). Ces mécanismes se multiplient et constituent de véritables instruments de biopouvoir au sens de Foucault, dans la mesure où ils permettent non seulement de compter, mais aussi et surtout de surveiller et de gouverner (Miller & O’Leary, 1987 ; Mennicken & Miller, 2012). Les promoteurs d’une comptabilité de la nature suggèrent sans surprise qu’ils y voient le moyen le plus efficace de révéler les valeurs cachées de la nature, prélude nécessaire à leur prise en compte par les acteurs économiques. C’est ainsi que ces derniers seraient à même de transformer les enjeux de la crise environnementale en un ensemble de risques quantifiés et dès lors gouvernables (Maechler, 2021 ; Maechler & Graz, 2022). Or, paradoxalement peut-être, appliquée à la nature, la quantification peut rendre invisibles les objets qu’elle cherche à mettre en lumière, en effaçant leurs singularités et en les subsumant sous des concepts généraux et des catégories abstraites qui tirent leur sens et leur cohérence de considérations extérieures à l’écologie. C’est à l’aune de leur contribution à l’économie, au bien-être des sociétés humaines ou au profit des firmes que les éléments naturels sont jaugés, triés et qualifiés.

9La gouvernance par les nombres requiert la production de nomenclatures, de typologies, de classes, ainsi qu’un postulat d’équivalence entre des phénomènes initialement hétérogènes inscrits dans une même classe (Supiot, 2015 ; Mennicken & Espeland, 2019). L’économie des conventions (Boltanski & Thévenot, 1991 ; Diaz-Bone, 2017) et, plus proche de notre objet ici, le sociologue et historien des statistiques Alain Desrosières (2008a ; 2008b), ont montré que la production de preuves quantitatives et objectives repose sur l’élaboration collective de conventions de mesure, de catégories, de taxonomies et de classifications. Les conventions auxquelles nous nous intéressons ici permettent d’exprimer la diversité et la complexité de la nature et des relations que les sociétés, et plus particulièrement les économies, entretiennent avec elle en une ou plusieurs métriques normalisées. Elles s’incarnent donc dans des normes qui constituent, selon les termes de Loconto & Busch (2010, p. 526‑527, traduction par les auteurs), « les valeurs par rapport auxquelles les personnes, les pratiques et les choses sont mesurées » et donc à l’aune desquelles elles peuvent être comparées. Les entrepreneurs politiques qui participent à l’élaboration de comptabilités de la nature doivent ainsi produire des nomenclatures et des typologies, construire des classes de phénomènes et d’objets homogènes et représentatives, puis définir et appliquer des métriques appropriées. À partir d’inventaires naturalistes ou du recueil de données environnementales reposant déjà sur de telles opérations, il s’agit de recomposer des catégories et unités qui aient un sens économique, afin d’entrer en résonance avec les univers de référence du public visé afin de susciter l’adhésion. Nous verrons cependant que, malgré l’institutionnalisation de mondes comptables pour appréhender la nature, c’est à dire la création d’arènes dédiées, de réunions ritualisées, l’allocation de moyens humains et financiers et la construction d’un récit s’y rapportant, leur diffusion et leur emprise dans les pratiques comptables restent essentiellement confinées aux communautés qui les ont constitués. En effet, les normes édictées sont appliquées sur une base volontaire, dans le cadre d’expériences pilotes, ou d’évaluations ponctuelles, même si la dernière forme comptable étudiée semble pouvoir se diffuser plus largement que les deux autres étant donné son caractère possiblement obligatoire. Le tableau ci-dessous met en relation notre cadre théorique avec les trois mondes comptables qui seront successivement présentés ci-dessous.

Tableau 1. Trois mondes de comptabilité de la nature

Comptabilité environnementale (1) Comptabilité du capital naturel (2) Comptabilité financière des risques associés à la nature (3)
Organisations impliquées Banque mondiale, Eurostat, OCDE, Division statistique de l’ONU, PNUE, agences statistiques nationales Banque mondiale, OCDE, PNUE, ISO, coalitions d’entreprises, organisations de conservation, entreprises de consulting, « Big Four » de la comptabilité Institutions de régulation financière (EFRAG, IFRS, IOSCO, FSB), « Big Four » de la comptabilité
Objet Les activités économiques dans leurs dimensions biophysiques, l’environnement comme secteur d’activité, le patrimoine naturel La consommation de capital naturel par l’activité économique (prélèvements de ressources et exploitation de capacités des milieux naturels) Impacts sur la nature Impact de la crise climatique / écologique sur l’économie (et le système financier) en termes de risques Impacts de la nature
Métrique Multiples (matérielle, énergétiques, monétaire) Monétaire Monétaire (ou risque financier monétisable)
Public cible Administrations nationales, organisations internationales Entreprises Marchés financiers (et in fine entreprises)
Type d’entrepreneur politique Entrepreneurs techniques (statisticiens, comptables nationaux, chercheurs) Entrepreneurs de signification (consultants, représentants du monde de la conservation et de l’entreprise) Entrepreneurs techniques et de signification (opérateurs de marchés financiers, normalisateurs comptables)
Récit mobilisé (objectif visé) Planification économique et environnementale raisonnée et juste (en réponse aux échanges écologiques inégaux) Visibilité de la nature par la monnaie et internalisation des externalités environnementales Réallocation des investissements vers des secteurs moins exposés aux risques liés à la crise climatique / écologique considérés comme étant aussi des secteurs à moindre impact

Crédits : S. Maechler & V. Boisvert, 2023.

2. Une comptabilité publique et biophysique

2.1. Un contrepoint aux mesures traditionnelles

10La question de la juste métrique pour rendre compte de l’activité économique et de sa dynamique et pour mesurer sa dépendance à l’égard des ressources naturelles s’est posée dès le xixe siècle (Martinez-Alier, 1987). Entre 1910 et 1920, ce que certains nomment « l’autre École autrichienne d’économie » s’est attachée à développer une approche hétérodoxe et biophysique de la science économique basée sur une comptabilité des flux de ressources naturelles (Franco, 2020). Aujourd’hui, l’École d’écologie sociale de Vienne poursuit un agenda de recherche relativement proche en développant une pensée en termes de flux, inspirée de l’écologie « odumienne », aspirant à objectiver les relations métaboliques qu’entretiennent différentes nations avec la matière (Fischer‐Kowalski et al., 2011 ; Haberl, Fischer-Kowalski, Krausmann, & Winiwarter, 2016). Ces méthodes permettent de mettre en balance l’évolution du produit intérieur brut (PIB) avec les quantités de matière utilisées pour le produire. Surtout, elles rendent possible des comparaisons entre nations et révèlent ainsi des « échanges écologiques inégaux » (Hornborg & Martinez‑Alier, 2016). Elles proposent donc, en contrepoint aux traditionnelles représentations de la richesse des nations (Wealth of nations), celles de leurs empreintes matérielles sur la biosphère (Weight of nations) [Matthews, 2000]. Dans ce type d’analyse, les flux économiques sont comparés les uns aux autres et mesurés sous l’angle de leur masse, exprimée en tonnes. Des évaluations comparables dans lesquelles les flux sont mesurés en énergie sont également réalisées. Elles peuvent s’appuyer sur différents barèmes et métriques d’usage courant en thermodynamique. Davantage qu’un rapport à la nature, ces travaux cherchent à saisir les pressions exercées sur la biosphère appréhendée comme un système produisant des flux de matière et d’énergie, captés et appropriés par les différents pays ou secteurs d’activité. Les comptabilités de flux de matière et d’énergie rendent compte de l’intensité énergétique et matérielle de la production et des échanges, et sont avant tout mobilisées dans des réflexions sur l’allocation des ressources et les limites de la croissance en vue d’une planification économique et environnementale plus juste et rationnelle.

11À partir de la fin des années 1980, des chercheurs collaborant régulièrement avec les offices statistiques nationaux et internationaux, des hauts fonctionnaires et des membres de l’administration commencent à mener une réflexion et des expérimentations sur l’intégration de l’environnement directement dans la comptabilité nationale (Ahmad, El Serafy, & Lutz, 1989 ; El Serafy, 1997 ; Kokkelenberg & Nordhaus, 1999 ; Lutz, 1993 ; Uno & Bartelmus, 1998). Plusieurs solutions sont alors envisagées et discutées dans les arènes comptables européennes, aux États-Unis et lors de conférences sous l’égide de la Banque mondiale. Des expériences précoces et poussées de comptes satellites de l’environnement sont menées notamment en Norvège et aux Pays-Bas (De Haan & Keuning, 1996). L’« environnement » est défini dans ce cadre comme domaine de l’action publique (secteur dans lequel des dépenses et des investissements sont réalisées, qui donne lieu à des subventions et transferts, à la production de biens et services…) et c’est à ce titre qu’il est évalué. En France, le développement d’une comptabilité du patrimoine naturel est décidé dès 1978. Celle-ci regroupe trois systèmes de comptes respectivement consacrés aux éléments (ressources du sous-sol, eaux marines et continentales, atmosphère), aux écozones (aménagement du territoire et état des écosystèmes) et aux agents (en lien avec les usages de la nature et des milieux). Une partie importante de cette dernière comptabilité est exprimée en unités physiques, et les auteurs sont généralement partagés quant aux métriques à adopter (Comolet & Weber, 1990 ; Godard, 1990). Au-delà des questions strictement comptables, l’opportunité d’un recours systématique à l’évaluation monétaire, et au réductionnisme qu’elle induit, à la déformation des valeurs de la nature au prisme de l’économie, divise. Les premières formes institutionnalisées de comptabilité de la nature sont avant tout destinées à orienter l’action publique, à objectiver les prises de décision et ainsi à entreprendre des arbitrages. Elles s’attachent davantage à mesurer les interactions et dépendances entre systèmes économiques et biosphère, à quantifier les pressions et à évaluer l’efficacité des mesures de politiques environnementales qu’à rendre l’économie et la nature directement commensurables.

2.2. Une institutionnalisation sans réelle diffusion

12Le Sommet de la Terre de Rio en 1992 marque un tournant dans l’institutionnalisation de la comptabilité environnementale. Il est en effet suivi de l’établissement du « système de comptabilité économique et environnemental des Nations Unies » (SEEA), dont le mandat est de compléter le système de comptabilité nationale (SCN), héritage de l’après-guerre, qui n’intègre pas plus l’environnement que des aspects clés du bien-être (Vanoli, 2013). Il est prévu que ce nouveau système, dont la première version a été publiée en 1993, prenne a minima la forme d’une comptabilité satellite s’ajoutant au cadre central de la comptabilité nationale à défaut de le modifier (Bérard, 2019).

  • 2 URL : https://seea.un.org/ [consulté le 25/09/2023].
  • 3 Cette collecte systématique a été par exemple inscrite dans les Objectifs d’Aichi constituant le « (...)
  • 4 Christian Heller, Intervention orale, “We Value Nature 10-days challenge”, 24 mars 2021.

13Quand bien même ce système de comptabilité se voit finalement reconnaître le statut de norme internationale par la commission statistique des Nations Unies en 20122 et donne lieu à nombre de réunions et conférences, ces réflexions restent peu diffusées au-delà de cercles restreints d’experts, comptables nationaux, statisticiens internationaux, et chercheurs. La production d’une comptabilité physique et de comptes environnementaux requiert un grand nombre de données. Pour que des mesures puissent être effectuées autrement que sur une base sporadique ou dans le cadre de projets pilotes, il est donc impératif de disposer de systèmes d’information permettant une collecte systématique et régulière de données et de capacités distinctes de celles qui sont requises pour l’élaboration d’une comptabilité nationale classique. Ces prérequis sont hors de portée pour certains pays, de sorte que l’établissement d’une comptabilité environnementale est plutôt fixé comme un objectif vers lequel il convient de progresser de façon graduelle que comme une obligation immédiate3. Par ailleurs, les comptabilités biophysiques revêtent un degré de technicité qui les rend peu accessibles au grand public et ne permettent pas de délivrer des messages simples, auxquels se refusent du reste parfois leurs promoteurs, attachés à un usage rigoureux des nombres. Les méthodes sur lesquelles elles reposent ne manquent pas d’entrepreneurs techniques qui y consacrent leur temps et leur énergie. Toutefois, la multiplicité des métriques employées contribue à leur opacité et compromet leur intégration aux systèmes de comptabilité nationale. Il est ainsi souvent reproché à ces projets et à leurs résultats de ne pas être parlants. La compréhension des barèmes énergétiques et de leurs différences, par exemple, n’est en rien intuitive ni immédiate. Elle ne fait pas appel aux mêmes compétences que la lecture de comptes nationaux exprimés uniquement en termes monétaires. Ainsi, l’institutionnalisation, même dans un cadre onusien, n’offre pas de garantie de diffusion des instruments comptables auprès du public visé. En 1990, Comolet et Weber (1990, p. 267) suggèrent déjà que l’unité monétaire, permettant la construction d’une classe d’équivalence unique, serait la mieux à même de « formuler un message que les décideurs politiques ne peuvent ignorer ». Cette idée selon laquelle l’évaluation monétaire serait immédiatement intelligible par les décideurs, car elle renvoie à leur registre d’expression quotidien, est largement répandue. « L’argent est la langue que les gens partagent, et surtout les décideurs », déclarait récemment le directeur d’une organisation impliquée dans la normalisation de la comptabilité du capital naturel pour le compte de l’Union Européenne4. C’est à la présentation de cette comptabilité que nous allons maintenant nous attacher.

3. La comptabilité privée du « capital naturel » ou la construction d’une promesse

3.1. L’expression monétaire comme stratégie de mobilisation

14À la suite du Sommet de Rio, les États se sont engagés à traduire le développement durable en actions. C’est dans ce contexte que l’économiste de l’environnement britannique David Pearce est mandaté pour formuler des recommandations pour le Royaume-Uni. Seul ou avec ses collègues Anil Markandya et Ed Barbier, il produit une série de rapports, notamment Blueprint for a green economy (1989), Greening the world economy (1991), Measuring sustainable development (1993) et Capturing global environmental value (1995). Il intervient également comme expert auprès de la Banque mondiale et surtout de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En cette qualité, et compte tenu de ce rôle de passeur ou courtier de concepts économiques dans la sphère politique, il est à l’origine d’innovations langagières qui ont eu une influence notable. On lui doit en particulier, sinon l’invention, du moins la diffusion de la notion de capital naturel, ainsi que la distinction qui en découle entre soutenabilités faible et forte (Åkerman, 2003). Il suggère ainsi, pour penser la soutenabilité, de considérer la nature comme un capital, produisant des flux de biens et de services, qui à l’instar de n’importe quel autre type de capital pourrait se déprécier, et dont le maintien dans le temps nécessiterait des investissements. La dégradation de ce capital naturel pourrait, au moins en partie, être compensée par l’augmentation du stock d’autres types de capital. Une condition minimale de soutenabilité serait le maintien d’un capital total au moins constant dans le temps, la soutenabilité forte impliquant en outre que le stock de capital naturel reste constant. Pour pouvoir envisager des compensations entre les différentes formes de capital, il faut qu’elles soient fongibles ; pour pouvoir penser une catégorie aussi globale et abstraite que le capital naturel, il faut instaurer des conventions d’équivalence et ainsi créer une commensurabilité entre les éléments multiples qui composent la nature. Ce qui n’était à l’origine qu’une métaphore parlante aux contours flous peut être aisément appropriable et ajustable à des contextes de décision variés, avec des implications majeures en termes d’évaluation. Si faire de la conservation de la nature un objectif intelligible pour le plus grand nombre revient à définir la nature comme capital, et si cette dernière qualification conduit à envisager la monnaie comme seule métrique susceptible de rendre commensurables différentes catégories de capital, alors la comptabilité de la nature ne saurait être qu’une comptabilité monétaire du capital naturel.

  • 5 Il s’agit respectivement de l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire sous l’égide des Natio (...)

15Les grandes évaluations internationales des écosystèmes, mais aussi du coût du changement climatique, de la biodiversité et des services écosystémiques5 lancées à partir du début des années 2000 viennent conforter cette tendance. Ces expertises qui ont réuni des milliers de chercheurs du monde entier et ont été portées par des figures majeures de leurs domaines respectifs revêtent une forme d’autorité épistémique, qui s’étend à l’usage qu’elles font de l’évaluation monétaire et au cadrage économique, voire marchand, qu’elles proposent pour rendre compte des enjeux de protection de l’environnement global par la logique comptable. Elles trouvent en outre un écho considérable dans les arènes environnementales internationales, sur les scènes politiques nationales et même dans les médias, ce qui accrédite la thèse de l’intelligibilité de l’expression monétaire des valeurs environnementales (Maechler & Boisvert, 2023a).

16L’évaluation de l’environnement connait alors un tournant que ses promoteurs qualifient de pragmatique. L’emploi de métaphores économiques pour parler de la nature, assimilée à un capital naturel qui rendrait des services écosystémiques, se diffuse, et le recours à l’évaluation monétaire à des fins strictement illustratives et de communication se systématise – processus déjà initié dès la fin des années 1990 (Costanza et al., 1997 ; Daily, 1997). Les rapports plus récents tendent à filer les métaphores, surtout lorsqu’ils s’adressent à un public réputé sensible aux arguments financiers. Ainsi, dans son rapport de 2021 sur l’économie de la biodiversité pour le Trésor britannique, Partha Dasgupta (2021), anciennement professeur à Cambridge et figure réputée de l’économie standard des ressources, assimile la biodiversité à un portefeuille d’actifs (assets) dont la variété offrirait des garanties face à l’incertitude de la crise écologique., Cette incertitude pourrait, comme dans de nombreux autres domaines, être gérée grâce à l’évaluation monétaire (Maechler, 2021). Le caractère prétendument immédiatement et universellement parlant, voire pédagogique, de telles métaphores fait son chemin, au point d’être presque devenu un truisme dans les débats actuels sur la comptabilité de la nature. Les métaphores comme simplification de la réalité permettent à un large éventail d’acteurs de s’y identifier au-delà de leurs différences (Coffey, 2016).

17L’évaluation monétaire est ainsi moins justifiée par des arguments techniques ou théoriques de prise de décision plus juste et rationnelle, comme l’était la première génération de travaux, qu’en tant qu’outil de communication. Le fait que des critiques de cet « environnementalisme pragmatique » (Spash, 2009) voient dans cet usage immodéré de l’expression monétaire la marque d’une emprise croissante, idéelle et discursive sinon matérielle, du marché, de la finance et globalement du secteur privé sur l’environnement ne conduit en rien à le disqualifier. D’abord considérée comme un « mal nécessaire » (Åkerman, 2003), cette stratégie est désormais très largement soutenue par le monde de la conservation de la nature, en premier lieu par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le Fonds mondial pour la nature (WWF). Les rapports Planète vivante publiés tous les deux ans par cette dernière organisation font ainsi la part belle aux estimations monétaires des services écosystémiques pour soutenir les constats alarmants sur la disparition de la faune sauvage et l’artificialisation des milieux naturels, comme si la mention de montants colossaux en dollars était nécessaire, voire suffisante, à la prise de conscience. De fait, plusieurs organisations non-gouvernementales (ONG) internationales de conservation opèrent au cours des années 2000 un rapprochement avec les entreprises, au nom de ce pragmatisme et de la nécessité de réformer le capitalisme de l’intérieur, à travers une stratégie de partenariat plutôt que de confrontation (MacDonald, 2010). Cela les conduit à préconiser le développement d’une comptabilité de la nature s’adressant à de nouveaux acteurs et cherchant à se rapprocher de la comptabilité privée. La rédaction d’un des rapports de l’initiative TEEB, pour l’Économie des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB for Business and Entreprise) dirigé par le chef économiste de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Joshua Bishop, et publié en 2011, marque un point de bascule en ce sens.

18On assiste donc à l’alignement d’acteurs variés, des experts de la conservation au sein de grandes ONG aux administrations des finances, en passant par des économistes et le monde des affaires autour de représentations partagées et de conventions d’équivalence qui font de la monnaie l’étalon des valeurs de la nature, pensée comme un capital. Ce message est régulièrement porté et diffusé par des personnalités publiques devenues « vedettes » du monde de la conservation, et dont la trajectoire professionnelle est parfois déconcertante. C’est notamment le cas de Pavan Sukhdev qui, bien que n’ayant aucune formation en matière d’environnement, a su se positionner comme une figure incontournable et d’autorité dans le domaine de la comptabilité de la nature. Cet ancien banquier de la Deutsche Bank puis directeur du programme TEEB est désormais Président du WWF International et de la société de conseil GIST Advisory, spécialisée dans l’évaluation monétaire des externalités environnementales des entreprises.

19Cette comptabilité du capital naturel est ainsi le régime s’appuyant le plus fortement sur des entrepreneurs de signification, reléguant au second plan les aspects techniques pourtant nécessaires à toute comptabilité de la nature. L’exactitude des conventions d’équivalence pour transformer la diversité de la nature en unité monétaire, si tant est qu’une telle exactitude puisse exister, est reléguée au second plan face à la nécessité de diffuser des chiffres spectaculaires sur la valeur prétendument invisible de la nature. En dépit de l’enthousiasme qu’elle suscite, des réseaux et nombreuses publications auxquels elle donne lieu et du consensus assez large autour de l’étalon monétaire, elle ne se traduit pas réellement dans les pratiques (Dempsey, 2016). En effet, les études de cas se succèdent les unes aux autres et les normes qui en ressortent ont toujours un statut provisoire, parfois de quelques mois seulement. Elles ont moins vocation à être appliquées qu’à donner des apparences de sérieux et de crédibilité à ce type de démarche, et in fine à réitérer ses promesses. Cette comptabilité du capital naturel semble avant tout relever d’une forme de « gouvernance incantatoire » (Aykut, Morena, & Foyer, 2021 ; Maechler & Boisvert, 2023b).

3.2. Une comptabilité du capital naturel aux effets limités

20Depuis les années 2010, un grand nombre de projets de comptabilité de la nature, y compris certains qui relevaient originellement du premier monde de la comptabilité environnementale, se réfèrent désormais au cadrage discursif décrit plus haut. Ainsi, la Division statistique des Nations Unies a développé, en plus de sa méthode biophysique, une méthode d’évaluation des services écosystémiques (SEEA-EA)6, permettant de « mesurer la nature comme un actif économique » (UN Dispatch, 2021) et dont la présentation a suscité une certaine attention médiatique. À l’image des communautés académiques, en particulier celle de l’économie écologique, divisée face au tournant pragmatique de l’évaluation monétaire, le premier monde comptable lié à la nature s’est ainsi scindé, une partie seulement ayant rejoint le deuxième à la suite de nombreux débats. Certains statisticiens et comptables nationaux continuent en effet de s’opposer à l’expression monétaire des valeurs, perçue comme une simplification exagérée d’une réalité complexe. Ce virage (partiel, mais significatif) en faveur de l’évaluation monétaire permet un rapprochement avec le secteur privé et le monde de l’entreprise, notamment à travers la création en 2017 d’une grande coalition (Combining Forces on Natural Capital). Cette dernière a été facilitée par le rapport TEEB for Business, qui, en plus de faire se rencontrer des acteurs de ces deux mondes, a également suscité la création d’un certain nombre d’entreprises de conseil spécialisées dans la comptabilité du capital naturel. C’est notamment le cas d’IDEEA Group, société fondée par deux anciens statisticiens nationaux australiens qui avaient contribué à l’élaboration des méthodes SEEA, reconvertis en consultants internationaux. La circulation des experts entre les administrations nationales, les ONG, les arènes de la comptabilité internationale, le monde des affaires et celui de la recherche a favorisé la diffusion des principes de la comptabilité du capital naturel dans différents mondes sociaux. C’est néanmoins avant tout au secteur privé que différents entrepreneurs politiques vont s’adresser.

21Sous l’influence de ces sociétés de conseil mais également des « Big Four » de la comptabilité (PwC, Deloitte, KPMG, EY), certaines entreprises ont ainsi mis en place dès 2012 des comptabilités du capital naturel au statut encore expérimental, davantage utilisées pour afficher une sensibilisation aux enjeux environnementaux que pour mesurer leur impact sur la nature. Les Big Four ont de fait acquis une place prépondérante dans le fonctionnement, sinon dans la régulation du capitalisme global durant ces dernières décennies, y compris en matière de durabilité (Malsch, 2013). Au travers de leur cœur de métier, la comptabilité, l’audit et le conseil, ils se positionnent dans de nombreux domaines émergents. Ils ne pouvaient ainsi rester en marge des débats sur la comptabilité du capital naturel, et ont rapidement développé leurs propres méthodologies. PwC, dont les consultants ont largement participé au rapport TEEB for Business, s’est positionné comme leader dans le domaine et a ainsi été mandaté dès 2010 par Puma puis Kering afin de développer de tels comptes. Ces dernières entreprises se sont également appuyées sur l’expertise de la société de conseil True Price qui, comme son nom l’indique, offre d’accompagner les entreprises dans la détermination du « vrai prix » de leurs produits. Ce n’est cependant pas le « prix » qui est ici en question, mais bien le « coût » environnemental de l’activité ; approximation qui reflète le primat de la forme sur le fond, et induit un message selon lequel les consommateurs, et non les entreprises, devraient être les agents potentiels du changement, la responsabilité et la décision de payer le vrai prix leur étant déléguées. Le « compte de pertes et profits environnementaux » de Kering fait apparaitre un déficit de 524 millions d’euros en 2019 (Kering, 2020). Peu importe cependant le résultat, puisque faire l’exercice, c’est déjà en partie le réussir. L’objectif pour les entreprises n’est pas à proprement parler d’internaliser ces externalités mais d’en neutraliser les effets en termes d’image. Il s’agit avant tout de désarmer la critique et de se tailler une réputation de pionnière en matière d’environnement, en réitérant engagements et promesses et en communiquant sur le processus de calcul et l’implication des « parties-prenantes », plutôt que sur leurs résultats environnementaux et leurs actions en réaction à ces derniers.

22L’enjeu majeur qui occupe désormais les débats depuis 2016 et qui semble se profiler comme un processus sans fin est la normalisation des méthodes de comptabilité du capital naturel. En effet, les conventions de quantification et d’équivalence mobilisées dans ces méthodes pour transformer la diversité de la nature en unités monétaires sont multiples et restent souvent opaques. Cela restreint dès lors le déploiement potentiel d’une telle comptabilité, dont l’objectif est justement de rendre différents phénomènes commensurables et comparables (Mennicken & Espeland, 2019). Une « communauté du capital naturel » s’est instituée pour relever ce défi de la normalisation. Elle se déploie notamment sous la houlette de la Natural Capital Coalition7 constituée en 2014 sur les fondations de TEEB for Business and Entreprise, incluant des entreprises, des organismes impliqués dans la conservation de la nature, des représentants d’administrations nationales ainsi que pléthore de « consultants internationaux » provenant notamment des « Big Four » eux-mêmes, mais aucun acteur issu de la normalisation comptable traditionnelle, à savoir financière. Cette communauté multiplie les tentatives de normalisation dans diverses arènes. Tout d’abord la Natural Capital Coalition elle-même a produit le Natural Capital Protocol, publié en 20168. L’organisme britannique de normalisation BSI (British Standards Institution) a lui aussi mis en consultation fin novembre 2020 une norme comptable – BS 8632 Natural Capital Accounting for Organizations9 – s’appuyant sur la norme récemment développée par l’Organisation Internationale de Normalisation pour l’évaluation monétaire de la nature (ISO 14008)10. Enfin, la comptabilité du capital naturel a été inscrite dans le Pacte vert pour l’Europe de 2019, qui souligne la nécessité de développer des pratiques normalisées en la matière. La Commission européenne soutient donc régulièrement des actions dans ce domaine, notamment la Value Balancing Alliance (VBA), une initiative privée de multinationales à laquelle participent une fois encore les « Big Four » à titre gracieux. Au-delà d’une réelle concurrence entre normes pour la comptabilité du capital naturel (Maechler & Graz, 2020), cette prolifération d’arènes souligne avant tout les efforts entrepris par leurs promoteurs pour que cette comptabilité soit perçue comme un domaine dynamique et attractif (Maechler & Boisvert, 2023b).

23Alors qu’on ne compte plus les nouvelles organisations ou « coalitions » créées pour réitérer la promesse d’une comptabilité qui transformerait la relation du capitalisme avec la nature, leurs effets restent limités, à la mesure du pouvoir des acteurs qui les portent. Elles restent déconnectées des normes et régulations obligatoires de jure ou de facto pour les entreprises et n’ont à ce jour pas entrainé de tournant réglementaire du capitalisme – d’autant que les États abandonnent leur mise en œuvre au bon vouloir des entreprises. Ainsi, les appels à évaluer monétairement la nature pour la rendre visible par le capital n’ont jusqu’à présent pas eu d’effets transformateurs ni pour les systèmes de comptabilité, ni pour l’internalisation des externalités environnementales ainsi mesurées. Le caractère opaque des méthodologies, en particulier des conventions d’équivalence mobilisées, est un frein important à cet égard. Finalement, la transformation de la nature en capital reste essentiellement discursive, sa mise en nombres est inaboutie, les effets de la comptabilité du capital naturel restent à l’état de promesse. Un « verdissement » des normes et pratiques comptables semble toutefois se dessiner sous l’action des normalisateurs comptables traditionnels, mais il s’agit d’un projet d’une toute autre nature que ceux que nous venons de décrire.

4. La « financiarisation », ou la mise en échec de la comptabilité de la nature ?

4.1. Un enjeu de gouvernance financière

  • 11 Notes d’observation : Intergovernmental Working Group of Experts on International Standards of Acc (...)

24Depuis quelques années, la comptabilité de la nature change progressivement d’arène pour devenir un enjeu de gouvernance financière face aux risques suscités par la crise écologique (Christophers, 2017). Le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (TCFD) créé en 2016 par le Conseil de stabilité financière (FSB), sous l’impulsion de son président Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, a joué un rôle déterminant dans la création de ce nouveau régime comptable. Aujourd’hui dirigé par l’homme d’affaires Michael Bloomberg, dont la société du même nom a justement pour but de produire de l’information à destination des marchés, le TCFD promeut la tarification et la divulgation des impacts climatiques sur les actifs futurs des entreprises (TCFD, 2017) et milite ainsi activement pour la mise à l’agenda du risque climatique dans les arènes de normalisation de la comptabilité financière. Le TCFD a notamment monopolisé les débats lors de la session annuelle du Groupe de travail intergouvernemental d’experts des normes internationales de comptabilité et de reporting (ISAR) de 2019, qui réunit la communauté comptable mondiale sous la houlette de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED)11.

25La Fondation de l’International Financial Reporting Standards (IFRS), associée à la grande organisation de normalisation comptable internationale, l’International Accounting Standards Board (IASB), s’est saisie de cette question et s’est engagée en octobre 2020 dans un processus de consultation sur l’opportunité de produire une norme en matière de comptabilité de la nature (IFRS Foundation, 2020). De grands acteurs financiers tels le London Stock Exchange Group, Allianz, UBS, HSBC, BlackRock, Moody’s, et les Big Four de la comptabilité ayant manifesté leur intérêt, l’IFRS a effectivement lancé un projet en partenariat avec l’Organisation internationale des commissions de valeurs (IOSCO). Ce projet a été officiellement présenté en novembre 2021, à la tribune de la 26e Conférence des parties de la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à Glasgow.

4.2. Une nature matérielle

26Les normes comptables, entendues dans leur dimension financière, sont destinées à un public précis : les investisseurs. Selon la logique financière, la seule information digne d’intérêt est la « juste valeur » (fair value) future des entreprises, que la comptabilité doit mettre en lumière (Colasse, 2012 ; Edgley, 2014). Dans une économie financiarisée, cette juste valeur est celle de l’entreprise sur un marché concurrentiel, une fois que tous les risques futurs dits « financièrement matériels » ont été identifiés, quantifiés, et traduits en termes monétaires. La comptabilité financière suit ainsi une logique de risque s’appuyant sur ce que l’on qualifie dans l’univers de l’audit financier d’analyse de matérialité (materiality) – ou plus rarement de pertinence – interne (Clark, 2021). Sont jugées « matérielles », au sens de la norme IAS 112, les informations susceptibles d’influencer les décisions des principaux utilisateurs des états financiers, à savoir les investisseurs. Dans cette perspective, l’importance des risques – y compris ceux qui sont liés à la nature – et la place qui leur est accordée dans l’évaluation ne sont donc qualifiés qu’à l’aune de leur impact sur la véracité des comptes certifiés des entreprises, c’est à dire en fonction de leurs effets non pas pour la société, mais pour les investisseurs. Ce monde comptable traduit ainsi l’environnement en un risque financier, ou en impact sur le bilan financier des entreprises.

27Le projet de l’IFRS – dit de sustainability reporting13 – suit une approche de matérialité dite interne et donc strictement financière, qui restreint en outre pour l’heure les risques pris en compte aux seuls risques « climatiques », bien que la proposition d’un projet similaire pour la biodiversité et les services écosystémiques ait récemment fait l’objet d’une consultation, et que des normes relatives à ce sujet devraient probablement bientôt être édictées14. L’argument majeur pour justifier cette appréhension de la nature par le prisme de la matérialité financière est l’effet d’entrainement qu’elle pourrait avoir. Le calcul des risques permettrait une prise de conscience progressive par les acteurs (investisseurs et entreprises) et induirait de fait une réduction générale des impacts environnementaux en favorisant une réallocation des investissements vers des secteurs à faibles risques, qui seraient également ceux à faibles impacts. Cependant, aucun horizon temporel n’est annoncé pour la matérialisation de cet objectif. En somme, il ne s’agit pas de dresser un inventaire des actifs et passifs naturels afin de réduire l’empreinte écologique des activités économiques. La nature est ici très largement invisibilisée au profit d’une logique capitaliste de gestion des risques, selon laquelle les marchés à eux-seuls permettront une transition écologique, au moyen d’une tarification non de la nature, ni même des impacts sur cette dernière, mais des risques qu’un environnement dégradé et une mauvaise image environnementale pourraient faire peser sur l’activité économique (Maechler 2023). L’enjeu est dès lors un accroissement de la performance financière des entreprises dans un contexte marqué par des risques climatiques aux effets potentiellement disruptifs pour les marchés financiers (Gabor, 2021). Ces normes de l’IFRS, dont le premier volet a été publié en juin 2023 pour une mise en œuvre prévue à janvier 2024 pourraient bien15, contrairement aux normes de comptabilité du capital naturel, être rendues obligatoires, et transposées à l’identique dans la législation des États, comme c’est le cas des normes de comptabilité financières IFRS dans de nombreux pays. Certains États pourraient cependant décider d’aller plus loin que le projet de l’IFRS, qui se targue d’être la « global baseline », ou le socle minimal.

28Des résistances s’organisent face à ce projet jugé insuffisant au regard des enjeux environnementaux. La Commission européenne qui avait, après de nombreux débats (Leblond, 2011 ; Mügge & Stellinga, 2015), suivi l’IFRS pour les normes de comptabilité financière, a annoncé ne pas souhaiter le faire en ce qui concerne la soutenabilité. Elle a mandaté le Groupe consultatif européen sur l’information financière (EFRAG) pour produire une proposition de directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD)16. Au travers de ce projet, l’Europe souhaite poursuivre un projet dit de « double-matérialité » incluant de manière plus large les risques environnementaux et leurs impacts non seulement pour les investisseurs, mais également pour la société entendue comme « partie-prenante », dans un esprit proche des précédents projets de comptabilité du capital naturel. Les normes européennes deviendront ainsi obligatoires sur le sol européen, bien que l’objectif soit de les diffuser à l’international (Maechler, 2023). Le scepticisme règne toutefois quant au pouvoir des institutions européennes d’imposer internationalement leur projet face à celui de l’IFRS, d’autant que la Commission européenne, qui a désormais repris le projet de l’EFRAG pour le traduire en réglementation, a décidé d’assouplir les exigences liées à la double-matérialité17. Aux États-Unis, qui n’utilisent pas les normes IFRS pour la comptabilité financière traditionnelle, un projet proche de celui de l’IFRS est en développement18. Ce dernier suscite cependant de nombreuses résistances, certains parmi les régulateurs considérant que les normes existantes sont suffisantes19.

29Les projets en présence diffèrent ainsi quant au type de matérialité qu’ils retiennent, c’est-à-dire quant à la façon dont sont définies les dimensions environnementales à intégrer. Mais au-delà de la définition retenue, la simple référence à la notion de matérialité indique qu’en dernière analyse, les éléments dont la comptabilisation sera jugée prioritaire seront déterminés à l’aune de considérations économiques et, plus précisément, sous l’angle de leurs effets sur l’évaluation financière des entreprises. De tels projets sont donc bien éloignés de l’aspiration à produire une comptabilité de la nature en vue de sa conservation. Finalement, nous assistons ainsi à une « financiarisation » non pas de la nature, puisque cette dernière ne fournit pas directement de flux de rendements futurs (Birch & Muniesa, 2020), mais de la politique environnementale par le biais de l’instrument comptable. Ceci favorise une redistribution du pouvoir en faveur de la valeur actionnariale (shareholder value) (Erturk, 2020), participant ainsi à la reproduction du capitalisme financier.

Conclusion : vers une invisibilisation de la nature ?

30Nous avons examiné trois mondes de la comptabilité de la nature développés au fil des dernières décennies. Ils coexistent, sans être véritablement en concurrence, au sens où ils se déploient dans des espaces différents, sont organisés autour de récits distincts et mobilisent des expertises différentes. Quand bien même certaines organisations sont impliquées dans l’élaboration de plusieurs d’entre eux – notamment l’OCDE, la Banque Mondiale, le PNUE ou les Big Four de la comptabilité – elles le sont généralement à travers des personnes différentes.

31La comptabilité de la nature s’inscrivait à ses débuts dans une perspective critique du primat de la croissance économique telle que mesurée par le seul PIB et d’un modèle de développement fondé sur les échanges écologiques inégaux entre nations. La multiplicité des unités de compte mobilisées par ces méthodes de comptabilité publique et développées par des entrepreneurs politiques aux compétences avant tout techniques a permis leur institutionnalisation, notamment dans le cadre onusien, mais pas leur diffusion auprès d’un large public. À cette comptabilité s’est ajoutée à la fin des années 1990 une comptabilité monétaire du capital naturel, répondant à l’impératif d’évaluer la soutenabilité de l’action publique. Il convenait alors de rendre commensurables les différents types de capitaux réputés contribuer au bien-être, dont le capital naturel, pour pouvoir en apprécier l’évolution dans le temps, d’où le développement d’une convention d’équivalence reposant sur l’évaluation monétaire. Des passeurs, tels David Pearce, puis par la suite Pavan Sukhdev, ont permis à ces concepts précédemment considérés comme techniques de s’adresser à un large public de décideurs publics comme privés.

32À partir des années 2000, les projets de comptabilité portés par le monde de la conservation de la nature, ONG et institutions internationales, sont ainsi justifiés par la nécessité de sensibiliser le public à la crise écologique. Ils portent le plus souvent sur les services écosystémiques, notion réputée parlante pour communiquer sur les valeurs de la nature pour les sociétés humaines et ils s’appuient sur une évaluation monétaire, également justifiée par son caractère immédiatement accessible pour le plus grand nombre. Dans le cadre de ce second monde comptable, il s’agit littéralement de révéler les valeurs de la nature de façon à susciter leur intégration dans les stratégies d’une large palette d’acteurs, notamment des entreprises. En lien avec ces dernières, et avec des coalitions diverses, des normes comptables privées sont fréquemment publiées pour rendre compte du capital naturel, projet pour lequel la technique statistique, écologique, économique et comptable a largement été remplacée par de grands récits mobilisateurs soutenus par des métaphores. Les projets les plus récents ont néanmoins des ambitions différentes. Il ne s’agit pas tant de réduire les impacts des activités économiques sur la biosphère que de gérer des risques dits réputationnels, ceux qu’une mauvaise image environnementale pourrait faire peser sur l’activité économique. Promus par différents types d’entrepreneurs, en particulier ceux dits « de signification », les projets de comptabilité du capital naturel se succèdent. Alors qu’une pluralité de métriques était utilisée dans les projets de « première génération », un alignement des acteurs et des initiatives semble s’observer depuis une dizaine d’années autour de l’évaluation monétaire. Celle-ci est moins soutenue par des arguments techniques, notamment économiques (comme voie pour favoriser l’internalisation des externalités environnementales), que par des arguments supposément pragmatiques de communication. Âprement contestés dans les années 1990, ces derniers sont comparativement peu débattus depuis le milieu des années 2000. Une convention semble ainsi s’être établie dans le monde de la conservation et des promoteurs de la comptabilité environnementale autour d’un possible usage de la monnaie comme simple étalon de valeur, dépouillée de ses autres fonctions. Quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur de telles évolutions et sur leur pragmatisme, tant vanté au regard de l’évolution des problèmes globaux d’environnement, il nous parait important de souligner qu’une caractéristique partagée des deux premiers mondes comptables évoqués dans cet article est qu’ils n’ont pas donné lieu à l’édiction de normes dont la portée les dépasserait. En dépit de leur ancienneté relative, ils n’ont pas atteint de phase de diffusion ou d’opérationnalisation, pour des raisons différentes : degré de technicité élevé pour le premier, obérant ses chances d’essaimer, caractère incantatoire pour le second qui n’a donné lieu qu’à la déclinaison de principes généraux et à la production de rapports ayant une vocation d’exemplarité.

33Au fil de glissements et de déplacements d’arènes successifs, un troisième monde comptable voit le jour, lié au capitalisme financier vu sous l’angle des opérateurs « traditionnels » de la normalisation. Les questions environnementales y sont réduites à un volet de l’analyse de matérialité produite dans le cadre du reporting sur la soutenabilité. Il s’agit pour les entreprises d’intégrer à leur rapport comptable des éléments liés à leur activité qui pourraient avoir un impact sur leurs performances économiques et leur valeur boursière – en d’autres termes, des risques. La technique mobilisée est avant tout comptable, et les enjeux économiques et écologiques ont largement disparu, comme la nature par ailleurs. Cette approche est portée par des coalitions d’acteurs privés, firmes multinationales et grands cabinets d’audit, qui ont démontré sur d’autres sujets leur capacité à imposer leurs normes et une régulation conforme à leurs intérêts. Ce projet est facilement assimilable pour les entreprises qui, tout en gardant le même cadre de référence, peuvent se targuer d’être à l’avant-garde en matière environnementale. Il semble par ailleurs conforter l’idée d’une finance qui étendrait son idéologie extractiviste (Tordjman, 2021). Cependant, nous avons montré que ce n’est pas la nature qui est ici intégrée à cette pensée-pratique comptable, mais bien les risques potentiels qu’une nature dégradée – ou, ce qui est mis sur le même plan, une mauvaise image environnementale – fait peser sur la performance financière des entreprises. Une telle approche relève ainsi moins de la marchandisation ou de la financiarisation de la nature que de son éviction, ou de sa mise en invisibilité. Si elle était instaurée et généralisée, les préoccupations environnementales seraient en effet réputées mesurées, comptabilisées et internalisées, alors même qu’elles ne sont abordées que sous un angle très sélectif et restreint.

34Ce dernier projet, soutenu par les opérateurs traditionnels de la normalisation comptable, pourrait sembler plus à même de s’imposer car il est porté par des acteurs puissants, positionnés de longue date à l’intérieur du système, et dont le métier repose sur la simplification et l’unification des conventions. À l’heure actuelle, il est toutefois difficile de déceler en pratique l’émergence d’un régime de comptabilité de la nature qui s’imposerait de façon hégémonique et structurante et qui édicterait des normes universelles. Les entreprises récentes en la matière s’inscrivent dans le régime d’accumulation dominant et ne témoignent pas d’une aspiration à le transformer, ni a fortiori à le subvertir. En se réclamant de la comptabilité de la nature, ce qui est un abus de langage si on considère leurs objets, elles contribuent à désarmer, en les rendant caduques, les tentatives plus radicales de faire apparaitre la nature en comptabilité qui pourraient émerger.

Haut de page

Bibliographie

Ahmad Y. J., El Serafy S., & E. Lutz (1989), Environmental Accounting for Sustainable Development, Washington D.C., World Bank.

Åkerman M. (2003), « What Does “Natural Capital” Do? The Role of Metaphor in Economic Understanding of the Environment », Environmental Values, vol. 12, no 4, p. p. 431‑448.

Aykut S. C., Morena E., & J. Foyer (2021), « ‘Incantatory’ governance: Global climate politics’ performative turn and its wider significance for global politics », International Politics, vol. 48, no 4, p. 519‑540.

Barral S. (2021), « Conservation, finance, bureaucrats: Managing time and space in the production of environmental intangibles », Journal of Cultural Economy, vol. 14, no 5, p. 549-563.

Bebbington J., Larrinaga C., O'Dwyer B. & I. Thomson (dir.). (2021), Routledge handbook of environmental accounting. New York, Routledge.

Bérard Y. (2019), « Une nature qui compte ? », Revue française de science politique, vol. 69, no 2, p. 281-303.

Birch K. & F. Muniesa (dir.). (2020), Assetization: Turning things into assets in technoscientific capitalism, Cambridge, The MIT Press.

Boisvert V. & F.‑D. Vivien (2012), « Towards a political economy approach to the Convention on Biological Diversity », Cambridge Journal of Economics, vol. 36, no 55, p. 1163‑1179.

Boltanski L. & L. Thévenot (1991), De la justification : Les économies de la grandeur, Paris: Gallimard.

Bracking S. (2020). « Financialization and the environmental frontier », in Mader P., Mertens D. & N. van der Zwan (dir.). The Routledge International Handbook of Financialization, London, Routledge, p. 213‑223

Cahen‑Fourot L. (2020), « Contemporary capitalisms and their social relation to the environment », Ecological Economics, vol. 172.

Capron M. (dir.) (2005), Les Normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, Paris, La Découverte.

Chiapello E. (2008), « Accounting at the heart of the performativity of economics », Economic Sociology: The European Electronic Newsletter, vol. 10, no 1, p. 12‑15.

Christophers B. (2017), « Climate change and financial instability: risk disclosure and the problematics of neoliberal governance », Annals of the American Association of Geographers, vol. 107, no 5, p. 1108‑1127.

Clark C. E (2021), « How do standard setters define materiality and why does it matter? », Business Ethics, the Environment & Responsibility, vol. 30, no 3, p. 378‑391.

Coffey B. (2016), « Unpacking the politics of natural capital and economic metaphors in environmental policy discourse », Environmental Politics, vol. 25, no 2, p. 203‑222.

Colasse B. (2012), Les fondements de la comptabilité, Paris, La Découverte.

Comolet A. & J.-L. Weber (1990), « Un instrument de connaissance et d’aide à la décision : Le système de comptes du patrimoine naturel français », Revue économique, vol. 41, no 2, p. 243‑267.

Costanza R. et al. (1997), « The value of the world’s ecosystem services and natural capital », Nature, vol. 387, p. 253‑260.

Daily G. (dir.). (1997). Nature’s Services: Societal Dependence On Natural Ecosystems. Washington, D.C., Island Press.

Dasgupta P. (2021), The economics of biodiversity: The Dasgupta review, London, HM Treasury.

De Haan M. & Keuning S. (1996), « Taking the environment into account: the NAMEA approach », Review of Income and Wealth, vol. 42, no 2, p. 131-148.

Dempsey J. (2016), Enterprising Nature: Economics, Markets, and Finance in Global Biodiversity Politics, Chichester, Wiley.

Desrosières A. (2008a), Pour une sociologie historique de la quantification. L’argument statistique I, Paris, Presses de l’école des mines.

Desrosières A. (2008b), Gouverner par les nombres. L’argument statistique II, Paris, Presses de l’école des mines.

Diaz‑Bone R. (2017), « Classifications, quantifications and quality conventions in markets – perspectives of the economics of convention », Historical Social Research / Historische Sozialforschung, vol. 42, no 1, p. 238‑262.

Ducarme F. (2019), « Qu’est-ce que la nature qu’on cherche à conserver ? Une approche sémiologique de l’action écologique ». Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 14, no 2, p. 23‑60.

Edgley C. (2014), « A genealogy of accounting materiality », Critical Perspectives on Accounting, vol. 25, no 3, p. 255‑271.

El Serafy S. (1997), « Green accounting and economic policy ». Ecological Economics, vol. 21, no 3, p. 217‑229.

Erturk I. (2020), « Shareholder primacy and Corporate financialization », in Mader P., Mertens D., & N. van der Zwan (dir.), The Routledge International Handbook of Financialization, London, Routledge, p. 43‑55.

Feger C. & Mermet L (2021), « Innovations comptables pour la biodiversité et les écosystèmes : Une typologie axée sur l’exigence de résultat environnemental », Comptabilité Contrôle Audit, vol. 27, no 1, p. 13‑50.

Fischer‑Kowalski M. et al. (2011), « Methodology and indicators of economy‐wide material flow accounting: State of the art and reliability across sources », Journal of Industrial Ecology, vol. 15, no 6, p. 855‑876.

Franco M. P. V. (2020), « The factual nature of resource flow accounting in the calculation in kind of the “other Austrian economics” », Œconomia. History, Methodology, Philosophy, vol. 10, no 3, p. 453‑472.

Gabor D. (2021), « The Wall Street Consensus », Development and Change, vol. 52, no 3, p. 429-459.

Godard O. (1990), « Environnement, modes de coordination et systèmes de légitimité : analyse de la catégorie de patrimoine naturel », Revue économique, vol. 41, no 3, p. 215‑242.

Görg C., Plank C., Wiedenhofer D., Mayer A.; Pichler M., Schaffartzik A. & Krausmann F. (2020), « Scrutinizing the Great Acceleration: The Anthropocene and its analytic challenges for social-ecological transformations », The Anthropocene Review, vol. 7, no 1, p. 42‑61.

Gray R. H. (1990), The Greening of Accountancy: The Profession After Pearce, research report no 17, London, Chartered Association of Certified Accountants.

Graz J.‑C. (2019), The Power of Standards: Hybrid Authority and the Globalisation of Services, Cambridge: Cambridge University Press.

Haberl H., Fischer-Kowalski M., Krausmann F. & V. Winiwarter (dir.). (2016), Social Ecology: Society-Nature Relations across Time and Space, Cham, Springer.

Hornborg A. & J. Martinez‑Alier (2016), « Ecologically unequal exchange and ecological debt », Journal of Political Ecology, vol. 23, no 1, p. 328‑333.

IFRS Foundation. (2020), Consultation Paper on Sustainability Reporting, London, IFRS.

Kemp-Benedict E. & S. Kartha (2019), « Environmental financialization: What could go wrong? », Real-World Economics Review, vol. 87, p. 69‑89.

Kering. (2020), Environmental profit and loss (EP&L) 2019, Paris, Kering.

Kokkelenberg E. C. & W. D. Nordhaus (dir.). (1999), Nature’s Numbers: Expanding the National Economic Accounts to Include the Environment, Washington, D.C., National Academies Press.

Leblond P. (2011), « EU, US and international accounting standards: A delicate balancing act in governing global finance », Journal of European Public Policy, vol. 18, no 3, p. 443‑461.

Levidow L. (2020), « Turning Nature into an asset: Corporate strategies for rent-seeking », in Birch K. & F. Muniesa (dir.), Assetization: Turning Things into Assets in Technoscientific Capitalism, Boston, MIT Press, p. 225‑258.

Loconto A., & L. Busch (2010), « Standards, techno-economic networks, and playing fields: Performing the global market economy », Review of International Political Economy, vol. 17, no 3, p. 507‑536.

Lordon F. (2000), « La force des idées simples. Misère épistémique des comportements économiques », Politix. Revue des sciences sociales du politique, vol. 13, no 52, p. 183‑209.

Lovell H. & D. MacKenzie (2012), « Accounting for carbon: The role of accounting professional organisations in governing climate change », in Newell P., Boykoff M. & E. Boyd (dir.), The New Carbon Economy: Constitution, Governance and Contestation, Chichester, Wiley-Blackwell, p. 107‑134.

Lutz E. (dir.). (1993), Toward improved accounting for the environment. Washington, D.C., World Bank.

MacDonald K. (2010), « The devil is in the biodiversity: private sector ‘engagement’ and the restructuring of biodiversity conservation », Antipode, vol. 42, no 3, p. 513–550.

Maechler S. (2021), « L’économie standard est-elle soluble dans le dialogue interdisciplinaire ? Une analyse du dispositif d’expertise suisse face à la covid-19 », Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs, vol. 29.

Maechler S. (2023), « Accounting for whom? The financialisation of the environmental economic transition », New Political Economy, p. 1–17, vol. 28, no 3, p. 416-432.

Maechler S. & V. Boisvert (2023a) « Valuing Nature to Save it: Nature Valuation and the New Spirit of Conservation », Global Environmental Politics, p. 1-21.

Maechler S. & V. Boisvert (2023), « Performing nature’s valuation: The art of natural capital accounting », Valuation Studies, vol.°10, no 1, p. 118-147. DOI : 10.3384/VS.2001-5992.2023.10.1.118-147

Maechler S. & J.‑C. Graz (2022), « Is the sky or the earth the limit? Risk, uncertainty and nature », Review of International Political Economy, vol. 29, no 2, p. 624-645.

Maechler S. & J.‑C. Graz (2020). « The standardisation of natural capital accounting methodologies », in Jakobs K. (dir.), Shaping the Future Through Standardization, Pennsylvania, IGI Global, p. 27‑53.

Maertens L. (2016), « Ouvrir la boîte noire. Observation participante et organisations internationales », Terrains/Théories, vol. 5.

Malsch B. (2013), « Politicizing the expertise of the accounting industry in the realm of corporate social responsibility », Accounting, Organizations and Society, vol. 38, no 2, p. 149‑168.

Maor M. (2017), « Policy entrepreneurs in policy valuation processes: The case of the Coalition for Environmentally Responsible Economies », Environment and Planning C: Politics and Space, vol. 35, no 8, p. 1401‑1417.

Martinez‑Alier J. (1987), Ecological Economics: Energy, Environment, and Society, Oxford, Basil Blackwell.

Matthews E. (2000), The weight of nations material outflows from industrial economies. Washington, D.C., World Resources Institute.

Maunders K. T. & R. L. Burritt (1991), « Accounting and ecological crisis », Accounting, Auditing & Accountability Journal, vol. 4, no 3.

Mennicken A. & W. N. Espeland (2019), « What’s new with numbers? Sociological approaches to the study of quantification », Annual Review of Sociology, vol. 45, no 1, p. 223‑245.

Mennicken A. & P. Miller (2012), « Accounting, territorialization and power », Foucault Studies, no 13, p. 4‑24.

Miller P. & T. O’Leary (1987). « Accounting and the construction of the governable person », Accounting, Organizations and Society, vol. 12, no 3, p. 235‑265.

Mintrom M. (2019), « So you want to be a policy entrepreneur? », Policy Design and Practice, vol. 2, no 4, p. 307‑323.

Mügge D. & B. Stellinga (2015), « The unstable core of global finance: Contingent valuation and governance of international accounting standards », Regulation & Governance, vol. 9, no 1, p. 47‑62.

Pearce D., Markandya A. & E. B. Barbier (1989), Blueprint for a Green Economy, London, Earthscan.

Pearce D. (dir.). (1991), Blueprint 2: Greening the world economy, London, Earthscan.

Pearce D. (dir.). (1993), Blueprint 3: Measuring sustainable development, London, Earthscan.

Pearce D. (dir.). (1995), Blueprint 4: Capturing global environmental value. London, Earthscan.

Perry J. & A. Nölke (2006), « The political economy of International Accounting Standards », Review of International Political Economy, vol. 13, no 4, p. 559‑586.

Pestre D. (2006), Introduction aux Science Studies. Paris, La Découverte.

Ramirez C. (2013), « Normalisation des services marchands ou marchandisation des normes ? », in Graz J.‑C. & N. Niang (dir.), Services sans frontières, Paris, Presses de Sciences Po, p. 223‑252.

Repetto R., Magrath W., Wells M., Beer C. & F. Rossini (1989). Wasting Assets. Natural Resources in the National Income Accounts, Washington D.C., World Resources Institute.

Richard J. & A. Rambaud (2020). Révolution comptable : Pour une entreprise écologique et sociale. Paris, Les éditions de l’Atelier.

Salzman J. & J. B. Ruhl (2000), « Currencies and the commodification of environmental law », Stanford Law Review, vol. 53, no 3, p. 607-694.

Spash C. L. (2009), « The new environmental pragmatists, pluralism and sustainability », Environmental Values, vol. 18, no 3, p. 253‑256.

Sullivan S. & M. Hannis (2017), « “Mathematics maybe, but not money”: On balance sheets, numbers and nature in ecological accounting », Accounting, Auditing & Accountability Journal, vol. 20, no 7, p. 1459‑1480.

Supiot A. (2015), La Gouvernance par les nombres. Paris, Fayard.

TCFD. (2017), Recommendations of the Task Force on Climate related Financial Disclosures, Task Force on Climate-Related Financial Disclosures.

Tordjman H. (2021), La croissance verte contre la nature : Critique de l’écologie marchande, Paris, La Découverte.

UN Dispatch. (2021), « The United Nations Has a New Plan to Measure Nature Like Economic Asset ». Consulté le 25 avril 2021, https://www.undispatch.com/seea-ea/

Uno K. & P. Bartelmus (dir.) (1998), Environmental Accounting in Theory and Practice, Dordrecht, Kluwer.

Vanoli A. (2013), « Comptabilité nationale, statistiques et indicateurs du développement durable : État de l’art et des réflexions », in Vivien F.‑D., Lepart J. & P. Marty (dir.), L’Évaluation de la durabilité, Paris, Éditions Quæ, p. 239‑265.

Zuindeau B. (2007), « Regulation school and environment: Theoretical proposals and avenues of research », Ecological Economics, vol. 62, no 2, p. 281‑290.

Haut de page

Notes

1 Nous utilisons ce terme de manière à souligner le contraste frappant entre l’activité technocratique de la comptabilité et le concept abstrait de « nature » (Ducarme, 2019).

2 URL : https://seea.un.org/ [consulté le 25/09/2023].

3 Cette collecte systématique a été par exemple inscrite dans les Objectifs d’Aichi constituant le « Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 », ou dans les Objectifs du Développement Durable (ODD 15.9.1.b). Les résultats restent cependant contrastés et très inégaux selon les pays, voir : https://www.cbd.int/aichi-targets/target/2 [consulté le 25/09/2023].

4 Christian Heller, Intervention orale, “We Value Nature 10-days challenge”, 24 mars 2021.

5 Il s’agit respectivement de l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire sous l’égide des Nations Unies dont le rapport final est paru en 2005, du rapport Stern sur l’économie du changement climatique réalisé à la demande du gouvernement britannique et diffusé en 2006, et de l’initiative TEEB sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité dont les rapports ont été diffusés en 2010.

6 https://seea.un.org/ecosystem-accounting [consulté le 25/09/2023].

7 Aujourd’hui nommée « Capitals Coalition », voir : https://capitalscoalition.org/ [consulté le 25/09/2023].

8 De nombreux autres protocoles, notamment sectoriels, ont été publiés depuis, sans pour autant préciser l’objectif de ces comptabilités ou que leur mise en pratique uniformisée n’en soit grandement affectée. Pour le Natural Capital protocol, voir : https://capitalscoalition.org/capitals-approach/natural-capital-protocol/?fwp_filter_tabs=guide_supplement [consulté le 25/09/2023].

9 https://www.bsigroup.com/en-GB/standards/bs-86322021/ [consulté le 25/09/2023].

10 https://www.iso.org/standard/43243.html [consulté le 25/09/2023].

11 Notes d’observation : Intergovernmental Working Group of Experts on International Standards of Accounting and Reporting, 36th session. Genève, 30 octobre au 1er novembre 2019.

12 URL : https://www.iasplus.com/en/standards/ias/ias1 [consulté le 25 septembre 2023].

13 URL : https://www.ifrs.org/projects/completed-projects/2021/sustainability-reporting/#final-stage [consulté le 25 septembre 2023].

14 URL : https://www.ifrs.org/projects/work-plan/issb-consultation-on-agenda-priorities/ [consulté le 25 septembre 2023].

15 URL : https://www.ifrs.org/supporting-implementation/supporting-materials-for-ifrs-sustainability-disclosure-standards/ifrs-s1/ [consulté le 25 septembre 2023].

16 URL : https://www.efrag.org/Activities/2010051123028442/Sustainability-reporting-standards-roadmap [consulté le 25 septembre 2023].

17 URL : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_23_4043 [consulté le 25 septembre 2023].

18 URL : https://www.sec.gov/news/press-release/2022-46 [consulté le 25 septembre 2023].

19 URL : https://www.sec.gov/news/statement/peirce-climate-disclosure-20220321 [consulté le 25 septembre 2023].

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvain Maechler et Valérie Boisvert, « Du calcul biophysique à l’évaluation des risques financiers »Revue de la régulation [En ligne], 35 | 2nd semestre|Autumn 2023, mis en ligne le 21 décembre 2023, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regulation/22961 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/regulation.22961

Haut de page

Auteurs

Sylvain Maechler

Boursier postdoctoral du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) pour des postes de chercheur invité à l'Université Goethe de Francfort et à l'Université d'Ottawa. Collaborateur scientifique à l’Institut d’Études Politiques (IEP) de l’Université de Lausanne. sylvain.maechler@unil.ch

Articles du même auteur

Valérie Boisvert

Professeure d’économie écologique. Institut de géographie et durabilité (IGD). Faculté des géosciences et de l’environnement. Université de Lausanne. valerie.boisvert@unil.ch

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search