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Deux évènements ont marqué la préparation du numéro 28 de la Revue de la régulation : la réforme des universités et la crise sanitaire.

Dans un environnement général incertain, l’urgence de réformer l’université peut sembler contestable. À marche forcée, la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) impose une logique managériale aux établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche. Les personnels sont évincés des systèmes de gestion des carrières, les appels à projet conditionnent les programmes de recherche, les contrats précaires à l’embauche des chercheurs deviennent la norme et l’évaluation permanente et bureaucratique occupent une place centrale. Ces dispositions priment sur la préservation des conditions de travail et de « bien-être » des chercheurs, pour reprendre les termes d’un éditorial récent de la revue Nature. Les nombreuses prises de positions et le travail effectué par le collectif « Revues en lutte » n’ont pas réellement infléchi la position du ministère.

Compte tenu de son impact, le second événement, la crise du covid-19, a eu un écho bien plus large. L’espace de la polis et le monde académique se sont emparés des questions qu’il posait. Plusieurs niveaux d’analyse s’articulent pour expliquer la fragilité de nos cadres de références, mettre en avant des éléments de résilience ou, tout simplement, s’interroger sur une forme d’aveuglement. Malgré les craintes qu’exprimait précocement l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’hypothèse de la pandémie a souvent été refoulée. Aujourd’hui encore, d’aucuns envisagent le futur à l’aune du monde pré-covid. En revanche, la crise rebat largement les cartes et nous pouvons difficilement conserver les mêmes schémas de pensée. La pandémie a mis à nu le poids des idéologies dans les politiques publiques : l’État, fût-il qualifié de néolibéral, peut engager des politiques pour atténuer des conséquences d’une crise quand les rapports de forces socio-politiques l’y contraignent. Dans de nombreux pays, l’explosion des déficits publics et de la dette associée forcent à repenser le rôle de l’instrument budgétaire. Ce dernier dépend de compromis politiques et il semble désormais difficile de défendre l’austérité comme seul horizon.

En juin dernier, la Revue de la régulation a lancé un appel à contributions : « Covid-19 : l’économie dévoilée par la crise pandémique », pour offrir une diversité d’entrées et de points de vue sur le sujet. Nous avons reçu près de cinquante propositions. Les unes s’intéressent aux impasses de nos modèles : nos objectifs sociaux sont tiraillés par des dynamiques contraires que des ajustements à la marge ne régleront pas. Les autres mettent l’accent sur les limites des politiques guidées par la réduction des coûts, tragiquement illustrées par l’organisation des systèmes de santé publique. Les premiers textes, des opinions-débats publiés au fil de l’eau dans un numéro spécial, sont d’ores-et-déjà disponibles sur le site de la Revue de la régulation dans le courant du mois de janvier 2021.

La crise nous rappelle également, comme le soulignent de nombreux travaux institutionnalistes, que tous les biens et services ne se valent pas. Les secteurs de la santé, de l’alimentation, de l’énergie, par exemple, ne sont pas librement substituables. Ils sont vitaux et, fortuitement, ils sont l’objet de plusieurs textes en varia et articles publiés dans le dossier « Accumulation et politique » de ce numéro. Daniel-Mercier Gouin et Aurélie Trouvé proposent une étude comparative de la production laitière et de l’évolution du cadre institutionnel européen, états-unien et néo-zélandais. Noé Guiraud et Juliette Rouchier s’intéressent à un autre type d’agriculture en région Provence-Alpes-Côte d’Azur : les circuits courts alimentaires émergents. Yvan Renou, Antoine Brochet et Jean-Dominique Creutin mettent en perspective l’évolution historique (1219-1778) des institutions de protection contre les crues torrentielles dans la région grenobloise. Le quatrième article, consacré aux digital currencies [monnaies numériques], alimente les débats, chers à la Revue de la régulation (voir le no 18 et le no 26), sur l’institutionnalisme monétaire. Selon Louis Larue, Clément Fontan et Joakim Sandberg, l’émission d’une alternative numérique aux cryptomonnaies par les banques centrales est une piste intéressante, même si elle pose des problèmes de concentration des pouvoirs technocratiques.

Le dossier de ce numéro est consacré à l’accumulation dans ses rapports au politique. Les quatre articles proposés se penchent également sur des pratiques sociales non substituables. Dans le premier, Sylvain Moura analyse les politiques de la défense française en matière de R&D depuis la Seconde Guerre mondiale. Le second et le troisième, rédigés par Matthieu Ansaloni et Pierre Wokuri, font écho aux varia. Ils se penchent respectivement sur les structures politiques de l’accumulation au sein d’une filière agricole et sur les coopératives de production danoises d’énergie éolienne. Au sein de ces dernières, l’accumulation du capital économique ne garantit pas l’accumulation de capital politique et vice-et-versa. Enfin, plus conceptuel, l’article d’Éric Lahille propose un cadre d’analyse articulant les modes de régulation et le travail politique des acteurs. L’introduction, rédigée par Matthieu Ansaloni, Matthieu Montalban, Antoine Roger et Andy Smith, les auteurs de l’appel, met en relief les analyses théoriques qui confrontent la théorie de la régulation à l’approche bourdieusienne des champs pour cerner les structures des politiques d’accumulation.

1Ce numéro est également riche de trois recensions d’ouvrages : Nicolas Bédu revient sur Le Capital en action, dans lequel Fabien Foureault analyse la prise de contrôle des entreprises par les fonds d’investissement ; Pierre Alary parcourt Les monnaies alternatives de Jérôme Blanc, qui propose une analyse théorique de la monnaie à partir des exemples des monnaies alternatives ; Gissel Maria K. Maidana Rosas et Daisy Ferraira nous parlent de La Tierra en disputa: extractivismo, exclusión y resistencia, ouvrage de Luis Rojas-Villagra sur l’accaparement du foncier au Paraguay.

Enfin, Thomas Piketty revient sur son dernier ouvrage, Capital et idéologie, et sur sa vision de l’évolution du champ des sciences sociales dans un entretien stimulant.

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Pour citer cet article

Référence électronique

« Éditorial »Revue de la régulation [En ligne], 28 | 2nd semestre / Autumn 2020, mis en ligne le 31 décembre 2020, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regulation/18386 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/regulation.18386

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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