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Notes de lecture

À propos de l’ouvrage de Fabien Foureault, Le capital en action. Comment les fonds d’investissement prennent le contrôle des entreprises

Nicolas Bédu
Référence(s) :

Fabien Foureault, Le capital en action. Comment les fonds d’investissement prennent le contrôle des entreprises, Paris, Presses des Mines, coll. Sciences sociales, 2019, 160 p.

Texte intégral

  • 1 Acquisitions d’entreprises avec effet de levier.
  • 2 Bédu et Granier (2018) distingue plusieurs types de LBO. En fonction de la nature des dirigeants et (...)

1Le capital en action est une synthèse des travaux de recherche du sociologue Fabien Foureault sur les Leveraged Buy-Out1 (LBO). L’ouvrage est composé de six chapitres, relativement courts mais très denses, qui entraînent le lectorat dans les rouages les plus profonds de ce type d’opérations. Un LBO peut se définir simplement comme l’acquisition de parts sociales d’une entreprise, financée majoritairement par endettement et minoritairement par apport de fonds propres des investisseurs2.

2L’ouvrage s’attache à exposer les mécanismes de pouvoir à l’origine de la production et de l’extraction de valeur au profit des fonds de Private Equity ainsi que leurs limites et contradictions. La lecture sociologique proposée dans ce livre comble un vide important dans la compréhension de ces opérations davantage étudiées selon les points de vue de l’économiste et du gestionnaire. L’analyse est déclinée au niveau du champ du Private Equity (échelle macrosociale), de la direction des entreprises cibles (échelle mésosociale) et de l’organisation interne des entreprises (échelle microsociale). Fabien Foureault associe un groupe social à chaque échelle d’analyse : fonds et directeurs de participation sont associés à l’échelle macrosociale, cadres dirigeants d’entreprises à l’échelle mésociale, cadres intermédiaires à l’échelle microsociale.

3L’auteur défend une thèse originale et ambitieuse. Selon lui, les LBO sont certes une manifestation du processus de financiarisation des entreprises (point de vue partagé par de nombreux spécialistes de la question), mais ils sont aussi un outil au service du capital pour transformer le capitalisme français. Le capital est défini, dans l’ouvrage, comme une classe sociale à laquelle appartiennent les dirigeants et les associés des fonds. Ce sont des acteurs stratégiques regroupés en organisation selon la logique d’imbrication suivante : les acteurs individuels sont regroupés en fonds qui sont rassemblés en associations professionnelles nationales, elles-mêmes intégrées à des associations professionnelles internationales.

4Le cadrage théorique de l’ouvrage s’inspire essentiellement de l’approche de sociologie économique développée par Neil Fligstein. L’auteur emprunte notamment le concept de « champ d’action stratégique » à la « théorie des champs » de Fligstein et McAdam (2012). Au sein d’un champ, défini comme un ensemble d’acteurs hétérogènes, certains acteurs sont dominants (incumbents), tandis que d’autres sont dominés (challengers) dans la lutte pour son contrôle. À la différence de la tradition bourdieusienne, la théorie de Fligstein et McAdam considère que l’interaction et la quête de sens collectif constituent les fondements de la structuration d’un champ. Les acteurs d’un champ interagissent selon un ensemble de représentations partagées, notamment des objectifs à atteindre. Les actions stratégiques sont la création d’identités et d’intérêts partagés et/ou la prise en considération des identités et des intérêts des autres acteurs du champ. Elles visent donc à créer des coalitions politiques et ont pour finalité la création et la reproduction d’un ordre social dans lequel les interactions entre les acteurs du champ sont stabilisées. Comme nous le verrons, cette conceptualisation interactionniste est défendue de manière rigoureuse et convaincante par l’auteur, la lecture en termes de « champ d’action stratégique » étant particulièrement éclairante dans la compréhension des LBO.

Le champ d’action des LBO

Le LBO est une arme organisationnelle au service d’un projet politique

  • 3 Les LBO sont accusés d’accroître le risque de défaillance des entreprises cibles du fait de l’endet (...)

5La conception des LBO défendue dans l’ouvrage dépasse largement les critiques habituelles adressées à ces opérations financières3. Le LBO doit être considéré comme une « arme organisationnelle » pour au moins deux raisons. La première est que le LBO est utilisé pour la prise de pouvoir au sein d’une entreprise. La dette contractée lors du montage financier permet de faire pression socialement sur les dirigeants qui sont contraints d’accepter le plan de rationalisation du fonds (représentation partagée). Un LBO limite le pouvoir discrétionnaire des dirigeants au profit du fonds et modifie le mode de gouvernance de la firme. À ce niveau, la métaphore de l’arme organisationnelle, certes originale, ne nous apparaît pas être un apport substantiel par rapport aux travaux critiques antérieurs qui associent la dette à une menace qui pèse sur les dirigeants et les salariés. Elle le devient à la lecture de la seconde raison. Le LBO est frappé d’illégitimité dans la plupart des pays industrialisés, à l’exception a priori des pays anglo-saxons. Ces opérations n’ont pas bonne presse auprès de l’opinion publique qui associe le LBO à une opération réalisée au profit des financiers et au détriment des salariés. Cette représentation simplificatrice n’en demeure pas moins proche de la réalité de ces opérations. Dans un LBO, c’est l’entreprise acquise qui rembourse, sur la base du travail de ses salariés, la dette contractée par les fonds acquéreurs, c’est-à-dire les financiers. Parce qu’il est utilisé pour la prise illégitime du pouvoir (putsch) au sein de l’entreprise, le LBO est donc bien une arme organisationnelle.

6Les LBO, qualifiés de « pratiques les plus radicales du capitalisme financier » (p. 13), serviraient un projet politique : « le changement du capitalisme, qui devrait évoluer vers une forme pure, en s’inspirant d’un modèle – une représentation simplifiée et idéalisée de la réalité » (p. 23). Les fonds LBO seraient les « acteurs collectifs les plus révolutionnaires » (p. 13) et leurs dirigeants « une sorte d’avant-garde » (p. 22) qui utiliserait les LBO pour « transformer le capitalisme français de l’intérieur » (p. 22). L’objectif serait donc de transformer le mode de gouvernance de l’ensemble des firmes, notamment des PME qui échappent au marché du contrôle (Bédu & Granier, 2018), et de leur imposer le modèle actionnarial. La stratégie mise en œuvre consiste alors à prendre le contrôle d’entreprises à fort potentiel (niveau microsocial) et à acquérir de plus en plus d’entreprises toujours plus grandes (niveau macrosocial).

7Les fonds LBO sont-ils porteurs d’un projet politique ? L’idée est séduisante mais la lecture minutieuse de l’ouvrage, notamment des compte rendus d’entretiens effectués par l’auteur, ne nous a pas permis d’être entièrement convaincu. Si, globalement, les dirigeants des fonds perçoivent clairement l’utilité des LBO (du moins ils croient à l’utilité de leur profession), rien ne prouve qu’ils souhaitent que ce mode d’organisation des firmes se généralise ou que la maximisation de la valeur actionnariale s’impose comme un mode de gouvernance universelle. Il s’agit là très probablement d’une interprétation de l’auteur.

Structure du champ d’action des LBO

  • 4 Dans le modèle bancaire à l’engagement ou modèle de « banque relationnelle », les relations banque- (...)
  • 5 Le market-based banking désigne l’élargissement du périmètre des activités des banques au profit de (...)

8Fabien Foureault adopte une conceptualisation restrictive du champ d’action stratégique des LBO en excluant notamment de l’analyse les investisseurs des fonds (limited partners) et en ne considérant que trois types d’acteurs interdépendants : les entreprises cibles, les banques et les fonds. Les acteurs dominants (incumbents) et dominés (challengers) sont identifiés à partir de l’étude de la différenciation verticale (stratification), qui est enrichie par celle de la différenciation horizontale (segmentation) afin d’apprécier la répartition des trois acteurs dans l’espace social. Cette grille de lecture met en évidence le fait que les principales banques françaises ainsi que les grands fonds français – et, dans une moindre mesure, anglais – sont les acteurs dominants du champ. Ils détiennent d’importantes parts de marché en valeur et volume. Les fonds américains et les acteurs régionaux (banques et fonds) sont dominés dans le champ. Les premiers possèdent des parts de marché élevées mais ne participent qu’à un nombre faible d’opérations. Ce constat est inversé pour les acteurs régionaux. L’auteur en conclut que la thèse de l’invasion des acteurs financiers anglo-saxons (Coriat, 2008) n’est pas vérifiée. Or, cette affirmation nécessiterait d’être nuancée. Tout d’abord, l’auteur montre que les acteurs anglais sont largement implantés sur le marché français. Ensuite, s’agissant des fonds américains, ils sont impliqués dans les plus grands LBO en France. Un découpage par taille des opérations aurait donc pu conduire à une interprétation différente : fonds américains dominateurs sur le segment des jumbo deals, c’est-à-dire les opérations les plus importantes, et acteurs français se partageant les LBO de petite et moyenne taille, logiquement plus nombreux. Une lecture en termes de groupes bancaires et non de filiales bancaires aurait pu être utile. Elle aurait probablement révélé des positions différentes dans le champ. Toujours à l’échelle des banques, l’opposition entre « petit capitalisme » régional et « grand capitalisme » international, qui suggère implicitement la coexistence d’un capital patient (européen continental) et d’un capital impatient (anglo-saxon), paraît quelque peu artificielle. Les LBO, qu’ils soient l’œuvre de grands fonds nationaux ou internationaux ou de petits fonds régionaux modifient la relation de financement par crédit bancaire en offrant aux banques prêteuses une meilleure capacité de surveillance des entreprises (Bédu & Granier, 2018). Ils sapent les fondements du modèle bancaire à l’engagement (relational banking4) et produisent les mêmes effets que le modèle de market-based banking5 identifié en France par Hardie et al. (2013) ainsi que Howarth (2013).

Dynamique du champ d’action des LBO

  • 6 Les contrats d’assurance-vie DSK et NSK ont été appelés en référence à Dominique Strauss-Kahn et Ni (...)

9Le développement du champ des LBO en France a connu trois phases. La phase d’organisation (1984-1993) correspond à la création et la première stabilisation du champ. Les fonds de Private Equity se regroupent en association professionnelle (Afic) et bénéficient de l’élaboration, par l’État, d’un cadre règlementaire et fiscal dont les mesures phares sont la création d’un véhicule d’investissement (Fonds communs de placement à risque), la disposition relative au Rachat d’entreprises par les salariés (RES) et le régime d’intégration fiscale. Le champ entre ensuite dans une phase de désorganisation (1994-2001). Les fonds anglo-américains (challengers) sont désormais plus actifs et menacent les acteurs nationaux (incumbents). Le champ est stabilisé par la conversion progressive des fonds de Private Equity français aux LBO, au détriment des opérations en capital-risque, par l’introduction de nouveau produits d’épargne qui permettent aux fonds de disposer d’importantes ressources financières et par le ralliement des grands groupes bancaires et assurantiels. La troisième phase (2001-2009) est celle de « la mobilisation collective ». La menace étrangère étant toujours d’actualité, il s’agit, pour les acteurs français, d’orchestrer la promotion du « LBO français » et de communiquer sur son utilité sociale. L’intégration des LBO au capitalisme français est le résultat du travail politique des fonds français de PE auprès de l’État, des banques et des dirigeants des entreprises qui aurait permis leur « enrôlement ». La thèse de l’enrôlement de l’État, contestable, aurait mérité d’être davantage étayée. Elle soutient la vision d’un État au service des fonds LBO. Or, dès les années 1950, l’État avait identifié la gestion d’actifs – dont font partie les fonds LBO – comme un mode de financement à privilégier pour faire face à la faiblesse récurrente des financements des entreprises françaises, notamment des PME (Granier & Bédu, 2019). Ensuite, le Private Equity est né dans le giron de l’État. Enfin, les Fonds communs de placement à risque (forme juridique majoritaire des fonds LBO jusqu’à la fin des années 2000) et les contrats d’assurance-vie (DSK puis NSK6) n’avaient pas vocation à drainer l’épargne des ménages vers les LBO mais, respectivement, vers les PME et les opérations de capital risque (programme de soutien à l’innovation). Il s’agit finalement davantage d’une coalition entre les fonds de Private Equity et les pouvoirs publics (Benquet & Bourgeron, 2019) que d’un enrôlement de l’État par les fonds LBO. De là émerge un questionnement important : sans la dimension capital-risque, le Private Equity aurait-il bénéficié du même soutien de l’État ?

Les limites et contradictions de la « conception du contrôle » dans un LBO

Le mode de contrôle

10L’analyse en termes de champs d’action stratégique mobilisée pour l’étude du champ des LBO (échelle macrosociale, niveau des fonds LBO) est reconduite au niveau des entreprises cibles (échelle mésosociale, niveau des dirigeants). L’auteur défend l’idée selon laquelle le changement du mode de gouvernance ne peut s’affranchir du contrôle politique de l’entreprise. Le contrôle économique (« pouvoir fondé sur la possession du capital », p. 79) en constitue la première étape mais il ne garantit pas « la maîtrise des relations dans un champ d’action » (p. 79). Le contrôle politique est conditionné par l’enrôlement des dirigeants, c’est-à-dire l’alignement de leurs intérêts sur ceux des fonds. Pour les fonds, il s’agit de structurer et d’orienter les actions des dirigeants de manière à ce qu’elles s’accordent avec leur « conception financière du contrôle ». L’entreprise sous LBO y est alors représentée comme « un paquet d’actifs échangeables sur le marché » (p. 81). Les fonds LBO déploient un mode de contrôle qualifié par l’auteur « d’administration indirecte », définie comme « une stratégie consistant à s’appuyer sur la direction en place et à en structurer le champ d’action par des leviers structurels et à y intervenir ponctuellement par des leviers relationnels » (p. 82). « Leviers structurels » et « leviers relationnels » forment alors un « répertoire d’actions » à la disposition des fonds et sont mobilisés en fonction des situations auxquelles ces derniers sont confrontés. Ces leviers permettent de déstabiliser les relations entre les fonds et les dirigeants, puis de les re-stabiliser.

Comment enrôler les dirigeants ?

11Trois leviers structurels sont mis en évidence : la dette, les incitations et la sélection des dirigeants. Ils résultent directement du contrôle économique de la cible et sont mobilisés de manière systématique. La dette discipline les dirigeants et contribue à une allocation plus efficace des ressources de l’entreprise cible. L’alignement des intérêts est obtenu par la rétrocession aux dirigeants d’une partie de la plus-value obtenue lors du débouclage du LBO. Enfin, la sélection (et la révocation) des dirigeants permet aux fonds de se prémunir contre une gouvernance qui ne serait pas conforme à leurs objectifs et de choisir les personnes les plus aptes à améliorer la performance opérationnelle de l’entreprise. Les leviers structurels « préservent l’autonomie des dirigeants » et permettent un contrôle à distance des entreprises. Néanmoins, ils ne produisent les effets attendus que lorsque le plan initial, défini lors de l’acquisition, fonctionne sans accroc. En cas de turbulences, les leviers structurels, qui sont par nature « inflexibles et rigides », atteignent leurs limites. Ils déstabilisent alors les relations entre les fonds et les dirigeants sans parvenir à les re-stabiliser, conduisant au départ du dirigeant (démission ou révocation) qui symbolise l’échec de l’enrôlement.

12Les leviers relationnels sont identifiés par l’auteur comme des outils auxquels les fonds ont recours pour instaurer un « contrôle rapproché » des dirigeants. Les fonds LBO y font appel de manière ponctuelle afin de « fluidifier leurs relations avec les dirigeants d’entreprise par la négociation » (p. 89). Le travail d’enquête sociologique permet de mettre à jour trois types de levier relationnel, à savoir « la formation du consensus », « l’appui sur les tiers » et « les voies d’influence ». Pour obtenir le consentement des dirigeants et de leurs équipes, les fonds LBO tendent à adopter une planification souple et participative. En pratique, le fonctionnement en comités est propice à l’émergence d’une représentation partagée des objectifs à atteindre et joue ainsi un rôle important dans le changement de gouvernance de l’entreprise. Celui-ci peut nécessiter l’intervention de personnes extérieures. Les fonds font notamment appel à des « operating partners », qui sont souvent d’anciens dirigeants ayant exercé dans le secteur d’activité de l’entreprise cible, ou à des consultants externes en stratégie ou en organisation. Ils sont des intermédiaires au service des fonds LBO, qui ont généralement des connaissances limitées en gestion opérationnelle. Les fonds sollicitent aussi fréquemment les directeurs financiers des entreprises cibles pour insuffler « une nouvelle mentalité mettant l’accent sur les flux financiers » (p. 92). Le consentement et l’adhésion au projet reposent enfin sur « un style de direction qui ne repose pas sur l’injonction mais sur l’interrogation » (p. 92). Il s’agit pour les fonds « de substituer l’influence à l’ordre ». Les leviers relationnels souffrent cependant de limites importantes. Ils peuvent saper l’autorité du dirigeant, créer « de la confusion quant aux droits et devoirs de chacun » et donc « des conflits de territoires ». Tout comme les leviers structurels, les leviers relationnels sont inefficaces lorsque l’entreprise est confrontée à des difficultés qui marquent le retour à une planification centralisée, à l’ordre et au commandement (échec de l’enrôlement).

« Crise du contrôle » et déstabilisation de la coopération entre les cadres intermédiaires

13L’auteur applique sa grille d’analyse à une entreprise sous LBO, dont il suit l’évolution durant sa période de détention par un fonds. Il montre comment le rachat de l’entreprise et la « conception financière du contrôle » ont conduit à la déstabilisation de la coalition politique dirigeante (échelle mésosociale), ouvrant la voie à une « crise du contrôle » puis au remplacement du P.-D. G. Le changement de stratégie de croissance et le retour à une planification centralisée, lorsque l’entreprise est entrée dans une phase de turbulences, ont été à l’origine de la perte de confiance dans la coalition dirigeante. Décidée dans l’urgence, la nouvelle stratégie de croissance organique et de rationalisation des coûts n’a pu obtenir, contrairement à la stratégie initiale de croissance externe, l’adhésion de l’ensemble des cadres dirigeants des différentes divisions, d’autant que certains, extérieurs à la coalition dominante, n’ont pas été impliqués dans la décision du revirement stratégique. La structure multidivisionnelle imposée par le fonds, car conforme à une représentation de l’entreprise conçue comme « un paquet d’actifs échangeables sur le marché » (p. 81), a alors favorisé la montée des contestations et fragilisé les positions des acteurs au sein de l’organisation. Au niveau des cadres intermédiaires (échelle microsociale), la mise en œuvre d’un « mode de gouvernement par l’intérêt, fondé sur les systèmes d’incitations et de sanctions qui comptent sur l’âpreté au gain et la crainte de la perte d’emploi » (p. 113) pour faire face aux difficultés, couplé à un mode de réorganisation instauré au profit de la fonction commerciale et au détriment de la fonction de R&D, ont mis à mal la coopération entre les acteurs.

  • 7 Plus largement, dans un LBO, la temporalité du contrôle par les fonds de Private Equity est liée à (...)
  • 8 L’auteur identifie trois coalitions politiques au sein de l’entreprise étudiée : (1) la coalition m (...)

14À travers cette étude de cas, l’auteur révèle les contradictions internes de la stratégie de croissance externe (ou stratégie de build-up) sur laquelle repose la justification de l’utilité économique et sociale des LBO, qui favoriseraient le développement des entreprises, renforceraient leur efficacité et seraient créateurs d’emplois. Conduite dans une optique d’affaiblissement de la concurrence et de recentrage sur le cœur de métier, la stratégie de croissance externe favorise l’enrôlement des dirigeants mais ne fonctionne que dans un monde parfait. Compte tenu de la temporalité d’un LBO (une entreprise cible est revendue par le fonds de Private Equity entre 4 et 8 ans après son acquisition), la croissance externe est souvent menée de manière intensive, de sorte qu’elle ne permet pas de créer une « histoire de groupe » suffisamment longue et des routines organisationnelles assez efficaces pour produire un ordre social stable7. En cas de difficultés du groupe nouvellement formé, davantage vulnérable en raison du poids de la dette, cette stratégie génère des perturbations incontrôlables dans l’arrangement organisationnel sur lequel s’appuie la coalition politique dirigeante8 et trouble les conditions de la coopération et la confiance du collectif.

Conclusion

15La richesse de l’analyse sociologique proposée par Fabien Foureault rend la lecture de cet ouvrage incontournable tant pour les chercheurs que pour les citoyens portant intérêt aux LBO et à leur fonctionnement. Les personnes soucieuses de comprendre les transformations du capitalisme français y trouveront également de quoi nourrir leur réflexion. Notons que certaines thèses auraient mérité d’être davantage étayées et argumentées et qu’une analyse plus en profondeur du rôle de l’État et du réseau des élites financières dans le développement des LBO en France aurait notamment été bienvenue. Il s’agit, cependant, davantage d’un regret que d’une critique fondamentale.

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Bibliographie

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Notes

1 Acquisitions d’entreprises avec effet de levier.

2 Bédu et Granier (2018) distingue plusieurs types de LBO. En fonction de la nature des dirigeants et des acquéreurs, trois types de LBO sont identifiés : les Management Buy-Out (MBO) lorsque les cadres dirigeants de l’entreprises acquise participent financièrement à l’opération, les Management Buy-In (MBI) lorsque les nouveaux dirigeants sont extérieurs à l’entreprise et les Institutional Buy-Out (IBO) lorsque les dirigeants extérieurs sont mandatés par un fonds de Private Equity. Un second critère permet de distinguer les LBO selon la participation ou non d’un fonds de Private Equity à l’opération. Enfin, la détention de capital, majoritaire ou minoritaire, constitue un troisième critère de différenciation. Le type d’opération le plus répandu est le MBO avec acquisition de la majorité du capital social et participation d’un fonds de Private Equity. Dans le montage, ce dernier est souvent l’actionnaire majoritaire, les dirigeants de l’entreprise acquise obtenant des parts minoritaires.

3 Les LBO sont accusés d’accroître le risque de défaillance des entreprises cibles du fait de l’endettement (Bédu & Palard, 2014), de détruire des emplois (Davis et al., 2014 ; Guery et al., 2017), de faire supporter aux entreprises acquises les risques pris par les investisseurs (Appelbaum & Batt, 2014) et de profiter avant tout aux fonds de Private Equity (Phalippou, 2020).

4 Dans le modèle bancaire à l’engagement ou modèle de « banque relationnelle », les relations banque-entreprise sont durables, les échanges sont fréquents et de face-à-face, et les décisions de financement s’appuient sur des informations qualitatives (soft information) qui permettent au banquier de se forger une opinion. Engagé dans une relation de long terme avec le financé, le financeur est moins enclin à lui demander des garanties ou à le surveiller.

5 Le market-based banking désigne l’élargissement du périmètre des activités des banques au profit des activités de marché (produits dérivés, titrisation de crédit, etc.) et au détriment des activités traditionnelles de collecte de dépôt et d’octroi de crédit. Il contribue à affaiblir le modèle de « banque relationnelle » et à transformer les relations banque-entreprise.

6 Les contrats d’assurance-vie DSK et NSK ont été appelés en référence à Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy, qui étaient les ministres des Finances en poste lors de leur création, respectivement en 1998 et 2005.

7 Plus largement, dans un LBO, la temporalité du contrôle par les fonds de Private Equity est liée à la temporalité de la dette. Lorsque la dette est remboursée, le contrôle des dirigeants est moins évident pour les fonds de Private Equity.

8 L’auteur identifie trois coalitions politiques au sein de l’entreprise étudiée : (1) la coalition militaro-commerciale, qui est la coalition dirigeante, (2) la coalition technicienne et (3) la coalition financière. À la suite de la crise économique de 2009, l’arrangement organisationnel entre la direction du siège et les directions de divisions éclate, conduisant au départ du P.-D. G au « profil militaire », remplacé à son poste par un directeur de division au « profil commercial ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Bédu, « À propos de l’ouvrage de Fabien Foureault, Le capital en action. Comment les fonds d’investissement prennent le contrôle des entreprises »Revue de la régulation [En ligne], 28 | 2nd semestre / Autumn 2020, mis en ligne le 31 décembre 2020, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regulation/18328 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/regulation.18328

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Auteur

Nicolas Bédu

Maître de conférences en économie, Lille Économie Management (LEM), Université d’Artois, CNRS, UMR 9221, nicolas.bedu@univ-artois.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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