André Orléan est un économiste, directeur d’études de l’EHESS et directeur de recherches émérite au CNRS, membre du laboratoire « Paris Jourdan Sciences Économiques » (UMR8545). Il a notamment publié L’empire de la valeur. Refonder l’économie au Seuil, en 2011, qui a reçu le prix Paul Ricœur et le prix de l’AFSE. Il a également publié Le pouvoir de la finance aux éditions Odile Jacob en 1999 et, en collaboration avec Michel Aglietta, a dirigé La monnaie souveraine (Odile Jacob, 1998), résultat d’un travail collectif pluridisciplinaire réunissant anthropologues, économistes et historiens.
Revue de la régulation (RR). Entre vos premiers travaux et ceux que vous publiez aujourd’hui, pourriez-vous identifier les éléments de continuité et les éléments de rupture (s’ils existent) ? Quelles sont les notions qui vous paraissent essentielles pour analyser de manière pertinente les relations monétaires ?
André Orléan (AO). Pour répondre précisément à votre question, je me suis plongé, non sans une certaine appréhension, dans ma thèse, soutenue le 6 mars 1980 et intitulée : « L’histoire monétaire de l’Allemagne entre 1848 et 1923 : un essai d’analyse théorique ». La conclusion que je tire de cette lecture est sans ambiguïté : il existe une indéniable continuité entre les positions que je défendais à cette époque et celles qui sont aujourd’hui les miennes. D’autant plus significative que cette continuité porte sur ce qui constitue le cœur même de mes convictions institutionnalistes, à commencer par sa proposition princeps : « valeur et monnaie sont indissociables » (Orléan, 1980, p. 57).
Mais cette continuité est bien plus large, puisqu’elle porte également sur l’idée que « les rapports marchands sont contradictoires » (Orléan, 1980, p. 56), par quoi il faut comprendre que la communauté marchande est soumise à une tension constante entre intérêts contradictoires pouvant remettre en cause son unité et sa reproduction : « les antagonismes qui prennent naissance au cœur de la société marchande peuvent conduire à un éclatement de celle-ci » (Orléan, 1980, p. 56).
Il convient de souligner l’originalité de cette analyse. Pour les théoriciens de la valeur, l’ordre marchand étant identifié au marché englobe potentiellement toute l’humanité et, par suite, ne saurait éclater ou disparaître. À titre d’illustration, pensons à l’équilibre général walrassien. Jamais ne se pose la question de savoir comment sont définis les n individus qui contribuent aux échanges. Cette question est sans pertinence. Pour le dire autrement, les théoriciens de la valeur appréhendent l’ordre marchand dans la perspective d’une valeur déjà là qui règne sur la totalité du monde économique, sous la forme du marché mondial. Dans ce cadre, le marché précède la monnaie. Mon point de vue est tout autre.
- 1 Voir à ce sujet les travaux que Michel Aglietta a consacrés au système monétaire international.
La monnaie précède le marché dans la mesure où le fonctionnement de ce dernier suppose l’existence préalable d’une monnaie commune à tous les intervenants, condition sine qua non pour que des prix puissent être proclamés. Il vient que, dans mon approche, la communauté monétaire, définie comme le groupe des producteurs échangistes qui se reconnaissent dans une même monnaie, est la réalité de base de l’ordre marchand, à partir de laquelle se constituent les marchés. Dès lors se pose la question de son unité et de sa reproduction : à quelles conditions l’accord monétaire qui est au fondement de cette communauté se perpétue-t-il ? Autrement dit, dans mon travail, le concept de monnaie ne désigne pas tant l’instrument des échanges que le groupe social des producteurs échangistes qui sont d’accord pour considérer telle monnaie spécifique comme étant l’expression légitime de la valeur économique. L’ordre marchand global, quant à lui, se construit à partir de la réunion de ces communautés monétaires, selon des schémas d’organisation variables1. En conséquence, on y observe une pluralité de monnaies liées entre elles par des règles de convertibilité, plus ou moins lâches.
Toujours à propos de ma thèse, et toujours au titre des continuités existant entre celle-ci et l’état actuel de ma réflexion, il importe de souligner le rôle crucial que joue la proposition suivante : une analyse circonscrite aux seuls rapports marchands ne saurait nous livrer que la forme la plus abstraite des contradictions capitalistes ; elle « n’en met en évidence que le principe général » (Orléan, 1980, p. 58). Autrement dit, pour aller plus loin dans la compréhension des évolutions monétaires, la spécification des rapports de production est un impératif. Sur ce point, je reste fidèle à la distinction établie par Marx entre rapport marchand et rapport salarial, entre production marchande et production capitaliste. Si l’on s’en tient à la seule dimension marchande, l’analyse n’accède qu’à « la forme abstraite et générale de toutes les oppositions qu’implique le travail bourgeois, comme l’écrit Marx » (1957 [1859], p. 66).
- 2 Ce que j’ai nommé une « conception matérialiste des prix » dans Orléan (2017a).
Il s’ensuit, selon moi, une conséquence immédiate : la formation des prix échappe à une analyse menée uniquement du point de vue de la marchandise, car l’intelligibilité des prix impose que l’on connaisse ce que sont les rapports de production2. Autrement dit, de mon point de vue, la seule exploration conceptuelle de la structure marchande ne permet pas de déterminer selon quels rapports quantitatifs les marchandises s’échangent. C’est hors de son champ de compétences. Ce que j’exprime dans ma thèse par la proposition : « la loi de la valeur n’implique nullement l’existence d’un système normal de valeurs » (1980, p. 57).
Assurément, cette manière d’aborder la question de la valeur est très inhabituelle et demande à être justifiée. D’ordinaire, la théorie de la valeur, y compris chez Marx, se donne comme objectif prioritaire de déterminer la loi quantitative des rapports d’échange. Ce n’est pas ma position. C’est là une conséquence directe de la manière dont je comprends le concept de production marchande, à savoir une production qui est, comme l’avait compris Suzanne de Brunhoff, « vide de rapports de production, [car désignant] uniquement des rapports sociaux d’échange, entre producteurs de marchandises » (Brunhoff, 1974, p. 54).
Mais alors, me demandera-t-on, si ce n’est la détermination quantitative des rapports d’échange, quel peut bien être l’objet de cette hypothétique théorie marchande à laquelle je tiens tant ? À quoi sert-elle ? À mon sens, ce qui est propre à l’ordre marchand, c’est l’institution de la valeur qui fait corps avec l’institution de la monnaie ; ou encore, si l’on veut, la forme prix en tant qu’elle est ce par quoi la valeur accède à l’existence sociale.
- 3 Aglietta M. & A. Orléan (1982), Paris, Presses universitaire de France, coll. "
- 4 Cette thèse demande à être reformulée aujourd’hui pour tenir compte de la disparition des monnaies (...)
Cependant, au moment où j’écrivais ma thèse, je ne possédais pas les outils conceptuels me permettant d’en proposer un argumentaire solide. Cela ne viendra qu’avec La violence de la monnaie3 et mes travaux ultérieurs même si, au cœur de ma thèse, l’élucidation des tendances à la centralisation et au fractionnement m’a permis une première compréhension des forces qui affectent les systèmes monétaires et provoquent leur évolution. Soulignons que cette élucidation est menée sans référence aucune à une quelconque loi quantitative des échanges. Il s’agissait pour moi de proposer une grammaire générale des formes monétaires de même niveau que l’abstraction marchande, à savoir indépendante des rapports de production. J’étais à la recherche d’invariants propres à la structure marchande, invariants que le capitalisme n’est pas en mesure de dominer, qui s’imposent à lui. Cette idée d’une contrainte monétaire propre à la production marchande, qui échappe au capital, est présente chez Marx lorsqu’il souligne que la monnaie de crédit, monnaie capitaliste par excellence, ne peut jamais s’émanciper totalement de sa base métallique, comme on l’observe au moment des crises. Il écrit à ce sujet, dans le chapitre XXXVI du Livre III du Capital : « Nous devons ne pas perdre de vue que la monnaie métallique reste la base dont, par la nature même des choses, le crédit ne peut pas s’affranchir4. »
En résumé, dès ma thèse, même si une intelligibilité véritable de la nature du rapport monétaire fait encore défaut, qui viendra plus tard, le cadre général de mon approche est en place : le lien marchand est un lien qui passe par la monnaie et prend la forme de la communauté de paiement. Celle-ci est constamment traversée par des conflits latents du fait de la volonté de certains groupes sociaux d’obtenir une configuration monétaire plus conforme à leurs intérêts.
Il y a crise monétaire lorsque ce mécontentement s’agrège en une coalition suffisamment puissante pour mettre en péril l’institution monétaire en place. Une telle crise a pour enjeu principalement les conditions de l’émission monétaire et la définition de l’unité de compte. Pensons à titre d’illustration historique aux luttes sociales intenses, autour des greenbacks puis du bimétallisme, qui opposent, dans les États-Unis de 1866 à 1896, les soft-money aux hard-money. Pensons également aux crises que connaît l’Europe au sortir de la Première Guerre mondiale, lorsque l’importance acquise par les dettes publiques impose des transferts de revenu qui mettent en péril la profitabilité du capital et rendent impérative une modification de l’unité de compte. À ces difficultés s’ajoute, dans le cas allemand, une dette politique externe, les réparations, de très grande ampleur. C’est cette double contrainte qui est à l’origine de la crise hyperinflationniste des années 1920 et de la ruine totale du mark.
Il me semble que c’est selon de tels schémas que doivent être analysées les relations monétaires. Il s’agit d’étudier de quelle manière les conflits propres au capitalisme affectent l’institution monétaire, tout particulièrement en examinant la pression que l’évolution de la structure de créances/dettes fait peser sur la stabilité de l’unité de compte et, en retour, de quelle manière la reproduction nécessaire de l’équivalent général contraint le capital. Il faut ajouter à cela l’étude de l’argumentation idéologique que mobilise chaque formation sociale pour convaincre les échangistes que leur monnaie est digne de confiance. Il s’agit là d’un discours qui vise à établir que le projet collectif dont est porteuse la monnaie est bien conforme aux valeurs du groupe. Dans La monnaie souveraine, c’est ce que nous avons nommé la « confiance éthique » (Aglietta & Orléan [dir.], 1998). Elle est au cœur des communautés monétaires.
- 5 Sur ce choix du marxisme, on peut se reporter à un précédent entretien dans la Revue de la Régulati (...)
J’ai été un peu long dans la réponse à cette question et je m’en excuse. Mais, je l’espère, cette longueur aura fait comprendre à nos lecteurs à quel point le souci de proposer une construction conceptuelle rigoureuse est pour moi un objectif prioritaire. C’est cette ambition théorique qui me conduit à être aussi « tatillon » dans la définition de mes concepts fondamentaux. Elle explique également mon attachement à la théorie marxiste. En effet, je prétends qu’il est possible de construire une approche théorique, alternative à l’approche néoclassique, qui soit aussi scrupuleuse et raffinée dans l’articulation de ses concepts. Mais ceci suppose de s’appuyer sur un socle théorique déjà solide. À mon sens, ce socle est le marxisme, pour des raisons dont je me suis déjà expliqué5.
Un dernier mot, car vous m’interrogez également sur les possibles ruptures existant entre mes premiers travaux et ceux que je mène actuellement. Après réflexions, je ne vois, dans mon parcours, aucune rupture significative qui m’aurait conduit à modifier radicalement mon jugement sur tel ou tel point. Ma pensée a bien évidemment fortement évolué, mais cette évolution a pris la forme d’un approfondissement constant au sein d’un cadre de référence qui n’a pas connu de révisions dramatiques. Je ne sais pour quelles raisons il en a été ainsi. Il aurait pu en être autrement. Si j’ai un regret, c’est celui, à certains moments, d’avoir passé trop de temps sur des thèmes qui n’étaient pas essentiels.
RR. Dans votre approche de la monnaie, quelles ont été vos principales sources d’inspiration en économie et au sein des autres sciences sociales ?
AO. Mes sources d’inspiration ont été trop nombreuses pour que je puisse leur faire justice à toutes. Je suis un lecteur compulsif. Disons que mon inspiration majeure c’est Karl Marx. Déjà quand j’étais à l’ENSAE, en 1975 et 1976, nous avions monté un groupe de travail pour lire collectivement Le Capital. Je n’ai jamais cessé depuis. Après Marx, viennent chronologiquement Suzanne de Brunhoff, Michel Aglietta et Robert Boyer. Comme il s’agit d’un entretien publié par la Revue de la régulation, il n’est guère nécessaire d’insister sur le rayonnement de ces deux derniers économistes. Concernant Suzanne de Brunhoff, elle a joué un très grand rôle, puisque je me suis mis dans ses pas pour ce qui est de l’interprétation du concept de production marchande, interprétation qui, comme on l’a vu dans la question précédente, est au cœur de ma construction théorique, et dont les implications sont cruciales.
Rappelons que le concept de production marchande fait l’objet de la première section du Capital, intitulée « La marchandise et la monnaie ». C’est dans cette section que Marx présente sa théorie de la valeur et de la monnaie. Or cette section est, au sein de la tradition marxiste, l’objet d’interprétations divergentes. J’en ai distingué trois dans Orléan (2018). La première interprétation, très majoritaire chez les marxistes (Engels, Mandel, Roubine, Sweezy) nous dit que la loi de la valeur présentée dans la « section Un » est valide seulement dans le cadre de ce que les marxistes appellent la « petite production marchande », à savoir une configuration marchande dans laquelle la production est le fait uniquement d’artisans et de fermiers, propriétaires de leurs moyens de production, sans recourir au travail salarié. La deuxième interprétation (Postone, Weeks) considère que la « section Un » a pour objet non la petite production marchande, mais la production capitaliste. La troisième interprétation est celle de Brunhoff. Elle est minoritaire mais très originale. Pour Brunhoff, la « section Un » traite de la production marchande en général et donc ni de la petite production marchande, ni de la production capitaliste. Comme elle l’écrit, « c’est une production ne comportant pas de rapports de production déterminables » (Brunhoff, 1974, p. 54). C’est pourquoi elle insiste avec beaucoup de force sur la thèse qui est au cœur de toute son œuvre, à savoir que la théorie de la monnaie présentée par Marx dans cette première section n’est pas une théorie de la monnaie capitaliste ! Comme elle l’écrit explicitement : « Marx juge nécessaire de commencer par une étude de la monnaie sous sa forme générale non spécifique du mode de production capitaliste » (Brunhoff, 1973, p. 14). Il s’agirait donc d’une « théorie de la monnaie en général, valable pour toute économie monétaire, autrement dit… une théorie générale de la monnaie » (Brunhoff, 1973, p. 14). J’adhère entièrement à cette proposition et mon travail vise à compléter autant qu’il m’a été possible cette théorie générale de la monnaie marchande, même si, pratiquement, ce sont les monnaies capitalistes qui sont l’objet de mon travail.
Parmi les sources d’inspiration hors de l’économie, j’en distinguerai deux : Georg Simmel et Émile Durkheim, en suivant l’ordre de leur lecture. La lecture de la Philosophie de l’argent m’accompagne depuis fort longtemps. Je n’insisterai pas sur la richesse de ses analyses consacrées à la monnaie, elle est trop bien documentée. Plus récemment, c’est sa théorie de la valeur qui m’a beaucoup intéressé (Orléan, 2017a). J’en dis un mot ici car malheureusement elle n’est pas du tout connue. Ayant travaillé cette question à l’occasion d’un colloque, j’ai été très surpris de constater que, contrairement à une légende urbaine, cette théorie n’avait rien à voir avec la conception marginaliste. Chez Simmel, la satisfaction que procure une marchandise ne détermine pas sa valeur. Ce qui la détermine, c’est la difficulté à l’obtenir ; autrement dit, la distance entre l’individu et l’objet que produit l’échange. En conséquence, pour Simmel, « la valeur n’est pas autre chose que le prix » qui est la mesure exacte de cette distance. J’ai été surpris – et heureux – de découvrir chez Simmel cette même thèse qui est au centre de ma propre approche de la valeur.
- 6 Conférence donnée à l’université de Rouen, le 7 décembre 2018. On en trouvera la vidéo sur le site (...)
Ma dette à l’égard de Durkheim est bien plus grande encore car son projet d’une science sociale générale, incluant et la sociologie et l’économie, est, à mes yeux, primordial. C’est ce que je nomme « l’unidisciplinarité ». En effet, selon moi, la refondation de l’économie politique que j’appelle de mes vœux (Orléan, 2011) ne pourra être conduite avec succès que si les économistes comprennent que leur discipline appartient de plain-pied aux sciences sociales. C’est un point essentiel. Le fait économique est un fait social comme un autre. Il n’existe pas plus – ni moins – de lois en économie qu’il n’existe de lois en sociologie ou en anthropologie. Il faut en finir avec l’idée que l’économie pourrait prétendre à une scientificité comparable à celle des sciences de la nature. D’autant que cette fausse croyance est aujourd’hui revenue en force à l’occasion de ce qu’on peut appeler « le tournant expérimental en économie6 ». À l’origine de cette croyance, on trouve l’idée selon laquelle la valeur économique – qui aurait pour traits distinctifs la rationalité, la quantification et le primat de l’intérêt individuel – serait d’une nature distincte des autres valeurs sociales, de telle sorte que l’action économique constituerait un domaine séparé des autres domaines sociaux, seul d’entre tous à être régi par des lois objectives.
En 1908, au cours d’un débat organisé par la Société d’Économie Politique, Durkheim (1975) conteste fortement cette position en faisant valoir que la valeur économique est également affaire d’opinion. L’économiste Edmond Villey lui répond vertement que « l’opinion ne détermine pas la valeur, laquelle est déterminée par des lois naturelles rigoureuses » (Durkheim, 1975, P. 222). À l’opposé de cette conception, Durkheim professe que valeurs économiques, esthétiques, morales et religieuses partagent une même nature : « Certes, il y a des types différents de valeur, mais ce sont des espèces d’un même genre » (Durkheim, 1967 [1911], p. 101). Cette thèse est décisive car elle établit ce que l’on peut nommer l’unité du règne social. Dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, Durkheim va plus loin lorsqu’il écrit :
[…] la valeur économique est une sorte de pouvoir, d’efficacité, et nous savons les origines religieuses de l’idée de pouvoir. La richesse peut conférer du mana ; c’est donc qu’elle en a. Par là on entrevoit que l’idée de valeur économique et celle de valeur religieuse ne doivent pas être sans rapports. Mais la question de savoir quelle est la nature de ces rapports n’a pas encore été étudiée (Durkheim, 2003 [1912], p. 598).
- 7 Sur le programme durkheimien en économie, on lira avec profit Steiner (2005).
Le programme de recherches que propose ici Durkheim7 est très exactement celui que nous avons cherché à explorer dans L’empire de la valeur (Orléan, 2011). Dans un premier mouvement, en faisant de la monnaie une puissance sociale selon ce même modèle du mana, à savoir « par les forces propres qui se dégagent de la réunion des hommes » (Bouglé, 1922, p. 16). Autrement dit, dans l’analyse institutionnaliste, le fondement de l’attraction qu’exerce l’argent ne se trouve pas au niveau de ses diverses fonctions, mais bien dans l’unisson du groupe marchand qui le désigne à tous comme ce qui vaut ; ce que Frédéric Lordon, lecteur de Spinoza, appelle « la puissance de la multitude » ou « l’affect commun ». Dans un second mouvement, en soutenant que l’économie marchande est une chrématistique ; à savoir en faisant du désir de monnaie le principe même de l’action marchande.
RR. La production scientifique n’est pas le fruit du hasard, ou marginalement. Selon vous, quels sont les dispositifs institutionnels nécessaires à l’épanouissement d’une école de pensée, l’institutionnalisme monétaire en l’occurrence ?
AO. Comme vous m’y invitez, considérons prioritairement l’institutionnalisme monétaire français (IMF). Le sujet mérite assurément notre intérêt, car c’est aujourd’hui une branche particulièrement dynamique de la recherche française (Alary et al. [dir.], 2016). Il n’est que de voir le nombre de jeunes collègues qui y sont impliqués. Il y a tout lieu de s’en réjouir, et même vivement, s’agissant d’une pensée qui s’est développée en marge du mainstream. Comment un tel succès a-t-il été possible ? J’y vois deux raisons d’importance inégale. La première : un corpus théorique conséquent et des convictions partagées ; la seconde : de vastes perspectives de recherche offertes à la perspicacité des chercheurs.
J’indiquais « d’importance inégale » car il me semble que, dans le cas de l’institutionnalisme monétaire, ce qui a fait vraiment la différence, c’est le second point. En effet, l’institutionnalisme monétaire a ceci de très spécifique qu’il offre un cadre adapté pour tous ceux qui s’intéressent au fait monétaire dans sa globalité. Et, sur ce plan, il est en position de quasi-monopole. C’est sur cet aspect que je voudrais insister. La théorie monétaire néoclassique n’est certes pas sans atout, mais elle concentre ses points forts sur la modélisation de la politique monétaire dans ses effets macroéconomiques (inflation, chômage, croissance, accumulation). A contrario, lorsqu’il s’agit d’étudier la monnaie dans ses dimensions sociale, historique et institutionnelle – la monnaie dans son rapport à l’État, aux différents groupes sociaux, aux controverses idéologiques, aux règles juridiques, etc. – elle n’a pas grand-chose à dire de spécifique. Le point de vue de l’offre et de la demande de monnaie est trop étriqué.
La perspective institutionnaliste est quant à elle bien plus étendue. Il n’est que d’observer ce qu’il en est des séminaires qu’organisent les institutionnalistes. On y trouve des économistes évidemment, mais aussi des anthropologues, des historiens, des juristes, des politistes et des sociologues. Cette ouverture disciplinaire est la très grande force de cette école de pensée. Pour s’en convaincre, je renvoie au sommaire du livre La monnaie dévoilée par ses crises, sous la direction de Bruno Théret (2008), impressionnant par la multiplicité des périodes historiques comme par la multiplicité des formations sociales qui y sont considérées. Encore ceci n’est-il qu’une expression tronquée de ce à quoi l’institutionnalisme s’intéresse. Il faudrait lui ajouter également l’étude des monnaies primitives comme celle des monnaies alternatives. Autrement dit, c’est la réalité monétaire dans toute sa complexité que cette approche cherche à saisir. Rien de ce qui est monétaire ne lui est étranger.
Il me semble que ce diagnostic concernant l’institutionnalisme monétaire peut être généralisé : l’épanouissement d’une école de pensée suppose d’abord et avant tout qu’elle puisse offrir aux chercheurs des problèmes à résoudre. L’aspect doctrinal est également important mais vient seulement en seconde position, comme le prouvent toutes ces théories très brillantes et bien articulées qui ne se sont pas développées parce qu’elles n’étaient pas capables de proposer un programme de questions intéressantes à démêler, condition fondamentale pour mobiliser l’intérêt des chercheurs.
RR. Quelle place accordez-vous aux faits concrets dans votre analyse ? Comment votre conception théorique de la monnaie vous permet-elle d’analyser des phénomènes récents tels que la crise de l’euro, l’émergence des crypto-monnaies ou la disparition des paiements en liquide, par exemple ?
AO. La dimension empirique est pour moi cruciale. D’ailleurs, la réponse à votre question sur l’institutionnalisme monétaire cherchait déjà à souligner ce point, puisqu’elle mettait en avant l’aptitude de cette approche à saisir la réalité monétaire dans toutes ses dimensions, y compris des dimensions grandement négligées par l’approche mainstream, trop centrée sur les seules grandeurs macroéconomiques. Les crypto-monnaies en constituent une bonne illustration. Les travaux institutionnalistes (Desmedt & Lakomski-Laguerre, 2015) insistent sur le fait que le « Bitcoin véhicule des valeurs, des normes et rassemble une communauté porteuse d’un projet politique », dimension qui échappe dans une large mesure à l’approche standard. De même, pour la crise de l’euro, la mobilisation du concept de « confiance éthique » a permis un élargissement important de l’analyse du côté des croyances et des représentations collectives (Théret, 2013).
Dans le même ordre d’idées, je rappellerai qu’à l’origine de ma thèse et de toute ma réflexion sur la monnaie, il y a l’étude de l’hyperinflation allemande. Cette analyse historique a joué un rôle crucial dans mon parcours intellectuel. Il m’est apparu, à l’occasion de cette analyse, que la crise monétaire ne signifiait pas tant un retour au troc – qui restait parfaitement marginal dans le cas allemand – que l’émergence de nouvelles monnaies, concurrentes de la monnaie nationale, soit sous la forme des devises étrangères (dollar et franc français), soit sous la forme d’unités de compte sui generis liées à diverses matières premières (orge, électricité, etc.). Ces nouvelles monnaies ont conduit à un fractionnement de l’espace économique allemand qui fût très proche de déboucher sur une division politique (Orléan, 2008). Cette crise m’a montré que les monnaies sont mortelles, que les communautés monétaires peuvent être détruites mais, également, qu’elles doivent nécessairement se reformer d’une manière ou d’une autre, tant que se perpétue le règne de la marchandise. La crise du mark en 1923 n’a en rien signifié une crise de la monnaie en général. Le désir de monnaie n’a jamais cessé d’être présent. Simplement, il s’est investi sur d’autres supports que le mark, qui n’était plus reconnu comme une expression légitime de la liquidité. Cette irréductibilité du désir de monnaie fut pour moi un enseignement majeur de cette crise.
On se souvient que, pour Marx, le capital ne peut s’émanciper de sa base métallique. Il faut reformuler cette thèse en faisant valoir que le capitalisme suppose nécessairement l’existence d’un équivalent général, apte à satisfaire l’impérieux besoin de liquidité qu’éprouvent collectivement tous les producteurs échangistes marchands (Orléan, 2011). Telle est la nature de la contrainte monétaire à laquelle se trouve perpétuellement confronté le capital.
RR. Si la monnaie est une institution, quel(s) sens attachez-vous à cette notion ?
AO. Cette notion utilisée pour qualifier la monnaie est, à mes yeux, plus qu’importante, elle est incontournable. D’abord, de par sa fonction critique, en tant que la notion d’institution s’oppose à la notion d’instrument mise en avant par la théorie économique mainstream, à savoir la monnaie comme l’instrument facilitant les échanges. Spécifier la controverse théorique dont la monnaie est l’enjeu comme opposant une conception instrumentale à une conception institutionnaliste me semble tout à fait conforme à la vérité. Mais cette notion d’institution est également pertinente de par sa fonction positive, en tant qu’elle exprime parfaitement ce qu’il en est de la monnaie, à savoir la monnaie comme l’institution qui est au fondement de l’économie marchande : l’institution de la valeur.
Encore faut-il définir ce que nous entendons par institution ? Pour ma part, j’entends par institution le fait général de cette puissance propre au social. En effet, comme nous l’enseigne Émile Durkheim, de la réunion des hommes en société émergent des forces spécifiques qui ont pour effet d’imposer certaines manières d’agir, de sentir et de penser. Il propose d’appeler institution, « toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité », ce qui le conduit à définir la sociologie comme « la science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement » (Durkheim, 1950 [1894], p. xxii). Frédéric Lordon a parfaitement mis en lumière la généralité de ce que la notion durkheimienne d’institution cherche à appréhender. Il écrit :
Le même principe fondamental […] est repérable dans tous les domaines du « valoir », du « s’imposer socialement » et du « faire autorité ». C’est pourquoi, dès lors qu’on accepte de les envisager au niveau d’abstraction adéquat, on peut tenir pour synonymes ces concepts de souveraineté, de valoir, d’autorité ou de norme (Lordon, 2010).
Il aurait pu ajouter à cette liste le mana. Dans cette puissance qui est à l’œuvre au niveau des institutions, Lordon reconnaît ce que Spinoza a appelé : « puissance de la multitude » ou « affect commun ». Comme le souligne à juste titre Durkheim, cette force sociale sui generis, qui naît du collectif et qui s’impose aux individus, ne doit pas être conçue prioritairement sous la forme d’une contrainte qui asservirait les individus, ce qu’elle est par ailleurs, mais bien plutôt comme une ressource dans laquelle les individus puisent des raisons d’agir. L’exemple des valeurs religieuses est, de ce point de vue édifiant. Comme l’écrit Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, « la vraie fonction de la religion n’est pas de nous faire penser […] mais de nous faire agir, de nous aider à vivre » (Durkheim, 2003 [1912], p. 595). On notera ici la convergence avec la pensée de John R. Commons.
On ne saurait surestimer la portée du geste théorique consistant à introduire dans l’analyse économique le fait institutionnel ainsi interprété. On sait, en effet, que le mainstream, par-delà ses différentes variantes, est uni dans un même refus méthodologique de prendre en considération d’autres forces économiques que celles issues directement de l’individu, de sa volonté, de ses préférences ou de ses croyances. Pour cette raison, Edward Lazear (2000) a raison d’écrire : « Le point de départ de la théorie économique est que l’individu ou la firme maximise quelque chose, habituellement de l’utilité ou du profit. » Il ajoute :
Quand nous obtenons des résultats qui semblent dévier de ce qui apparaîtrait comme la conduite individuelle rationnelle, nous réexaminons les preuves et révisons la théorie. Mais ces révisions théoriques n’écartent presque jamais l’hypothèse selon laquelle les individus maximisent quelque chose, même si ce quelque chose n’est pas orthodoxe […] Nous pouvons permettre une information imparfaite, des coûts de transactions et d’autres variables qui rendent les choses plus floues, mais nous ne modélisons pas de comportement qui soit déterminé par des forces au-delà du contrôle de l’individu (Lazear, 2000, p. 100).
On ne saurait dire les choses plus clairement : « les forces au-delà du contrôle de l’individu » sont exclues. A contrario, dans tous mes travaux, qu’il s’agisse de monnaie, de finance ou de convention, j’ai cherché à montrer que la dynamique économique reposait sur d’autres forces que les forces individuelles. Dans un article publié par la Revue de la régulation (Orléan, 2015), j’ai même tenté de montrer qu’on ne pouvait pas rendre intelligibles les évolutions boursières à partir des comportements individuels. Il faut bien plutôt considérer les comportements individuels comme étant produits par le marché et non l’inverse ! Assurément les marchés financiers sont des institutions au sens durkheimien. Il en va de même en matière monétaire, ce qui bouleverse toute l’architecture conceptuelle traditionnelle.
En effet, dans l’approche marginaliste, la valeur est donnée ex ante par le biais des jugements subjectifs qui classent les biens selon leur désirabilité. La monnaie n’est introduite que, dans un second temps, comme l’instrument facilitant les échanges. L’approche institutionnaliste propose une autre approche. Elle identifie valeur et monnaie. Autrement dit, elle se refuse à définir la valeur comme une richesse réelle qui préexisterait à la monnaie. Dans la perspective institutionnaliste, la « matérialité » empirique de la monnaie, par quoi la monnaie se rend visible, ce n’est pas tant l’objet qui sert aux échanges que la communauté des producteurs échangistes qui lui donne vie et puissance en raison de la confiance collective qu’elle lui accorde. Il s’agit bien, au sens propre, d’une institution dont la forme sociale la plus commune est, de nos jours, la banque centrale. De même, si l’on laisse de côté les monnaies nationales pour s’intéresser aux monnaies alternatives ou aux crypto-monnaies, c’est à nouveau la dimension communautaire qui s’impose aux observateurs. Toutes ces monnaies n’existent qu’encastrées au sein d’un groupe social qui les reconnaît en tant qu’expression légitime de la valeur. Sans cette confiance communautaire, elles n’existent pas. Avoir mis cette dimension communautaire en avant est l’un des plus grands accomplissements de la théorie institutionnaliste de la monnaie.
RR. Vous avez introduit l’hypothèse mimétique dès le début de vos recherches sur la monnaie, quel statut lui accordez-vous aujourd’hui ?
AO. Le mimétisme a, en effet, joué un grand rôle dans ma réflexion. Rôle qui a pour origine la lecture de René Girard, essentiellement au travers de deux ouvrages : Mensonge romantique et vérité romanesque et La violence et le sacré. En son fondement, l’introduction du mimétisme par René Girard se fait au nom d’une critique radicale de ce qu’il nomme le « mensonge romantique », à savoir la croyance selon laquelle l’individu serait le maître de son désir. Pour l’économiste, il n’est pas difficile de reconnaître dans le mensonge romantique ce que l’économie libérale nomme la « souveraineté du consommateur ». Girard propose une conception tout autre du désir individuel, qu’il nomme la « vérité romanesque ». Cette « vérité » nous enseigne que l’individu ne sait pas ce qu’il désire. L’individu mimétique, selon Girard, souffre d’un manque d’être qui le pousse à chercher en autrui les références qu’il ne réussit pas à se donner à lui-même par un acte de pure souveraineté intérieure. Pour ce faire, il recourt à l’imitation d’un modèle.
La puissance de l’approche mimétique du choix individuel réside en ceci qu’elle nous permet de rompre avec l’hypothèse de la souveraineté individuelle pour lui substituer une analyse qui fait jouer un rôle central aux liens sociaux, à la relation à autrui. On comprend qu’une telle conception ait retenu mon attention. Je me suis toujours élevé contre l’idée que les faits sociaux trouveraient leur intelligibilité dans les dispositions psychologiques des individus. En la matière, j’ai pour mantra la citation suivante de Durkheim : « Toutes les fois qu’un phénomène social est directement expliqué par un phénomène psychique, on peut être assuré que l’explication est fausse » (Durkheim, 1950 [1894], p. 103). D’ailleurs, dans la perspective qui est la mienne, l’imitation elle-même demande à être justifiée. Elle s’analyse comme le produit d’une certaine configuration sociale. Prenons l’exemple de la monnaie.
Dans le modèle de genèse conceptuelle que j’ai proposé, les producteurs échangistes, à l’instant 0, ont été privés de leur monnaie. Pour obtenir les marchandises qui leur sont nécessaires, ils doivent proposer aux producteurs desdites marchandises une marchandise que ces derniers sont désireux d’obtenir. Mais comment déterminer cette marchandise ? Autrement dit, quels biens sont susceptibles d’être acceptés par autrui ?
Ces biens sont de deux catégories : les biens dédiés à la consommation personnelle et les biens que l’on accepte parce qu’on suppose que les autres les accepteront. J’appelle la propriété d’être accepté par un grand nombre d’individus, la liquidité. Il n’est pas difficile de démontrer que seule la recherche des biens liquides permet à l’acteur d’accroître significativement son pouvoir d’acheter. Il est clair que plus un bien est l’objet d’une acceptation nombreuse, plus sa liquidité est grande et plus son pouvoir d’acheter est grand. Il s’ensuit que, dans ce contexte, la rationalité, parce qu’elle conduit à choisir comme bien liquide celui qui est majoritairement considéré comme liquide, est d’une nature mimétique. L’apprentissage mimétique converge sur l’élection d’un bien unanimement accepté par tous, ce que l’on nomme la monnaie, doté en conséquence d’une liquidité absolue.
En résumé, le mimétisme est une manière de rompre avec l’hypothèse de l’individu souverain. Il donne à voir des configurations d’interactions sociales dans lesquelles chacun se repose sur les autres selon une dynamique cumulative débouchant sur des situations d’unanimité. En ce sens, l’imitation a partie liée avec des processus de type bootstrap ou d’émergence dont la monnaie et l’État sont des illustrations exemplaires (Lordon & Orléan, 2008). On retrouve ici René Girard. Mais aussi Durkheim, lorsque ce dernier décrit ces moments d’agitation collective qui sont, selon lui, à l’origine du fait religieux et, plus généralement, des idéaux collectifs qu’une société se donne à elle-même. Il écrit que « si la vie collective, quand elle atteint un certain degré d’intensité, donne l’éveil à la pensée religieuse, c’est parce qu’elle détermine un état d’effervescence qui change les conditions de l’activité psychique. Les énergies vitales sont surexcitées, les passions plus vives, les sensations plus fortes […] L’homme ne se reconnaît pas ; il se sent comme transformé et, par suite, il transforme le milieu qui l’entoure » (Durkheim, 2003 [1912], p. 603).
Il nous faut cependant ici répondre aux objections que ce rapprochement entre Durkheim et Girard ne manquera de susciter chez qui garde en mémoire les fortes critiques adressées par Durkheim à Tarde, précisément à propos de son usage de l’imitation. Pour aller à l’essentiel, je dirais que ce que Durkheim critique à juste titre, c’est la conception panurgique de l’imitation, ce qu’il nomme « singerie machinale ». Selon lui, on ne serait en droit de parler d’imitation que dans cette situation très particulière. Autrement dit, dans le cas où, « entre la représentation de l’acte et son exécution, s’intercale une opération intellectuelle » (Durkheim, 2012 [1897], p. 87), par exemple un jugement portant sur les qualités propres à l’action considérée, ce n’est plus de l’imitation. La notion d’imitation que j’utilise est bien plus large que celle considérée par Durkheim. Selon moi, et selon Girard, il y a mimétisme dès lors qu’un individu règle son action sur autrui, quelles qu’en soient les raisons. Autrement dit, imitation et rationalité ne sont pas nécessairement contradictoires. C’est ainsi que j’ai distingué différentes formes de mimétisme : informationnel, normatif et autoréférentiel (Orléan, 2000). Je parle de « mimétisme informationnel » quand X copie Y parce que X croit que Y est mieux informé que lui. Je propose le terme de « mimétisme normatif » pour désigner ce mimétisme particulier qui a pour finalité l’approbation d’autrui. Le mimétisme autoréférentiel traite de configurations d’interactions spécifiques, de type jeu de pure coordination à la Schelling. Il s’agit alors de découvrir quel sera le choix finalement élu par le groupe. Copier le choix majoritaire peut s’analyser comme de l’imitation autoréférentielle. On en a vu une illustration avec notre modèle de genèse conceptuelle de la monnaie. Le concours de beauté de Keynes nous en offre un autre exemple.