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Économie politique des services écosystémiques : de l’analyse économique aux évolutions juridiques

Political Economy of Ecosystem Services: From Economic Analysis to Legal Evolutions
Benoît Prévost, Audrey Rivaud et Agnès Michelot

Résumé

Ecosystem services progressively became the standard concept of renewed discourses and debates on sustainability. The paper suggests some institutionalist arguments for a critical assessment of the scientific and political processes which led to proclaimed changes within the mainstream framework. We focus on the interactions between theoretical arguments and institutional changes involved by the integration of ecosystem services within policy and law. The political economy of ecosystem services appeared to be dual: on the one hand it could be a seminal framework to implement new strategies to overcome the failures of our development models; but, on the other hand, the strength of epistemological principles inherited from mainstream economics could enforce the processes of commodification through radical changes concerning the Humans and Nature relationships. The demonstration originally integrates law and economics to encompass the different aspects of the institutional changes.

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Texte intégral

1La notion de services écosystémiques, introduite à la fin des années 1980 dans le cadre d’un renouvellement du discours écologique, fait aujourd’hui figure de référentiel permettant de concevoir largement les enjeux de la durabilité. Si l’analyse économique des services écosystémiques a déjà fait l’objet d’une littérature extrêmement abondante, il nous semble intéressant de proposer une lecture institutionnaliste du processus, encore récent, de requalification des problématiques environnementales et de repositionner celui-ci dans le système d’économie politique dominant. Il s’agit de montrer, d’abord, comment la notion de services écosystémiques s’est progressivement imposée sur les scènes scientifiques et politiques ; ensuite, comment la culture scientifique dominante en économie (le mainstream) a intégré, à travers cette notion, une série de critiques qui lui étaient adressées concernant son traitement des questions environnementales ; et enfin, comment l’intégration de cette critique a posé les bases d’une reformulation des cadres politiques et institutionnels du traitement de la biodiversité. À cette fin, la dimension juridique présente dans cet article apporte un éclairage original sur les adaptations institutionnelles à l’œuvre. L’adoption d’une telle démarche nous semble pouvoir alimenter de façon fructueuse les analyses régulationnistes sur les structures du capitalisme et leurs capacités à prendre en considération les défaillances du modèle de développement, dont les questions environnementales font à notre sens pleinement partie.

Introduction

  • 1 On se référera pour s’en convaincre aux arguments avancés par la ministre de l’Ecologie, du Dévelop (...)

2Les services écosystémiques (SE) vont faire leur apparition dans le droit français via le projet de loi sur la reconquête de la biodiversité. Le texte, ainsi que tous les supports communicationnels qui accompagnent sa promotion, fait clairement état de changements dans l’orientation des politiques publiques. Il s’agit en particulier de sortir d’une perspective où le respect des contraintes environnementales est assimilé à un coût pour les acteurs économiques, au profit d’une perspective où : 1. La dégradation de la biodiversité revient à celle d’un capital servant de socle à la production de biens et services dont la valeur est indéniable, bien qu’elle reste imparfaitement mesurée ; 2. La préservation de la biodiversité est considérée comme une « force économique », source d’innovation et d’emplois, « à la valeur potentielle importante », et à penser en articulation avec les autres aspects de la « croissance verte1 ».

3Ces deux aspects reflètent clairement les évolutions qui se sont opérées au niveau international autour des enjeux et questionnements relatifs à la biodiversité, depuis les années 1990 et 2000 (Bonnin and Antona, 2012) :

    • 2 Les SE recouvrent les contributions, directes et indirectes, des écosystèmes au bien-être humain. D (...)

    dans un premier temps, à partir de 1992 (R. Costanza and Daly, 1992) une importance croissante est accordée aux services écosystémiques2, puis à partir de 1997 à leur évaluation économique et sociale ;

  • dans un second temps, les SE sont pris en compte dans le cadre plus général de la Croissance Verte puis de la Croissance Verte Inclusive, dans une logique de préconisation en matière d’orientation des stratégies de développement durable ;

  • et dans un troisième temps, ce nouveau référentiel se traduit au niveau institutionnel par une modification du droit international et national de l’environnement.

4Le processus de requalification des questions environnementales ici à l’œuvre suit donc un double mouvement d’appropriation : il s’ancre d’abord dans le domaine de la recherche et fait l’objet d’une diffusion rapide au sein de la communauté scientifique, mais il concerne également plusieurs acteurs aux statuts et aux objectifs différents, allant des mouvements écologistes et environnementalistes aux institutions internationales et nationales. Si sa trajectoire n’est évidemment pas linéaire et suscite de nombreux débats, il conduit à imposer les services écosystémiques et la croissance verte dans les discours sur le développement durable. En attestent non seulement l’explosion des publications liées (Méral, 2012 ; Froger et al. 2012 ; Plumecocq, 2014) mais aussi la démultiplication de sites internet institutionnels (organisations internationales, instituts de recherche, etc.) ou non (sites associatifs, blogs de chercheurs et de militants, etc.) sur ces thèmes. Ces discours semblent donc progressivement prendre la forme d’un paradigme scientifique et politique faisant l’objet d’un consensus.

  • 3 Nous nous référons ici directement à la manière dont Schumpeter définissait les systèmes d’économie (...)

5Le présent article entend analyser ce processus de requalification faisant suite à l’introduction de la notion de services écosystémiques, dans le système d’économie politique dominant3. Pour cela, nous cherchons à rendre compte des différents usages de la notion de SE. Nous nous référons notamment à l’utilisation de cette notion dans le cadre des recommandations stratégiques formulées par les organismes internationaux. Ces derniers jouent un rôle particulièrement important, dans la mesure où ils contribuent à l’émergence et à la diffusion d’un « sens commun » (Rodrik, 2008) qui se déploie dans le cadre d’une culture théorique et politique dominante contraignant les possibilités réelles de changement (North, 2005). Il s’agit de montrer comment : i) la notion de SE s’est imposée comme cadre cognitif permettant de concevoir largement les enjeux de la durabilité ; ii) la culture scientifique économique dominante (le mainstream) a intégré, à travers cette notion, une série de critiques qui lui étaient adressées concernant son traitement des questions environnementales ; iii) l’intégration de cette critique a posé les bases d’une reformulation des cadres politiques et institutionnels du traitement de la biodiversité. À cette fin, la dimension juridique présente dans cet article apporte un éclairage original sur les adaptations institutionnelles à l’œuvre.

6L’adoption d’une telle démarche nous semble pouvoir alimenter de façon fructueuse les analyses régulationnistes, ou plus généralement institutionnalistes, sur les structures du capitalisme et leurs capacités à prendre en considération les défaillances du modèle de développement – dont les questions environnementales font à notre sens pleinement partie. En effet, pour reformuler notre propos, le succès de la notion de services écosystémiques n’affecte pas seulement les avancées de la recherche ou bien les orientations des politiques publiques. À travers la mise en droit des SE, il s’agit aujourd’hui, comme nous essaierons de le montrer, d’un processus de changement institutionnel qui entend participer à la définition d’une nouvelle dynamique de développement supposé durable. Ce changement institutionnel a vocation à modifier les mécanismes régulateurs des rapports de l’homme à la nature à travers notamment une redéfinition des ressources disponibles, de leur utilité et de leur valeur, autrement dit le cœur de l’analyse économique et son application à l’ordre social. Ce changement dépasse donc largement le caractère pragmatique initialement associé à la définition et à l’évaluation économique des SE. Ainsi, notre propos consiste à poser des questions critiques relevant de l’épistémologie et de la philosophie économiques. Sans pour autant totalement occulter les débats existants, il ne s’agit pas tant de revenir dans le détail sur l’analyse économique des SE qui a fait l’objet d’une littérature extrêmement abondante, mais de proposer a posteriori une grille de lecture institutionnaliste des évolutions encore récentes dans le traitement des problématiques environnementales.

7Pour répondre à cet objectif, le papier est organisé comme suit. Dans une première partie consacrée à l’analyse du processus de requalification des questions environnementales, nous reviendrons sur les différentes fonctions sociopolitiques des SE et de leur évaluation économique. Nous proposerons dans une seconde partie une réflexion sur l’épistémologie et la philosophie économiques des SE afin de mettre à jour les fondements idéologiques qui président à la formulation de l’analyse économique et aux processus de traduction de cette analyse dans le champ de la préconisation en matière de politique économique et de réforme institutionnelle. Nous établirons pour cela un parallèle entre le mouvement qui concerne les SE et celui qui a concerné les critiques relatives à la définition et l’analyse de la pauvreté et du développement au cours des années 1990. Dans une troisième partie, nous nous focaliserons sur les dimensions juridiques, considérant ces dernières comme l’étape la plus aboutie du changement institutionnel. Nous retracerons d’abord les transformations qui se sont opérées dans le droit international de l’environnement depuis les années 1970. Nous nous intéresserons ensuite à la traduction de ces évolutions dans le droit français, en nous référant au projet de loi sur la biodiversité encore en discussion en 2016.

1. Le processus de requalification des questions environnementales : les fonctions sociopolitiques de l’évaluation des SE

  • 4 Au-delà la dimension pragmatique, il convient toutefois de noter que l’économie écologique cherche (...)
  • 5 Un premier exercice d’évaluation de la biodiversité avait eu lieu au début des années 1990 à l’init (...)

8La notion de « services écosystémiques » est introduite à la fin des années 1980 dans le cadre du renouvellement des réflexions relatives à l’environnement développées au sein du courant de l’économie écologique (Costanza and Daly, 1987 ; De Groot, 1987 ; Daily, 1997). Elle a eu vocation à soutenir une argumentation de type instrumentale mettant en avant, de manière pragmatique, la dépendance des sociétés vis-à-vis d’une biosphère englobante et indispensable support à toute activité économique4. L’utilisation de cette notion invite donc à considérer la nature pour ses fonctions et les services rendus par ces fonctions à la société. Si les premiers travaux se sont effectivement concentrés sur l’analyse de « la dépendance des systèmes économiques par rapport aux écosystèmes et au fonctionnement général de la biosphère » (Méral, 2012, 6), un tournant s’opère avec la publication de l’article de Costanza et al., en 1997 dans la prestigieuse revue Nature. Ce tournant correspond à l’adoption volontaire d’un langage commun considéré comme pertinent dans l’arène politique (i. e. dans l’arène susceptible de prendre des mesures effectives de préservation de l’environnement), à savoir celui de l’évaluation monétaire, pour enrayer les dégradations environnementales. Ainsi, en s’appuyant sur les données issues d’une centaine d’études existantes, Costanza et al. Estiment, dans leur méta-analyse, que la valeur annuelle des SE est comprise entre 16 000 milliards et 54 000 milliards de dollars US5.

9À la suite des initiatives d’ampleur conduites au niveau international, telles que le Millenium Ecosystems Assessment (MEA, 2005), la mise en place du TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity, 2007), puis plus récemment la constitution d’une plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et des services écosystémiques (IPBES, équivalent du GIEC sur les questions relatives à la biodiversité créée en 2012), ont réaffirmé l’intérêt de l’évaluation économique des SE (voir encadré 1). Cette dernière correspond à des usages variés, quoique souvent complémentaires et parfois assimilés au sein de discours globaux sur la question de la protection et de la valorisation de la biodiversité. Schématiquement, elle occupe trois fonctions sociopolitiques constituant des ensembles d’arguments qui se croisent nécessairement mais peuvent renvoyer à des finalités différentes. À notre sens, ces trois fonctions supportent le processus de construction d’un nouvel objet social que sont les SE, car la requalification des questions environnementales qu’elles imposent progressivement implique un mouvement complexe d’interactions entre science, société civile et pouvoir politique (Pettenger, 2007). Les différentes fonctions sociopolitiques de l’évaluation des SE – lancement d’alerte ; appui à la gouvernance ; identification de nouvelles opportunités de croissance – font ici l’objet d’une présentation intégrant les débats scientifiques qu’elles ont soulevées.

1.1. L’alarme

  • 6 Nous soulignons.

10Dans une logique parfois rapprochée de celle du Rapport Stern (Levrel and al. 2012) l’évaluation économique des SE a dans un premier temps servi à sonner le tocsin face aux dégradations rapides de la biodiversité et à signaler la nécessité d’une action politique urgente. Il s’agit d’évaluer le coût de l’inaction (De Groot et al. 2012, p. 5) en mobilisant, comme indiqué précédemment, un langage commun à celui de l’économie standard (Douai and Vivien, 2009). Progressivement, cette dynamique va se poursuivre, notamment à travers le TEEB et les travaux de De Groot (co-signataire de l’article de Costanza et al. 1997), par la volonté d’établir un cadre de recherche intégrant sciences du vivant et économie (TEEB, 2008 ; TEEB and De Groot, 2010 ; Braat and De Groot, 2012) dans le but de fournir « une argumentation économique exhaustive et irréfutable6 pour la conservation des écosystèmes et de la biodiversité » (TEEB, 2008, p. 4).

  • 7 Les débats que nous évoquons ici ouvrent une discussion générale sur le sens et l’opportunité de se (...)

11Les limites et les risques liés à l’acceptation implicite du langage économique font rapidement l’objet d’une critique sous la plume de Norgaard (Norgaard and Bode, 1998), qui se montrait déjà très circonspect vis-à-vis de l’économie standard dès la fin des années 1980 (Norgaard, 1989), en insistant sur la manière dont les méthodes de l’analyse économique tendent à réduire la complexité réelle des mécanismes naturels (Norgaard, 1987 ; Norgaard, 2010). Dès les débuts d’une problématisation de l’Ecological Economics, défendue par exemple dans un numéro spécial d’Ecological Modelling par certains auteurs emblématiques de l’approche par les SE (Costanza and Daly, 1987), on trouve des interrogations liées à la nécessité de proposer des alternatives à l’analyse néoclassique et à son incarnation politique dans des institutions telles que la Banque Mondiale (Goodland and Ledec, 1987). Aujourd’hui encore, l’utilité de l’évaluation économique reste discutée, non pas dans ses fondements pratiques (la nécessité d’utiliser un langage susceptible de rivaliser avec celui des experts en développement et politiques économiques semble désormais actée), mais dans l’usage concret qui peut en être fait suivant les circonstances, comme le montrent notamment les analyses liées à la Political Ecology. C’est ainsi l’interaction entre analyses et discours scientifiques, discours militants et activistes, et mises en pratique politiques qui fait débat (Kallis, Gómez-Baggethun, and Zografos, 2013 ; Martinez-Alier and al. 2014), comme nous le verrons plus loin (cf. paragraphe 1.37).

1.2. L’appui à la gouvernance

  • 8 L’intérêt de l’évaluation monétaire se justifie dans le cadre de processus de décisions publiques v (...)
  • 9 Cette volonté de trouver une voie intermédiaire est constitutive du nouveau paradigme développement (...)

12La seconde fonction sociopolitique de l’évaluation économique des SE concerne les changements de gouvernance que celle-ci permet d’envisager. L’argument est ici simplement explicité par Paven Sukhdev, ancien banquier et promoteur du TEEB : « you cannot manage what you do not measure » (TEEB, 2008, 6). L’idée est de rendre visible et mesurable ce qui ne l’était pas, afin d’éclairer les décisions publiques et les acteurs impliqués en proposant des outils économiques pour prendre en compte la valeur des écosystèmes et des services qu’ils peuvent rendre (id., p. 9). Si de nombreux auteurs voient dans l’évaluation économique des SE un nouvel outil de conception et d’évaluation des politiques publiques (Bingham et al., 1995 ; Chevassus-au-Louis, Salles and Pujol, 2009 ; Salles, 20108), le vocable plus flou de « gouvernance » nous semble plus approprié pour rendre compte de la diversité des logiques envisagées par la littérature sur les SE à partir de leur évaluation économique (Muradian and Rival, 2012 ; Sattler and Matzdorf, 2013 ; Sattler et al., 2013). De fait, cette perspective de réflexion sur les formes de gouvernance des services fournis par les écosystèmes s’inscrit clairement dans le cadre des nouveaux discours d’inspiration néo-institutionnalistes sur le développement (Prévost, 2008). Elle trouve notamment un important point d’ancrage théorique, complémentaire à la démarche d’évaluation économique des SE, dans les travaux d’Elinor Ostrom (1990). Ces derniers, en démontrant la pertinence de l’échelle communautaire dans la gestion des ressources naturelles comme alternative au « tout marché » ou « au tout État9 », vont permettre la mise en œuvre de préconisations faisant directement écho à l’idée de « Community driven development » (Banque Mondiale, 2006 ; 2010). De cette façon, l’identification et l’évaluation économique des services écosystémiques, pour certains largement circonscrits au sein d’aires géographiques restreintes, permettent d’opérer un changement d’échelle dans la régulation des problèmes environnementaux et d’entrevoir une meilleure gouvernance des ressources en question. Autrement dit, le croisement entre l’approche par les SE et le curant des Common Pool Resources est perçu comme une porte de sortie face aux impasses des négociations internationales, mais aussi face aux difficultés d’une régulation à l’échelle nationale jugée trop contraignante et peu efficace. Plus largement, l’idée ici défendue est finalement la suivante : l’évaluation économique peut fournir des bases solides pour guider le choix social, quelle que soit l’échelle à laquelle on le pense, dans une logique coûts/bénéfices. On trouve alors une grande diversité d’instruments de gouvernance (paiements pour services environnementaux, banques de compensation, programme REDD + marchés de permis négociables, marchés de droits à polluer (Gadrey et Laluq, 2015)) basés sur diverses méthodes d’évaluation des SE.

  • 10 Ces interrogations liées aux limites intrinsèques des outils d’évaluation confrontées à la nécessit (...)

13On remarque à ce stade que l’usage initial de l’évaluation économique des SE en tant que moyen d’alarmer les autorités publiques glisse vers un exercice imposé pour orienter ensuite l’action publique. Les textes officiels rédigés par le Commissariat Général au Développement Durable français illustrent de manière particulièrement édifiante ce point de l’analyse. Dans un numéro de sa revue sur le thème « Donner une valeur à l’environnement : la monétarisation, un exercice délicat mais nécessaire », on trouve un premier article listant les biais et limites des diverses méthodes d’évaluation (Hardelin, Katossky and Marical, 2010). Un second article démontre le caractère discutable des résultats produit par l’une des méthodes d’évaluation les plus utilisées – méthode du consentement à payer – mais finit par conclure que l’outil est… « incontournable » (Katossky and Marical, 201010).

1.3. Les nouvelles opportunités de croissance

14Les années 2000 ont été marquées par le dépassement des débats relatifs à la faiblesse et à l’inefficacité de politiques environnementales (fondées sur des instruments contraignants ajoutant de la lourdeur administrative et un accroissement des coûts pour les acteurs économiques), et ont donné lieu à la construction d’un discours positif : l’intégration des préoccupations environnementales n’est pas seulement à envisager sous l’angle de la contrainte, mais elle peut également être perçue comme une opportunité économique (Girouard, 2010). Ce glissement correspond à l’émergence de la notion d’économie verte, moins prédatrice et destructrice de l’environnement et potentiellement source d’investissements et d’innovations, progressivement étendue à une conception englobante de la croissance : « from a growing green sector to mainstreaming the environmental dimension of economic growth » (Jänicke, 2012, 16). Le mouvement s’accélère avec la conférence Rio +20 (Brand, 2012) et sous l’influence de l’OCDE et de la Banque Mondiale (Bowen and Fankhauser, 2011 ; Hallegatte et al. 2012 ; Bowen and Hepburn, 2014). Ainsi, par exemple, l’OCDE résume la feuille de route de la conceptualisation de la Croissance Verte de la manière suivante :

The countries asked the OECD to develop a green growth strategy (GGS) bringing together economic, environmental, technological, financial and development aspects into a comprehensive framework. The strategy, Towards Green Growth (OECD, 2011a), was endorsed by OECD ministers in May 2011. (OECD, 2012, 8)

  • 11 Deux numéros spéciaux sont par exemple consacrés, en 2003, aux « Crises économiques, catastrophes n (...)

15En parallèle, et conformément à l’agenda du développement durable formulé en 1987 par la World Commission on Environment and Development (Scott, 2006), de nombreux travaux s’appuient sur l’articulation entre pauvreté et vulnérabilité environnementale pour dépasser l’idée que l’environnement serait un bien de luxe (i. e. les préoccupations en matière de préservation et de valorisation de l’environnement seraient corrélées au niveau de développement des pays, comme le supposaient (Grossman and Krueger, 1995). Ces recherches sont développées dès le milieu des années 1990, notamment dans la revue Ecological Economics (Martínez-Alier, 1995). Elles glissent progressivement vers la question d’un environnementalisme spécifique aux pays du sud (Martinez-Alier, 2002 ; Anguelovski and Martínez Alier, 2014 ; Broad and Cavanagh, 2015), mais conduisent également à des réflexions sur la manière d’articuler croissance, réduction de la pauvreté et préservation de l’environnement, notamment au sein de l’UNRISD (United Nation Research Institute for Social Development) (Agg and Utting, 2002) et dans la revue World Development11. La notion de Croissance Verte Inclusive (Inclusive Green Growth) va ainsi prendre le pas sur la simple croissance verte et permettre à l’OCDE et à la Banque Mondiale de réaliser la synthèse entre, d’une part, les travaux entamés depuis les années 1990 sur le concept de Croissance Pro-Pauvres (Pro-Poor Growth), devenu progressivement Croissance Inclusive (Inclusive Growth) et, d’autre part, ceux sur la préservation de l’environnement. La création du portail internet « Green Growth Knwoledge Plateform », alimenté conjointement par le Global Green Growth Institute, l’OCDE, le PNUE et la Banque Mondiale, atteste de l’émergence de ce nouveau « sens commun » qu’est la croissance verte inclusive.

16Concernant cette troisième fonction sociopolitique, l’un des principaux mouvements critiques tient à la crainte que l’évaluation économique des SE ne soit en fait que la première étape d’une mise en marché de l’environnement. La promotion d’instruments de préservation tels que les Paiements pour Services Environnementaux (PSE) dans la stratégie globale de la croissance verte (World Bank, 2012) joue un rôle non négligeable dans l’expression de cette crainte (Karsenty and Ezzine de Blas, 2014). Plus largement, l’utilisation croissante de market-based instruments fondés sur l’évaluation monétaire de la biodiversité (Gómez-Baggethun and Ruiz-Pérez, 2011 ; Arsel and Büscher, 2012) est parfois analysée comme un processus de marchandisation de la nature participant d’une extension des logiques néolibérales (Parr, 2015 ; Knox-Hayes, 2015). Cependant, cette partie de la critique tend à assimiler trop rapidement la théorie économique à sa mise en pratique (en particulier sa transformation en discours et politiques économiques) et à qualifier de néolibéral l’ensemble du système (de la recherche jusqu’aux instances de pouvoir décisionnel) ; un certain nombre de travaux a pourtant souligné le rôle central des institutions dans la mise en place de market-based instruments comme les PSE (Vatn, 2010 ; Muradian and Rival 2012 et 2013 ; Lecoq et al. 2012), ces derniers ne faisant finalement pas nécessairement appel au marché. De tels amalgames génèrent des confusions affaiblissant la portée de la (re)mise en cause de l’évaluation économique de la biodiversité (Prévost, 2016).

17De notre point de vue, la construction d’une critique relative aux risques de marchandisation de la biodiversité est pourtant indispensable pour évaluer la capacité du cadre théorique dominant à intégrer des questions qui lui sont originellement étrangères. De la même manière que North suggérait que la théorie économique moderne n’est en aucun cas adaptée à l’étude des phénomènes de développement (North, 2005, 38, 65), on peut remettre en question sa pertinence pour traiter de la biodiversité. Outre l’interdépendance des phénomènes environnementaux (qui démultiplient les externalités à la fois complexes et multilatérales), c’est bien plus fondamentalement le caractère statique et mécanique de l’analyse mainstream et des outils dont elle se dote pour mettre en œuvre l’exercice d’évaluation économique de l’environnement qui a été très rapidement mis en avant comme pêché originel interdisant de traiter les effets de synergie, de seuil, d’amplification et d’irréversibilité inhérents aux questions environnementales (Passet, 1996, p. 44).

18Cette dernière remarque nous conduit finalement à nous intéresser, dans une logique relevant de l’économie politique, à l’épistémologie et à la philosophie économique des services écosystémiques même si, ici comme dans bien d’autres cas, il s’agit d’une philosophie économique « qui ne dit pas son nom » (Mardellat, 2013).

2. Épistémologie et philosophie économiques de la notion de SE

19La mise à jour des différentes fonctions sociopolitiques de l’évaluation des SE nous a conduit à souligner l’existence d’une littérature extrêmement abondante qui se déploie : i) dans une perspective d’extension des efforts engagés par la recherche pour requalifier effectivement les questions environnementales et mettre en œuvre l’évaluation économique ; ii) dans une perspective critique où se pose la question des fondements théoriques permettant le passage des mesures écologiques aux mesures monétaires, puis à la traduction politique de ces dernières. L’analyse que nous proposons ici n’entend pas directement participer au débat portant sur les intérêts et les limites des approches fondées sur les SE. Nous plaçons notre réflexion plus en amont, en interrogeant les fondements du système d’économie politique qui supporte l’introduction des problématiques relatives à la biodiversité dans le cadre plus général de la croissance verte et inclusive.

2.1. La résilience du mainstream

  • 12 Pour rappel, nous faisons ici référence à la manière dont les systèmes d’économie politique sont dé (...)

20Si les dégradations de l’environnement et les enjeux de préservation de la biodiversité interpellent frontalement notre modèle de développement, il nous semble légitime de questionner la nature réelle du processus d’introduction des SE pour traiter des questions environnementales. S’agit-il d’une remise en cause radicale ou superficielle des principes normatifs unificateurs du système d’économie politique en place12 ? Pour répondre à cette question, on peut réaliser un parallèle intéressant avec l’évolution des réflexions sur la pauvreté et le développement. En effet, l’apparition puis l’appropriation large de la notion de SE, conférant à cette dernière le statut de « buzzword », ne sont pas sans rappeler le succès équivalent de notions telles que l’empowerment ou la participation, au cours des années 1990 (Cornwall and Brock, 2005).

  • 13 R. Kanbur était en charge du Rapport 2009-2010 de la BM, supposé marquer un changement de paradigme

21Cette dimension de buzzword que revêt la notion de SE tient, comme pour d’autres buzzwords, à son caractère flou (Arnaud de Sartre et al. 2014, p. 13) et potentiellement intégrateur. Elle tient également à la capacité du mainstream à inclure progressivement des concepts qui fédèrent une partie de la critique à son encontre, évitant ainsi une remise en cause fondamentale du cadre cognitif préexistant. Le mainstream auquel nous faisons référence ici renvoie plus précisément au discours d’économie politique tenu par les Organisations Internationales en charge du Développement (OID) comme la Banque Mondiale et l’OCDE. Dans le champ du développement, le discours des OID s’est, depuis le milieu des années 1990, très largement inspiré des critiques qui lui étaient adressées et qui appelaient à une remise en cause du paradigme de l’ajustement structurel (Stiglitz, 1998). La manière dont la critique a été intégrée a fait l’objet de nombreuses publications révélant la plasticité et la résilience du mainstream. Celle de R. Kanbur présente l’intérêt de montrer de l’intérieur13 comment, malgré la conscience des limites de l’économie politique mise en œuvre au sein de la Banque Mondiale, la logique interne de fonctionnement de l’institution, ainsi que les routines idéologiques des chercheurs et experts les conduisaient à reproduire systématiquement les principes à la fois théoriques et politiques qui avaient fondé le Consensus de Washington (Kanbur, 2002). Ainsi, si la critique est absorbée, elle est dans une certaine mesure vidée progressivement de son contenu contradicteur.

  • 14 Nous nous appuyons ici sur la notion de paradigme dominant plutôt que sur celle d’orthodoxie, dans (...)

22Ces mécanismes peuvent être saisis à partir de l’analyse institutionnaliste de D. North et, en particulier de ses remarques sur le fait que chaque arrangement institutionnel suppose le développement d’une culture scientifique, théorique et politique qui lui est propre et assure sa stabilité (North, 2005). Par voie de conséquence, la reconnaissance d’une idéologie fondatrice des cadres cognitifs occupe une place fondamentale dans l’institutionnalisme northien (Chabaud, Parthenay and Perez, 2005). Elle conduit à mettre en évidence des mécanismes de path dependancy idéologiques propres à chaque paradigme scientifique dominant14, qui se caractérisent par des processus de légitimation à la fois des questions, des hypothèses et des méthodes employées.

  • 15 Parmi les critiques développées, voir par exemple (Labrousse, 2010)

23Certes, le mainstream a changé depuis de nombreuses années et son influence néoclassique s’est essoufflée voire estompée (Blaug, 1999 ; Colander, 2000) au profit notamment de démarches se revendiquant de l’empirisme, du pragmatisme et du naturalisme qui s’expriment dans les logiques expérimentales (Hartner, 2014). Le retentissement des travaux réalisés sur la base d’expériences en situation réelle de lutte contre la pauvreté, ou d’accès à l’éducation ou encore à la santé, empruntant aux techniques de la recherche médicale (randomisation des populations) illustre en partie ces processus de transformation du mainstream. Sans procéder à un questionnement ontologique, l’identification des sciences humaines et sociales aux sciences expérimentales est supposée démontrer à la fois un changement de méthode et dans le même temps le renforcement de la validité des résultats obtenus (Banerjee and Duflo, 201115). Néanmoins, les évolutions d’ordre méthodologique ne remettent pas en question les fondements néoclassiques reposant sur la croyance en une science pure susceptible d’énoncer les conditions normatives dans lesquelles les prix satisfont des critères à la fois de performance et de justice sociale (Sen, 1993 ; Sandel, 2014), même si ce dernier aspect est bien souvent laissé de côté et ne dit pas son nom de philosophie économique. La manière dont la Banque Mondiale s’est saisie des questions de justice sociale dans les années 2000 est à ce titre particulièrement éclairante et de nombreux auteurs ont montré comment, malgré des changements apparents, l’utilitarisme associé à la théorie de l’équilibre général restait bien le cadre de légitimation le plus prégnant (Roemer, 2006). Par exemple, Roemer montre que quelles que soient les revendications de changement et d’ouverture, le bien-être reste finalement l’aune conséquentialiste à laquelle se mesure la performance des politiques publiques et des dispositifs institutionnels.

24Il nous semble que la logique d’« intégration » de l’économie et des sciences du vivant (TEEB, 2008, 4), dans le cadre de l’évaluation économique des SE, procède de cette même dynamique :

If we discard the straightjacket of Walrasian mathematics we can begin to sort out what can be priced, what can be measured without prices, and what cannot be measured at all but still value (TEEB, 2010, 22)

25Même si l’on quitte l’orthodoxie walrassienne, la croyance en une objectivité des résultats obtenus grâce à l’interaction entre science de l’environnement et économie entend valoir force de droit pour apostropher et/ou conseiller le prince.

26L’empirisme pragmatique évoqué dans le rapport du TEEB va de pair avec le pragmatisme politique revendiqué par certains tenants de l’Ecological Economics (Spash, 2009 ; Plumecocq, 2014). Il est également salué comme une démarche à la fois transdisciplinaire et transparadigmatique au profit d’une cause d’intérêt général ; c’est ainsi, par exemple, que Norgaard se félicite des débats au sein du MEA (Norgaard, 2007) malgré son scepticisme à l’égard de l’orthodoxie économique. Le pluralisme à l’œuvre dans les différentes arènes d’échanges scientifiques peut être considéré comme la preuve d’un dépassement des oppositions entre chapelles et d’une pluralité d’options politiques défendables à partir de l’évaluation économique des SE. Néanmoins, l’émergence d’une communauté lexicale associée à différents buzzwords peut dans le même temps masquer la pérennité de principes normatifs que nous proposons à présent à un débat critique, en particulier parce qu’ils laissent de côté des interrogations importantes, voire nécessaires concernant les fondements de la valeur. C’est d’autant plus nécessaire que le bien-être, dans une perspective utilitariste, est au cœur même de la définition des services écosystémiques par le MEA.

2.2. Valeur et légitimation de l’évaluation

  • 16 Depuis les années 1970, l’économie standard de l’environnement pose comme problème fondateur l’abse (...)

27Le processus de requalification des questions environnementales introduit sans conteste une rupture dans la mesure où il pose la question fondamentale de la connexion entre les écosystèmes et les anthroposystèmes. Si l’on doit reconnaître un élargissement du champ des préoccupations relatives à l’environnement, ce processus, en donnant une place importante à l’évaluation monétaire, présente toutefois des lignes de continuités évidentes avec le traitement classique des questions environnementales en économie qui ne sont pas sans lien avec les dynamiques de path dependency idéologique que nous avons présentées plus haut. Ainsi, dans un contexte d’incertitudes auquel sont confrontées les politiques publiques en mal d’outils appropriés pour gérer le défi environnemental (Coreau et al. 2015), le risque est grand de céder à la tentation de « mettre du vin nouveau dans de vieilles bouteilles » comme le soulignait Daly dès le début des années 1990 (Daly, 1992), tant au niveau théorique qu’à celui de la mise en pratique politique. C’est ainsi que l’évaluation monétaire des SE, qui était à la base une métaphore politique pertinente, deviendra progressivement un référentiel analytique consensuel vidé de sa substance critique et sur lequel s’est appuyé le redéploiement de l’économie de l’environnement standard16 (Norgaard, 2010).

  • 17 L’intensification des débats, notamment à travers l’organisation de conférences et colloques ne doi (...)

28Repartant de ce constat déjà établi dans la littérature, nous empruntons la voie moins fréquentée d’une réflexion sur les fondements ontologiques et épistémologiques de l’évaluation économique de l’environnement, qui renvoient nécessairement à la philosophie économique et à la philosophie en général. Cette dernière s’est d’ailleurs saisi des débats sur l’évaluation de la nature dans les années 199017 (Fairweather et al. 1994), notamment en réfutant l’idée que les services rendus par les écosystèmes pouvaient être évalués indépendamment de la biodiversité comme système complexe (Rolston, 1994). Dès les années 1990, la philosophie invite à se pencher sur la question délicate de la nature de la valeur pour parvenir à interroger la valeur de la nature.

29Les théories économiques de la valeur postulent l’existence de cette dernière comme une donnée objective, liée au travail ou à l’utilité (Orléan 2003 ; Orléan 2011). Le marché quant à lui se pose comme modalité de coordination centrale en mesure de révéler cette valeur au cours d’un processus de véridiction (Postel, 2008), qui, nous l’avons déjà souligné, est supposé satisfaire des critères de justice. Dans le champ des questions environnementales, l’absence ou les défaillances de la régulation marchande posent un problème fondamental concernant la révélation d’une « véritable valeur » susceptible d’orienter des comportements économiques efficients. L’impératif d’efficience économique conjugué à l’urgence des questions environnementales légitimeraient le processus de construction de la valeur par des groupes d’experts défendu de longue date et réaffirmé avec l’avènement de la notion de SE.

  • 18 Nous soulignons.

30L’initiative du TEEB consistant à « promouvoir la véritable valeur économique18 des services fournis par les écosystèmes » (TEEB, 2008, 9) repose sur une logique où : i) les sciences du vivant mettent à jour les fonctions d’approvisionnement, de régulation ou de support des écosystèmes ; ii) les économistes ont ensuite à traduire cette valeur fonctionnelle en unités monétaires grâce à un appareillage technique supposé neutre et objectif (i.e, les méthodes, déjà utilisées dans le champ de l’économie de l’environnement depuis les années 1970, visant à dévoiler les préférences des agents économiques pour la nature (Chevassus-au-Louis, Salles, and Pujol 2009 ; Abdelmalki and Mundler 2010). Cet enchaînement alimente l’illusion d’un processus de valorisation scientifiquement établi grâce à la révélation par des sciences « dures » d’une valeur potentielle que les marchés ne peuvent pas révéler spontanément. Il confère dans le même temps à la valeur économique un caractère central pour donner à voir et à entendre une argumentation qui jusque-là restait sans effet (cf. partie 1).

31S’il convient d’insister sur le fait que les SE ne sont définis, notamment dans le MEA, qu’à l’aune de la contribution qu’ils apportent au bien-être et qu’ils ne sauraient donc être identifiés par les seules sciences du vivant, les termes du dialogue entre les différentes disciplines entretiennent l’idée que l’économie, tant sur les questions relatives à la biodiversité que sur celles relatives au climat, « peut offrir son expertise » pour étudier la pertinence des alternatives envisagées et envisageables (Fitoussi and Laurent, 2008, 65). L’expertise en question consiste à se livrer à l’exercice de la mesure, que les approches critiques qualifient de « pricing metric », à la fois technocratique et néolibéral (Parr 2015 ; Knox-Hayes and Hayes 2014 ; Knox-Hayes 2015) : technocratique car, comme nous l’avons précisé, celui-ci supposerait l’application idéologiquement neutre de techniques de mesure éprouvées, en particulier au niveau macroéconomique où les débats portent souvent essentiellement sur les taux d’actualisation ; et néolibéral car, nous l’avons également évoqué, il permettrait de fonder ensuite une mise en marché que de nombreux chercheurs voient comme un prolongement politique naturel de l’évaluation monétaire (id. et Dempsey and Robertson, 2012 ; Gómez-Baggethun and Ruiz-Pérez, 2011).

32Ces remarques nous conduisent finalement à interroger les conditions mêmes dans lesquelles se pense la valeur. Dès l’article The Value of Nature and the Nature of Value (Daily et al. 2000), cosigné par de très nombreux chercheurs dont K. Arrow, plusieurs problèmes sont soulevés. Quelles que soient les méthodes utilisées (indirect revealed preference, avoidance of costs, contingent valuation surveys), les résultats microéconomiques de l’évaluation sont soumis à de très nombreuses limites techniques et, en particulier celle de l’agrégation de mesures individuelles de la valeur en une valeur sociale. De fait, la littérature sur l’évaluation économique des SE a peu exploré cette piste alors qu’elle renvoie directement à des débats qui ont été très importants dans le domaine de l’économie du développement, en particulier sous l’influence d’Amartya Sen.

2.3. Le choix social impensé ?

  • 19 Nous n’explorons pas en détail les débats récents liés à la question ontologique, en particulier so (...)

33L’approche par les capabilités est certes mobilisée par de nombreux auteurs, notamment pour élargir l’approche du bien-être mobilisée dans l’évaluation des SE, et pour poser autrement la question des inégalités environnementales (Polishchuk and Rauschmayer, 2012 ; Ballet, Koffi and Pelenc, 2013 ; Pelenc and Ballet, 2015). Cependant, la critique qu’elle adresse à l’évaluation conséquentialiste par le bien-être reste de peu d’effets et l’essentiel des outils mobilisés pour les SE continue finalement de se déployer dans cette logique. Par ailleurs et plus fondamentalement, la réflexion relative au choix social, qui a pourtant justifié le Nobel d’économie attribué à Sen, semble pour partie délaissée alors que, de notre point de vue, elle adresse au mainstream des questions ontologiques19 qui sont également essentielles pour l’analyse institutionnaliste (Wilson, 2005 ; Hédoin, 2010).

34Comme le soulignent certains exégètes de l’approche par les capabilités, Sen introduit bien une rupture ontologique avec l’orthodoxie (Putnam, 2002 ; Robeyns, 2005) : son rejet de l’hypothèse de rationalité ne conduit pas seulement à un aménagement de cette dernière, par exemple, sous la forme d’une rationalité limitée, mais à une remise en question des hypothèses concernant la formation des préférences individuelles et en particulier leur caractère autonome. La formation des préférences ou, plus précisément, la manière dont les individus donnent de la valeur aux choix qu’il leur semble possible de réaliser est, chez Sen, une construction nécessairement sociale.

35L’un des apports de cette remise en question ontologique réside dans le fait que celle-ci consiste à envisager les préférences individuelles comme reflets des structures sociopolitiques de domination, ce qui explique en grande partie son usage par de nombreuses économistes féministes. Ce qui est vrai des rapports de genre l’est de toute démarche d’évaluation, y compris celle des SE. Il existe un risque indéniable que, via les différents outils déjà mentionnés, les réponses des agents soient fortement dépendantes d’inégalités en matière d’environnement et de rapport à la biodiversité. Ainsi, l’évaluation des SE reproduirait les inégalités environnementales, elles-mêmes au cœur d’une littérature abondante comme nous l’avons signalé. Il s’agit donc ici d’arguments renforçant de nombreuses craintes exprimées aussi bien par certains chercheurs que par les acteurs de terrain.

36Un autre apport porte sur l’élaboration collective et délibérative du choix social qui permet de dépasser les apories des théories standards du choix collectif tout en démontrant le jeu circulaire de la formation des préférences individuelles et du choix social dans un processus de codétermination perpétuelle (Prévost, 2009). Or, ce jeu circulaire prend d’autant plus d’importance en situation de défauts d’informations et d’incertitude, chacun ne pouvant évaluer les options qui lui sont présentées qu’en fonction de la manière dont les autres les évaluent.

37En dépit des appels à l’introduction d’une dimension collective et délibérative dans l’évaluation des SE, lancés dès la fin des années 1990 (Sagoff, 1998 ; M. Jacobs, 1997), force est de constater que celle-ci reste en grande partie fondée soit sur des enquêtes mettant en exergue des évaluations individuelles soit sur les compétences d’experts internationaux. Certes, la dimension collective est régulièrement mobilisée, notamment dans des logiques d’évaluation et de gouvernance communautaire. Mais elle n’est pas pour autant privilégiée : elle reste soumise elle-même à une évaluation en termes de performance dans une logique où l’on cherche actuellement les moyens les plus efficaces de gérer la biodiversité… sans définir précisément et implicitement quels sont les critères de cette efficacité, sauf à dire que le critère de choix est le bien-être généré par les fonctions des SE… sans que ce bien-être ne soit lui-même défini… En d’autres termes, il y a bien une irrésolution du fondement social et moral de l’évaluation des SE.

38C’est donc à deux niveaux que devraient, selon nous, se poser les questions de justice nécessairement liées à l’évaluation des SE. À un premier niveau, avec une analyse critique de la persistance de logiques imprégnées d’une perspective utilitaire et utilitariste qui font fi des questions ontologiques liées à ce qu’est le bien-être et à ce que sont des préférences individuelles. À un second niveau, avec un questionnement sur des procédures d’évaluation qui laissent en l’état peu de place à une réflexion sur les conditions d’émergence des préférences individuelles. Or, ce sont ces conditions qui sont susceptibles de soutenir une réflexion complète à la fois sur les objectifs de justice sociale auxquels l’évaluation des SE pourrait contribuer et, surtout, sur la manière dont le droit pourrait être l’instrument à travers lequel se réalise cette justice.

39Notre analyse nous conduit finalement à défendre l’hypothèse que ce sont bien des principes implicites qui continuent d’agir à travers l’évaluation économique des SE : ceux qui constituent le cœur de l’orthodoxie utilitariste critiquée par Roemer (op. cit.) malgré l’affirmation répétée d’une ouverture à d’autres pistes. Cette continuité de principes normatifs ne va pas, néanmoins, sans changements institutionnels, en particulier pour ce qui concerne la mise en droit de la notion de services écosystémiques. C’est le propre du programme de recherche régulationniste que de se pencher sur la manière dont se construisent les normes déterminant les dynamiques de croissance et de développement. Nous proposons donc dans la section suivante de voir dans quelle mesure la notion de services écosystémiques constitue une rupture juridique susceptible de modifier les cadres normatifs de l’activité économique et du rapport de l’homme à la nature.

3. Des conceptions économiques aux concepts juridiques

  • 20 L’article 2 du projet de loi no 1847 présenté à l’Assemblée nationale prévoit la modification de l’ (...)
  • 21 Réseau Thématique Pluridisciplinaire CNRS INEE Biodiversité, droit, services écosystémiques 2012-20 (...)

40L’influence considérable du MEA s’est traduite par la formulation de pressions politiques pour intégrer, à différents échelons réglementaires, les notions de services écosystémiques et de services environnementaux. Ces dernières font progressivement leur apparition dans les années 2000 dans les textes juridiques au niveau international, européen (Doussan, 2009 ; Bonnin, 2012 ; Herve-Fournereau, Langlais, 2013), puis très récemment sur le plan national avec le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages actuellement en préparation20, alors qu’elles restent marquées, comme nous l’avons vu, par des incertitudes et des ambiguïtés au sein des réseaux scientifiques et politiques qui les défendent. Souvent convoqué pour clarifier les orientations sociétales des politiques publiques, il est en définitive assez logique que le droit soit mobilisé dans le cadre du processus de requalification des questions environnementales actuellement à l’œuvre dans les arènes institutionnelles (comme par exemple dans le cadre des débats parlementaires relatifs au projet de loi sur la biodiversité) et scientifiques (RTP Biodiscée21). Toutefois, l’étape de mise en droit des SE n’est pas sans poser un certain nombre de questions assez fondamentales sous l’angle éthique mais également sous l’angle pratique si elle va de pair avec l’introduction d’instruments nouveaux tels que les PSE, dont on attend du droit qu’il les rende opérationnels et conformes au système juridique applicable. Ce sont ces questions que nous cherchons à mettre à jour pour nourrir la démarche institutionnaliste ici entreprise.

3.1. Les SE ou la remise en question de la valeur intrinsèque de la nature

  • 22 La définition du droit de l’environnement n’est pas évidente. Cela tient au fait que l’environnemen (...)

41Pour comprendre l’impact que représenterait l’introduction généralisée des SE dans le champ du droit de l’environnement, il convient de rappeler sur quels valeurs éthiques et principes juridiques s’est élaborée cette branche du droit qui a pour vocation de prendre en considération la nature dans les activités anthropiques22. Nous revenons donc sur les évolutions historiques qui ont marqué l’approche juridique de la biodiversité au niveau des conventions internationales, puis dans le doit interne, à travers les exemples américain et français.

3.1.1. Les évolutions au niveau international

  • 23 Les animaux sauvages par exemple étaient considérés dans la loi romaine comme « res nullius » c’est (...)

42Historiquement, les processus écologiques ont longtemps été considérés, en tant que tels, extérieurs au droit, dans le sens où ni le droit international ni le droit français n’ont reconnu un statut particulier aux écosystèmes et aux habitats naturels. Ils étaient en fait soumis au régime juridique de la propriété privée23. C’est seulement au début du xxe siècle que le droit applicable à la nature ou à ses composants s’est structuré en suivant plusieurs étapes.

43Tout d’abord, il s’est agi de reconnaître le fait que la nature était une ressource appropriable qu’il fallait gérer en réglementant son exploitation. À partir du milieu du xxe siècle, les systèmes juridiques ont progressivement instauré un régime de protection de certains espaces et/ou espèces puis des habitats. Enfin, le droit international a connu depuis une quarantaine d’année une remarquable expansion aussi bien sur le plan quantitatif qu’au regard des domaines couverts (Maljean-Dubois, 2005) : il s’est attaché à l’identification, la réglementation et la gestion de processus qui ont des effets sur la diversité biologique.

44L’échelon international joue un rôle fondateur pour le droit de l’environnement car nombre de problématiques environnementales sont par nature transfrontalières (Beurier and Kiss, op. cit.). La Conférence des Nations unies sur l’environnement de Stockholm en 1972 a ainsi conduit les États à développer des ambitions écologiques au-delà de leurs préoccupations nationales. Peu à peu s’élabore une approche globale qui attribue à la nature une valeur indépendamment de son intérêt direct pour l’homme. Les espèces animales et végétales sont notamment valorisées pour leur place et leur fonction par rapport à un environnement donné. Les conventions internationales adoptées après la Conférence de Stockholm sont intéressantes de ce point de vue. La Convention de Bonn sur les espèces migratrices de 1979 reconnaît dans son Préambule que « la faune sauvage […] constitue un élément irremplaçable des écosystèmes ». La Convention régionale de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe de 1979 admet que « la flore et la faune sauvages constituent un patrimoine naturel d’une valeur esthétique, scientifique, culturelle, récréative, économique et intrinsèque… ».

45Par la suite, la Charte mondiale de la nature adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 octobre 1982 va s’appuyer sur la valeur intrinsèque de la nature, tout en faisant référence à la dimension morale de la reconnaissance d’une telle valeur à tous les êtres vivants (voir encadré 2).

46Cette approche connaît cependant une véritable remise en question au moment des négociations du sommet de Rio sur le développement durable de 1992. Celles-ci aboutiront en effet à l’adoption de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Certes, les États Parties se déclarent, dans le Préambule de la CDB, conscients « de la valeur intrinsèque de la diversité biologique et de la valeur de la diversité et de ses éléments constitutifs sur les plans environnemental, génétique… ». Mais, les discours et théories qui considèrent qu’il faut appréhender l’érosion de la biodiversité sous l’angle de pertes économiques (Vivien, 2005) prennent le pas sur la reconnaissance de cette valeur intrinsèque. Par ailleurs, le statut de patrimoine commun de l’humanité est à ce moment-là refusé à la biodiversité. Or, c’est ce statut qui aurait permis de soustraire la biodiversité au domaine marchand (Kiss, 1982), puisque le patrimoine commun de l’humanité « repose essentiellement sur la norme de non-appropriation » (Dupuy, 1991, 224). La Convention, négociée âprement, sera finalement la convention du « grand partage » (Hermitte, 1992 ; Maljean-Dubois, 2005 ; Thomas and Boisvert, 2015) : celui des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques. C’est donc bien à ce moment que se joue un glissement juridique d’ampleur, alors même que les recherches sur l’évaluation des services écosystémiques commencent à se développer (voir encadré 2 ci-dessous).

3.1.2. Le droit interne

47En même temps que se constitue sur la scène internationale une représentation juridique des questions environnementales, la construction du droit de l’environnement au niveau interne, à partir de la seconde moitié du xxe siècle, hérite quant à elle de dynamiques historiques différenciées qui donnent lieu à l’élaboration d’appareils juridiques hétérogènes, plus ou moins à même d’organiser les relations hommes-nature autour de la notion de SE.

48Aux États-Unis, l’ouvrage de Jan G. Laitos The right of non use (2012) décrit l’évolution de la reconnaissance des valeurs d’usage et de non-usage. Il rend compte de la distinction entre la valeur de « non-usage », la valeur d’existence et la valeur intrinsèque. La définition de la valeur d’existence prend corps avec la référence au « wilderness » définie en 1964 par le Wilderness Act. Cette valeur, par opposition totale à une vision utilitariste des éléments de la nature, soutient la reconnaissance d’espaces sauvages non perturbés par les activités humaines et la nécessité de les préserver de toute atteinte susceptible de les modifier. L’acceptation du concept de « wilderness » et sa mise en œuvre grâce à la protection de certains espaces permettent de reconnaître la valeur que l’homme peut accorder aux écosystèmes indépendamment de toute forme de bénéfices directs.

49Le droit américain, par une évolution en plusieurs étapes au niveau de l’État fédéral comme des États fédérés, a encouragé la reconnaissance des fonctions écologiques en adoptant des instruments juridiques majeurs tels que : le National Environmental Policy Act (NEPA) de 1970 qui met en place l’équivalent des études d’impact ; l’Endangered Species Act de 1973 qui reconnaît notamment les valeurs écologiques et scientifiques des espèces animales et végétales (sec. 2 a 324) ; le Federal Lands Policy Management Act de 1976 qui reconnaît les besoins des générations futures pour les ressources renouvelables et non renouvelables (sec. 103 d))25 ; ou encore le National Forests Management Act de 1976 qui envisage la gestion forestière et la protection des ressources naturelles de la nation sur une base écologique (sec. 2. 426). Par la suite, les tribunaux américains ont été saisis de différentes affaires impliquant une évaluation économique des écosystèmes27.

50Toutefois, un glissement s’opère progressivement d’une conception de la valeur intrinsèque de la nature à une conception plus instrumentale. Pour favoriser la compensation, est adopté en 1980 le Comprehensive Environmental Recovery Compensation and Liability Act (CERCLA) destiné à soutenir un processus d’évaluation et de compensation en cas de dommage environnemental (Ruhl, Kraft and Lant, 2007). Par ailleurs, le droit de l’environnement américain a souvent recours à des instruments contractuels car plus de 50 % du territoire appartient à des propriétaires privés. En raison de son système juridique destiné à concilier intérêt général et intérêt des particuliers, il fallait trouver les instruments juridiques adéquats pour impliquer les personnes privées dans la protection de l’environnement afin de compléter les initiatives publiques jugées onéreuses et insuffisantes. Le rapprochement entre intérêt public et privé favorisera l’approche sous l’angle des bénéfices des écosystèmes.

A complicating factor will also be the legal status of various ecosystem services (provisioning, regulating, cultural, supporting) will tend to encompass a range of both public and private goods. À “bundle” of property rights held by individual groups, or the state may therefore exists within a particular freshwater ecosystem context […]. Economic theory dictates that once the rights have been assigned, right holders will tend to maximize the utility of the resource. (Rieu-Clarke and Spray, 2013, 39)

51À ce titre, on peut considérer que le droit américain était structurellement plus propice à l’évaluation économique des SE, que ne l’était le droit français, par exemple. Dès 2003, est créé le Science Advisory Board on Valuing the Protection of Ecological System and services et en 2005 le US Forest Service modifie son organisation et ses objectifs pour intégrer la conservation des services écosystémiques.

52En France, jusque dans les années 1960, le droit relatif à la protection de la nature est assez rudimentaire et fragmenté (Lamarque, 1973), comparativement à ce que l’on observe aux États-Unis. Il s’est progressivement formé à partir d’éléments dispersés qui n’étaient pas nécessairement directement centrés sur la nature elle-même. À titre d’illustration, l’idée de protection de la nature englobe initialement la protection des productions agricoles et forestières (SFDE, 1996 ; Despax, 1980). Plusieurs dispositions du droit de l’environnement vont dans ce sens, à l’instar de la loi du 22 décembre 1972 relative au contrôle de l’innocuité des produits agro-chimiques. Le texte vise non seulement à protéger les végétaux mais aussi à protéger la santé publique contre les dangers présentés par l’usage inconsidéré des pesticides. Il s’agit alors d’adopter des réglementations qui vont permettre de faire face à plusieurs catégories de risques : disparition de certaines espèces, pollutions, accidents biologiques, eutrophisation des lacs, etc. Si l’environnement est progressivement intégré dans les politiques publiques comme en témoignent les « cent mesures pour l’environnement » adoptées en Conseil des Ministres en 1970 (rapport L. Armand, 1970), le véritable tournant s’opère avec la loi du 10 juillet 1976 intitulée « loi relative à la protection de la nature ». Cette dernière intègre la préoccupation environnementale en tant que telle à la vie publique. Elle institue des procédures de protection des milieux naturels et proclame la protection de la nature d’intérêt général. Toutes les autres grandes étapes du droit de l’environnement français (codification, Loi Barnier de 1995, charte de l’environnement, Grenelles 1e et 2) seront marquées par la défense de cet intérêt général. Si la France a intégré une référence aux « services écologiques » par une loi de transposition de la Directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (JOUE L 143 du 30 avril 2004), cette terminologie ne vise pas exactement les services écosystémiques. La véritable rupture de principe s’opère avec le projet de loi sur la reconquête de la biodiversité actuellement en discussion.

3.1.3. La rupture juridique liée à l’introduction des SE

53Dans les différentes approches juridiques, internationales ou nationales, que nous avons présentées, le droit de l’environnement joue un rôle de régulateur des activités humaines, y compris dans sa dimension morale, et ce, quelle que soit la représentation du rapport Homme-Nature. Il s’est en effet construit sur la recherche des responsabilités des atteintes à l’environnement et donc sur une approche essentiellement réglementaire qui consiste prioritairement à encadrer les activités et à prévoir les modalités de réparation en cas de dommage environnemental.

54Eu égard à ce constat, la construction sociale des rapports Homme-Nature défendue en creux dans le MEA de 2005 est potentiellement porteuse d’une rupture juridique d’ampleur et a en fait deux conséquences importantes : 1) les bénéfices tirés de la nature profitent à l’homme mais sont surtout une condition de sa survie ou/et de son bien-être ; 2) l’objectif du bien-être, et donc l’intérêt anthropocentrique, devient la motivation majeure de la protection des écosystèmes. La reconnaissance de la notion de services écosystémiques marque ainsi l’abandon de la valeur intrinsèque, et potentiellement la remise en question de tous les mécanismes et instruments juridiques environnementaux s’appuyant sur les obligations de protection organisées autour des principes fondamentaux de prévention et de précaution (Naim-Gesbert, 2014 ; Prieur, 2011).

55Par ailleurs, la perspective des « services écosystémiques » se fonde sur une logique tout autre que la logique réglementaire : celle de l’échange. Les relations sujet-objet de droit sont alors bouleversées. En effet, les relations juridiques relatives à l’environnement ne sont plus fondées sur l’identification, la protection voire la mise en valeur des fonctions écologiques qui, par définition, n’appartiennent à personne et ne font pas l’objet d’une évaluation économique. La notion de « service » implique, en particulier, d’identifier le fournisseur et le bénéficiaire du service. Cela ouvre le champ à toutes les formes de contractualisation, mais dont la protection de l’environnement n’est en réalité juridiquement plus l’objet (les techniques contractuelles étant très utilisées par ailleurs pour atteindre des objectifs environnementaux (Boutonnet, 2015).

56Autrement dit, l’évolution du rapport de la société à la nature, conduisant à ce que cette dernière soit évaluée et comptabilisée sous forme de bienfaits tirés des écosystèmes, implique de quitter l’approche réglementaire et d’ouvrir le droit de l’environnement à tous les outils d’évaluation économique des services rendus par les écosystèmes. Le droit est alors potentiellement réduit à une logique de gestion et d’appropriation des services écosystémiques qui induit la création de nouveaux instruments et mécanismes juridiques.

57Or, faut-il le rappeler, le droit est la formalisation de principes éthiques. Il est « un instrument social finalisé vers la justice » (Apostolidis and Chemillier-Gendreau, 1993). Par conséquent, les orientations qu’il prend dans ses principes, dans ses mécanismes et dans les instruments qu’il mobilise sont chargées de force symbolique.

3.2. La mise en œuvre juridique des SE : entre contradictions et confusion

58Comme nous l’avons présenté, à partir de la conférence de Rio sur le développement durable, le droit de l’environnement va intégrer de nouveaux concepts tels que celui de « partage des avantages » qui le projette dans des relations juridiques commerciales. Par exemple, le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources et le partage des avantages (APA) de 2010 prévoit que les bénéfices qui découlent de l’utilisation commerciale des ressources génétiques (article 15 de la Convention sur la diversité biologique) peuvent être de nature monétaire notamment par des paiements initiaux, des redevances, des droits de licence ou encore la co-propriété des droits de propriété intellectuelle (annexe du Protocole APA). Cependant, il ne s’agit pas encore de monnayer directement les services rendus par les écosystèmes. En outre, la monétisation et la marchandisation n’impliquent pas nécessairement une rupture dans le traitement juridique des questions environnementales. Par exemple, les mécanismes de compensation, bien que fondés sur la création de marchés, ne remettent pas fondamentalement en question les mécanismes de responsabilité issus de l’approche réglementaire « classique » mise en œuvre par le droit de l’environnement. Ils sont destinés au contraire à permettre aux responsables de destruction de s’acquitter de leurs obligations. En revanche, sur le plan juridique, l’avènement de la notion de SE peut également soulever de véritables questionnements. Pour illustrer notre propos, nous nous concentrons sur l’un des instruments politiques promus dans le cadre de cette approche : les Paiements pour Services Environnementaux.

3.2.1. Le défi juridique des PSE

59À la suite de Wunder et al. (Wunder, Engel and Pagiola, 2008), les PSE sont définis comme des transactions volontaires et conditionnelles, entre un fournisseur et un bénéficiaire, sur des services environnementaux biens définis. Ils sont envisagés comme « un transfert de ressources entre les acteurs sociaux visant à créer des incitations pour articuler les décisions individuelles et/ou collectives en matière d’utilisation des terres avec l’intérêt social de gestion durable des ressources naturelles et la conservation de la biodiversité » (Froger et al., 2012, p. 7). Ces dispositifs impliquent dès lors le déploiement d’une démarche contractualiste : le droit ne se positionne plus dans une recherche de responsabilité mais s’ancre dans l’accord de volonté des parties bénéficiaires et fournisseurs du service. Cela soulève de nombreuses difficultés juridiques.

60En premier lieu, cela implique que l’objet de l’échange soit identifié et mesurable. Or, une confusion persiste entre les services rendus à l’environnement, comme dans la définition canonique des PSE, et les services rendus par les écosystèmes (Gómez-Baggethun and Ruiz-Pérez, 2011). Pour ces derniers, il faudrait être capable de délimiter, compartimenter certains éléments, ce qui est incompatible avec l’écologie fondée sur la reconnaissance de la complexité du vivant et des processus dynamiques d’interrelations inhérents aux écosystèmes. Ce qui faisait l’objet d’une critique de l’évaluation économique se retrouve donc au niveau juridique, et soulève en droit plusieurs questions fondamentalement irrésolues : qui est bénéficiaire des SE ? Qui est fournisseur ? De quel service s’agit-il ? S’agit-il de services produits par les hommes ou par les écosystèmes ?

61Ensuite, ces indéterminations mettent le droit dans une posture ambiguë : tantôt exclu du système des PSE car ces derniers sont considérés comme des instruments pouvant pallier les insuffisances de l’édifice juridique, le droit est au contraire parfois sollicité pour donner corps au dit système et favoriser sa mise en œuvre, voire de temps en temps aménagé pour ne pas entraver son développement. De fait, une critique récurrente adressée aux PSE est qu’ils rémunèrent finalement le simple respect du droit applicable dans des contextes où il est difficile à mettre en œuvre (Mayrand and Paquin, 2004). Par exemple le fond national de financement forestier au Costa Rica rétribue, sous forme de PSE, les propriétaires de forêts qui respectent les plans d’aménagement destinés à fournir les services environnementaux.

3.2.2. Les impensés des réformes juridiques : quelles bases éthiques pour le droit ?

62Plus généralement, et au-delà des confusions autour des PSE, se dessine un autre questionnement juridique fondamental lié à la réalisation de la justice sociale environnementale (Moreau, 2012). Cette dernière renvoie aux responsabilités et aux obligations de chaque sujet de droit. Or, avec les SE et plus particulièrement encore avec les PSE, il s’agirait d’introduire une approche monnayable de nos actions en faveur de l’environnement. Les bases éthiques du droit de l’environnement sont donc laissées de côté au profit de réflexions purement instrumentales visant à penser les règles juridiques les plus efficaces, sans que soit discuté le fondement moral de cette efficacité. Sur ce point, la lecture juridique vient donc confirmer les interrogations issues de l’analyse économique déployée précédemment.

  • 28 Mapping and Assessment of Ecosystems and their Services (MAES) - http://biodiversity.europa.eu/maes
  • 29 Afin notamment de mieux connaître la contribution des écosystèmes à la création de la richesse nati (...)

63Pour le moment, les débats qui perdurent autour de l’évaluation économique des SE sur laquelle se fonde le calcul des montants des paiements pour services environnementaux et plus généralement le niveau de la compensation ou encore le coût des mécanismes de suivi, ne permettent pas de positionner les questionnements éthiques à partir desquels on pourrait envisager des instruments de droit crédibles. Les nombreuses incertitudes dont il est fait état dans les travaux internationaux (TEEB, IPBES), européens (MAES28) ou français (EFESE29) nous conduisent à insister sur l’absence d’un cadre conceptuel et méthodologique suffisamment clair pour soutenir des réformes juridiques cohérentes.

  • 30 Le II du même article L. 110-1 du Code de l’environnement. 1°bis (nouveau). Après la première phras (...)
  • 31 Article du projet de loi sur la reconquête adopté par le Sénat. Le 2° de l’article 2 modifiant l’ar (...)

64Les débats parlementaires qui entourent les modifications du Code de l’environnement en lien avec l’introduction de dispositions relatives aux services écosystémiques par le projet de loi sur la reconquête de la biodiversité illustrent bien les incertitudes qui pèsent sur la relation patrimoniale qui était établie avec les milieux naturels et reconnue dans l’article L 110-1 du Code de l’environnement. Dans la nouvelle formulation (en 2e lecture devant l’Assemblée nationale), il s’agit d’ajouter que « ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ». L’approche ne consiste donc plus à donner un « statut juridique » (en l’occurrence celui de patrimoine de la nation) aux espaces, ressources et milieux naturels, aux sites et paysages, à la qualité de l’air, aux espèces animales et végétales, à la diversité et aux équilibres biologiques auxquels ils participent. Il s’agit beaucoup plus d’interroger leur valeur économique. Toutes les nouvelles dispositions du projet de loi tel qu’adopté en l’état par le Sénat vont dans ce sens et les débats parlementaires tournent autour de la reconnaissance des valeurs d’usage30, au côté des valeurs intrinsèques et patrimoniale initialement centrales dans le Code de l’environnement. De même, l’introduction d’une disposition visant à compléter le principe d’action préventive par la séquence « Eviter-réduire-compenser »31 laisse craindre un risque d’affaiblissement du principe de prévention au profit de la compensation alors que celle-ci ne devrait apparaître que comme une dérogation et non comme un complément.

65L’ensemble de ces glissements laisse voir de fait, au niveau juridique, un changement qui n’est pas clairement assumé. Finalement, du point de vue du droit, le principe qui donne sa cohérence à l’ensemble du mouvement autour des SE est une inversion du rapport Homme-Nature : la nature n’est plus reconnue ni considérée en tant que telle. Pour le droit de l’environnement, c’est un véritable changement de paradigme.

Conclusion

66Le développement des questionnements politiques et scientifiques liés aux services écosystémiques peut être envisagé comme un processus de requalification des problématiques environnementales. Les SE et leur évaluation économique se sont en effet progressivement imposés comme cadre cognitif permettant de concevoir les enjeux de la durabilité et sont devenus le point central des débats concernant la mise en œuvre de politiques publiques et de réformes institutionnelles. L’objectif de cet article était de proposer une économie politique des services écosystémiques afin de comprendre pourquoi et comment la notion s’était imposée, mais surtout d’interroger les schémas normatifs sous-jacents et leur capacité à prendre en compte une des défaillances importantes du modèle de développement actuel, depuis l’analyse économique jusqu’à l’évolution des cadres juridiques.

67En revenant sur les fonctions sociopolitiques des SE et les éléments de débats critiques associés, nous avons voulu montrer que l’évaluation économique des services écosystémiques avait largement dépassé la logique d’alarme qui lui est initialement associée. Elle a bien donné lieu à une appropriation large servant d’appui à la gouvernance des questions environnementales et participant plus globalement à une logique de redéfinition de la croissance durable, encore appelée croissance verte. Ce faisant, elle joue un rôle fondamental dans l’édifice scientifique et politique actuellement en construction.

68Pour autant, ce qui est présenté comme « dispositif conceptuel » et « boîte à outils » innovants n’implique pas de réelle remise en question du système d’économie politique dominant. En effet, en réalisant un parallèle avec les problématiques du développement, nous avons mis en lumière les continuités épistémologiques et de philosophie économique entre le processus de transformation du modèle de développement contemporain et la grammaire du mainstream, patinée ici de pragmatisme mais fondamentalement utilitariste dans la construction même de la valeur environnementale.

69Au moment de l’introduction de la notion de SE dans le droit français de l’environnement via la loi sur la reconquête de la biodiversité, une question centrale reste cependant en suspens à la suite du virage opéré au cours des dernières décennies concernant la représentation des rapports hommes-nature. Si l’environnement est protégé et/ou préservé au titre des services qu’il rend aux sociétés humaines, et que ces services font l’objet d’une évaluation économique, comment organiser les règles d’appropriation et de répartition de cette valeur ? L’analyse juridique d’un instrument tel que les paiements pour services environnementaux nous a permis de souligner un certain nombre de flous et d’ambiguïtés à cet égard. Or, il semble que les réflexions sur la propriété et les faisceaux de droits, largement absentes de la littérature économique sur les SE, représentent un enjeu fondamental pour penser les interdépendances socio-économiques et environnementales (et d’autant plus fondamental que les services rendus par les écosystèmes reposent sur des jeux d’échelles allant du fonctionnement d’écosystèmes dans des périmètres relativement restreints et appropriables par des communautés de taille réduite jusqu’au maintien d’équilibres globaux nécessaires à la survie de tous (Cleveland et al. 1996)). Les débats autour des programmes REDD (programme de réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts) et REDD + illustrent de manière éclairante les difficultés de ces impensés autour de la propriété. Pour alimenter ce point nodal de la réflexion, la littérature sur les communs et plus particulièrement les travaux conduits par Elinor Ostrom et l’École de Bloomington depuis les années 1980 nous semble pourtant offrir des pistes de recherche particulièrement fertiles. L’analyse institutionnaliste d’Ostrom (cf. 14/2e semestre Autumn 2013 de la Revue de la Régulation) permettrait en effet d’envisager ces « objets » (au sens objet de recherche) que sont les SE sous l’angle du common pool resources management, et de replacer au centre du débat, au-delà la question de la valeur économique des SE, les enjeux d’action collective et de définition de systèmes de règles contextualisés pour la gestion durable des ressources communes. La biodiversité relève à notre sens de cette catégorie analytique.

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Notes

1 On se référera pour s’en convaincre aux arguments avancés par la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, Mme Ségolène Royal lors de ses allocutions pour la défense de la « Loi sur la transition énergétique et la croissance verte », devant le Parlement, en février et juillet 2015.

2 Les SE recouvrent les contributions, directes et indirectes, des écosystèmes au bien-être humain. Depuis l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire (MEA, 2005), les services rendus par les écosystèmes sont classés en quatre grandes catégories : i) les services d’approvisionnement (nourriture, eau, bois, combustibles, etc.) ; ii) les services de régulation (du climat, des inondations, des déchets, etc.) ; iii) les services culturels (bénéfices récréatifs, esthétiques, spirituels) ; et iv) les services de support (formation des sols, photosynthèse, production primaire et cycle nutritif, etc.).

3 Nous nous référons ici directement à la manière dont Schumpeter définissait les systèmes d’économie politique :

“By a system of political economy I mean an exposition of a comprehensive set of economic policies that its author advocates on the strength of certain unifying (normative) principles such as the principles of economic liberalism, of socialism, and so on. Such systems do come within our range so far as they contain genuinely analytic work. For instance, A. Smith’s Wealth of Nations was, in fact as in intention, a system of political economy in the sense just defined and as such it does not interest us” (Schumpeter, 1981, 36).

Comme nous le précisons plus loin, nous associons plus particulièrement le système d’économie politique dominant à son incarnation dans les Organisations internationales en charge du développement, comme l’OCDE et la Banque Mondiale, qui articulent l’ensemble des différents niveaux d’un système d’économie politique, depuis la recherche jusqu’à la préconisation de politiques publiques et de réformes institutionnelles.

4 Au-delà la dimension pragmatique, il convient toutefois de noter que l’économie écologique cherche à construire de nouvelles approches théoriques des relations nouées entre société et biosphère se fondant sur une démarche systémique. Si la notion de SE anthropocentrés s’est finalement imposée comme instrument du plaidoyer conservationniste, il s’agissait bien de proposer une série d’innovations conceptuelles permettant de reformer les cadres d’analyse de l’économie de l’environnement (Serpantié et al., 2012).

5 Un premier exercice d’évaluation de la biodiversité avait eu lieu au début des années 1990 à l’initiative du Programme des Nations Unies pour l’Environnent (PNUE), le Gobal Biodiversity Assessment (Watson, 1995), sans véritable impact politique.

6 Nous soulignons.

7 Les débats que nous évoquons ici ouvrent une discussion générale sur le sens et l’opportunité de se livrer à des évaluations économiques des services écosystémiques. Ils ne renvoient pas uniquement à la stratégie de l’alarme, mais aussi aux deux autres fonctions socio-politiques évoquées dans la suite du texte, illustrant de fait le caractère interdépendant des différents usages de l’évaluation économique. Ils renvoient également et plus largement à une question de la philosophie économique (cf. partie 2).

8 L’intérêt de l’évaluation monétaire se justifie dans le cadre de processus de décisions publiques visant à intégrer les enjeux environnementaux, en permettant une évaluation ex ante des politiques et des projets (Chevassus-au-Louis, Salles and Pujol, 2009).

9 Cette volonté de trouver une voie intermédiaire est constitutive du nouveau paradigme développementaliste des années 1990 (Stiglitz, 2002).

10 Ces interrogations liées aux limites intrinsèques des outils d’évaluation confrontées à la nécessité d’y recourir se posent pour les questions environnementales et climatiques au-delà des SE comme le montrent certains débats autour des travaux du GIEC (Rosen, 2015).

11 Deux numéros spéciaux sont par exemple consacrés, en 2003, aux « Crises économiques, catastrophes naturelles et pauvreté » (vol. 31, no 7) puis aux « Liens entre la pauvreté et la dégradation de l’environnement en Amérique Latine » (Vol.31 No.11) avant qu’en 2005 deux numéros spéciaux portent sur l’articulation entre réduction de la pauvreté et conservation des ressources naturelles (« Arrangements institutionnels pour la réduction de la pauvreté rurale et la conservation des ressources », vol. 33, no 2 et « Moyens de subsistance, forêts et conservation », vol. 33, no 9).

12 Pour rappel, nous faisons ici référence à la manière dont les systèmes d’économie politique sont définis par Schumpeter (1981) (cf. note de bas de page no 3).

13 R. Kanbur était en charge du Rapport 2009-2010 de la BM, supposé marquer un changement de paradigme.

14 Nous nous appuyons ici sur la notion de paradigme dominant plutôt que sur celle d’orthodoxie, dans une perspective assez proche de celle développée par Colander notamment, à savoir une appréhension plus sociologique qu’analytique (Colander, Holt and Rosser, 2004; Colander, Holt and Rosser, 2007) et qui renvoie d’une certaine manière à l’identification de ce qu’est, dans une période historique donnée, l’état normal de la science économique, au sens kuhnien du terme (Kuhn, 1970).

15 Parmi les critiques développées, voir par exemple (Labrousse, 2010)

ou (Davis, 2013).

16 Depuis les années 1970, l’économie standard de l’environnement pose comme problème fondateur l’absence référence monétaire aux actifs environnementaux : faute d’une telle valeur, l’environnement n’est pas intégré dans les fonctions d’utilité individuelles ; de surcroît, l’absence de droits de propriété clairement établis (Coase, 1960 ; Hardin, 1968) renforce une utilisation sous-optimale des ressources disponibles. Ramener l’environnement à un ensemble de mesures monétaires apparaît donc comme la solution première pour une régulation efficiente de ces ressources, via les mécanismes d’internalisation décrits par l’analyse standard en l’adaptant à partir d’une caractérisation plus spécifique des biens environnementaux. Cette démarche passe par le triptyque ressources naturelles, biens collectifs, effets externes.

17 L’intensification des débats, notamment à travers l’organisation de conférences et colloques ne doit cependant pas masquer les très nombreux débats soulevés bien avant.

18 Nous soulignons.

19 Nous n’explorons pas en détail les débats récents liés à la question ontologique, en particulier sous l’influence des analyses développées par Lawson. Voir par exemple les articles du No.18 de la revue Economics and Philosophy en 2002, l’ouvrage édité par Fullbrook (Fullbrook 2009), ceux de l’Erasmus Journal for Philosophy and Economics en 2011 (vol. 4, no 1) ou bien encore le numéro spécial du Cambridge Journal of Economics en 2012 (no 36).

20 L’article 2 du projet de loi no 1847 présenté à l’Assemblée nationale prévoit la modification de l’article L. 110-1 de la façon suivante. Après la première phrase du I de l’article est insérée une phrase : « Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ».

1° Au premier alinéa, les mots : « Leur protection » sont remplacés par les mots : « Leur connaissance, leur protection » et les mots : « et leur gestion » par les mots : « leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent ».

Le projet de loi n°442 modifié par le Sénat a été déposé le 27 janvier 2016. Il passe à présent en 2e lecture à l’Assemblée nationale.

21 Réseau Thématique Pluridisciplinaire CNRS INEE Biodiversité, droit, services écosystémiques 2012-2015.

22 La définition du droit de l’environnement n’est pas évidente. Cela tient au fait que l’environnement n’est pas clairement défini en droit français pas plus qu’en droit international. En droit français il recouvre cependant « classiquement » en lien avec le sens que lui donne la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature : la nature (espaces, espèces animales et végétales, diversité et équilibres biologiques), les ressources et milieux naturels, la qualité de l’air, les sites et les paysages.

23 Les animaux sauvages par exemple étaient considérés dans la loi romaine comme « res nullius » c’est-à-dire des choses sans maître et appropriables ; le statut des végétaux sauvages dépendait quant à lui du régime foncier.

24 Federal Lands Policy Management, http://www.fws.gov/endangered/esa-library/pdf/ESAall.pdf

25 Federal Lands Policy Management Act, http://www.blm.gov/flpma/FLPMA.pdf

26 National Forests Management Act, http://www.fs.fed.us/emc/nfma/includes/NFMA1976.pdf

27 A ce propos, il est apparu que ni la Cour suprême américaine (US Supreme Court) ni l’Agence fédérale pour la protection de l’environnement (US Environmental Protection Agency) n’ont réussi à faire une évaluation pertinente et opérationnelle des bénéfices tirés des écosystèmes (Laitos, 2012, 111).

28 Mapping and Assessment of Ecosystems and their Services (MAES) - http://biodiversity.europa.eu/maes

29 Afin notamment de mieux connaître la contribution des écosystèmes à la création de la richesse nationale, le ministère de l’écologie a engagé l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE), complémentaire aux travaux du CGDD déjà mentionnés. Cette étude de plusieurs années mobilise des experts des principaux organismes de recherche nationaux dans un processus participatif impliquant également de nombreuses autres parties prenantes. Elle vise à la fois à dresser un état des écosystèmes, de leurs tendances d’évolution, et à estimer la valeur des services qu’ils produisent. La méthodologie, qui est en cours de validation, a vocation à permettre de procéder à une évaluation à différentes échelles depuis le niveau local jusqu’au niveau international. Il ressort du travail de l’EFESE que les cadres conceptuels et méthodologiques pour l’évaluation des services écosystémiques restent à élaborer, notamment en fonction des différents usages qui peuvent être faits de l’évaluation (séminaire EFESE, 3e ed., 11 décembre 2015). Des travaux menés en Belgique confortent ces interrogations (Jacobs et al. 2016).

30 Le II du même article L. 110-1 du Code de l’environnement. 1°bis (nouveau). Après la première phrase du même premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée :: « Elles prennent en compte les valeurs intrinsèques ainsi que les différentes valeurs d’usage de la biodiversité reconnues par la société. » ;

31 Article du projet de loi sur la reconquête adopté par le Sénat. Le 2° de l’article 2 modifiant l’article L.110.1 II 2) est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce principe implique d’éviter les atteintes significatives à l’environnement ; à défaut, de les réduire ; enfin en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées et réduites. ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Prévost, Audrey Rivaud et Agnès Michelot, « Économie politique des services écosystémiques : de l’analyse économique aux évolutions juridiques »Revue de la régulation [En ligne], 19 | 1er semestre/ Spring 2016, mis en ligne le 27 juin 2016, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regulation/11848 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/regulation.11848

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Auteurs

Benoît Prévost

Maître de conférences, HDR en Sciences Economiques, ART-Dev – UMR 5281, université Paul Valéry Montpellier, benoit.prevost@univ-montp3.fr

Articles du même auteur

Audrey Rivaud

Maître de Conférences en Sciences Économiques, ART-Dev – UMR 5281, université Paul Valéry Montpellier, audrey.rivaud@univ-montp3.fr

Articles du même auteur

Agnès Michelot

Maître de Conférences – HDR en Droit public, CEJEP – EA 3170, UFR Droit, Science politique et Gestion, amichelo@univ-lr.fr

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