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Recensions

Simon Morgenthaler, Formationen einer Kunstwissenschaft. Text- und Archivstudien zu Hans Sedlmayr

Morgane Walter
p. 141-144
Référence(s) :

Simon Morgenthaler, Formationen einer Kunstwissenschaft. Text- und Archivstudien zu Hans Sedlmayr, Berlin/Boston : De Gruyter, 2020, 438 pages

Notes de la rédaction

https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.57732/rc.2023.1.102681

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Crédits : De Gruyter

1Le livre Formationen einer Kunstwissenschaft. Text- und Archivstudien zu Hans Sedlmayr, paru en 2020 dans la collection « Textologie » de De Gruyter, examine l’œuvre de l’historien de l’art autrichien Hans Sedlmayr (1896-1984). Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, Simon Morgenthaler entend étudier la Theoriebildung – l’élaboration de la théorie – de Hans Sedlmayr ainsi que son fondement discursif et historique à partir de matériaux textuels et intertextuels. Ces derniers regroupent des travaux publiés entre les années 1920 et 1950 ainsi que des documents pour partie inédits, découverts à la faveur d’un dépouillement minutieux de plusieurs fonds d’archives en Autriche et en Allemagne. Considérant à juste titre que les processus de production et de réception textuels sont étroitement mêlés, Morgenthaler expose méthodiquement les façons dont Sedlmayr ambitionne de produire une science de l’art à partir de ses lectures et adapte les modèles théoriques venus d’autres disciplines à ses propres textes. L’entreprise vise ainsi à dévoiler l’ensemble de ce que l’auteur nomme les Textpraktiken, les pratiques textuelles, de Sedlmayr : elles recouvrent ses lectures, la réception critique et la construction de ses textes, leur rhétorique et leur style, leur sémantique et leur intertextualité, le tout décrypté sur le fondement de la matérialité de documents d’archives – marquages, annotations, transcriptions, reformulations, citations, paraphrase, etc. Ces diverses pratiques, relevées, commentées et critiquées par ses contemporains, contribuent à des débats internes à la discipline de l’histoire de l’art quant à ses fonctions et ses attendus au sein du monde académique germanophone.

  • 1 Paolo D’Iorio et D. Ferrer, Bibliothèques d’écrivains, Paris : CNRS éditions, 2001 ; Ségolène Le Me (...)
  • 2 Thomas Zaunschirm, « Sedlmayr ohne Gott », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, vol. 53, 2004, p. 2 (...)

2L’ouvrage se situe à la croisée de plusieurs champs de recherche bénéficiant d’une certaine actualité. Si l’intérêt des scientifiques pour les lectures et les bibliothèques des artistes, des écrivains et des intellectuels a débuté dès les années 1970, celui-ci connaît une croissance significative depuis le début des années 2000, comme en témoignent parmi d’autres les travaux de Paolo d’Iorio et Daniel Ferrer, de Ségolène Le Men, ou d’Olivier Belin, Catherine Mayaux et Anne Verdure-Mary1. Par ailleurs, le protagoniste de l’étude lui-même constitue l’objet de plusieurs recherches récentes et a fortiori les références sous-tendant son modèle théorique : la thèse de Morgenthaler peut s’appuyer en effet sur les travaux de Thomas Zaunschirm, Maria Männig et Luca Vargiu2.

3Afin de saisir la façon dont Sedlmayr élabore son projet scientifique holistique en histoire de l’art au fil des décennies, et d’en identifier les constantes et les discontinuités, Morgenthaler organise son développement en douze chapitres, dont deux introductifs et un conclusif. Le chapitre 3 est consacré à la bibliothèque de l’historien de l’art, tandis que les chapitres analytiques suivants proposent des études de cas variées respectant un cheminement chronologique. L’une des forces de cette enquête réside en effet dans la diversité des sources textuelles exploitées, car elle offre un panorama complet de la Theoriebildung de Sedlmayr et ouvre des pistes de réflexion méthodologiques pour d’autres œuvres d’intellectuels. Un autre intérêt réside dans l’accent mis sur les textes des années 1920 jusqu’au tournant des années 1940, souvent moins considérés que les ouvrages centraux de sa carrière relancée après la Seconde Guerre mondiale, à Munich. Or ces derniers trouvent leur genèse dans les travaux des années 1930, au moment où l’intellectuel construit son projet scientifique et son socle de références. Cette plongée au cœur des pratiques d’écriture de Sedlmayr démarre ainsi par une recension de 1925 sur le livre de Karl Tolnai, Die Zeichnungen Pieter Bruegels (chap. 4), suivie d’une longue étude de Die Architektur Borrominis paru en 1930 (chap. 6), débouchant sur la lecture d’un article programmatique de 1931 intitulé « Zu einer strengen Kunstwissenschaft », où transparaît manifestement l’adaptation de modèles de pensée issus d’autres disciplines telles que la philosophie et la psychologie (chap. 7). Les quatre chapitres suivants s’arrêtent tour à tour sur deux articles inédits au tournant des années 1940 (chap. 8), l’article « Kunstwerk und Kunstgeschichte » écrit et réécrit à plusieurs reprises avant et après 1945 (chap. 9), un article prenant la forme d’une analyse d’œuvre : « Pieter Bruegel. Der Sturz der Blinden. Paradigma einer Strukturanalyse » (chap. 10), et pour finir, quelques extraits de l’ouvrage le plus lu de sa carrière, Verlust der Mitte, paru en 1948 (chap. 11).

4Le lectorat en quête d’une étude approfondie des travaux de Sedlmayr d’une part, et des processus de production et de réception de textes académiques d’autre part, verra ses attentes comblées. Concernant Sedlmayr, d’abord, l’auteur parvient à nous renseigner sur ses nombreuses lectures et les spécificités de sa production textuelle. Il met notamment en lumière un usage très critiquable de ses sources : aujourd’hui, l’on parlerait purement et simplement de plagiat. Morgenthaler expose une typologie des modes de référence variables dans les textes étudiés : ces références sont tantôt très précises, tantôt incomplètes voire fausses, le nom d’un auteur est parfois indiqué dans le cours du texte sans autre information, certaines citations sont réécrites pour y remplacer les concepts centraux par ceux utilisés par Sedlmayr, ou encore, il est fait un usage récurrent de la « libre paraphrase » (p. 4, illustration avec la théorie philosophique de Kurt Koffka p. 240-248). En somme, on se situe souvent dans une « zone grise » (p. 405), selon l’auteur, entre la citation, la paraphrase et le plagiat. L’étude de Simon Morgenthaler montre en outre que Sedlmayr lit principalement pour transposer dans sa propre production textuelle : dans le chapitre 7, on comprend comment l’adaptation et l’appropriation de la théorie du philosophe Kurt Lewin a déjà lieu au moment de la lecture (p. 251-259). Les annotations de lecture comprennent de fait un travail de reformulation, de commentaire et de compilation que l’on retrouve ensuite dans ses textes. Selon Morgenthaler, ces usages opaques de la paraphrase et de la citation fautive relèvent également de stratégies personnelles permettant à Sedlmayr de consolider les points les plus fragiles de son argumentation et de reprendre à son compte des terminologies employées dans d’autres champs disciplinaires. Pour finir, l’ouvrage propose une critique des sources (Quellenkritik) mobilisées par Sedlmayr et les évolutions des terminologies sedlmayriennes, démontrant l’accentuation, l’abandon ou l’actualisation de certains concepts au fil du temps. Les tableaux récurrents confrontant différentes versions d’extraits d’un même texte tout au long de sa production, parfois longue, sont particulièrement probants pour soutenir cette démonstration.

5 On apprécie en outre la réelle valeur ajoutée du large spectre des sources textuelles choisies, en particulier la juste considération de la recension comme véritable outil de positionnement intellectuel au sein d’une discipline. Le travail d’excavation de documents d’archives et notamment de correspondances a permis par ailleurs de révéler la relation entre Sedlmayr et ses éditeurs. Ces échanges sont une contribution essentielle et particulièrement riche à la connaissance des liens complexes qui existent entre ces acteurs de la diffusion scientifique et de leur travail commun sur les textes publiés. Pour finir, la minutie et le souci du détail qui caractérisent l’ensemble de ce travail lui confèrent une grande qualité scientifique.

6Cette minutie est permise entre autres par une approche très restreinte du sujet à son seul et unique objet : les pratiques textuelles de Hans Sedlmayr. Cet effort de circonscription constitue toutefois dans le même temps la principale faiblesse de l’ouvrage. En effet, il a tendance dès lors à isoler l’intellectuel – exception faite de ses références intertextuelles et de ses échanges éditoriaux. Les éléments biographiques de l’historien de l’art sont souvent relégués à quelques notes de bas de page, et il eut été souhaitable qu’une place soit accordée dans l’ouvrage à ses collègues et opposants de la période munichoise, tels que Werner Haftmann, Will Grohmann ou Willi Baumeister – les Entretiens de Darmstadt en 1950 sont évoqués en passant. De plus, la prise en compte exclusive des matériaux textuels dans l’étude amène logiquement à se détourner des œuvres qui fondent le contenu des analyses de Sedlmayr. Onze illustrations ponctuent le dense ouvrage de 438 pages : onze reproductions de documents (registre de livres, tampon d’ex-libris, annotations manuscrites, brouillons de sommaires, etc.). Ce choix pleinement assumé d’exclure les œuvres analysées est exposé dès l’introduction, dans une argumentation qui peine toutefois à convaincre, d’autant que celle-ci se double d’une approche volontairement non disciplinaire. Morgenthaler souhaitant en effet que sa méthodologie d’analyse des pratiques textuelles soit transposable à des corpus issus de toute discipline, il a exclu les éléments relevant des méthodes de l’histoire de l’art, tels que les commentaires d’œuvre. Malgré ces quelques réserves, il ne fait aucun doute que l’ouvrage est déjà un incontournable pour toute recherche sur la théorie de Hans Sedlmayr et qu’il pose des bases solides pour de futures études de textologie.

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Notes

1 Paolo D’Iorio et D. Ferrer, Bibliothèques d’écrivains, Paris : CNRS éditions, 2001 ; Ségolène Le Men, « Les bibliothèques d’artistes : une ressource pour l’histoire de l’art », Perspective, 2016, no. 2, p. 111-132 ; Olivier Belin, Catherine Mayaux et Anne Verdure-Mary (dir.), Bibliothèques d’écrivains : Lecture et création, histoire et transmission, Turin : Rosenberg & Sellier, 2018, nouvelle édition [en ligne] : <http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/res/1721>.

2 Thomas Zaunschirm, « Sedlmayr ohne Gott », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, vol. 53, 2004, p. 247-254 ; Maria Männig, Hans Sedlmayrs Kunstgeschichte. Eine kritische Studie, Cologne/Weimar/Vienne : Böhlau, 2017 ; Luca Vargiu, Hermeneutik und Kunstwissenschaft. Ein Dialog auf Distanz – Emilio Betti und Hans Sedlmayr, Berlin : Logos, 2017.

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Pour citer cet article

Référence papier

Morgane Walter, « Simon Morgenthaler, Formationen einer Kunstwissenschaft. Text- und Archivstudien zu Hans Sedlmayr »Regards croisés, 13 | 2023, 141-144.

Référence électronique

Morgane Walter, « Simon Morgenthaler, Formationen einer Kunstwissenschaft. Text- und Archivstudien zu Hans Sedlmayr »Regards croisés [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 03 mars 2024, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/regardscroises/914

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Auteur

Morgane Walter

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