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AccueilNuméros104L’écrit à l’écranLuc Moullet et le littéral

L’écrit à l’écran

Luc Moullet et le littéral

Luc Moullet and the Literal
Pierre Eugène

Résumés

À rebours du goût littéraire de ses contemporains de la Nouvelle Vague, Luc Moullet (né en 1937) déploie dans son œuvre critique et cinématographique une étonnante pratique du littéral. Cet article, à travers de multiples exemples dans ses films et textes, mais aussi ses interventions polémiques (contre Christian Metz, notamment) qui le rapprochent des sophistes de l’Antiquité, étudie comment son œuvre met en place toutes sortes de jeux sur le signifiant, donné à voir et à entendre comme un objet parmi d’autres, dépouillant les prétentions métaphysiques du langage pour viser une réalité matérielle, non sans humour.

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Texte intégral

« J’ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens. »
Arthur Rimbaud à sa mère

1Luc Moullet, né en 1937, considéré comme le petit frère de la Nouvelle Vague, a en commun avec ses camarades devenus plus célèbres que lui le passage par l’écriture aux Cahiers du cinéma (pratique de la critique qu’il n’abandonnera pas une fois passé à la réalisation), la souscription à la Politique des auteurs, et un goût constant, dans la quarantaine de films courts et longs qu’il a réalisés, pour le langage sous toutes ses formes. Mais Moullet est sans doute, face aux Jeunes Turcs, le moins littéraire. Non qu’il n’ait pas lu : surdoué scolaire, critique aigu à l’écriture paradoxale, son aculture de façade s’apparente parfois, comme on le verra, à un certain anti-intellectualisme. Une seule adaptation littéraire dans sa filmographie : le court-métrage Le Fantôme de Longstaff (1996), tiré d’une nouvelle d’Henry James adaptée en costumes, sans emphase, et, fait exceptionnel dans cette œuvre pleine de traits d’humour, dénuée d’effets comiques explicites — excepté l’étrangeté des situations et l’ironique inquiétude jamesienne, restituée par le contraste entre le jeu incarné des personnages féminins et la sécheresse des ellipses.

2À rebours du littéraire, l’œuvre critique et cinématographique de Moullet se comprend comme une pratique du littéral. Celle-ci se déploie sous la forme de jeux divers sur le signifiant (au sens saussurien) donnant une place singulière à la graphie, la citation, la glose. Contre le supplément d’âme de la littérature, Moullet utilise le langage comme levier pour engager ses films vers ce qui s’offre au regard et se refuse à l’interprétation : la réalité concrète.

Écrire ou recopier

  • 1 Ces informations proviennent de son autobiographie : Luc Moullet, Mémoires d’une savonnette indocil (...)

3Moullet est cinéphile depuis l’enfance. Grand lecteur de L’Écran français (selon ses dires, depuis ses 8 ans !) il lit aussi les Cahiers du cinéma depuis la parution de la revue (soit depuis ses 13 ans1). C’est donc tout naturellement qu’il adresse à cette dernière ses premiers textes, tous refusés jusqu’à l’automne 1955, où il propose un article sur Le Bandit (The Naked Dawn, 1956) d’Edgar G. Ulmer, accompagné d’une bio-filmographie du cinéaste. À cette époque où les histoires et dictionnaires du cinéma n’étaient pas légion, et où la possibilité de voir les films anciens tenait aux hasards des programmes de la Cinémathèque française ou des ciné-clubs, publier une telle bio-filmographie avait de la valeur pour la revue, qui tentait de découvrir et d’instituer des « auteurs » dans l’anonymat commercial de la production hollywoodienne. Ces listes permettaient aux lecteurs de reconstituer une œuvre largement invisible sur les écrans. Moullet était l’un de ces « cinéphiles à fiches », ces amateurs passionnés et érudits qui furent les premiers « chercheurs » de l’histoire du cinéma (les recherches universitaires sur le cinéma étaient restées sans suite après la filmologie, qui ne s’était pas penchée sur les auteurs ou l’histoire du cinéma ; restaient quelques historiens en activité, comme George Sadoul). Constituer une telle bio-filmographie relevait d’un véritable travail de fourmi (noter les génériques au début des films, trouver les listes des sorties aux États‑Unis, consulter les revues corporatistes…) et, raconte Moullet :

  • 2 Luc Moullet, Mémoires d’une savonnette indocile, ouvr. cité, p. 29.

[…] pour enrichir ma connaissance du cinéma américain, j’avais passé sept jours ailleurs, à l’American Library in Paris (où presque tous les films américains de 1912 à 1949 étaient recensés), à établir un index. Un travail de dingue. J’étais donc le seul en France à pouvoir rédiger des filmographies plus ou moins complètes2.

  • 3 Voir François Truffaut, Correspondance, Paris, Hatier, coll. « Le Livre de poche », 1988, p. 125-12 (...)
  • 4 Jean Domarchi, « Un nouveau romantisme », Cahiers du cinéma, no 58, avril 1956, p. 41-43 ; Luc Moul (...)

4Si l’article de Moullet sur Le Bandit est accepté un temps par François Truffaut « à cause évidemment de l’inappréciable filmographie », il est finalement refusé après quelques tergiversations3. La revue publiera néanmoins la bio-filmographie (précédée d’un court texte) lors de la sortie du film, à la suite de la critique du film par Jean Domarchi4. L’entrée de Moullet aux Cahiers est ainsi permise par un texte qui n’est pas un écrit, mais un recopiage — première manière de composer avec le littéral.

5Quoi de plus anonyme qu’une compilation d’informations ? « J’étais devenu le Monsieur Filmographie des Cahiers. F[rançois] T[ruffaut] me disait que j’étais un nouveau Mister Memory, en référence au personnage des 39 Marches. » Le personnage d’Hitchcock apparait dans le film comme un véritable disque dur enregistrant des informations, mué sur la fin, machinalement, en voix de la vérité. Les recopiages de Moullet ne sont pas aussi dénués de personnalité : malin, pour éviter que son travail ne soit pillé par d’autres, il n’hésite pas à truquer quelque peu le contenu de ses filmographies pour pouvoir les authentifier lors d’éventuels « vols » futurs :

  • 5 Luc Moullet, Mémoires d’une savonnette indocile, ouvr. cité. Le texte évoqué se trouve dans la « Fi (...)

J’avais l’habitude d’y mettre un faux nom — par exemple celui de ma grand-tante Léoncie Rouy-Dementis dans le casting du Vandale hawksien. Ça me permettait de repérer les copistes : j’ai encore retrouvé son nom dans la grosse biographie de Hawks signée McCarthy5.

6Manière de signature, en creux, par erreurs volontaires dissimulées au sein d’une littéralité de façade, qui a pour effet de troubler son évidence et d’y inscrire ce qu’elle semble exclure à priori (signature, subjectivité, ambiguïté).

Des données au donné

  • 6 Voire notamment la controverse autour du « regard de la vache », où Moullet (Cahiers du cinéma, no  (...)

7Comme son style d’écriture, direct, exempt de tout jargon et de métaphores, aux phrases plutôt courtes, la mise en scène de Moullet se caractérise par sa simplicité de principe, visant une transparence que l’auteur appelle lui-même « le regard de la vache6 », et qui semble de prime abord ne pas imprimer de subjectivité sur les choses regardées. Ce « regard de la vache » est moins strictement documentaire qu’il ne s’apparente à celui, sobre, à visée transparente, du cinéma des premiers temps, notamment celui de Cecil B. DeMille, Allan Dwan et bien sûr Buster Keaton, références du cinéaste. Les cadres de Moullet, le plus souvent frontaux et composés géométriquement, plaquent les personnages, leurs postures et leurs actions (plutôt modestes) au milieu d’éléments de décor raréfiés et significatifs, comme un exposé sur un tableau noir. Moullet affectionne d’ailleurs particulièrement les cartes, les diagrammes et les documents, qu’à l’instar de Fritz Lang ou Raoul Walsh, il intègre fréquemment dans ses montages.

  • 7 « Le grand chic alors, aux Cahiers, c’était d’écrire des textes illisibles. Demonsablon était le ch (...)
  • 8 Luc Moullet, « Ottobiographie », Cahiers du cinéma, no 101, novembre 1959, p. 42.
  • 9 Luc Moullet, Piges choisies, ouvr. cité, p. 21.
  • 10 Luc Moullet, « Il n’y a pas de social valable sans burlesque » (entretien avec Yvonne Baby), Le Mon (...)

8Dans ses articles, Moullet sème de même de pléthoriques informations factuelles, particulièrement des chiffres. Usage qui détonne dans les textes parfois pompeux des autres rédacteurs des Cahiers7, épris de références littéraires ou philosophiques, dédaignant le plus souvent la dimension économique du cinéma, laissée à la presse corporative et au journalisme. Ainsi, dans sa critique d’Autopsie d’un meurtre (1958) de Otto Preminger, Moullet justifie les longueurs du film parce que le cinéaste « a jugé très commercial de suivre la mode du film long », et avait besoin de faire un « terrific blockbuster8 » après l’échec financier de ses deux derniers films. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir la critique aux parts concrètes et financières de la création, mais une fois encore d’une ruse : « […] j’accumulais les informations techniques — nombre et durée des plans et du tournage, budget, box-office du film, etc. —, ce qui faisait passer pour plus objectives les positions subjectives qui les jouxtaient9. » Au‑delà de la stricte information du lecteur, les inscriptions littérales ont ainsi une fonction rhétorique, qui vient transformer la perception générale du texte, lui offrir une apparence d’objectivité factuelle. Ce jeu retors sur les informations se retrouve aussi dans les films. Au début de son premier long-métrage, Brigitte et Brigitte (1966), Moullet montre ses deux personnages principaux, toutes deux appelées Brigitte, qui se rencontrent à leur arrivée à la gare d’Austerlitz. Provinciales montées à Paris pour leurs études, les deux jeunes femmes ne se ressemblent pas vraiment physiquement (l’une est grande et blonde, l’autre petite et brune), mais elles sont habillées exactement pareil, jusqu’à leur valise (fig. 1 et 2) ; et même leurs propos sont en miroir. Après un moment de stupeur où chacune se demande si l’autre est son double, la fin de la discussion achoppe sur ce constat : « nous devons représenter la Française moyenne ». Moullet explique dans un entretien que « pour toucher le grand public », il a « voulu que chaque statistique soit traduite en termes comiques10 ». Le comique et l’étrangeté de la scène inaugurale tiennent à ce déplacement singulier entre la donnée factuelle ou chiffrée et la réalité pro-filmique : incarnation d’une donnée statistique qui, précisément, ne peut représenter personne en particulier. L’écart entre l’abstraction chiffrée et les corps des héroïnes qui y résistent par leur joyeuse présence dans le cadre répond donc bien à la célèbre définition bergsonienne du rire comme « mécanique plaqué sur du vivant », procédé privilégié du comique moulletien.

Figure 1. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 1. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 2. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 2. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Les mots et les choses

  • 11 « Si tu notes tout, tu n’as pas le temps de comprendre », explique-t-il. Dans Mémoires d’une savonn (...)
  • 12 En référence à l’école critique de la fin des années 1950 hébergée par la salle de cinéma Mac-Mahon (...)

9Comédie de l’éducation contredite par ses « leçons de choses », Brigitte et Brigitte s’ingénie par la suite à mettre en scène la confrontation du savoir intellectuel et de l’expérience sensible, jaugeant ces différentes approches de la réalité — au détriment, sans surprise, de l’apprentissage académique. Les deux héroïnes découvrent Paris et l’université. Moullet s’amuse à observer les prises de notes de plusieurs étudiants (dont les Brigitte) face à un cours de phonétique incompréhensible, truffé de jargon scientifique, dont la voix véloce de l’enseignant (interprété par Éric Rohmer) se retrouve couverte de surcroit par des bruits de marteaux piqueurs (la faculté de Nanterre, censément encore en travaux). Apprendre, dans ce cadre, c’est d’abord savoir recopier (un des étudiants, qui écrit à l’aide d’une sténo très personnelle, apprendra aux Brigitte qu’il ne faut pas transcrire mot à mot, mais synthétiser11, fig. 3 et 4) puis rabâcher par cœur et chercher des moyens mnémotechniques, et finalement tenter de tricher. Faisant le tour des monuments de la capitale, les Brigitte en font la critique et les notent sur vingt, à partir de critères farfelus (Notre-Dame est assimilée à une montagne facile à escalader, et obtient une note médiocre ; fig. 5). Quand les Brigitte réalisent pour un cours une enquête sur des cinéphiles, le film se gausse des péroraisons de ces jeunes hommes en sériant leurs listes de films préférés et leurs déclarations de type mac-mahoniennes12, à l’emporte-pièce, rabâchées (fig. 6).

Figure 3. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 3. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 4. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 4. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 5. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 5. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 6. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 6. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

10Il s’agit toujours de confronter une chose dite ou écrite à une chose filmée. Autre exemple dans La Cabale des oursins (1991), documentaire sur les terrils (monts issus de résidus des exploitations minières) que Moullet souhaite « réhabiliter ». Une longue séquence compare un grand nombre d’entre eux, chacun vanté par des sortes de « critiques de terrils » (certains sont joués par des critiques de cinéma, tels Jean Narboni et Noël Simsolo ; fig. 7 et 8), qui clament que le leur est le plus beau, arguant de divers critères esthétiques : fondu ou non dans le paysage, mélange de naturel et d’artificiel, douceur des lignes (« élégance mozartienne »). Moullet finit par prendre la parole pour défendre son terril (argument d’autorité, il précise qu’il a en vu 107) pendant que le montage, comme pour scander ses arguments, avance par à-coups en des plans de plus en plus rapprochés sur le terril. Ce babillage où chacun contredit l’autre, qui débouche même sur la menace physique, achoppe sur un relativisme fondamental. Entre le commentaire et les terrils exhibés se jouent toutes sortes d’écarts, qui renvoient chacun des critiques et chacun des terrils à leur singularité défiant tout comparatif, faisant des étincelles entre objectivité et subjectivité, sérieux et mauvaise foi.

Figure 7. – Luc Moullet, La Cabale des oursins (1991).

Figure 7. – Luc Moullet, La Cabale des oursins (1991).

Figure 8. – Luc Moullet, La Cabale des oursins (1991).

Figure 8. – Luc Moullet, La Cabale des oursins (1991).

11Foix (1994) développe cette idée d’un commentaire « déplacé » à l’échelle d’un court-métrage. Dans cette parodie de film touristique promotionnel pour la ville de Foix, le commentaire, lu sur le ton docte, sobre et enjoué inhérent au genre, exacerbe ironiquement la laideur architecturale de la ville et pointe nombre d’incohérences urbanistiques majeures. Devant une vue d’avion, on nous montre le Centre culturel de Foix que la voix off qualifie de « seul centre culturel de France, qui soit aussi gare routière », ajoutant : « vous voyez la prison ? C’est juste à côté. » Et tandis que le plan continue et dépasse le Centre, on se rend compte qu’il est encadré de l’autre côté par un grand cimetière… (fig. 9) Le commentaire n’a pas seulement pour fonction d’être contredit ironiquement par l’image, mais pointe aussi des expressions littéralement ridicules, simplement en les citant : ainsi d’une rue dite « semi-piétonne », dans laquelle Moullet nous montre la masse d’un camion qui s’engage, menaçant les piétons (fig. 10). Ce qui est manifeste dans ce documentaire drolatique, est que tout réels que soient ces éléments filmés de la ville, la logique du montage les accumule à charge : omniprésence des façades grises et délabrées (fig. 11), des absurdités de la circulation routière (places de parking sur les ponts, embouteillages…), des choix politiques désastreux de la mairie (Moullet racontera qu’il avait demandé perversement toutes sortes d’autorisations de tournage aux différentes instances de la ville pour pouvoir les remercier au générique)… La satire apparait peu objective, et le spectateur jouit aussi de la mauvaise foi de l’auteur.

Figure 9. – Luc Moullet, Foix (1994).

Figure 9. – Luc Moullet, Foix (1994).

Figure 10. – Luc Moullet, Foix (1994).

Figure 10. – Luc Moullet, Foix (1994).

Figure 11. – Luc Moullet, Foix (1994).

Figure 11. – Luc Moullet, Foix (1994).

Moullet le sophiste

12Cette mauvaise foi plus ou moins avouée a pour fonction de déréaliser quelque peu, d’inscrire une distance entre la lettre du commentaire et l’objectivité fondamentale du style documentaire, renvoyés dos à dos. On trouve maints exemples similaires dans les films de Moullet, jusqu’à La Terre de la Folie (2008), où dans la dernière scène, la compagne de celui-ci, Antonietta Pizzorno, réfute très agacée le principe au centre du documentaire : celui d’un « pentagone de la folie » dans les Alpes du Sud, que le film tente de démontrer en revenant sur moult faits divers. Le couple s’échauffe, et, prise de folie, Pizzorno finit par pousser Moullet dans le ravin, succombant ironiquement à la « folie ». Le film — balançant encore entre vrai et faux — s’achève par un arrêt sur image de Moullet déséquilibré, prêt à tomber (fig. 12).

Figure 12. – Luc Moullet, La Terre de la folie (2009).

Figure 12. – Luc Moullet, La Terre de la folie (2009).

13Quoi croire ? C’est justement ce battement de la croyance, ni vraiment déniée, ni absorbable en tant que telle, qui crée l’humour. La logique tenue du dispositif, littéralisant tout ce qui l’approche (Pizzorno incarne la preuve de plus, la preuve de trop), conduit finalement à d’énormes aberrations. Ce formalisme malin, que l’on retrouve aussi dans les textes de Moullet, répond bien à la doctrine des Cahiers au temps des Jeunes Turcs, telle que celui-ci la décrit :

  • 13 Luc Moullet, Mémoire d’une savonnette indocile, ouvr. cité, p. 18.

Les Cahiers new-look vantaient un cinéma de la façon, et non plus un cinéma « contenutiste ». À ce « formalisme » allait correspondre le goût du calembour, où les mots perdaient un peu de leur valeur codée au profit de leur seule sonorité, qui créait une sorte de verbalisme à la Isidore Isou, le chantre du lettrisme d’alors13.

  • 14 Voir Barbara Cassin, L’Effet sophistique, Paris, Gallimard, 1995.

14Cet usage des mots en tant que verbosité plutôt que contenu, avec le sens comme effet de la forme s’approche des procédés de langage des Sophistes de l’antiquité. Barbara Cassin, qui leur a dédié une partie de ses recherches, explique comment ceux-ci relisent les philosophes de l’ontologie pour la démonter (notamment Gorgias avec son « traité du non-être », s’opposant à Parménide14). Grands rhéteurs, les Sophistes font un usage principalement technique et pragmatique du langage, notamment lors des joutes oratoires de la cité, et sont accusés par la tradition philosophique (qui les constitue comme ennemis) de jouir d’un plaisir de « parler pour parler », en considérant les mots uniquement pour eux-mêmes, et en les déliant malignement de toute essence et de toute vérité. Cassin note néanmoins que chez les Sophistes, il s’agit aussi de « créer des mondes » à partir des mots : une réalité seconde qui n’a plus rien à voir avec l’être, mais prend une consistance propre.

  • 15 Luc Moullet, « Jean-Luc Godard », Cahiers du cinéma, no 106, avril 1960, p. 32.

15Rohmer avait dit un jour au jeune Moullet qu’il était un « fumiste » — et les sophistes ne sont pas loin quand on pense au groupe d’artistes réunis autour d’Émile Goudeau et son Cercle des Hydropathes à la fin du xixe siècle. Écrivant sur À bout de souffle dans son long article monographique sur Godard (le premier à faire le tour de l’œuvre de ce dernier à l’occasion de son premier long-métrage), Moullet déclare que « le film est marqué du sceau de la plus grande école philosophique, l’école sophiste15 ». Et on retrouve en effet, du côté des textes des Jeunes Turcs, un lien avec la tradition sophistique, notamment dans leur usage de la tautologie, où perce une explicite volonté de provocation. Citons comme exemple deux articles fondateurs de la Politique des auteurs. En premier lieu, la défense par François Truffaut de La Tour de Nesle (1955) d’Abel Gance, à travers une pirouette paradoxale qui vise à défendre le génie de l’auteur, accusé d’être un raté :

  • 16 François Truffaut (pseud. Robert Lachenay), « Abel Gance, désordre et génie », Cahiers du cinéma, n(...)

On a traité Gance de « raté » et tout récemment de « raté génial ». […] La question se pose à présent de savoir si l’on peut être à la fois génial et raté. Je crois plutôt que le ratage c’est le talent. Réussir c’est rater. Je veux finalement défendre la thèse : Abel Gance auteur raté de films ratés16

  • 17 Jacques Rivette, « Génie de Howard Hawks », Cahiers du cinéma, no 23, mai 1953, p. 23.
  • 18 Luc Moullet, « Ottobiographie », Cahiers du cinéma, no 101, novembre 1959, p. 44.
  • 19 Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté », Essais de psychanalyse appliquée [1933], Paris, Gallima (...)

16Truffaut poursuit en montrant qu’un film réussi dans toutes ses parties est académique (« abject », selon lui), et que les chefs-d’œuvre sont bien au contraire souvent considérés comme des ratages, car ils ne sacrifient pas aux règles du savoir-faire, leur génie se retrouve dans le déséquilibre et le déroutant. Second exemple : Jacques Rivette, qui loue l’art de Hawks dans Chérie, je me sens rajeunir (1958) et achève son texte par une tautologie définitive : « […] tout film de Hawks n’offre d’abord à la beauté que cette affirmation tranquille et sûre, sans retour ni remords. Il prouve le mouvement en marchant, l’existence en respirant. Ce qui est, est17 ». Affirmation proprement ontologique (qui rappelle Parménide), en même temps que provocation qui vient faire d’une comédie burlesque où des adultes retombent en enfance le manifeste hawksien d’une philosophie de l’action. Moullet, à son tour, n’hésite pas à affirmer que dans Autopsie d’un meurtre, « Otto Preminger nous propose l’innocence sous les apparences de la culpabilité. Au pur, tout est pur18. » La tautologie, dans les trois cas, fonctionne surtout comme effet rhétorique altier, coupant court abruptement à toute discussion par un blocage du terme sur lui-même. Dans la tautologie, le mot est pris à la fois littéralement (il ne signifie rien d’autre que lui-même), et en même temps, sa répétition déplace insensiblement son sens, vers une inquiétante étrangeté (la description du phénomène par Freud reposant précisément sur la répétition19). C’est ce que Moullet remarque en 2009, dans un texte sur un cinéaste qu’on pourrait juger très éloigné de lui, Robert Bresson, et qui inscrit un semblable redoublement des termes dans les dialogues :

  • 20 Luc Moullet, « Réfléchis sotte », Piges choisies, ouvr. cité, p. 137-138.

Bresson redouble les mots de son texte. Un film de Bresson, c’est beaucoup de « non non, « oui oui », « va va », « Marie Marie », « je vois je vois », « va seul va seul », « tu m’emmènes tu m’emmènes », « rappelez-vous rappelez-vous ». Les deux termes identiques sont toujours accolés de façon très serrée. Leur redoublement abrupt annule la spontanéité. On s’aperçoit alors que — plus important encore que la diction — c’est le choix du texte qui est le pivot de la spécificité bressonienne. Parfois, une phrase typique d’un langage très châtié est détruite par une sortie triviale : un long discours sur le bonheur universel le décrit finalement comme « terriblement chiant » (L’Argent). On découvre alors que Bresson, très loin du rigoriste enfermé dans son épure comme on le caricature, accumule en fait les contradictions de style, de tonalité, créant ainsi une dialectique infinie. C’est la règle de l’hétéroclite, l’unité bressonienne résidant paradoxalement dans la permanence de l’hétéroclite20.

17Moullet prêche pour sa paroisse quand il explique que Bresson cherche à faire émerger à partir d’une fausse unité une hétérogénéité fondamentale. La répétition littérale transforme le langage et met en avant sa dimension artificielle (« annule la spontanéité », dit Moullet, donc brouille l’effet de réel), en même temps qu’il inscrit le discours, grave les mots. Pour reprendre la terminologie saussurienne, la répétition, en isolant le signifiant, le sépare du signifié. Les mots ne renvoient plus aisément à un sens « naturel » visant le référent. La répétition annule également les possibles effets métaphoriques du langage : l’émergence d’un sens second par déplacement de signifié n’est plus possible. Seul et confronté à son double, le signifiant imprime alors son étrange matérialité (sonore ou visuelle), et devient insensiblement autre.

Le langage comme objet

18Dans Brigitte et Brigitte, une blague savoureuse est celle qui montre la concierge de l’immeuble des Brigitte, passant le balai. Dérangée trois fois (« Ah ! Ah ! Ah ! ») par les deux Brigitte et leur ami qui sortent chacun leur tour de l’immeuble en courant, elle finit par s’exclamer, hors d’elle, en appuyant sur chacune des syllabes : « … c’est brech-tien ! » (fig. 13). Outre la surprise du spectateur — une concierge ne fait pas souvent référence au fameux effet‑V de la distanciation — la phrase prononcée imprime immédiatement cet effe‑V sur le film-même, et vient brouiller l’évidence de cette scène banale, la rendre insolite (Jean-Marie Straub, qui s’y connaissait : « Moullet, c’est Courteline revu par Brecht »).

Figure 13. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

Figure 13. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).

19Chez Moullet, la littéralisation du langage vise à le mettre à distance, les discours étant montrés en quelque sorte comme des objets parmi d’autres. Dans son tout premier court-métrage, Un Steack trop cuit (1960) — sorte de remake ironique des films de chambre de la Nouvelle Vague — une jeune fille et son frère adolescent (joué par le frère de Moullet) dînent ensemble avant le rendez-vous galant de celle-ci. Le garçon, qui rentre bardé de livres offerts comme premiers prix d’épreuves scolaires, se révèle être un sale gosse aux vociférations pleines de grossièretés (les dialogues terroriseront le producteur George de Beauregard, qui ne sortira pas le film). Il mange salement, jette ses vêtements partout et reluque sa sœur lorsqu’elle se change dans sa chambre. Lors de leur repas, afin de le snober pendant qu’il lit le journal, celle-ci sort La Critique de la raison pure (« c’est au programme »), que son frère moque (fig. 14 et 15). Elle lui lit un passage s’achevant sur « cette synthèse est pure ». Le frère réplique, tout en asticotant les pieds de sa sœur avec les siens sous la table (fig. 16) : « une synthèse, c’est tout à fait l’inverse de quelque chose de pur. D’ailleurs, Kant, pour la synthèse, tu parles, il peut aller se rhabiller ! » À quoi on peut entendre littéralement : Kant n’a pas fait court, mais aussi un écho littéral aux scènes suivantes, où la sœur s’habillera pour son rendez‑vous.

Figure 14. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 14. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 15. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 15. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 16. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 16. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

20« Les mélanges, ça me botte ! » déclare auparavant le petit frère, versant le contenu d’une bouteille d’eau pétillante et d’une bouteille de vin dans le même verre (fig. 17). Mangeant du raisin et crachant les pépins, il éructe de manière syncopée : « En fait la logique transcendantale, qu’est‑ce que c’est ? C’est de la gnognote. Les noumènes, c’est de la merde ! » — faisant de chaque pépin comme un mot matérialisé et jeté (fig. 18 et 19).

Figure 17. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 17. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 18. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 18. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 19. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 19. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

21Point de noumène, que du phénomène ; pas de logique transcendantale, que de l’empirisme ; point de synthèse, mais une « permanence de l’hétéroclite ». Le cinéma, comme l’aimait André Bazin est « impur » : il fait voisiner dans la réalité pro-filmique des éléments singuliers dissemblables, sans les confondre et vraiment les articuler. Dans le même esprit, les gros mots du petit frère (dont l’argot est parfois sous-titré à l’image comme des notes en bas de page, fig. 15) font du langage une pragmatique. Celui-ci matérialise ses mots comme autant d’objets qui visent moins la communication d’un sens qu’à provoquer un effet dans le réel, un peu comme une arme.

  • 21 François Zourabichvili, La Littéralité et autres essais sur l’art, Paris, PUF, coll. « Lignes d’art (...)

22Dans un ouvrage consacré à la question de la littéralité chez Gilles Deleuze, François Zourabichvili note que les mots, pris littéralement, permettent de faire « miroiter des choses21 », tout comme les enfants, entendant un mot qu’ils ne connaissent pas, leur adjoignent immédiatement un imaginaire : « Il n’y a pas les mots et les choses, mais des mots qui sont d’emblée des mots-choses. Un mot n’est un mot que par sa capacité d’animer le monde immédiatement. » Chez Moullet, l’effet littéralement comique d’une expression telle que « rue semi-piétonne » tient à ce qu’elle ruine la séparation entre piétons et véhicules, contradictoires dans le cas d’accès à une voie, et fabrique une rue étrange, mutante, impure. Mais le comique de l’expression est redoublé quand on voit, non seulement l’expression elle-même inscrite matériellement sur une pancarte officielle (preuve concrète qu’il ne s’agit pas d’un calembour, fig. 20), mais aussi son illustration filmique sans équivoque (voir fig. 10). Le comique tient là encore au redoublement littéral, qui tire l’expression dans les deux sens à la fois : comique sur l’illogisme conceptuel, comique sur l’illustration concrète de cette expression dans la réalité.

Figure 20. – Luc Moullet, Foix (1994).

Figure 20. – Luc Moullet, Foix (1994).
  • 22 Ibid., p. 43.

23L’expression « le temps c’est de l’argent », explique Zourabichvili « a beau être une métaphore, celui qui le prononce n’entend pas faire une figure, et tout le monde en a une compréhension littérale22 ». Car, l’énoncé tire « sa nécessité et sa littéralité de ce qu’il exprime notre expérience, structurée entre autres par la manière dont nous “vivons” le temps et l’argent, et dont ils prennent sens dans la dépendance l’un de l’autre » (et que dire du cinéma, à l’économie de tournage fondée entièrement sur le temps ?). Ainsi, la littéralité, le « premier degré » de compréhension n’est pas un sens dénoté ou connoté, mais un sens qui va tirer le mot ou l’expression vers l’expérience sensible. Dans la pratique littérale, le sens n’est plus ontologique, mais celui d’une relation entre un mot et la manière dont il est vécu. D’où la remarque de Zourabichvili comme quoi « entendre la conjonction ET sous la copule ontologique EST, c’est précisément cela, la littéralité. »

  • 23 Luc Moullet, « Les vertes poubelles de Gilles Deleuze », La Lettre du cinéma, no 15, automne 2000.
  • 24 Luc Moullet, « Sam Fuller sur les brisées de Marlowe » (Cahiers du cinéma, no 93, mars 1959), repri (...)

24Moullet qui goûte peu les philosophes (et écrira un texte contre les deux livres de Deleuze sur le cinéma23), reste pourtant très proche de cette conception matérialiste des mots. Son article sur Samuel Fuller (où l’on trouve aussi le célèbre « la morale est affaire de travelling ») peut faire ainsi figure de manifeste personnel. Qualifiant le cinéaste de « primaire — mais un primaire intelligent24 », Moullet exprime sa défiance de la philosophie au cinéma, autant que du film en tant que « vouloir dire » ou témoin de l’idéologie d’un auteur (Fuller est alors considéré d’extrême droite, notamment par la presse de gauche) :

  • 25 Ibid., p. 87.

Les jeunes cinéastes n’ont rien à dire, et Sam Fuller encore moins que les autres. Il a quelque chose à faire, et il le fait, naturellement, sans se forcer. Ce n’est pas un mince compliment : nous détestons les philosophes manqués qui font du cinéma malgré le cinéma […], ceux qui veulent exprimer un sujet digne d’intérêt par un certain style artistique. Si vous avez quelque chose à dire, dites-le, écrivez-le, prêchez si vous voulez, mais fichez-nous la paix25.

  • 26 Ibid., p. 94.

25On retrouve ici quelque peu le « ce qui est, est » rivettien dans « Génie de Howard Hawks », où Hawks apparaissait comme un moraliste de l’action pure. De Fuller, écrit Moullet, « la partie du corps qui l’intéresse encore est celle qui touche constamment au sol : nul doute, Fuller est philopode26 ». Et ce cinéaste qui filme les pieds pense aussi, juge Moullet, « avec les pieds ». Dans un Steack trop cuit, les pieds du petit frère qui taquine ceux de sa sœur lors de la scène sur Kant, y font écho, autant que le goût de l’adolescent pour la culture physique (fig. 21).

Figure 21. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).

Figure 21. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
  • 27 Jean Narboni, « Notre alpin quotidien », Cahiers du cinéma, no 180, juillet 1966, p. 58.
  • 28 Voir aussi, sur le sujet, Clément Rosset, Le Réel et son double, Paris, Gallimard, 1984.
  • 29 Les études supérieures sont pour Moullet un élément de « prestige personnel, ce que n’est pas l’ens (...)

26Jean Narboni, écrivant sur Brigitte et Brigitte, rappelle que Moullet, dans ses textes, « parla fort bien de la bêtise nécessaire, essentielle, tranquille27 », le ralliant à des auteurs « plus prestigieux » (Nietzsche, Flaubert). L’idiotisme, en linguistique, est une expression (souvent un syntagme figé) sans correspondant équivalent dans une autre langue. L’idiot est lui-même celui qui voit tout littéralement28. Or être un terre à terre, penser « avec ses pieds », être un « primaire » qui use des mots au « premier degré », implique de prendre le langage dans son rapport le plus pragmatique. D’où aussi la promotion, chez Moullet, de l’enseignement primaire, moment d’apprentissage où l’on enseigne les mots et l’expression dans un rapport direct aux choses29.

La nudité du langage

  • 30 Expression de Serge Daney à propos de Moullet qui notait la « petitesse » de son univers filmique ( (...)
  • 31 Luc Moullet, Entretien avec S. Daney, L. Skorecki, S. Toubiana, Cahiers du cinéma, no 283, décembre (...)

27Tout ceci fait écho au style cinématographique de Moullet, dont j’ai déjà évoqué l’aspect direct. Son « regard de la vache », comme il l’appelle, au ras des pâquerettes, souhaite éviter toute subjectivité. Il s’agit de montrer les choses littéralement, en réduisant a minima dans chacun des plans leur « comptabilité signifiante30 ». Œuvrant au sein d’une économie très modeste, Moullet a lui-même produit plusieurs de ses films, et possède une bonne conscience de l’économie d’un tournage (il enseigna celle du cinéma à l’université), dont il fait longuement mention dans son autobiographie et ses textes de témoignage. Il y aurait d’ailleurs une étude à faire sur la manière dont Moullet évoque ses propres films à travers leur économie (budget et recettes des films) qui vient presque supplanter dans ses textes le « vouloir dire » d’un auteur. En bref, l’économie financière engage une économie stylistique, sur le modèle revendiqué de l’efficacité des petites séries B hollywoodiennes, où les auteurs classiques géraient en pleine intelligence les petits budgets qui leur étaient alloués. Comme le remarque Moullet : « Il y a un grand nombre de films qui sont fondés sur une idée de l’économie, même si ce sont des films chers. Toute l’œuvre de Mizoguchi s’est faite sur une notion d’économie, dans la façon de tourner31. » Le style cinématographique direct et sans affèteries de Moullet, autant que son écriture, répondent de concert à une réduction économique. Or le littéral est une semblable mesure d’économie signifiante réduite au plus simple appareil, à l’os du langage.

  • 32 Selon Jean Narboni (« Notre alpin quotidien », art. cit., p. 60), le premier à avoir utilisé l’expr (...)
  • 33 Luc Moullet, « Notre alpin quotidien. Entretien avec Emmanuel Burdeau et Jean Narboni », Paris, Cap (...)

28Parlant de ses films, et de sa vie, Moullet évoque souvent le « degré zéro », référence évidente, non dénuée d’ironie, au Degré zéro de l’écriture (1953) de Roland Barthes32. Le cinéaste raconte qu’il répondrait en cela à une tradition familiale : « En 1962, à douze ans, mon père se promenait tout nu dans le village d’à côté. Il y a un certain vertige de la nudité, qui renvoie à nouveau à la recherche du degré zéro de l’écriture33. » Ce degré zéro se retrouve aussi dans les plus concrets décors de ses films : les roubines (sédimentations montagnardes grises, bosselées et nues ; voir fig. 20), filmées de nombreuses fois, notamment dans son documentaire Terres noires (1961) et son western Une aventure de Billy Le Kid (1971) :

  • 34 Ibid., p. 33.

La roubine exprime un certain désert, qui coïncide avec notre recherche moderne du degré zéro. Il y a du Barthes dans les roubines. Il n’y est jamais allé, j’aurais voulu l’y voir ! Il existe une relation entre la nudité de la roubine et la volonté de mettre les choses à nu. Aller au plus simple, c’est une recherche qui est visible chez moi jusque dans le découpage. Filmer frontalement et pas avec quarante degrés de décalage34.

29En ouverture du Degré zéro de l’écriture, évoquant le moment de la Commune de Paris, Barthes racontait comment

  • 35 Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture (1953), dans Œuvres complètes, t. 1 (1942-1961), Paris, (...)

Hébert ne commençait jamais un numéro du Père Duchêne sans y mettre quelques « foutre » et quelques « bougre ». Ces grossièretés ne signifiaient rien, mais elles signalaient. Quoi ? Toute une situation révolutionnaire. Voilà donc l’exemple d’une écriture dont la fonction n’est plus seulement de communiquer ou d’exprimer, mais d’imposer un au-delà du langage qui est à la fois l’Histoire et le parti qu’on y prend35.

  • 36 Ibid., p. 217.
  • 37 Ibid., p. 218.

30L’intégration des jurons du Père Duchêne est elle aussi une pragmatique, elle « n’exprime rien », mais signale une situation réelle, hors du texte, l’inscription au sein du langage d’une réalité (on pense au petit frère d’Un Steack trop cuit). Barthes constate dans son livre que les écrivains contemporains (des années 1950) sont pris dans un double-bind : ils veulent échapper au mythe de la littérature sans pourtant sacrifier à une écriture conventionnelle. D’où le degré zéro de l’écriture, l’écriture « blanche », qui, « libérée de toute servitude à un ordre marqué du langage36 » choisit pour s’énoncer le présent de l’indicatif, un temps « a-modal » et descriptif. « Il serait juste de dire que c’est une écriture de journaliste, si précisément le journalisme ne développait en général des formes optatives ou impératives » remarque Barthes, qui précise que « l’écriture neutre retrouve réellement la condition première de l’art classique : l’instrumentalité37 ».

31À part ses fréquentes mentions du « degré zéro », il n’est pas certain que Moullet ait lu (ni apprécié) Barthes. Mais ce que ce dernier récrit autour de l’écriture blanche résonne bien avec son cinéma : notamment dans sa liaison avec le classicisme (importante référence, du côté cinématographique, pour Moullet), sa volonté moderne de dépasser le « beau style » (c’est le côté mac-mahonien de Moullet : haine du décoratisme visuel et admiration pour l’action énergique et efficace) autant que les mythes conventionnels de la « Qualité ». En bref, il s’agit également pour lui, différemment certes de Camus, d’inventer une écriture cinématographique « irrécupérable » par l’idéologie, singulière sans sophistication, qui garde un lien avec le concret du monde réel et l’air du présent.

La nocivité du langage

32Les leçons barthésiennes semblent se retrouver non sans malice dans la conférence provocatrice du cinéaste lors de la table ronde « Pour une nouvelle conscience critique du langage cinématographique », tenue le 4 juin 1966 à la Mostra de Pesaro, où assistent justement Barthes, Christian Metz et Pier Paolo Pasolini. Ces derniers seront scandalisés par les propos de Moullet, qui s’opposent violemment aux recherches émergentes de Metz sur le langage cinématographique (« Le cinéma, langue ou langage » a été publié en 1964). Moullet parle moins en tant que critique qu’en cinéaste :

  • 38 Luc Moullet, « De la nocivité du langage cinématographique et de son inutilité ainsi que des moyens (...)

La lenteur et la difficulté avec lesquelles nous avons pris conscience des composantes du langage cinématographique […] nous ont fait considérer comme une grande victoire cette prise de conscience. Je crois qu’on avait raison d’être fiers, parce que ça n’était pas facile à découvrir. Mais […] on a eu tort de confondre notre effort et son résultat. Parce que le résultat, la connaissance des langages cinématographiques, ne révèle qu’une chose, et cette chose, c’est la médiocrité artistique congénitale des langages cinématographiques passés, présents et futurs38.

33On retrouve le débat kantien d’Un steack trop cuit, entre synthèse pure et synthèse fondamentalement impure, dans un passage où Moullet s’attaque directement à Metz :

Christian Metz dit qu’on ne peut pas s’en prendre au langage cinématographique, puisqu’il codifie des formes pures. Pas d’accord : à partir du moment où un être humain a inventé ces formes que d’autres transformeront en code, ces formes sont impures, souillées — et heureusement souillées — par sa personnalité.

34Manière encore une fois de se rallier à l’impureté cinématographique bazinienne : une chose filmée déborde son objet, et son contenu, elle ne peut se laisser saisir par une forme, ou alors la forme s’incarne et perd de sa pureté. À l’inverse, Moullet assimile le « langage cinématographique » à la convention, à l’académisme, et l’oppose (« le langage, c’est de l’art raté ») à toute émotion artistique véritable, qui provoque le choc du spectateur :

  • 39 Ibid., p. 236

Metz dit aussi qu’on ne saurait porter un jugement d’ordre artistique sur le langage, nécessaire et neutre. Or, l’instance véhiculaire est toujours aussi la première fois une instance esthétique. C’est la deuxième fois qu’elle devient uniquement véhiculaire. La première fois que nous percevons cette instance, nous éprouvons en effet une émotion d’ordre artistique fondée notamment sur la surprise39.

  • 40 Ibid., p. 240-241

35L’intervention de Moullet se termine sur un cri de guerre pré-soixante-huitard : « chacun de nous présent dans cette salle, critique ou cinéaste, doit donc entreprendre une lutte contre le langage cinématographique. […] Chacun de nous doit pouvoir crier bien haut : “À bas le langage cinématographique, pour que vive le cinéma40 !” »

  • 41 Évoqué par Jean Narboni, « Notre alpin quotidien », art. cit., p. 60.
  • 42 Le Rebelle de King Vidor : les arêtes vives, Crisnée (Belgique), Yellow Now, 2009 ; Cecil B. DeMill (...)
  • 43 Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, ouvr. cité, p. 218.

36Cette intervention que Barthes qualifia « d’anti-intellectualiste41 » révèle plutôt une défiance fondamentale de Moullet envers les codes institués. Amateur du classicisme hollywoodien, au style codé et à l’idéologie marquée, il élit des cinéastes qui viennent moins transformer et enrichir le style et les valeurs hollywoodiennes qu’ils les ironisent à force de respect paradoxal : les meilleurs exemples seraient Cecil B. DeMille et King Vidor, auxquels Moullet a consacré des ouvrages42, et qui portent à une telle incandescence la convention et les valeurs morales qu’elles en deviennent bizarres, hétérodoxes. Face à l’écriture blanche, Barthes remarquait que « si l’écriture est vraiment neutre, si le langage […] parvient à l’état d’une équation pure, n’ayant pas plus d’épaisseur qu’une algèbre en face du creux de l’homme, alors la Littérature est vaincue, la problématique humaine est découverte et livrée sans couleur43 ». Mais, ajoutait-il immédiatement : « Malheureusement, les automatismes s’élaborent à l’endroit même où se trouvait d’abord une liberté, un réseau de formes durcies serre de plus en plus la fraicheur du discours, une écriture renaît à la place d’un langage indéfini » : en bref, l’écrivain ne se confronte plus aux mythes de la littérature, mais à ses mythes personnels.

37Moullet, qui abuse à l’envi de notations autobiographiques, joue avec ses propres mythes comme avec ceux des autres : mais en les amenant toujours vers une forme d’étrangeté, un troisième sens (comme le théorisa Barthes à propos du cinéma), qui n’est ni le dénoté, ni le connoté, et qui vient déstabiliser toute familiarité. Ce qui ressort de l’intervention de Moullet à Pesaro, la valeur fondamentale qu’il attribue à l’art, c’est la surprise. La prédilection de Moullet pour le contraste est qu’il implique toujours deux valeurs contradictoires, un choc entre deux choses inassimilables, montrées en même temps, en une seule fois.

38Zourabichvili donne cette définition de la littéralité :

  • 44 François Zourabichvili, La Littéralité et autres essais sur l’art, ouvr. cité, p. 43.

Une production littéraire qui ne renvoie à rien d’extérieur, bien qu’elle ne soit pas davantage « art pour l’art », manipulation divertissante du langage, précisément parce que le langage et le monde sont donnés en même temps, qu’il n’y a pas de mots avant le monde ou après lui, séparément de lui44.

  • 45 Au sujet de Biette, voir Serge Daney, « Éloge d’Emma Thiers » (Cahiers du Cinéma, no 285, février 1 (...)

39On peut dire, en guise de conclusion, que l’usage des mots chez Moullet tient précisément à réinscrire la cohabitation compliquée du langage et du monde. Comme ses camarades de la Nouvelle Vague, Moullet travaille l’écrit dans ses rapports complexes, paradoxaux, et surprenants, avec le monde figuré. Mais contrairement à eux, il n’utilise jamais le langage pour dépasser le monde physique vers des cimes idéales, abstraites, métaphysiques. En cela, il est plus proche de Pasolini (Salò, adaptation littérale de Sade), de Straub-Huillet (leurs adaptations incarnées) ou des films-rébus de Jean-Claude Biette45. Le jeu sur la littéralité, reliant les mots et le monde, implique un aller-retour interminable entre l’artifice et le naturel, le social et l’inhumain, l’objectif et le subjectif. Mais il ne quitte jamais le monde humain, socialisé, culturalisé. Jamais d’animaux chez Moullet, seuls sont mis en scène ces « animaux parlants » que sont les hommes. Les divers jeux de Moullet avec le littéral impliquent la croyance que sous l’abstrait et le plus artificiel s’exprime toujours in fine quelque chose du monde humain, en même temps que le monde extérieur ou les plus abstraites données ne se laissent eux-mêmes saisir que bornés de la plus artificielle perception humaine. Les rapports des mots et du monde chez Moullet répondent ainsi à cette déclaration programmatique des deux Brigitte : « nos ressemblances devraient nous séparer, ce sont nos différences qui vont nous rapprocher ».

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Notes

1 Ces informations proviennent de son autobiographie : Luc Moullet, Mémoires d’une savonnette indocile, Capricci, 2021.

2 Luc Moullet, Mémoires d’une savonnette indocile, ouvr. cité, p. 29.

3 Voir François Truffaut, Correspondance, Paris, Hatier, coll. « Le Livre de poche », 1988, p. 125-126.

4 Jean Domarchi, « Un nouveau romantisme », Cahiers du cinéma, no 58, avril 1956, p. 41-43 ; Luc Moullet, « Edgar G. Ulmer », p. 55-57.

5 Luc Moullet, Mémoires d’une savonnette indocile, ouvr. cité. Le texte évoqué se trouve dans la « Filmographie commentée de Howard Hawks », Cahiers du cinéma, no 136, p. 24. Todd McCarthy (Howard Hawks: the grey fox of Hollywood, New York (États-Unis), Grove Press, 1997) note néanmoins dans sa filmographie du Vandale : « Leoncie Rouy-Dementis part he played is missing. » Le nom a par contre été supprimé dans la traduction française (Hawks, Arles, Actes Sud, 1999).

6 Voire notamment la controverse autour du « regard de la vache », où Moullet (Cahiers du cinéma, no 304, octobre 1979, p. 65) répond à une déclaration de Godard (Cahiers du cinéma, no 300, mai 1979, p. 32-35).

7 « Le grand chic alors, aux Cahiers, c’était d’écrire des textes illisibles. Demonsablon était le champion de cette littérature. Il y avait un snobisme de l’hermétisme. […] Même Bazin cédait parfois aux sirènes de l’obscurité. Mon ingénuité apportait un bol de fraîcheur », Luc Moullet, Piges choisies (de Griffith à Ellroy), Paris, Capricci, 2009, p. 19.

8 Luc Moullet, « Ottobiographie », Cahiers du cinéma, no 101, novembre 1959, p. 42.

9 Luc Moullet, Piges choisies, ouvr. cité, p. 21.

10 Luc Moullet, « Il n’y a pas de social valable sans burlesque » (entretien avec Yvonne Baby), Le Monde, 21 décembre 1966.

11 « Si tu notes tout, tu n’as pas le temps de comprendre », explique-t-il. Dans Mémoires d’une savonnette indocile, ouvr. cité, p. 315-316, Moullet fait la même remarque en évoquant ses enseignements à l’université.

12 En référence à l’école critique de la fin des années 1950 hébergée par la salle de cinéma Mac-Mahon à Paris et réputée pour ses positions radicales en faveur de la mise en scène entendue comme langage et illustrée par le carré d’as : Joseph Losey, Otto Preminger, Fritz Lang et Raoul Walsh.

13 Luc Moullet, Mémoire d’une savonnette indocile, ouvr. cité, p. 18.

14 Voir Barbara Cassin, L’Effet sophistique, Paris, Gallimard, 1995.

15 Luc Moullet, « Jean-Luc Godard », Cahiers du cinéma, no 106, avril 1960, p. 32.

16 François Truffaut (pseud. Robert Lachenay), « Abel Gance, désordre et génie », Cahiers du cinéma, n47, mai 1955, p. 46.

17 Jacques Rivette, « Génie de Howard Hawks », Cahiers du cinéma, no 23, mai 1953, p. 23.

18 Luc Moullet, « Ottobiographie », Cahiers du cinéma, no 101, novembre 1959, p. 44.

19 Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté », Essais de psychanalyse appliquée [1933], Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1975, voir les p. 188-189.

20 Luc Moullet, « Réfléchis sotte », Piges choisies, ouvr. cité, p. 137-138.

21 François Zourabichvili, La Littéralité et autres essais sur l’art, Paris, PUF, coll. « Lignes d’arts », 2011, p. 50.

22 Ibid., p. 43.

23 Luc Moullet, « Les vertes poubelles de Gilles Deleuze », La Lettre du cinéma, no 15, automne 2000.

24 Luc Moullet, « Sam Fuller sur les brisées de Marlowe » (Cahiers du cinéma, no 93, mars 1959), repris dans Piges choisies, ouvr. cité, p. 94.

25 Ibid., p. 87.

26 Ibid., p. 94.

27 Jean Narboni, « Notre alpin quotidien », Cahiers du cinéma, no 180, juillet 1966, p. 58.

28 Voir aussi, sur le sujet, Clément Rosset, Le Réel et son double, Paris, Gallimard, 1984.

29 Les études supérieures sont pour Moullet un élément de « prestige personnel, ce que n’est pas l’enseignement primaire. Il est symptomatique que le sommet de la hiérarchie de tout l’enseignement soit représenté par les professeurs d’Université alors qu’en réalité le travail des instituteurs est beaucoup plus difficile et important » (Luc Moullet, « Il n’y a pas de social valable sans burlesque » art. cit.).

30 Expression de Serge Daney à propos de Moullet qui notait la « petitesse » de son univers filmique (le terme est à entendre aussi bien positivement, mais avec un léger blâme). Voir Serge Daney, « Le cru et le cuit » (Cahiers du cinéma, nos 323-324, mai 1981), repris dans La Rampe, Paris, Cahiers du cinéma/Gallimard, 1983.

31 Luc Moullet, Entretien avec S. Daney, L. Skorecki, S. Toubiana, Cahiers du cinéma, no 283, décembre 1977, p. 40.

32 Selon Jean Narboni (« Notre alpin quotidien », art. cit., p. 60), le premier à avoir utilisé l’expression à propos de ses films aurait été Michel Delahaye en parlant de « degré zéro du cinéma ».

33 Luc Moullet, « Notre alpin quotidien. Entretien avec Emmanuel Burdeau et Jean Narboni », Paris, Capricci, 2019, p. 47.

34 Ibid., p. 33.

35 Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture (1953), dans Œuvres complètes, t. 1 (1942-1961), Paris, Le Seuil, 2002, p. 171.

36 Ibid., p. 217.

37 Ibid., p. 218.

38 Luc Moullet, « De la nocivité du langage cinématographique et de son inutilité ainsi que des moyens de lutter contre lui » dans Piges choisies, Paris, Capricci, 2009, p. 235.

39 Ibid., p. 236

40 Ibid., p. 240-241

41 Évoqué par Jean Narboni, « Notre alpin quotidien », art. cit., p. 60.

42 Le Rebelle de King Vidor : les arêtes vives, Crisnée (Belgique), Yellow Now, 2009 ; Cecil B. DeMille, l’empereur du mauve, Paris, Capricci, 2012. 

43 Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, ouvr. cité, p. 218.

44 François Zourabichvili, La Littéralité et autres essais sur l’art, ouvr. cité, p. 43.

45 Au sujet de Biette, voir Serge Daney, « Éloge d’Emma Thiers » (Cahiers du Cinéma, no 285, février 1978), repris dans La Rampe, ouvr. cité.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).
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Titre Figure 2. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).
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Titre Figure 4. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).
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Titre Figure 5. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).
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Titre Figure 6. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).
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Titre Figure 7. – Luc Moullet, La Cabale des oursins (1991).
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Titre Figure 8. – Luc Moullet, La Cabale des oursins (1991).
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Titre Figure 9. – Luc Moullet, Foix (1994).
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Titre Figure 10. – Luc Moullet, Foix (1994).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/docannexe/image/7707/img-10.png
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Titre Figure 11. – Luc Moullet, Foix (1994).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/docannexe/image/7707/img-11.png
Fichier image/png, 169k
Titre Figure 12. – Luc Moullet, La Terre de la folie (2009).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/docannexe/image/7707/img-12.png
Fichier image/png, 679k
Titre Figure 13. – Luc Moullet, Brigitte et Brigitte (1966).
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Titre Figure 14. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
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Titre Figure 15. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
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Titre Figure 16. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
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Titre Figure 17. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
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Titre Figure 18. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
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Titre Figure 19. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/docannexe/image/7707/img-19.png
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Titre Figure 20. – Luc Moullet, Foix (1994).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/docannexe/image/7707/img-20.png
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Titre Figure 21. – Luc Moullet, Un steack trop cuit (1961).
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Eugène, « Luc Moullet et le littéral »Recherches & Travaux [En ligne], 104 | 2024, mis en ligne le , consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/7707 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11xzt

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Auteur

Pierre Eugène

Université de Picardie Jules Verne
 
Pierre Eugène est maître de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne (Amiens) et membre du comité de rédaction des Cahiers du cinéma. Il travaille sur Serge Daney (Exercices de relecture, Serge Daney 1962‑1982, Éditions du Linteau, 2023), plus généralement sur les écrits suscités par le cinéma, et plus récemment sur les liens entre cinéma et poésie. Il s’intéresse aussi aux cinématographies hollywoodiennes classiques et européennes modernes, et au cinéma impur. Outre des publications en revue (Trafic, Artpress), il a collaboré aux Écrits complets d’André Bazin (Macula, 2018) dirigés par Hervé Joubert-Laurencin, et codirigé avec ce dernier et Philippe Fauvel un ouvrage collectif sur le critique-cinéaste Jean-Claude Biette : Jean-Claude Biette, appunti et contrappunti (De l’Incidence, 2018). Il prépare actuellement un petit livre sur Femmes femmes de Paul Vecchiali pour les éditions Yellow Now.

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