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Et pourtant ils tournent… des adaptations

« […] ces incendies de livres que je vais avoir tant de plaisir à filmer ». Fahrenheit 451 par François Truffaut

“[...] these book fires that I’m going to have so much fun filming”. Fahrenheit 451 by François Truffaut
Anna Saignes

Résumés

Cet article se propose de réfléchir sur les raisons profondes qui ont pu inciter François Truffaut à adapter le roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451. Il avance l’hypothèse que dans le roman de science-fiction le réalisateur emblématique de la Nouvelle Vague a trouvé matière à travailler l’idée d’une opposition entre les livres et les écrans (de télévision ou de cinéma) et à s’interroger sur la valeur rédemptrice de la littérature.

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Texte intégral

  • 1 Le roman est d’ailleurs disponible dans la collection « Classico collège » chez Belin.
  • 2 Ces problèmes sont, certes, principalement liés à des contingences matérielles. Cf., Antoine de Bae (...)
  • 3 Ibid., p. 321.
  • 4 François Truffaut, Journal du tournage, dans La Nuit américaine, suivi du Journal de tournage de Fa (...)

1Réfléchir sur l’adaptation de Fahrenheit 451 par François Truffaut n’est pas une entreprise facile : d’un côté, un film que beaucoup jugent raté (y compris Truffaut lui-même) ; de l’autre, un roman qui a certes marqué les esprits — avec ses bûchers de livres — mais qui n’est pas considéré comme un chef-d’œuvre, un roman qu’on fait lire aux collégiens1, un texte un peu naïf, subordonné à un message — il faut bien le reconnaître — plutôt convenu, avec lequel on ne peut pas ne pas être d’accord et qui semble se résumer à l’idée que la liberté ne saurait advenir là où il est interdit de lire et de penser. Finalement, on peut s’étonner que Truffaut s’y soit intéressé. On pourrait même se demander si les nombreux problèmes que le réalisateur a rencontrés pendant le tournage ne seraient pas liés, entre autres2, à un certain manque de conviction de sa part quant à l’intérêt du roman de Bradbury. Au moment de sa sortie, le film reçoit un accueil dans le meilleur des cas poli, le plus souvent froid ; il est jugé « académique3 ». Pour expliquer son désir d’adapter Fahrenheit 451, Truffaut affirme avoir été séduit par quelques images que l’adaptation serait prétexte à filmer. Ainsi, dans le Journal du tournage4, publié en feuilleton dans les Cahiers du cinéma tout au long de la réalisation du film, pouvons-nous lire :

C’est lui [Bradbury] qui a inventé ces incendies de livres que je vais avoir tant de plaisir à filmer et pour lesquels j’ai voulu la couleur. Une vieille dame qui se laisse brûler avec ses livres plutôt que de s’en séparer, le héros qui « grille » son capitaine, voilà des choses que j’aime voir à l’écran et que j’aimer filmer, mais que mon imagination trop liée au réel ne pourrait concevoir. Après David Goodis et Henri-Pierre Roché, Ray Bradbury vient à mon secours et m’offre des situations fortes dont j’ai besoin pour échapper au documentaire.

2Truffaut s’apprêterait donc à tourner un film entier pour le plaisir de filmer quelques flammes ? Une fois le film terminé, Truffaut montre peu d’enthousiasme quant au résultat final :

  • 5 Ibid., p. 184.

J’aime bien le film quand je le vois par fragments ou par trois bobines à la fois, mais il me paraît ennuyeux quand je le regarde d’un bout à l’autre […] Pour l’instant, pendant les projections, j’attends les scènes qui me plaisent et je ferme les yeux quand arrive un plan qui me dégoute trop5.

3Pourtant, Truffaut termine son Journal de tournage par une interrogation :

  • 6 Ibid. p. 189.

Je ne sais pas ce que donnera le film, je sais qu’il ne ressemblera que de loin à tout ce que j’ai écrit ici. […] Or, sur l’écran, on ne verra que cela, ce qui était dans nos têtes, la folie de Bradbury puis la mienne et si elles se mélangent bien6.

  • 7 En effet, les analystes, d'ailleurs peu nombreuses, de Fahrenheit 451, ignorent cet angle d'attaque (...)

4Cet article se propose d’explorer l’hypothèse suggérée ici par Truffaut lui-même : la folie de Truffaut et celle de Bradbury se mélangent bien car il y a une affinité profonde entre le réalisateur Nouvelle Vague et l’auteur de science-fiction. Le premier a trouvé chez le second bien plus qu’un prétexte pour filmer des incendies : une occasion de penser le rapport des livres et des images dans un monde en proie à la prolifération des écrans. On se propose ici de partir du roman de Bradbury, en mettant de côté le contexte de la Nouvelle Vague, la fascination truffaldienne pour Hitchcock ainsi que les traumatismes hantant le réalisateur, pour poser sur le film de Truffaut un regard nouveau, non pas afin de vérifier la fidélité de l’adaptation — à supposer qu’une telle fidélité soit possible — mais plutôt pour déceler dans le film des traces, ou des prolongements, d’une interrogation qui habite en profondeur le roman sur les pompiers brûleurs de livres7.

Ténèbres et embrasement

  • 8 La longue période de mise en route du tournage de Fahrenheit 451 est aussi celle de la préparation (...)

5Le film de Truffaut suit la trame du roman d’assez près. Le changement le plus manifeste est assurément la promotion du personnage de Clarisse, interprété par Julie Christie. Dans le roman, ce personnage a certes un rôle crucial parce que c’est la rencontre avec la jeune fille qui déclenche la métamorphose de Montag (de brûleur de livres en amateur de livres), mais Clarisse disparaît définitivement du roman à la cinquante-cinquième page de l’édition française, très probablement supprimée par les pompiers. Dans le film, elle est présente jusqu’à la fin, moyennant la suppression du personnage de Faber, vieux professeur qui, dans le roman, se charge de poursuivre l’initiation de Montag, une fois Clarisse disparue. L’opération permet — on le comprend facilement — de construire le film autour du couple formé par les deux vedettes du film, Oscar Werner et Julie Christie, lancés dans une course effrénée pour échapper à la mort qui attend les rebelles, et de conférer ainsi au film un rythme hitchcockien8, auquel contribue également la musique composée par Bernard Hermann. Truffaut a cependant dû résoudre un autre problème posé par le texte de Bradbury, et c’est là qu’on trouve un écart plus intéressant qui tient à la dimension visuelle proprement dite du livre d’une part et du film de l’autre.

  • 9 Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953), trad. de l’américain par Jacques Chambon et Henri Robillot, Pa (...)

6Un spectateur qui a lu Fahrenheit 451 pourra sans doute s’étonner des décors dans lesquels se déroule l’action dans le film, et qui restent globalement réalistes, malgré une certaine surreprésentation des couleurs rouge et orange. En effet, l’action du roman prend place dans un futur dystopique, un monde qu’on est tenté d’imaginer sous le signe de la high-tech : on y trouve des gants identificateurs9 pour ouvrir les portes, un grille-pain pourvu d’une main métallique qui beurre les tartines (F 39), un féroce robot mi-chien mi-insecte à huit pattes au service des pompiers (F 46-47), et bien sûr, des écrans géants qui couvrent entièrement les deux murs du salon dans la maison du couple formé par Montag et Mildred (Linda dans le film). Toutefois, ces touches futuristes restent très ponctuelles et Bradbury ne prend pas le temps de vraiment décrire le décor. Truffaut a donc dû tout inventer. Il a pris le parti de tourner dans un décor réaliste, c’est-à-dire, à peu de choses près, un monde qui correspond à l’idée qu’on se fait du confort moderne vers 1965 — selon les mots de Truffaut lui-même —, tout juste un peu décalé en raison de la présence de quelques objets renvoyant non pas tant à un futur imaginaire mais, au contraire, à un temps déjà révolu en 1965, ce qui donne au film un air de « James Bond au Moyen Âge » :

  • 10 François Truffaut, Journal de tournage, ouvr. cité, p. 120.

Je reprends les téléphones à cornet de Griffith, les robes de Carole Lombard et Debbie Reynolds, la voiture de pompiers de Mf. Deeds. Je cherche à faire de l’anti-gadget et, à un certain moment, Linda offre à Montag un superbe rasoir à main (coupe-choux) et jette au panier le vieux Philips à piles10

7Ce décor caractéristique des années 1960, émaillé de quelques touches anachroniques, n’est donc en aucun cas une trahison par rapport au roman ; du point de vue du décor, tout — ou presque — était à inventer.

8Cependant, si dans le roman Fahrenheit 451, le lecteur n’est pas invité à contempler le décor, c’est parce que Bradbury cherche à attirer son attention sur autre chose. Que « voit-on » dans le roman Fahrenheit 451 ? On y voit avant tout des ténèbres que viennent interrompre quelques embrasements spectaculaires, une alternance qui n’est pas vraiment retenue par Truffaut. Le roman s’ouvre sur une de ces scènes d’embrasement. Montag est en train de mettre le feu à un tas de livres :

Le plaisir d’incendier !
Quel plaisir extraordinaire c’était de voir les choses se faire dévorer, de les voir noircir et se transformer.
Les poings serrés sur l’embout de cuivre, armé de ce python géant qui crachait son venin de pétrole sur le monde, il sentait le sang battre à ses tempes, et ses mains devenaient celles d’un prodigieux chef d’orchestre dirigeant toutes les symphonies en feu majeur pour abattre les guenilles et les ruines carbonisées de l’Histoire.
[…] il actionna l’igniteur d’une chiquenaude et la maison décolla dans un feu vorace qui embrasa le ciel du soir de rouge, de jaune et de noir. 
Comme à la parade, il avança dans une nuée de lucioles. […] tandis que les livres, comme autant de pigeons battant des ailes, mouraient sur le seuil et la pelouse de la maison. Tandis que les livres s’envolaient en tourbillons d’étincelles avant d’être emportés par un vent noir de suie. (F 21)

9Dans le film, cette scène n’arrive que quelques minutes après le début (6 min 50 s) parce qu’elle est précédée par les images du départ des pompiers de la caserne, de la fouille de la maison, des livres jetés par la fenêtre, qui ne manquent pas de faire penser au chapitre six de Don Quichotte, où la nièce, la gouvernante, le barbier et le curé passent par la fenêtre toute la bibliothèque de l’hidalgo (on notera qu’un exemplaire de Don Quichotte est retrouvé par les pompiers, caché dans une lampe). La suite de la première partie, dans le roman, se déroule de nuit. Après avoir effectué sa mission, Montag retourne chez lui en métro :

La paroi du métro défilait sous ses yeux, carreaux crème, noir de jais, carreaux crème, noir de jais, chiffres et ténèbres, encore des ténèbres, tout cela s’additionnant tout seul. (F 109)

10Le lecteur n’est invité à imaginer aucun élément du décor, mis à part les carreaux crémeux de l’escalier mécanique. Le texte mentionne seulement des sensations non visuelles, des indices d’une ambiance impalpable, ce qui confirme l’impression d’une plongée dans les ténèbres. À la sortie du métro, Montag ne perçoit que le « souffle de vent » (F 22), une « sensation des plus bizarres » (F 22-23), l’« impression d’une présence », « un calme étrange » (F 22-23), « un souffle à peine audible », « un léger parfum » (F 25). C’est alors qu’apparaît Clarisse, « le visage brillant comme neige dans le clair de lune » (F25). Dans le film, la rencontre avec Clarisse a lieu en plein jour, à la sortie du métro suspendu (7 min 30 s). Tout de suite après, dans le roman, Montag rejoint le domicile conjugal et se retrouve à nouveau dans le noir le plus complet. En entrant dans la chambre à coucher, il a l’impression d’entrer

[…] dans le froid glacial d’un mausolée de marbre après le coucher de la lune. Une obscurité totale, pas le moindre soupçon du monde argenté au-dehors, fenêtres hermétiquement fermées : il était dans un caveau où nul écho de la vaste cité ne pouvait pénétrer. (F 31)

  • 11 Truffaut se dit insatisfait de ce décor, pour lequel il aurait voulu « des violents contrastes anci (...)

11Rien de tel dans le film, où la scène est l’occasion de découvrir l’intérieur bourgeois où Montag habite avec son épouse11 (13 min 20 s). Dans la suite de cette première partie, toujours dans le roman, on trouve des scènes qui prennent place dans l’appartement de Montag, dans la caserne des pompiers, et une série de rencontres avec Clarisse, mais le décor n’est jamais décrit parce que ces scènes sont presque entièrement constituées de dialogues. La première partie s’achève sur l’incendie de la maison de la vieille dame qui s’immole avec ses livres, mais Bradbury n’en tire pas prétexte pour décrire un incendie. S’il y a des images d’incendie, c’est seulement sur le visage de Beatty :

À sa vue, les hommes se ruèrent hors de la maison. Le capitaine Beatty, conservant sa dignité, franchit lentement le seuil à reculons, son visage rose brillant de l’éclat de mille brasiers et de mille nuits tumultueuses.
Dieu, pensa Montag, comme c’est vrai ! C’est toujours la nuit que l’alerte est donnée. Jamais en plein jour ! Est-ce parce que le feu offre un spectacle plus beau la nuit ? Parce que ça rend mieux, que ça en impose davantage ? (F 64)

12La scène dans le roman s’interrompt quand la femme gratte une allumette. Dans le film, en revanche, l’épisode donne lieu à des images d’incendie mémorables, qui constituent sans doute le point culminant du film, d’autant plus que la scène se situe presque en son milieu (1 h 2 min 30 s). Toute la première partie du roman se construit ainsi sur une alternative ténèbres/embrasement, à laquelle échappent les quelques brèves rencontres avec Clarisse, dont Bradbury prend la peine de mentionner qu’elles se déroulent à la lumière du jour :

Un deux trois quatre cinq six sept jours. Et chaque fois qu’il sortait de chez lui, Clarisse apparaissait quelque part dans le monde. Une fois il la vit secouer un noyer, une autre fois assise sur la pelouse en train de tricoter un pull bleu ; à trois ou quatre reprises il trouva un bouquet de fleurs tardives sur son perron, ou une poignée de marrons dans un sachet, ou encore des feuilles d’automne épinglées sur un papier blanc punaisé à sa porte. Chaque jour Clarisse l’accompagnait jusqu’au coin de la rue. Un jour il pleuvait, le lendemain il faisait beau, le surlendemain le temps était doux, et le jour suivant cette douceur se transformait en fournaise estivale et le visage de Clarisse était tout bronzé en fin d’après-midi. (F 50-51)

13La deuxième partie du roman, « Le sable et le tamis », est, quant à elle, le lieu d’un embrasement qui confine à l’apocalypse. Montag y devient féru de lecture et se transforme en rebelle, ce qui l’amène à brûler plus encore. Il envisage de retourner ses armes de pompier contre les pompiers et les maisons de ses collègues. Les incendies projetés par Montag vont de pair avec un embrasement plus général du monde, c’est-à-dire la guerre :

Cette nuit-là, on sentait la guerre imminente dans le ciel. À la façon dont les nuages s’écartaient pour revenir aussitôt, à l’éclat des étoiles qui flottaient par milliers entre les nuages, comme des yeux ennemis, à l’impression que le ciel allait tomber sur la cité, la réduire en poussière, et la lune exploser en un rouge embrasement. Tel était le sentiment que donnait la nuit. (F 126)

14Cet embrasement a lieu aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, dans les appartements, où il est l’effet des écrans de télévision, qui — littéralement — allument des feux dans les foyers. Pour s’en convaincre, il suffit de relire, par exemple, la description de l’arrivée dans l’appartement de Montag des amies de sa femme, pour une soirée télévision :

À neuf heures du soir, il était en train de prendre un dîner léger quand la porte d’entrée appela dans le couloir. Mildred se rua hors du salon comme un autochtone fuyant une éruption du Vésuve. Mme Phelps et Mme Bowles franchirent le seuil et disparurent dans la gueule du volcan, des martinis à la main. Montag s’arrêta de manger. Elles ressemblaient à un monstrueux lustre de cristal tintant sur mille tonalités, il vit leurs sourires de chat du Cheshire s’imprimer, flamboyants, sur les murs de la maison, et voilà qu’elles criaient à tue-tête pour se faire entendre dans le vacarme général. (F. 128)

15On ne retrouve aucune trace de cette éruption volcanique psychédélique dans le film (1 h 3 min 50 s).

16Au début de la troisième partie du roman, « L’éclat de la flamme », l’embrasement se poursuit. Montag brûle sa maison, avec délectation, en même temps que son capitaine, qu’il transforme en « une torche hurlante, un pantin désarticulé, gesticulant et bafouillant, sans plus rien d’humain ni de reconnaissable, une masse de flammes qui se tordait sur la pelouse » (F 158). Cet épisode donne lieu à une autre — la troisième — puissante scène d’incendie dans le film (1 h 30 min 50 s). Après cet acte de rébellion ouverte, le héros fuit — dans le roman comme dans le film — hors de la ville et rencontre les hommes-livres, une communauté de rebelles dont chaque membre a appris par cœur un livre. Un ultime embrasement a alors lieu puisque depuis la forêt, en compagnie des hommes-livres, Montag assiste à la destruction de sa ville, réduite à un halo lumineux après que quelques avions ont déchiré le ciel (F 210). La toute dernière scène du roman, cependant, se déroule à la lumière du soleil levant :

Ils achevèrent leur repas et éteignirent le feu. Autour d’eux, le jour resplendissait comme si l’on avait remonté la mèche d’une lampe rose. Dans les arbres, les oiseaux qui s’étaient enfuis revenaient se poser. (F 212)

17Le feu est éteint, les oiseaux qui tout au long du roman ont été associés aux livres — ces livres qu’on a vus s’envoler au début en tourbillons d’étincelles — retrouvent leur place naturelle dans le décor.

Sortir des ténèbres

  • 12 François Truffaut, Journal de tournage, ouvr. cité, p. 190.

18La construction du roman, autour de l’opposition entre ténèbres, embrasement et lumière, n’est donc pas retenue par Truffaut, qui semble se complaire à filmer les décors bourgeois légèrement décalés qu’il a lui-même imaginés, comme il l’écrit à la dernière page du Journal de tournage : « il s’agissait de traiter une histoire fantastique avec familiarité, en rendant banales les scènes trop étranges et anormales les scènes quotidiennes12 ». Les scènes d’incendies semblent les seules à correspondre à la matière proprement visuelle du roman. L’opposition est pourtant essentielle chez Bradbury. Faut-il en conclure que Truffaut n’a pas compris le roman de Bradbury ? Ou, du moins, qu’il en a détourné le propos ?

19En effet, le roman raconte l’histoire d’un homme aveuglé par la lumière des bûchers de livres, qui recouvre la vue. Montag n’est d’ailleurs pas le seul aveugle de l’histoire. Car, en même temps qu’ils aveuglent Montag, les incendies du roman aveuglent aussi le lecteur. Les déclarations de Truffaut sont à cet égard éloquentes : de sa lecture du roman, Truffaut semble ne retenir que les images d’embrasement, ces incendies de livres, aussi effrayants — en vertu de leur dimension symbolique : la fin de la culture — que fascinants, et même hypnotisants. Il est, à ce titre, un peu dans la peau de Beatty, le capitaine des pompiers, qui avoue aimer par-dessus tout le spectacle de l’incendie, sentiment partagé un temps par Montag. Quant aux écrans de télévision, ils ne sont qu’une autre forme de cet incendie : comparables au Vésuve en éruption, ils aveuglent et hypnotisent. Les écrans sont ainsi pour Linda, la femme de Montag, ce que le feu est pour son mari. Or, ne voir que ces images d’apocalypse, images des livres en feu et des écrans de la télévision, c’est se laisser anéantir par ces images, c’est être incapable de voir autre chose que les brasiers et les ténèbres.

20L’enjeu du roman est donc le dépassement de l’alternative entre ténèbres et brasier, un brasier qui est aussi bien incendie de livres qu’éclat mortifère des écrans de télévision. Fahrenheit 451 n’est pas un roman à la gloire de la littérature, ni même sur l’horreur que serait un monde sans livres. C’est l’histoire d’un homme, Montag, plongé dans les ténèbres, parce qu’il est aveuglé par le spectacle de l’apocalypse mais qui parvient à se défaire de cette fascination mortifère. Alors que dans le film Montag lit aux amies de sa femme, invitées à regarder la télévision, le début de David Copperfield, dans le roman il s’agit du poème « Dover Beach » (« La Plage de Douvres ») de Matthew Arnold (1867) :

Ah, mon aimée, soyons fidèles

L’un à l’autre !
Car le monde, image sans trêve
De ce qu’on penserait être un pays de rêve,
Si beau en sa fraîcheur nouvelle,

Ne renferme ni joie, ni amour, ni clarté,

Ni vérité, ni paix, ni remède à nos peines ;

Et nous sommes ici comme dans une plaine
Obscure, traversée d’alarmes, paniquée,

Où dans la nuit se heurtent d’aveugles armées. (F 131)

  • 13 Anne Gillain, Tout Truffaut, ouvr. cité, p. 79-80.
  • 14 Ibid., p. 81.

21On comprend pourquoi Bradbury a choisi ce poème : les trois derniers vers rendent parfaitement compte de la situation de Montag, au moment où il commence à remettre en question son adhésion totale à un pouvoir qui brûle les livres. Anne Gillain explique pourquoi Truffaut a voulu introduire dans son film le roman de Dickens : il s’agit de l’un des ouvrages favoris de Truffaut qui, lorsqu’il était enfant, avait trouvé dans l’une des premières phrases de David Copperfield — « Quand je suis venu au monde, mon père était mort depuis six mois. » — un écho de l’atmosphère mystérieuse qui flottait autour de sa propre naissance13. Le livre demeure ainsi ce qui « donne une identité que la vie refuse et la lecture apporte le bonheur affectif absent du foyer familial14 ».

22L’image — au sens élargi du terme — de la sortie hors de la plaine obscure traversée d’alarmes constitue un fil qui traverse tout le roman. Même s’il a substitué un texte à un autre, Truffaut, n’a peut-être pas entièrement laissé de côté les enjeux que cette image véhicule. Quels sont ces enjeux ? Souvenons-nous que c’est d’abord Clarisse qui trouble Montag par ses paroles et son mode de vie étranges : elle aime se promener à pied (F 25), ne regarde pas les murs-écrans, ne va pas dans les parcs d’attractions (F 28), demande à Montag s’il lui arrive de lire les livres qu’il brûle et s’il est heureux (F 29). Mais en même temps que par ses propos, Clarisse trouble Montag par le regard qu’elle pose sur les choses et sur lui-même. Lorsqu’il la voit pour la première fois : « La tête à demi penchée vers le sol, elle regardait ses chaussures rompre le tourbillon des feuilles. » (F 23) Du visage de la jeune femme se dégage « une espèce d’avidité sereine, d’inlassable curiosité pour tout ce qui l’entourait », alors que « ses yeux sombres se fixaient sur le monde avec une telle intensité que nul mouvement ne leur échappait » (F 23-24). Sortir des ténèbres est même son occupation par excellence, comme elle le raconte elle-même : « J’aime humer les choses, regarder les choses, et il m’arrive de rester toute la nuit debout, à marcher, et de regarder le soleil se lever. » (F 25) Lorsqu’il devient lui-même objet du regard de Clarisse, Montag se sent regardé comme il ne l’a jamais été en même temps qu’il se rend compte que lui-même regarde désormais avec une attention nouvelle, parce qu’il commence à se voir dans les yeux de la jeune femme. L’image de lui qu’il y trouve est à l’origine d’une expérience de la plénitude pour le pompier habitué à s’abîmer dans les tourbillonnements incandescents :

Il se vit dans les yeux de la jeune fille, suspendu au sein de deux gouttes d’eau claire étincelantes, sombre et minuscule, rendu dans les moindres détails, jusqu’aux plis aux commissures des lèvres, qui étaient là avec tout le reste, comme si ces yeux, fragments jumeaux d’ambre violet, avaient le pouvoir de l’emprisonner et de le conserver dans son intégralité. (F 26)

23Enfin, Clarisse — la bien nommée — surprend Montag par l’espèce de lumière qu’elle dégage : « l’éclair blanc de son visage » (F 24), « le visage brillant comme neige dans le clair de lune » (F 25). L’éclat de son visage est à l’opposé du feu qui aveugle et de la « lumière hystérique des écrans ». Qui plus est, la lumière associée à Clarisse convoque des images de bonheur liées à l’enfance :

Son visage, désormais tourné vers lui, était un bloc de cristal laiteux, fragile, d’où sourdait une lueur douce et continue. Ce n’était pas la lumière hystérique de l’électricité mais… quoi ? La flamme étrangement reposante, rare et délicatement attentionnée de la bougie. Un jour, quand il était enfant, lors d’une panne d’électricité, sa mère avait trouvé et allumé une grande bougie et il avait connu une heure trop brève de redécouverte, d’illumination de l’espace telle que celui-ci perdait ses vastes dimensions et se resserrait douillettement autour d’eux, mère et fils, seuls, transformés, nourrissant l’espoir que le courant ne reviendrait pas trop vite…(F 26)

24La rencontre avec Clarisse est ainsi placée sous le triple signe de la parole subversive, du regard attentif et d’une lumière apaisante. Clarisse est l’antithèse de Linda, la femme de Montag, dont les yeux sont comme « deux pierres de lune noyées au fond d’un ruisseau limpide sur lesquelles courait la vie du monde, sans les toucher ». (F 33) Et lorsque, dans la troisième partie, Montag décide de ne plus jamais rien brûler, sa décision va de pair avec celle de regarder :

Désormais, je veux tout voir. Et même si rien ne sera moi au moment où je l’intérioriserai, au bout d’un certain temps tout s’amalgamera en moi et sera moi. Regarde le monde qui t’entoure, sapristi, regarde le monde extérieur, ce monde que j’ai sous les yeux ; la seule façon de le toucher vraiment est de le mettre là où il finira par être moi, dans mon sang, dans mes veines qui le brasseront mille, dix mille fois par jour. Je m’en saisirai de telle façon qu’il ne pourra jamais m’échapper. Un jour j’aurai une bonne prise sur lui. J’ai déjà un doigt dessus ; c’est un commencement. (F 209)

  • 15 Georges Didi-Huberman, Survivance des Lucioles, Paris, Les Éditions de Minuit, 2009.
  • 16 Pier Paolo Pasolini, « L'article des lucioles » [1975], Écrits corsaires, trad. Philippe Guilhon, P (...)

25Le propos du roman de Bradbury s’éclaire très bien — pour jouer avec les mots — à la lumière de l’essai de Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles15. L’auteur s’y attaque au pessimisme politique, illustré par les écrits de Pier Paolo Pasolini, de Guy Debord, et surtout de Giorgio Agamben, penseurs dont le pronostic sur notre avenir est sans recours. Cette résignation au pessimisme, Didi-Huberman l’appelle incapacité de voir les lucioles, en s’inspirant du texte fameux de Pasolini sur la disparition des lucioles en Italie16. Pasolini y parle de « génocide », pour désigner un mouvement généralisé de dépérissement culturel face à l’installation d’un système fondé sur le consumérisme et l’hédonisme à outrance.

  • 17 Georges Didi-Huberman, ouvr. cité, p. 25.

Il faut alors comprendre, commente Georges Didi-Huberman, que l’improbable et minuscule splendeur des lucioles, aux yeux de Pasolini — ces yeux qui savaient si bien contempler un visage ou laisser se déployer le geste juste dans le corps de ses amis, de ses acteurs — ne métaphorise rien d’autre que l’humanité par excellence, l’humanité réduite à sa plus simple puissance de nous faire signe dans la nuit.17

  • 18 Ibid., p. 68.

26Les lucioles ont-elles réellement disparu, se demande Georges Didi-Huberman ? Ou bien est-ce seulement que leurs signaux intermittents et fragiles sont devenus imperceptibles à ceux qui se laissent aveugler par l’embrasement apocalyptique ? Faut-il nécessairement passer par « le grandiose paysage d’une destruction radicale pour qu’advienne la révélation d’une vérité supérieure et non moins radicale18 » ? La question posée par Didi-Huberman fait écho au roman de Bradbury : il y est question d’horizon apocalyptique, mais surtout, l’auteur souligne que pour les tenants du pessimisme politique, l’embrasement apocalyptique est produit par la lumière des écrans des téléviseurs (et des projecteurs qui célèbrent le pouvoir). Pour Didi-Huberman, les lucioles existent toujours mais on ne les aperçoit que si on ne se laisse pas aveugler par l’embrasement apocalyptique. Montag, lui, est aveuglé par l’horizon apocalyptique et ne voit que les brasiers, jusqu’au moment où il rencontre le regard de Clarisse.

Les images malgré tout

27On l’a dit, Truffaut insiste à plusieurs reprises sur la fascination qu’exercent sur lui les livres en feu. Est-il comme Montag, aveuglé par les bûchers de livres, hypnotisé par l’apocalypse ? Les images d’antennes de télévision (sur fond de ciels aux couleurs changeantes), qui illustrent le générique exclusivement parlé du film, semblent aller dans ce sens : la télévision est partout et le monde est placé sous la domination totale des écrans. Truffaut, en quête d’images que son imagination trop liée au réel ne peut concevoir, s’est-il laissé subjuguer par cette forme d’apocalypse qu’est l’embrasement cathodique ? Le film ne contient que trois scènes d’incendie même si la couleur rouge est très présente dans les décors et les objets : camion des pompiers, bâtiments, murs, vêtements, meubles, vases…. On ne peut pas dire que Truffaut ait abusé du spectaculaire. Serait-ce parce que, comme Montag, il a réussi à s’arracher à la fascination mortifère ?

28Il est possible de comprendre dans ce sens la transposition de l’épisode final du roman, où Montag, après avoir incendié sa propre maison et son capitaine, trouve refuge à l’extérieur de la ville, dans un cadre naturel, où vivent des hommes et des femmes qui connaissent, chacun, un livre par cœur, transformant leur corps en autant d’abris pour la littérature. Montag décide d’en faire de même et d’apprendre par cœur l’Ecclésiaste et l’Apocalypse (chez Truffaut il apprend Les Histoires extraordinaires). Cette conclusion du roman articule clairement la résistance à l’oppression avec la littérature ; préserver la littérature c’est combattre la tyrannie. Pourtant, il semble que le roman dise encore autre chose, et même peut-être surtout autre chose. Car l’épisode des hommes-livres correspond à une ultime étape de l’initiation de Montag, où le pompier est amené à se défaire, aussi, d’une conception absolutiste du livre. Montag a longtemps pensé que le livre était une solution à son mal-être. Il a été littéralement obsédé par les livres, il a voulu tout lire. Le film le montre peut-être encore mieux que le roman parce que les livres sont omniprésents à l’écran, et il ne s’agit pas seulement — loin de là — des livres en flammes. Ils apparaissent de tous côtés, cachés sous le manteau, dans un sac, une lampe, un grille-pain, une bouteille Thermos, une corbeille à linge sale, un poste de télévision… Ils envahissent littéralement l’écran. Le film suggère que Truffaut est encore plus fasciné par les livres que par les incendies. Or, une fois parvenu chez les hommes-livres, après sa cavalcade à travers la « plaine obscure traversée d’alarmes », Montag décide de ne plus jamais rien brûler au moment même où il comprend que les livres ne contiennent pas la solution, qu’ils ne possèdent pas de valeur rédemptrice intrinsèque. Pour le dire encore autrement : la fascination pour les bûchers de livres et l’élévation du livre au rang d’absolu sont, en dépit des apparences, l’avers et le revers d’une même médaille. Pour retrouver la vue, il faut se défaire de l’idée de l’anéantissement de la culture et cesser de concevoir le livre comme une idole dont l’immolation serait rédemptrice. C’est seulement à cette condition que le feu peut redevenir « un feu qui réchauffe » (F 189), c’est-à-dire reprendre sa juste place. La conception de la littérature qui sous-tend le roman Fahrenheit 451 est formulée de manière assez explicite par Granger, le chef des hommes-livres. Le livre est placé sous le signe de l’incertitude :

[Les hommes-livres] n’étaient pas du tout sûrs que ce qu’ils transportaient dans leur tête ferait briller chaque aube à venir d’une lumière plus pure, ils n’étaient sûrs de rien sinon que les livres étaient enregistrés derrière leurs yeux impassibles, qu’ils attendaient, intacts, les clients qui pourraient se présenter des années plus tard, les uns avec les doigts propres, les autres avec les doigts sales. (F 200)

29Enfin, le roman se termine sur un monologue intérieur de Montag, qui exprime la dimension dérisoire, et pourtant essentielle, de la part de chaque individu :

Et quand viendrait son tour, que pourrait-il dire, que pourrait-il offrir en ce jour, pour agrémenter un peu le voyage ? Toutes choses ont leur temps. Oui, tout ça. Mais quoi d’autre ? Quelque chose, quelque chose… Des deux côtés du fleuve était l’arbre de vie qui porte douze fruits et donne son fruit chaque mois ; et les feuilles de cet arbre sont pour guérir les nations. Oui, se dit Montag, voilà ce que je vais retenir pour midi… (F 212-231)

  • 19 « Le choix de ce livre est un os à ronger aux critiques lettrés qui se feront un plaisir de me sign (...)
  • 20 Cf. Anne Gillain, ouvr. cité, p. 83.

30La transposition de cet épisode ultime est particulièrement réussie dans le film (à partir de 1 h 40 min) parce que le réalisateur est parvenu à mettre en images ce qui dans le roman est l’objet d’un exposé, pris en charge par Granger, qui en explique le fonctionnement à Montag. Les séquences consacrées aux hommes-livres dans le film font plus efficacement contrepoids aux images d’incendies des livres. À l’extrême opposé du spectacle grandiose et pathétique des livres en flammes, elles montrent des livres — littéralement — humanisés, dans un cadre ordinaire et même trivial, fragiles mais aussi investis d’une force nouvelle. Henry Brulard (l’homme qui connaît par cœur La Vie d’Henry Brulard), remplaçant le Granger du livre, intervient de temps en temps pour présenter au nouveau venu les membres de son groupe, au hasard d’une promenade, mais il le fait discrètement parce que les images parlent d’elles-mêmes. Les livres y sont incarnés par des hommes ordinaires, qui se livrent en les récitant à des activités triviales : La République de Platon lave des pommes de terre, Le Prince de Machiavel se fait couper les cheveux par Les Aventures de Mr Pickwick, Le Voyage du pèlerin de John Bunyan fend du bois, Réflexions sur la question juive de Jean-Paul Sartre est une jeune femme blonde qui rougit facilement… Hermiston, le juge pendeur (Stevenson) est certes en train de mourir mais le pathos est désamorcé parce qu’il profite de ses derniers moments pour transmettre le livre qu’il incarne à un petit garçon qui prend le relais et qui — on n’en doute pas — s’acquittera de sa tâche même si, pour l’instant, il bafouille encore. Les hommes-livres ne sont pas dénués de faiblesses ni à l’abri du ridicule, tels Orgueil et préjugés tome I et Orgueil et préjugés tome II, des jumeaux habillés à l’identique, qui font les mêmes gestes, parlent en même temps, et se vexent lorsqu’on appelle l’un d’eux « orgueil » et l’autre « préjudice19 ». En d’autres mots, les livres sont désacralisés, déboulonnés de leur bûcher et débarrassés de leur statut de victimes qu’on immole. Le film s’achève sur l’image d’hommes et de femmes, ordinaires, qui déambulent tout en récitant chacun son livre, dans une langue différente, le tout sous la neige, qui est justement tombée ce jour-là sur Londres20. Autant dire : les livres deviennent vivants, et humains. Quant à la littérature, elle se fait parole errante, parce qu’on ne sait à qui elle s’adresse, parce que nul ne sait à qui elle va un jour, peut-être, parvenir. Ainsi, Truffaut a su convertir en images ce que Bradbury n’a su exprimer que sous la forme du discours, et de cette façon déplacer le centre de gravité du roman. En même temps, il a donné la preuve que les images d’un film, celles qu’on peut voir sur un écran, peuvent être plus aptes à parler d’un livre que le livre lui-même. Les écrans ne sont pas voués à montrer les éruptions volcaniques et les incendies. On peut alors imaginer qu’en tournant Fahrenheit 451, Truffaut s’est, lui aussi, départi d’une vision absolutiste du livre, qui place toujours le livre au-dessus de l’écran.

31Ainsi, la matière visuelle du roman et celle du film ne sont pas en adéquation totale, sans doute parce que respecter, sur ce point, le roman aurait signifié, pour Truffaut, un arrachement radical au réalisme. Cependant, les dernières images du film semblent indiquer une compréhension plus que fine par Truffaut des enjeux du roman, une affinité entre le réalisateur et l’auteur de science-fiction, plus profonde que ce que laissaient entendre les propos du faiseur d’images sur le plaisir de filmer les incendies. Bradbury dit que les livres ne possèdent pas de valeur rédemptrice et qu’il faut regarder le monde. Truffaut ajoute : on peut même regarder les écrans et il y a des écrans qui parlent très bien des livres.

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Notes

1 Le roman est d’ailleurs disponible dans la collection « Classico collège » chez Belin.

2 Ces problèmes sont, certes, principalement liés à des contingences matérielles. Cf., Antoine de Baecque et Serge Tubiana, François Truffaut, Paris, Gallimard, 1996, p. 315-316 : « Truffaut est épuisé par Fahrenheit avant même de l'avoir tourné. Cela fait quatre ans qu'il porte en lui ce projet, qu'il en a écrit quatre versions différentes, avec quatre scénaristes différents. Une bonne demi-douzaine de producteurs s'y sont intéressés, ainsi qu'une vingtaine d'acteurs possibles. Et, au moment où il peut enfin le tourner, le cinéaste semble indifférent, presque passif, comme s'il était miné de l'intérieur par ce long parcours, écrasé par le poids d'une trop lourde machine. Truffaut aimerait dire et faire dire à ses personnages qu'une histoire d'amour possède un début, un milieu et une fin. Sur bien des points, on pourrait penser la même chose d'un film. Et Fahrenheit 451 semble avoir épuisé sa durée de vie avant même d'avoir été tourné. » Et le tournage est, lui, marqué par le conflit entre Truffaut et Oscar Warner (cf., A. de Baecque et S. Tubiana, ibid., p. 319-320.)

3 Ibid., p. 321.

4 François Truffaut, Journal du tournage, dans La Nuit américaine, suivi du Journal de tournage de Fahrenheit 451, Paris, Les Cahiers du cinéma, 2000 [Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1974], p. 118.

5 Ibid., p. 184.

6 Ibid. p. 189.

7 En effet, les analystes, d'ailleurs peu nombreuses, de Fahrenheit 451, ignorent cet angle d'attaque. C'est le cas de l'analyse, très pertinente, proposée par Anne Gillain dans Tout Truffaut (Paris, Armand Colin, 2019), qui montre la présence de nombreuses allusions autobiographiques dans le film de science-fiction, qui met en image l' « action du livre sur le lecteur », l' « ardente adoration que le livre suscite » et que François Truffaut connaît bien puisqu'elle a « illuminé sa propre enfance » ». Anne Gillain conclut ainsi son chapitre : « [i]l ne s'agit nullement de chercher la célébrité, mais d'enflammer le lecteur ou le spectateur pour qu'il en perde le boire et le manger dans son impatience à dévorer les pages d'un livre ou les images d'un film. Fahrenheit illustre dans un langage de conte de fées cette passion brûlante. » (p. 84). Il peut être utile de poursuivre la réflexion sur les rapports de l'image et de l'écrit.

8 La longue période de mise en route du tournage de Fahrenheit 451 est aussi celle de la préparation du livre sur Hitchcock, qui sort en 1966 (Le Cinéma selon Hitchcock (avec la collaboration d'Helen Scott, Paris, Robert Laffont, 1966). Cf., A. de Baecque et S. Tubiana, ouvr. cité, p. 322-325).

9 Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953), trad. de l’américain par Jacques Chambon et Henri Robillot, Paris, Gallimard, 2008, « Folio SF », p. 29. Le roman avait cependant été publié en français (traduction d’Henri Robillot) dès 1955 chez Denoël, dans la collection « Présence du futur ». Toutes les citations renvoient à l’édition française de 2008, le numéro de la page étant précédé d’un F.

10 François Truffaut, Journal de tournage, ouvr. cité, p. 120.

11 Truffaut se dit insatisfait de ce décor, pour lequel il aurait voulu « des violents contrastes ancien-moderne », Journal de tournage, ouvr. cité, p. 133.

12 François Truffaut, Journal de tournage, ouvr. cité, p. 190.

13 Anne Gillain, Tout Truffaut, ouvr. cité, p. 79-80.

14 Ibid., p. 81.

15 Georges Didi-Huberman, Survivance des Lucioles, Paris, Les Éditions de Minuit, 2009.

16 Pier Paolo Pasolini, « L'article des lucioles » [1975], Écrits corsaires, trad. Philippe Guilhon, Paris, Flammarion, 2005, p. 180-189

17 Georges Didi-Huberman, ouvr. cité, p. 25.

18 Ibid., p. 68.

19 « Le choix de ce livre est un os à ronger aux critiques lettrés qui se feront un plaisir de me signaler qu’Orgueil et préjugés n’a jamais été édité en deux volumes », François Truffaut, Le Journal de tournage, ouvr. cité, p. 169.

20 Cf. Anne Gillain, ouvr. cité, p. 83.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anna Saignes, « « […] ces incendies de livres que je vais avoir tant de plaisir à filmer ». Fahrenheit 451 par François Truffaut »Recherches & Travaux [En ligne], 104 | 2024, mis en ligne le 04 juillet 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/recherchestravaux/7487 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11xzn

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Auteur

Anna Saignes

Université de Lorraine, LIS, F-54000 Nancy, France
anna.saignes[at]univ-lorraine.fr
 
Anna Saignes est professeure de littérature comparée à l’université de Lorraine, membre de l’équipe LIS (Littérature, imaginaire, sociétés). Ses recherches portent sur les relations entre littérature, histoire et politique. Elle s’intéresse en particulier aux dystopies, ainsi qu’au journalisme littéraire (ou reportage). Elle est l’auteur des ouvrages suivants : S. I. Witkiewicz et le modernisme européen (Grenoble, Ellug, 2006) et de La pensée politique de l’anti‑utopie (Paris, Champion, 2021), un essai consacré à quelques réécritures contemporaines des anti-utopies fondatrices.

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