Jean-Paul Martin et Nicolas Palluau : Louis François et les frontières scolaires. Itinéraire pédagogique d’un inspecteur général (1904-2002).
Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 149 p.
Texte intégral
- 1 . Caplat, G. (1997). L'Inspection générale de l'Instruction publique au XXe siècle : dictionnaire b (...)
- 2 . Rioux, J.-P.(dir.). (2002). Deux cents ans d'Inspection générale, 1802-2002. Paris : Fayard,
- 3 . Jean-Paul Martin était maître de conférences HDR de l’Université Lille3. Nicolas Palluau est doct (...)
- 4 . Louis François est par exemple associé à la commission Braudel de 1968-1969 portant sur la réform (...)
1L’histoire des Inspecteurs généraux de l’Éducation nationale a déjà été largement entreprise, en particulier dans les ouvrages essentiels de Guy Caplat1 ou encore de Jean-Pierre Rioux2. L’étude dirigée par Jean-Paul Martin et Nicolas Palluau3 se situe dans le prolongement de ces travaux en prenant le parti d’une perspective biographique autour de Louis François (1904-2002). Elle éclaire avec originalité l’histoire de l’inspection générale, et plus globalement l’histoire des pédagogies scolaires. Inspecteur général d’histoire-géographie, Louis François est en effet de ceux qui ont laissé une empreinte profonde dans l’école du XXe siècle, depuis les structures du système scolaire jusque dans les classes et les pratiques enseignantes.
Aux yeux de Louis François, l’école est avant tout un lieu de formation d’une élite. Entendons-le bien : l’homme n’envisage pas ici une élite bourgeoise recroquevillée sur elle-même, mais bien une élite scolaire ouverte sur le monde et capable d’être motrice pour l’école et la société. On aura reconnu ici l’éclaireur, formé à la pédagogie novatrice et assurée des Eclaireurs de France des années 1920. Nicolas Palluau brosse le tableau de la jeunesse de ce « réformateur », et met en exergue la manière dont cet enfant de la bourgeoisie s’imprègne de plein air et de débrouillardise. Ses convictions éducatives naissent ici, sur ce terreau scout, qui l’amène à construire une vision de l’éducation qui ne soit pas qu’instruction. Reçu deuxième à l’agrégation d’histoire-géographie en 1927, Louis François est brillant. Sa proximité avec Gustave Monod (1885-1968), qu’il rencontre au lycée Thiers de Marseille, alimente une conception pédagogique largement inspirée des méthodes actives. Dès lors, il n’aura de cesse dans sa carrière de chercher à bousculer les traditions de l’institution républicaine en y transposant l’élan des méthodes scoutes et de l’éducation nouvelle, ainsi que le montre Marie Dercourt-Terris.
Louis François bouleverse d’abord sa matière, l’histoire-géographie. Jean-Pierre Chevalier et Patricia Legris abordent la question des manuels, des cartes et des programmes4, pour montrer toute la difficulté pour l’homme de lier conceptions personnelles et position institutionnelle. C’est alors par des initiatives très novatrices pour le milieu scolaire que Louis François cherche à infléchir l’allure selon lui trop directrice de l’institution. Profondément imprégné de l’idée d’une citoyenneté incarnée à l’école, il soutient avec passion les républiques d’enfants, notamment celle de Moulin-Vieux. Il est également à l’origine des clubs UNESCO et promeut largement les bourses Zellidja en vue de former la personnalité et de tremper le caractère des lycéens, et qu’analysent respectivement et avec beaucoup de finesse Marie Dercourt-Terris, Mathias Gardet et Eric Passavant. Mais Louis François va plus loin, comme le montre Nicolas Palluau et Denis Mazzichetti. Ancien résistant et déporté, il joue un rôle fondamental dans l’intégration du Concours national de la Résistance et de la Déportation à l’école, avec l’idée que, par lui, l’éducation civique peut se réinventer. Car là est le combat central de l’homme, celui d’un élargissement du civisme et de la participation sociale par l’école, comme le rappelle la contribution de Jean-Paul Martin. Imposant par l’esprit comme par la taille, Louis François est charismatique. Regis Revenin rappelle combien Louis François était ouvert sur les questions de son temps, comme en témoigne son engagement dans le comité d’études chargé de penser à l’éducation sexuelle à l’école en 1947, bien qu’il souffre aussi de certaines contradictions. Figure du serviteur de l’Etat, il ne réussit toutefois pas à infléchir l’institution autant qu’il le souhaiterait, notamment parce qu’il est lui-même paradoxal. Peut-être trop élitaires, ses réformes sont le signe d’un conservatisme idéologique et autoritaire, bien que marquées du sceau de la modernité. L’après mai 1968 exacerbe ces tensions et isole ses positions.
Le livre que dirigent Jean-Paul Martin et Nicolas Palluau retrace donc l’itinéraire passionnant d’un Inspecteur général atypique, convaincu et généreux, qui a profondément marqué l’école du second XXe siècle en cherchant à faire bouger les standards républicains de la méritocratie. Façonné par l’idéal de l’éducation populaire, Louis François ne résistera pas, comme l’éducation populaire elle-même, aux assauts de l’école de masse après les années 1960. C’est bien ici l’épuisement, non d’un homme, mais d’un modèle de pensée éducative, auquel on assiste. En ce sens, si Louis François a une histoire, il est surtout dans l’histoire, et c’est le principal mérite de ce livre que de réussir à faire émerger à travers une figure incandescente les paradoxes de la trajectoire de l’institution scolaire.
Notes
1 . Caplat, G. (1997). L'Inspection générale de l'Instruction publique au XXe siècle : dictionnaire biographique des inspecteurs généraux et des inspecteurs de l'académie de Paris 1914-1939 : dictionnaire biographique,. Paris : INRP/Economica.
2 . Rioux, J.-P.(dir.). (2002). Deux cents ans d'Inspection générale, 1802-2002. Paris : Fayard,
3 . Jean-Paul Martin était maître de conférences HDR de l’Université Lille3. Nicolas Palluau est docteur en Histoire contemporaine et spécialiste du scoutisme. Ce dernier a notamment publié La fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances, 1919-1939 (2013) aux Presses Universitaires de Rennes.
4 . Louis François est par exemple associé à la commission Braudel de 1968-1969 portant sur la réforme de l’enseignement de l’histoire-géographie.
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Référence papier
Julien Fuchs, « Jean-Paul Martin et Nicolas Palluau : Louis François et les frontières scolaires. Itinéraire pédagogique d’un inspecteur général (1904-2002). », Recherches & éducations, 15 | 2016, 211-213.
Référence électronique
Julien Fuchs, « Jean-Paul Martin et Nicolas Palluau : Louis François et les frontières scolaires. Itinéraire pédagogique d’un inspecteur général (1904-2002). », Recherches & éducations [En ligne], 15 | Juin 2016, mis en ligne le 30 juin 2017, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rechercheseducations/3200 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rechercheseducations.3200
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