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Recensions

Dominique Glasman (2012).
L’internat scolaire. Travail, cadre, construction de soi.

Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 258 p.
Audrey Boulin
Référence(s) :

Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2012, 258 p.

Texte intégral

1A l’heure où les internats, prônés par certains responsables politiques, font leur retour sur la scène publique, Dominique Glasman propose de faire découvrir l’univers particulier des internats scolaires ordinaires. L’internat est vu comme un terrain spécifique pour réfléchir à des questions centrales en sciences de l’éducation, telles que l’influence de la sphère scolaire sur les relations entre parents et enfants.

2Dominique Glasman, professeur émérite de sociologie à l’université de Savoie, spécialiste entre autres de l’accompagnement scolaire et du phénomène de déscolarisation, a mené avec une équipe une enquête conséquente de trois ans sur des internats de la région Rhône-Alpes, en combinant méthodes quantitatives (traitement de fichiers administratifs) et qualitatives (réalisation d’environ cinq-cents entretiens semi-directifs, observations). Le constant retour sur la méthode auquel procède l’auteur est un élément particulièrement appréciable : ce souci réflexif permet de comprendre aisément les épreuves rencontrées sur le terrain par le chercheur, ainsi que les biais pris en compte lors du traitement des matériaux.

3Alors que l’internat peut être encore perçu comme les pensionnats d’autrefois, cet ouvrage montre que la réalité est tout autre : ouverts sur l’extérieur, les internats d’aujourd’hui prennent en compte l’individualité des adolescents. Mais, un résultat est encore plus surprenant : la plupart des internes se plaît dans ces structures.

4Après une description fine (dans le chapitre 1) de la répartition géographique des internats - à l’échelle de la région Rhône-Alpes principalement - qui varie selon le niveau scolaire et le secteur (privé ou public), le regard du chercheur se porte, à un niveau plus microscopique, sur les usages de l’internat, en laissant une large part aux extraits d’entretiens, réalisés auprès de parents et d’adolescents. Dans le chapitre 2, les différents choix de « l’avant internat » - projet d’inscription en internat, choix de l’établissement – sont expliqués à l’aide de variables sociologiques pertinentes (le milieu social, le genre, le niveau, la filière d’étude, la structure familiale et la zone d’habitation). Bien que l’explication géographique (éloignement entre le domicile et l’établissement scolaire) reste pertinente, Dominique Glasman montre également que les caractéristiques sociales ont une influence. Ainsi, les garçons sont plus souvent internes, de même que les élèves en retard scolairement et les enfants issus d’une famille monoparentale. Le milieu social est spécifiquement étudié avec une focalisation sur les familles populaires, montrant ainsi quels sens ces dernières donnent au recours à l’internat. Face à différentes préoccupations (mauvaises fréquentations, tensions familiales, craintes concernant le quartier et l’établissement scolaire fréquenté, etc.), l’inscription en internat est envisagée, souvent en alternative au privé, pour apporter contrôle et soutien à l’adolescent.

5Une des questions centrales de l’ouvrage est : qu’attendent les familles et les adolescents de l’internat ? La notion de « cadre » définie dans le chapitre 5 comme « un espace physique délimité, un découpage du temps, un ensemble clair de permissions et d’interdits, des personnes chargées de maintenir le cadre et un soubassement normatif », permet d’y répondre. Selon leurs caractéristiques sociales parents et enfants n’attendent pas la même chose de l’internat. Des différences sont mises au jour, grâce à l’utilisation d’une typologie : cadre-travail (conditions propices au travail scolaire), cadre-rythme (une répartition du temps régulière), cadre-protection (mise à l’écart des dangers de l’environnement habituel) et cadre-contrôle (enfant contenu par l’institution). Par exemple, les enquêtés des milieux populaires recherchent davantage un cadre-protection alors que ceux des classes moyennes sont plus en quête d’un cadre-rythme. Une surreprésentation de la référence au cadre-travail reste tout de même une constante chez les enquêtés, tous milieux sociaux confondus. En effet, l’internat est perçu comme facilitant la mise au travail (moins de tentations) et la réalisation des devoirs (temps et lieux consacrés à cette tâche, aides).

6Comment les adolescents réagissent-ils alors face au cadre proposé ? Alors que certains refusent le cadre et se sentent mal à l’internat, une majorité d’enfants l’accepte sans grande difficulté et se plaît dans cette structure car ces derniers ont acquis les « dispositions » nécessaires à son acceptation, telles qu’un rapport positif avec l’école (résultats satisfaisants, bonnes relations avec les enseignants, comportement sans problème) ou encore une volonté de s’inscrire en internat.

  • 1 . Mannoni, M. L'éducation impossible, Paris : Editions du Seuil, 1973. Mannoni, M. Un lieu pour viv (...)

7Certes, dans les faits, les adolescents transgressent les règles et mettent en place une vie clandestine, précisément décrite dans le chapitre 6, mais cette attente de cadre ne s’en voit pas atténuée. L’idée d’un « contrat implicite » passé entre les adolescents et l’institution scolaire est posée : pour que les jeunes accomplissent leur métier d’élève, ils attendent de l’institution un cadre nécessaire à la réalisation de cet objectif. Cette notion « d’institution » sera mise en questionnement en conclusion. Le concept « d’institution éclatée », emprunté à Maud Mannoni1, est préféré à celui « d’institution totale » car mettant en avant l’idée d’une circulation entre deux espaces - la famille et l’internat - et non d’enfermement.

8L’internat et plus spécifiquement son cadre ont des effets sur le quotidien des internes (chapitres 4 et 7). Tout d’abord, leur rapport à l’école se voit modifier. Même s’il n’est pas possible de certifier que la fréquentation d’un internat permet d’augmenter ses résultats scolaires, la mise au travail se voit faciliter grâce à l’aide apportée par les adultes et les camarades.

9La vie en collectivité avec le groupe de pairs apparaît également comme un changement capital pour les adolescents. La confrontation à l’altérité, la constitution d’entre-soi, la gestion de l’intimité font partie intégrante de l’expérience de l’internat et sont autant de révélateurs identitaires.

10Pour finir, la circulation entre la sphère familiale et l’internat n’est pas sans répercussion. En effet, la prise de distance spatiale peut s’accompagner d’une réduction des tensions entre l’interne et ses parents ou ses frères et sœurs, de gains d’autonomie, d’émancipation, allant même jusqu’au refus de l’héritage familial, en rejetant les règles inculquées par les parents ; l’internat favorise la construction de soi.

11La lecture de cet ouvrage permet de découvrir un monde particulier grâce à une description fine du quotidien dans les internats et à une présentation des points de vue des adolescents et de leurs parents. Le milieu social reste la clef de voûte de l’analyse des usages de l’internat que fait le chercheur. L’origine ethnique, présente ponctuellement dans l’ouvrage n’est pas pensée comme une variable à part entière ou, du moins, la position du chercheur n’est pas clairement explicite à ce sujet. Une plus grande prise en compte de cette variable aurait sans doute permis de réfléchir davantage à l’impact de l’Ecole sur les rapports parents / enfants dans les familles issues de l’immigration.

12Possible grâce à une combinaison de méthodes, le croisement des échelles macroscopique (la présentation de l’évolution quantitative sur le long terme) et microscopique (les usages que les individus font de l’internat), permet d’affirmer que cet ouvrage est précieux tant sur le plan scientifique que pour une réflexion sur les politiques publiques, dans le contexte particulier où les internats sous différentes formes (internats d’excellence, par exemple) sont d’actualité.

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Notes

1 . Mannoni, M. L'éducation impossible, Paris : Editions du Seuil, 1973. Mannoni, M. Un lieu pour vivre, Paris : Editions du Seuil, 1976.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Audrey Boulin, « Dominique Glasman (2012).
L’internat scolaire. Travail, cadre, construction de soi. »
Recherches & éducations [En ligne], 7 | octobre 2012, mis en ligne le 23 décembre 2012, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rechercheseducations/1458 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rechercheseducations.1458

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Auteur

Audrey Boulin

Université Paris Descartes
CERLIS

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Droits d’auteur

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