Lebeaume, J. et Hasni, A. (dir.) (2015). Éducation technologique et sciences de l’ingénieur. Regards sur les curricula et les pratiques
Lebeaume, J. et Hasni, A. (dir.) (2015). Éducation technologique et sciences de l’ingénieur. Regards sur les curricula et les pratiques. Villeneuve-d’Asc : Presses du Septentrion, 190 p. ISBN : 978-2-7574-1123-0
Texte intégral
1L’ouvrage Éducation technologique et sciences de l’ingénieur, dirigé par Joël Lebeaume et Abdelkrim Hasni, est sous-titré : « Regards sur les curricula et les pratiques ». Ce sous-titre en décrit bien la substance : une réflexion de nature épistémologique sur les contenus enseignés à la frontière entre sciences et technologie ; des recherches sur les pratiques des acteurs dans les dispositifs d’enseignement et de formation.
2Certains chapitres sont issus de recherches menées en France et d’autres rapportent des travaux menés au Québec. Cette confrontation est particulièrement judicieuse pour l’étude de l’éducation technologique, car on sait que, depuis 2004, le Québec a mis en place un enseignement intégré de sciences et de technologie. En France, cette mise en place n’a pas dépassé le stade de l’expérimentation et la récente réforme du collège a contourné l’obstacle en prescrivant des activités interdisciplinaires, sans remettre en cause les séparations disciplinaires.
3Le livre est organisé en trois parties et dix chapitres. La première partie : « contenus, curriculums » veut attirer l’attention sur le « renouvellement contemporain » des disciplines technologiques. Elle exemplifie ce renouvellement dans deux champs bien délimités : l’agronomie (chapitre 1, Prévost et Martinand) et les formations sur les matériaux dans les mentions de master contenant l’intitulé « Chimie », dans les universités françaises (chapitre 2, Magneron et Martinand). Cette partie comporte également une étude historique (chapitre 3, Hamon et Lebeaume), à partir des textes officiels, sur la longue transformation de la technologie dans l’enseignement secondaire en France (de 1946 à 2011), depuis « l’enseignement technique » jusqu’aux « sciences de l’ingénieur ».
4La deuxième partie est intitulée « regards sur les mises en œuvre » et rend compte de trois recherches sur les pratiques de classe en éducation technologique. La première recherche, qui analyse « les connaissances spontanées des collégiens sur le fonctionnement des écrans tactiles » (chapitre 4, Pérez et Lebeaume), ne me semble pas présenter une grande cohérence avec les deux autres. Elle est tout à fait intéressante en soi ; mais elle a peu de rapport avec des « pratiques de classe », puisqu’il s’agit d’explorer les connaissances spontanées des élèves de collège français, avec des échantillons en 6e et en 3e, dans des établissements différents, sans qu’aucun lien puisse être établi entre des pratiques de classe et l’évolution des connaissances spontanées entre les deux niveaux. À l’inverse, dans les deux autres recherches, ce sont bien les pratiques de classe, particulièrement les difficultés que rencontrent les enseignants à la mise en œuvre d’un enseignement pluridisciplinaire, qui sont analysées. La présentation conjointe de ces deux travaux met d’ailleurs en évidence les différences entre le Québec et la France, et l’intérêt d’une comparaison. Dans la recherche menée au Québec (chapitre 5, Hasni, Bousadra et Lefebvre), une source importante des problèmes rencontrés est le manque de formation en technologie des enseignants en question, qui ont principalement reçu une formation scientifique, alors qu’ils doivent dispenser un enseignement intégré. Dans la recherche menée en France (chapitre 6, Harlé et Lanéelle), sont étudiés des enseignements interdisciplinaires dispensés par plusieurs enseignants de disciplines différentes, et un des problèmes relevés est la participation inégale des différentes disciplines scientifiques à ces enseignements.
5La troisième partie aborde, et c’est dans la continuité logique de ce qui précède, les problématiques de la professionnalisation et de la formation des enseignants de sciences et technologie.
6Le chapitre 7 (Zaïd et Lebeaume) replace dans le cadre théorique de cet ouvrage une recherche menée par les auteurs sur les parcours professionnalisants d’apprentis-ingénieurs (Zaïd et Lebeaume, 2015). J’en retire notamment l’idée importante que les recherches en didactique sous-estiment en général l’écart entre le temps alloué par la formation et le temps nécessaire pour apprendre.
7Dans le chapitre 8, Gauthier et Collard-Fortin affrontent la question centrale de l’enseignement mis en place depuis 2004 au Québec : comment faire un enseignement interdisciplinaire avec des enseignants formés dans un cadre disciplinaire ? Après avoir identifié quatre obstacles aux pratiques interdisciplinaires, ils proposent les communautés de pratiques comme solution. Ils pointent une source importante de réticence à l’interdisciplinarité : le sentiment, pour un enseignant donné, de ne pas maîtriser la totalité des contenus, ce qui crée chez lui une insécurité pédagogique.
8Dans le chapitre 9, Jean étudie les modalités de formation classiques des enseignants de technologie en France, depuis la réforme de 2008, soit la mastérisation, dans un contexte où, de plus, les moyens de formation continue des enseignants en poste diminuent drastiquement. Le dispositif dont il est fait état vise à rendre complémentaires les formations initiales et continues, les enseignants en poste cherchant des ressources auprès des stagiaires pour gérer l’évolution de leur discipline.
9La réflexion de Zaïd et Remoussenard, dans le chapitre 10, présente un contexte assez différent : le cas d’enseignants de sciences de gestion qui font des stages longs dans des entreprises. Quel est l’effet sur leur professionnalité ? D’après leurs dires, recueillis lors d’entretiens, il est réel ; mais le bénéfice reste largement individuel, parce que le retour de cette expérience n’est pas légitimé par les pairs, ni par l’institution.
10J’ajouterai à cette présentation rapide deux remarques plus globales.
11D’une part, une idée sous-tend l’ensemble de cet ouvrage, idée très clairement exprimée dès le chapitre 1 (p. 21-22), dans le cas (généralisable sans difficulté sous cet aspect-là) de l’agronomie : les évolutions de la technoscience rendent nécessaires un enseignement intégré des sciences et des technologies – et non plus une juxtaposition de champs disciplinaires. Le concept même de technoscience traduit cette nécessité. Mais on pourrait à bon droit compléter – comme Morin – et parler de socio-techno-science ; les aspects sociaux sont d’ailleurs manifestes dans le chapitre sur l’évolution de l’agronomie ; ce qui justifie notamment qu’on invite les sciences économiques et sociales, comme discipline d’enseignement, dans les enseignements interdisciplinaires (voir chapitre 6). La recherche en didactique a besoin de tels exemples précieux pour l’apprentissage de la complexité.
12D’autre part, on voit apparaître, dans deux chapitres de l’ouvrage (7 et 10), la notion de dynamique didactique. Ce concept est intéressant ; mais il semble au début de son existence, et pourrait être approfondi. En premier lieu, quels sont ses rapports avec le concept de chronogenèse ? En second lieu, dans ces deux chapitres, l’expression semble désigner deux mécanismes différents : dans le cas d’apprentis-ingénieurs en alternance, la dynamique didactique s’applique à la trajectoire d’un individu, l’apprenti-ingénieur, confronté à deux types de savoirs, académiques et professionnels ; dans le cas d’enseignants en stage en entreprise, il est plutôt fait référence à deux dynamiques didactiques, celle du travail de production et celle du travail d’enseignement. Dans quelle mesure ces deux visions approches sont-elles compatibles ?
13En conclusion, cet ouvrage est riche d’expériences et de réflexions. Il apporte certainement sa contribution au travail nécessaire pour ouvrir la didactique à une vision complexe de ses objets d’étude.
Pour citer cet article
Référence papier
Christian Buty, « Lebeaume, J. et Hasni, A. (dir.) (2015). Éducation technologique et sciences de l’ingénieur. Regards sur les curricula et les pratiques », Recherche et formation, 79 | 2015, 109-111.
Référence électronique
Christian Buty, « Lebeaume, J. et Hasni, A. (dir.) (2015). Éducation technologique et sciences de l’ingénieur. Regards sur les curricula et les pratiques », Recherche et formation [En ligne], 79 | 2015, mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rechercheformation/2469 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rechercheformation.2469
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