1Dans notre société, l'utilisation de la langue de tous les jours est maintenant liée à la technologie, et l'apprentissage des langues avec l'aide de la technologie est par conséquent devenu une réalité. Les divers médias électroniques offrent aux apprenants l'occasion d'observer et d'interagir non seulement en langue étrangère mais aussi avec la culture, car ils fournissent une représentation puissante et authentique de la façon dont les langues sont intégrées dans un contexte social et culturel. Au cours de ces dernières années, plusieurs communautés de réseautage social en ligne ont vu le jour ainsi que de nouvelles pratiques langagières, règles et conventions, ce qui pourrait devenir soit une expérience traumatisante, soit enrichissante, tant pour les apprenants de langue étrangère que pour les professeurs de langue.
2En réfléchissant sur la dynamique interactive des échanges en classe on souligne que ce lieu spécifique comporte un enjeu social. Entre les partenaires il y aura négociation portant sur les activités à faire et sur la compréhension du contenu qui est à apprendre. De quelle manière se dégage, en classe de langue, une coopération ? Le modèle proposé par Cicurel (1988) fait ressortir dans une situation d’enseignement « l’asymétrie des connaissances », ce qui implique de la part des partenaires un effort d’intelligibilité. Nous pensons que cet enjeu communicatif peut être présent en ligne tout autant qu’en classe. Les classes de langue d'aujourd'hui centrent leur enseignement autour du développement de la compétence communicative des apprenants afin de préparer les étudiants à interagir avec des locuteurs de la langue dans d'autres sociétés.
3Les médias sociaux apportent-ils une (r)évolution dans l'apprentissage des langues ? Dans ce texte nous essaierons d'apporter quelques réponses préliminaires – bien que chacun sache que l'intégration des nouvelles technologies en éducation n'est pas du tout simple, bien au contraire. L’objectif cet article, à travers son côté théorique et pratique, est d’analyser une expérience qui porte sur la manière dont les apprenants des langues étrangères de l’Université de Sancti Spiritus « José Marti Pérez », à Cuba ; réunis dans un groupe Facebook utilisent-ils cet espace informel pour pratiquer le français ? Quelles sont les pratiques discursives observées ?
4Dans cet article, nous essaierons de mettre en évidence ce que Facebook peut fournir aux apprenants de langue avec des possibilités pour améliorer ces aspects/compétences (Conseil de l’Europe, 2002 ; 2018) en observant et en participant à des discussions de « Groupe ». Un groupe sur Facebook est une application qui permet de créer un espace virtuel où plusieurs participants peuvent échanger des messages, des photos, des vidéos, des liens extérieurs, etc. Le projet «Francommunication » a été réalisé du mois de janvier au mois de juin 2020 avec des étudiants de la Faculté des Sciences Pédagogiques de l’Université de Sancti Spiritus « José Marti Pérez » à Cuba (UNISS) qui sont en deuxième année de FLE. Le niveau de français des étudiants était A2, selon la lectrice Héloïse Blali qui leur a donné deux cours (d’une durée de 45 minutes) par semaine. Bien que le projet soit réalisé avec des apprenants qui ont choisi eux-mêmes d’étudier la langue française, donc des apprenants qui possèdent une motivation peut être plus forte que, par exemple, les étudiants d’un lycée, ce projet reste très utile pour montrer des usages possibles de Facebook, de voir les réactions et les opinions (avant et après le projet) des étudiants par rapport à ce type d’interaction, mais aussi leur comportement en ligne et comment cette participation influe sur la motivation, les amitiés, la timidité, etc.
5Nous avons construit un corpus d’échange en ligne et nous avons choisi la technique d’échantillonnage par intervalle de temps, c’est-à-dire choisir des échanges qui s’étalent sur une période de temps pour les étudier. Nous avons collecté 250 messages publiés et 1225 commentaires et 2000 « j’aime » venant de 25 participants. Les échanges collectés s’inscrivent du premier jour de la création du groupe (janvier 2020) au mois de juin 2020.
6Ces données ont été croisées avec des entretiens semi-directifs (6 entretiens effectués avec des participants du groupe) avec le but d’aboutir à une compréhension plus exhaustive.
7Nous avons commencé le projet par un sondage dans lequel les étudiants ont exprimé leur appréciation de Facebook. Quinze candidats ont rejoint le groupe et une moitié d’entre eux y ont participé. Dans le groupe ils avaient deux activités à faire qui, en général, étaient constituées de discussion sur des thèmes francophones. Chaque étudiant a dû trouver sur Internet un contenu en français (vidéo, image, texte…) qui l’intéresse personnellement, qui l’inspire ou le motive, et le poster sur le mur du groupe. Il ne s’agissait pas seulement d’échanger des liens intéressants mais les étudiants devaient également décrire ces contenus en environ 150 mots et poser une question (au minimum) pour leurs collègues, car les autres devaient aussi y ajouter un commentaire (au minimum).
- 1 Consigne : Vous avez participé dans un événement sur le tourisme en Croatie. Décrivez cet événement (...)
8Chaque jour un étudiant différent a posté quelque chose sur le mur et les autres ont commenté la publication. Après avoir fini avec la première activité on est passé à la deuxième qui était la même tâche que la première sauf que cette fois les étudiants devaient trouver ces contenus francophones en Croatie (par exemple : décrire un événement et télécharger une photo sur le mur). Pour éviter des productions très similaires et pour donner lieu à la créativité et spontanéité, nous avons essayé d’écrire la consigne1 d’une façon légère, accessible et même motivante. Néanmoins, certains éléments étaient bien définis.
9La question de l’intégration et de l’utilisation du numérique en classe de langue a déjà été traitée par la recherche en didactique des langues. Pourtant, on remarque que le rôle de l’enseignant y a souvent été ignoré ou minoré, comme si le développement des TICE irait nécessairement de pair avec l’effacement de l’enseignant (Guichon, 2012). L’apprentissage des langues étrangères d’aujourd’hui dépend beaucoup des divers médias (Mangenot, 2001) électroniques qui offrent aux apprenants l'occasion d'observer et d'interagir dans cette langue étrangère. Nous sommes d’avis que l’enjeu communicatif qui est présent en classe de langue où les enseignants se centrent autour du développement de la compétence communicative des apprenants peut être créé en ligne autant qu’en classe. Nous avons créé « Francommunication » afin de chercher de nouvelles méthodes pour préparer les étudiants à interagir avec des locuteurs de la langue dans d'autres sociétés et d’essayer de voir dans quelle mesure les nouvelles technologies soutiennent les principes de la didactique des langues (Lenoir, 2000 ; Renard, 2002 ; Cuq et Gruca, 2008 ; Puren, 2017).
10Les participants avaient entre 18 et 21 ans et ils possédaient tous déjà un compte Facebook (pendant 3 ans ou plus, jusqu’à 6 ans). Notre hypothèse part du fait que les étudiants sont pleinement engagés dans la technologie du 21ème siècle, et par conséquent, il est raisonnable de supposer qu'ils vont rapidement profiter de ces occasions de collaborer et de développer une interdépendance mutuelle s’ils ne l'ont pas encore fait. Selon le sondage que les étudiants volontaires pour le groupe « Francommunication » ont rempli avant le lancement du projet, ils ont leur compte Facebook en moyenne depuis 5 ans. En ce qui concerne l’utilisation quotidienne, le sondage montre qu’ils dépensent en moyenne 1-2 heures quotidiennement pour contrôler leur compte Facebook. Les enseignants doivent prendre en compte le fait que Facebook est déjà partie intégrante de la routine Internet de nombreux étudiants, ce qui permet l’accès à une abondance de ressources pour les apprenants comme pour les enseignants. (Develotte, 2004 ; 2009). Par conséquent, l’enseignant et son rôle à jouer dans l’exploitation des ressources numériques n’a pas ou peu été pris en compte par la recherche. Cette situation paraît invraisemblable car sans l’intervention pédagogique et la médiation pertinente de l’enseignant les TICE ne présentent qu’un intérêt marginal pour l’apprentissage d’une langue étrangère. (Guichon, 2012). On les appelle aussi nouvelles technologies éducatives, pour l’intention d’être utilisées dans le domaine de l’éducation ainsi que pour le traitement de l’information : au-delà du paradigme de l’information, celui de l’information-action émerge, selon Puren (2017).
11Nous supposons aussi que les étudiants de la langue française à la Faculté des Sciences Pédagogiques à l’UNISS, qui font beaucoup d’activités grammaticales pendant la semaine et qui ont trois cours (6h par semaine) avec le lecteur étranger, voudraient pratiquer, utiliser la langue dans des situations authentiques (ces occasions n’étant pas souvent disponibles pour tout le monde).
12Quatorze étudiants ont participé au premier sondage que nous avons fait avant le début du projet « Francommunication ». Tous étaient enthousiastes de rejoindre le groupe sur Facebook, mais à la fin seulement sept étudiants y communiquaient. Après la fin des activités, nous avons fait un deuxième sondage avec les étudiants qui ont participé. Les sondages ont été réalisés pour recueillir certaines réalités sur le comportement et les habitudes «internautes» des étudiants, mais aussi pour laisser les participants exprimer leurs opinions sur le déroulement, le travail, le contenu du groupe. Chaque élève accompagné d’autres, accomplit des tâches qui lui permettront de développer les compétences. Le Cadre européen commun de référence (Conseil de l’Europe, 2018) introduit le concept d´interaction en ligne dans le domaine de la didactique des langues, d’agir avec les autres, c’est un agir social. Puren (2002) distingue cependant les tâches comme ce qu’on fait en classe et les actions comme ce qu’on fait en société, en insistant sur la notion de complexité.
13Il est indéniable que les réseaux sociaux génèrent enthousiasme, scepticisme, attentes et même illusions, et ce depuis que, en 2004, Tim O'Reilly et ses collègues ont inventé le terme ‘web 2.0’ (Zourou 2012). Tout d'abord, le web 2.0 (Canole, 2010) n'est pas l'équivalent du web social (ou des réseaux sociaux). Les réseaux sociaux se définissent comme « un groupe d'applications qui s'appuient sur les fondements idéologiques et techniques du web 2.0, qui permet la création et l'échange de contenus générés par les utilisateurs » (Zourou 2012:2). Nous avons voulu voir si les activités de « Francommunication » iraient avec les habitudes des étudiants avec la quantité de temps qu’ils passent sur Facebook en général et avec les façons d’utiliser Facebook (personnelles et éducatives). Plus de la moitié des étudiants questionnés dans le premier sondage passent entre 1 et 2 heures quotidiennement sur Facebook et onze étudiants ont exprimé qu’ils vérifient ce que leurs amis ont écrit ou publié aussi sur une base quotidienne. Chez-eux, les usages de Facebook les plus populaires comprennent l’envoi des messages, l’affichage et la publication des photos et des statuts personnels, le partage des contenus extérieurs (vidéos, chansons, articles…) et la participation en groupes. Onze étudiants ont exprimé qu’ils utilisent Facebook dans des buts éducatifs.
14C’était intéressant de voir que douze élèves ont exprimé qu’ils n’utilisent pas assez le français. N’est-ce pas un problème majeur qui reste à résoudre ? Nous partons de l’hypothèse qu’une ressource publique en ligne (Combe, 2019), telle que Facebook, pourrait avoir un impact positif sur l'apprentissage, et pourrait servir de tremplin pour les activités du monde réel, qui ne sont pas forcément associées à l'environnement éducatif. Les environnements tels que les réseaux sociaux pourraient offrir aux apprenants un nouveau sentiment d'appartenance à la communauté, ce qui augmente finalement la volonté de partager les informations, et encourage l'effort de la collaboration mutuelle. (Ollivier, 2012). De cette manière on peut augmenter la motivation des étudiants ou des élèves.
15Avec le deuxième sondage réalisé à la fin du projet nous avons relevé des informations sur les attitudes des élèves concernant l'intégration de ce site dans les cours de langue. Nous nous sommes demandé comment les élèves réagiraient à cette intégration. Quel est son rôle dans la culture contemporaine, dans le cadre de nouveaux espaces/manières d'apprentissage ? D’après nôtre réflexion, il est évident que dans le cadre de l'acquisition de la langue seconde, l'approche socioculturelle considère les étudiants comme des apprenants actifs qui s'impliquent dans leur propre processus d'apprentissage en s'engageant avec les autres apprenants à travers une interaction authentique (Blattner et Lomicka, 2012).
16Bien que seul sept étudiants aient fait le deuxième sondage (les participants), à notre avis les résultats sont bien utiles pour réfléchir sur ces travaux. Tout le monde a exprimé que la participation en groupe était intéressante. En ce qui concerne le temps passé sur « Francommunication », la majorité d’eux était actifs deux ou trois fois par semaine. La plupart des étudiants a eu besoin d’environ vingt minutes pour écrire leur publication sur le mur du groupe et pour commenter les autres publications 70% d’eux avaient besoin de moins de trois minutes. Six étudiants ont déclaré avoir affiché toutes les publications. Compte tenu de ces faits, on peut voir que nous ne sommes pas loin de l’hypothèse exprimée dans l’introduction selon laquelle l’utilisation de Facebook pourrait aller de pair avec l’apprentissage des langues dans une époque ou les contraintes de temps limitent souvent l'interaction face-à-face.
17Malgré les possibilités évidentes que les outils électroniques offrent, la communication médiatisée par ordinateur dans le cadre de la compétence pragmatique d’une langue étrangère est un domaine de recherche peu exploré (Blattner et Fiori, 2009). Comme postulé ci-dessus, Facebook permet à ses utilisateurs d'effectuer une interaction significative synchrone ou asynchrone avec des locuteurs de langues différentes et aussi d'accéder à une quantité incroyable de renseignements précieux et authentiques sur une variété de sujets. En d'autres termes, ce réseau social peut être considéré comme un outil innovant pour faciliter le développement de la conscience et de la compétence socio-pragmatique dans l’apprentissage d’une langue seconde et peut promouvoir la compréhension interculturelle. De plus, ce site Internet est gratuit et prêt à utiliser (utilisation facile et intuitive) pour tout le monde.
18Tous les étudiants ont exprimé qu’ils voudraient bien continuer à participer à un groupe Facebook tel que « Francommunication », mais ils ont aussi donné leur opinion sur le déroulement et sur ce qui pourrait être mieux pour une prochaine fois. Par exemple :
Etudiant A : "J’ai aimé le fait que tout le monde publiait les choses différentes et qu’ainsi on a pu mieux se connaitre, voir ce que nos collèges aiment et ce qui les intéresse, et c’était génial que tout était lié à la francophonie, ce qui est notre intérêt commun".
Etudiant B : "J’ai aimé l’idée de pratiquer la langue sans souci et à travers des thèmes intéressants, l’échange du savoir sur la France, la disponibilité et la simplicité".
19Par contre, certains étudiants ont exprimé leurs inquiétudes ainsi :
Etudiant C : "En ce qui concerne les thèmes, je crois qu’il ne devrait pas être obligatoire qu’ils soient liés à la francophonie, ce qui est important est de s’exprimer en français, ce n’est pas si important de quoi on parle".
Etudiant D : "Je n’ai pas aimé l’horaire précis pour indiquer quand nous devions poster quelque chose".
20En tout cas, nous croyons que les réactions sont positives, mais qu’il faudrait un plus grand nombre de participants pour obtenir des résultats plus fiables. Il est intéressant de noter que six étudiants sur sept pensent que des activités de ce type pourraient les aider à apprendre la langue française. Trois étudiants pensent que ce serait une bonne idée d’intégrer partiellement les cours magistraux au groupe sur Facebook pour avoir la possibilité de remplir certaines obligations en ligne. Bien que tout le monde pense que c’est une bonne idée de parler avec les locuteurs natifs dans le groupe, il n’y avait qu’un étudiant qui a invité son ami français dans le groupe. C’est important de noter qu’au début, lors de la présentation en classe de ce projet, presque tout le monde exprimait avoir des amis francophones sur Facebook et qu’ils avaient envie de les inviter dans le groupe. Six étudiants ont exprimé qu’ils préféreraient participer à un groupe comme « Francommunication » s’il n’y avait pas d’obligations et d’instructions.
21Nous avons examiné les langues utilisées par les participants dans le groupe et avons trouvé que la langue française est la langue la plus utilisée. Ce résultat vient confirmer l’objectif du groupe qui est la pratique du français.
22Nous avons également analysé les publications à la lumière des fonctions du langage développées par Jakobson (1963). Ce chercheur définit six fonctions du langage : émotive, conative, référentielle, métalinguistique, poétique et phatique. Même si le modèle de Jakobson paraît un peu ancien, il n’est pas l’intérêt pour notre analyse. Il nous a fourni un cadre théorique selon lequel nous avons pu analyser et classer les messages.
23Les résultats ont mis en lumière des pratiques un peu atypiques des participants dans la mesure où la fonction poétique est la fonction la plus présente, ce qui n’est pas nécessairement la préoccupation principale des apprenants en général. Les deux autres fonctions les plus répandues sont las fonction phatique et conative. Nous pouvons donc déduire que les échanges sans le groupe observé ont comme objectif premier la socialisation plutôt que la transmission d’information (les fonctions référentielle et métalinguistique sont les moins présentes).
Aujourd’hui, nous croyons qu’il est important de reconnaître qu’il peut être vraiment utile d’étudier plus profondément la liaison entre l’apprentissage d’une langue seconde, la motivation des apprenants et l’utilisation de Facebook. Nous croyons qu’il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce que les apprenants impliqués dans des projets académiques en réseaux sociaux finissent par développer des relations avec des locuteurs natifs qui partagent des intérêts similaires et qui vont interagir régulièrement dans la langue cible. Diverses activités peuvent être développées dans la classe de langue pour le développement pragmatique. Voyons d’abord quels sont les utilisations possibles d’Internet dans un contexte éducatif.
24Dans cette étude-expérience pédagogique, la participation à un groupe Facebook des étudiants était basée sur le principe de volontariat, mais l´encouragement de la part de l´enseignant à la participation a induit un éthos d´apprenant scolaire et n´a pas abouti à deux échanges à plus de deux tours de paroles. Outre ces facteurs, la communication en classe de langue a été étudiée. (Zourou, 2012). De ce qui nous intéresse, nous sommes donc tenté de dire que le fait que les échanges se déroule dans une situation informelle et que les participants soient libres de choisir les thématiques qu´ils veulent sans contraintes sous forme d´une tâche ou d´une consigne, les amène à s´engager davantage dans la mesure où ils ne se sentent pas obligés de réagir aux autres pour avoir de bonnes notes. En d´autres termes l´engagement des participants, qui se traduit par le fait d´échanger en français et pendant cinq mois, vient d´une motivation intrinsèque et sans incitation.