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Comptes-rendus

Maizonniaux C., 2020, La littérature de jeunesse en classe de langue. Pour une pédagogie de la créativité. Grenoble : UGA Editions

Haydée Silva

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Texte intégral

1La littérature de jeunesse est un objet d’étude complexe, au sens entendu par Morin, cité par Christèle Maizonniaux dans l’ouvrage dont il est question ici  :

« Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot “complexus”, “ce qui est tissé ensemble”. […] Il faut voir comme une tapisserie la figure d’ensemble. […] nous avons trop bien appris à séparer. […] La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier. » (Morin cité par Maizonniaux, 2020 : 29)

2Ainsi, aborder la littérature de jeunesse en classe de langue pose un double défi : d’une part, être capable de saisir la figure d’ensemble d’un domaine parfois méconnu des enseignants mais extrêmement riche et dynamique ; d’autre part, savoir entretisser harmonieusement ses fils et ceux, non moins complexes, de la didactique des langues et des cultures d’aujourd’hui.

3De ce fait, de nombreux professeurs de langue en formation ou en exercice hésitent à introduire la littérature de jeunesse dans leur panoplie pédagogique, surtout s’il s’agit d’aborder l’enseignement d’une langue étrangère à un public adulte : au caractère étranger de la langue s’ajoute la difficulté pour l’enseignant d’être à jour sur la littérature produite dans cette langue, qui plus est destinée à un public perçu comme « autre » par les adultes. C’est pourquoi, à partir du double constat d’une présence croissante de la littérature de jeunesse dans la formation et de l’absence relative d’outils pour la didactisation des supports correspondants, Maizonniaux partage dans son ouvrage les prolégomènes et les résultats d’une recherche menée sur le terrain auprès d’un public fort hétérogène d’apprenants universitaires de français langue étrangère de niveau A2-B1 et effectuée au croisement des deux domaines disciplinaires impliqués.

4Organisé en huit chapitres et dix annexes, l’ouvrage nous invite à découvrir de façon méthodique diverses interrogations nées au carrefour fort fréquenté mais encore faiblement théorisé de la littérature de jeunesse et la didactique des langues et des cultures. Les trois premiers chapitres répondent par le menu à trois questions fondamentales : pour quelles raisons intégrer la littérature de jeunesse dans l’enseignement des langues ? Quel est actuellement l’état des lieux de la littérature de jeunesse dans l’enseignement des langues ? Pourquoi et comment renouveler les pratiques de lecture et d’écriture ?

5Dans le chapitre premier, l’autrice rappelle différentes raisons qui justifient l’intégration de la littérature de jeunesse en classe de langue étrangère, y compris auprès de publics adultes. Mettant l’accent sur les ouvrages pour la jeunesse, elle y interroge la question de la légitimité de la littérature de jeunesse, son statut culturel dans les différents pays, les défis qu’implique son double lectorat, les mécanismes de circulation des œuvres, les découpages parfois arbitraires opérés par les éditeurs, la longueur atypique de la plupart des textes pour la jeunesse et les avantages qu’elle présente, les thèmes privilégiés par la littérature de jeunesse contemporaine, les phénomènes d’identification à l’œuvre, la relation aux nouveaux médias, les difficultés que pose en classe l’exploitation d’un document authentiques, le paradoxe d’un objet réputé simple et complexe à la fois, la multimodalité, la matérialité du média, la relation image-récit-texte, le rôle de passerelle souvent attribué á la littérature de jeunesse, la capacité des supports à faire émerger la parole…

6Le chapitre II déplace la réflexion sur le terrain de la didactique. Après avoir présenté en détail le corpus de documents consultés pour établir des liens entre littérature de jeunesse et français langue étrangère, Maizonniaux aborde les supports le plus souvent retenus par les didacticiens ainsi que les représentations de la littérature de jeunesse véhiculées par les didacticiens de la langue. L’autrice identifie quatre grands types d’approche, qui souvent se chevauchent lors de l’intégration de la littérature de jeunesse en classe de langue : utilisation de la littérature de jeunesse comme un support propice au développement des compétences orales et écrites, reprise des pratiques d’enseignement appliquées au français langue maternelle, priorité donnée à la dimension interculturelle, intégration des nouvelles technologies. Elle termine par une section consacrée à l’impact possible de ces différentes démarches sur l’engagement des apprenants.

7Deux aspects des approches mentionnées font l’objet d’une discussion plus détaillée dans le chapitre III : d’une part, l’association entre lecture et écriture comme voie privilégiée pour aborder les ouvrages de littérature de jeunesse, avec un accent sur la lecture littéraire et surtout, sur des modèles et des dispositifs d’écriture créative ; d’autre part, un bilan des démarches et des recherches récentes en français langue maternelle sur le sujet lecteur et les ateliers d’écriture.

8Ces jalons théoriques une fois posés, les trois chapitres suivants rendent compte de manière tout aussi détaillée d’une recherche appliquée dans une université australienne, à partir d’un corpus de cinq œuvres signées d’auteurs fort reconnus mais parfois méconnus hors des frontières de leur pays respectif : John Chatterton détective (Y. Pommaux, France, 1993), Le Petit Chaperon vert (G. Solotareff, illustré par Nadja, France, 2012), Le chandail de hockey (R. Carrier, Québec, 1979), Reine (J. Delaunay, Suisse, 2008) et Pochée (F. Seyvos, illustré par C. Ponti, France, 1997). On notera que la diversité francophone est représentée, et qu’il y a autant d’auteurs que d’autrices, d’illustrateurs que d’illustratrices. C’est surtout le travail autour des réécritures du Petit Chaperon rouge et des greffes d’épisodes nouveaux dans Pochée qui font l’objet de ces réflexions.

9Depuis les défis d’une recherche ab initio jusqu’aux résultats obtenus, l’autrice retrace minutieusement son processus de recherche (hypothèse, dispositif de recherche, cadre, démarche d’analyse et de croisement des données, discussion des résultats…) et offre ainsi une modélisation fort utile. Elle n’omet pas les écueils éventuels mais invite le lecteur à trouver ses propres voies d’approche, ses propres prolongements.

10Les nombreuses annexes offrent aussi bien une sélection bibliographique que des exemples de démarches pédagogiques et de productions authentiques d’apprenants ou encore des corpus de questions ou de réponses relatives à la recherche réalisée. L’ensemble est complété par une abondante bibliographie, qui inclut aussi bien des œuvres de littérature de jeunesse – dont la plupart datent des trois dernières décennies, même si la référence la plus ancienne correspond à 1697 – que des essais et analyses en français, en anglais et en allemand.

11Notons qu’à la fin des chapitres V et VI, Maizonniaux pointe diverses pistes pratiques pour la classe de langue : pour la réécriture, par exemple, elle suggère entre autres d’entraîner les apprenants à reformuler, de travailler sur la transposition, de discuter des motifs du récit, de renforcer les activités de rappel à l’oral et à l’écrit ou de diversifier les vecteurs de réécriture ; pour la greffe, elle mentionne la possibilité de poser des jalons dans la lecture, de construire « une attitude interprétative », de poser la question de la littéralité de l’écriture, de légitimer les emprunts, de favoriser la mémorisation du lexique nouveau, de varier les propositions d’écriture ou de débattre autour de la notion de « greffe ». L’objet littéraire est alors abordé non seulement dans ses dimensions linguistique ou langagière, mais aussi proprement littéraire, culturelle et éventuellement multimodale.

12Le chapitre VIII, qui est aussi le dernier, est quant à lui entièrement consacré à diverses ouvertures possibles en fonction des supports ou des dispositifs en lecture-écriture, ou en association avec des pratiques théâtrales ou des rencontres avec les auteurs. Il s’agit, en somme, de ne pas prendre la littérature de jeunesse comme prétexte pour perpétuer des pratiques conventionnelles mais bien de l’intégrer à sa panoplie de produits culturels complexes, susceptibles de contribuer au développement d’une littératie.

13Certains regretteront le choix fait par l’autrice de ne pas offrir un kit de prêt-à enseigner, tandis que d’autres auraient aimé une révision théorique plus exhaustive du carrefour entre didactique des langues et des cultures et études en littérature de jeunesse. Pourtant, Maizonniaux nous invite explicitement dans cet ouvrage à découvrir « des pistes de réflexion pour des choix, des modulations, des adaptations à différents contextes » afin d’être en mesure de « penser des démarches innovantes et inédites à partir de textes et d’ouvrages iconotextuels contemporains » (p. 14) Son but n’est donc pas de proposer une démarche didactique unique, mais de permettre à chacun d’identifier la démarche pertinente dans son contexte singulier, après avoir appréhendé « les caractéristiques et les orientations [des œuvres contemporaines pour la jeunesse ainsi que] les problématiques et les questions en débat qui traversent [ce domaine]. » (p. 244). Le pari est largement tenu, dans la mesure où le lecteur expert en la matière trouvera ici de quoi poser de nouvelles interrogations, tandis que le lecteur néophyte pourra tracer son propre chemin.

14Un point de détail : la bibliographie n’inclut pas les références complètes de deux des cinq ouvrages mentionnés (Le chandail de hockey et Reine). Pour le reste, l’ouvrage dont nous rendons compte ici est bien structuré, agréable à lire, bien étayé par des éléments théoriques et pratiques. Il vient sans aucun doute remplir de manière efficace une lacune importante dans la didactique francophone des langues et des cultures. Il rappelle notamment, comme l’indique le sous-titre, la place de choix qu’occupe la créativité dans la trame complexe de la littérature de jeunesse : créativité exprimée sans cesse dans les (icono)textes mais aussi, quand ceux-ci sont mis au service de la didactique des langues et des cultures, support potentiel de la créativité des apprenants confrontés de manière pertinente à ces ouvrages, et point de départ de la créativité des enseignants soucieux d’innovation à bon escient.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Haydée Silva, « Maizonniaux C., 2020, La littérature de jeunesse en classe de langue. Pour une pédagogie de la créativité. Grenoble : UGA Editions »Recherches en didactique des langues et des cultures [En ligne], 18-1 | 2021, mis en ligne le 04 juillet 2021, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rdlc/8778 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rdlc.8778

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Auteur

Haydée Silva

Colegio de Letras Modernas, Facultad de Filosofía y Letras, Universidad Nacional Autónoma de México
Haydée Silva est professeure titulaire et responsable de l’équipe de didactique de la langue et la littérature à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université Nationale Autonome du Mexique. Elle y enseigne, entre autres, la didactique du français langue étrangère. Elle est titulaire d’un doctorat en théorie littéraire et de divers diplômes en didactique, traduction, interprétariat et sciences du jeu. Membre du Système national de recherche mexicain, elle a reçu divers prix et distinctions. Auteure de près de 125 articles publiés et de trois livres, co-auteure de trois ouvrages collectifs, elle a animé à ce jour plus de 220 ateliers dans 18 pays, portant essentiellement sur le jeu en classe de langue.
silva8a[at]unam.mx

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Droits d’auteur

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