1Depuis une vingtaine d’années, de nombreux dispositifs d’intégration destinés aux adultes migrants ont été développés dans les pays membres de l’Union européenne. Une abondante littérature met en rapport cette émergence de politiques communautaires et nationales et un contexte géopolitique modelé par la disparition du bloc soviétique, la diversification des populations migrantes, l’intensification du phénomène de globalisation, la persistance de déséquilibres dans la répartition des richesses.
2Au niveau de l’Union européenne, la création d’un fond d’intégration et l’application de directives depuis la fin des années 90 s’incarnent notamment dans des dispositifs d’intégration nationaux et régionaux qui intègrent un volet formation linguistique, au sein de parcours obligatoires ou facultatifs, gratuits ou payants.
3Ce volontarisme européen encadre donc l’action des Etats membres via des textes juridiques et oriente leurs politiques publiques à travers des incitants financiers. Toutefois, dans sa traduction sur le plan national, on constate que les visées de ces parcours d’accueil ou d’intégration restent liées à la fois à des traditions d’inclusion diverses, à l’équilibre entre assimilation et multiculturalisme et à des contextes de réaction face aux phénomènes migratoires et à leurs impacts sociaux, économiques et culturels dans différents territoires, ou encore aux enjeux électoraux particuliers.
4Les critiques et interrogations visant ces parcours d’accueil ou d’intégration concernent quant à elles la répartition des responsabilités entre migrants et société d’accueil dans le processus d’intégration, le rôle de filtre possible ou réel dans la sélection des migrants ou encore le rôle des formations linguistiques dans ce processus d’intégration et leur importance en terme de cohésion sociale.
5Dès lors, les actions de formations linguistiques destinées aux migrants se sont multipliées, intégrées ou non dans les parcours d’accueil et d’intégration.
6Dans le cadre du soutien européen aux publics migrants d’origine extra-communautaire, le fond AMIF (acronyme anglais du Fonds Asile, Migration et Intégration) finance des activités destinées à soutenir l’apprentissage de la langue. Il s’agit d’un exemple de financement indirect, lié à une autorité nationale ou régionale qui cofinance différents types d’initiatives relatives à ces activités de formation linguistique : cours de langues mais aussi création d’outils pédagogiques, formations de formateurs…
7Il existe par ailleurs de nombreux projets européens menés par des organismes de différents pays financés sans intervention de ces autorités dans le cadre du programme Erasmus + (financements directs).
8Les aides financières européennes (directes et indirectes) ainsi que les dépenses publiques engagées au niveau national ou régional bénéficient à un ensemble d’acteurs du champ de la formation linguistique pour adultes migrants.
9Si on prend le cas de la Belgique francophone pour illustrer les budgets que représentent ces financements, 34 organismes bruxellois et wallons était soutenus financièrement par le fonds AMIF pour dispenser des formations en FLE ou développer des outils pédagogiques en 2018. Le budget alloué aux opérateurs linguistiques du parcours d’accueil francophone bruxellois avoisinait quant à lui les 1,8 millions d’euros en 2017.
10Il serait sans doute intéressant de partager une analyse de la répartition de ces fonds, la pertinence des objectifs repris dans les appels d’offre, la cohérence territoriale des dispositifs, la prise en compte des fonctions transversales nécessaires au bon fonctionnement des structures ou encore l’égalité d’accès aux aides disponibles.
11Le champ de la formation linguistique pour adultes migrants est fortement remodelé par cet afflux de possibilité de financement, bien sûr accompagnées de contraintes quant aux objectifs des formations, aux formats horaires ou à la définition des publics bénéficiaires.
12Le monde de la recherche est aussi concerné par ce soutien financier puisque de nombreuses universités et instituts de recherche sont impliqués dans des partenariats soutenus dans le cadre du programme Erasmus +, en association avec d’autres types d’organismes dont des acteurs de terrain. Ces projets peuvent concerner les formateurs/formatrices et les publics migrants auprès desquels ils interviennent : LEARNING ZONE, L-PACK, VIME, FOCAALE…
13Parmi les nombreux enjeux concernés, nous souhaitons mettre l’accent sur l’organisation des formations linguistiques. Les actions de formation destinées aux adultes allophones renvoient à des visions de l’apprentissage, et en tant que professionnels du champ, nous savons que cette organisation relève aussi d’une série de contraintes et de choix de la part des structures de formation.
14Dès lors, la question se pose de savoir quelle est la marge de manœuvre dont disposent les acteurs de la formation. Quels parcours de formation proposer aux apprenants ? Cette question, ouverte en apparence, concerne tous les intervenants du champ qui y rapportent parfois des réponses pratiques éloignées des besoins individuels des bénéficiaires.
15Dans la réalité bruxelloise francophone, on constate par exemple une tendance à privilégier l’organisation des parcours selon les niveaux globaux du CECR, que ce soit au niveau du parcours d’accueil, des organismes d’insertion socio-professionnelle, de la promotion sociale, des écoles privées mais aussi des associations de taille relativement modeste.
16Il s’agit fréquemment d’une contrainte imposée par les pouvoirs publics qui interviennent dès lors dans un domaine qu’on pourrait croire réservé aux spécialistes de la formation pour adultes. On pourra opposer à cet argument la nécessaire homogénéisation des niveaux proposés par des établissements sur un territoire donné où les apprenants circulent plus ou moins librement.
17Lorsque ce sont des structures de formation qui s’imposent ce cadre, nous pouvons nous demander si les responsables ne proposent pas ici une lecture biaisée du CECR. Le cadre que constitue le CECR ne donnant pas d’objectifs normatifs en termes d’organisation des parcours d’apprentissage, ni même d’objectifs d’apprentissage.
18Toutefois, il apparaît que ce choix d’une organisation des parcours par niveaux met les acteurs de la formation, et en premier lieu les formateurs et leurs apprenants, face à des difficultés que nous constatons à un niveau local et dont le relevé pourrait se faire à plus grande échelle. Citons une de ces difficultés récurrentes liée à l’impossibilité de différencier les niveaux d’oral et d’écrit dans un niveau global pour des groupes d’apprenants aux compétences souvent hétérogènes en situation homoglotte dans des pays dont les langues sont largement diffusées.
19La question se pose alors de savoir ce qui motive les responsables au moment d’organiser les formations. Ce sujet nous semble en effet se situer dans un angle mort de la réflexion en didactique. Pourtant, on peut se demander s’il ne s’agit pas de choix essentiels sur lesquels les acteurs de terrain doivent peser lors de l’élaboration des politiques publiques relatives à la formation linguistique des adultes, à travers les associations professionnelles ou au cours des processus de consultations.
20Cette réflexion sur une certaine vision monolithique du CECR pour constituer les groupes d’apprenants s’accompagnera utilement d’un questionnement sur les alternatives qui existent pour proposer des parcours plus individualisés et répondre aux limites constatées dans un système dominé par le découpage par niveaux du CECR : parcours respectant l’hétérogénéité des compétences, cursus à la carte, organisation par ateliers, approches basées sur les besoins… Une mise en commun des expériences ouvrirait ainsi la voie à un enrichissement de l’offre de formation par une diffusion d’alternatives opposables à une uniformisation qui ne répond pas de façon satisfaisante à la diversité des parcours des publics et au processus d’inclusion.