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Comptes rendus

Firouzeh Nahavandi (sous la direction de), Turquie, Le déploiement stratégique

Bruxelles : Bruylant, 2012, 285 p.
Julien Zarifian
p. 107-109
Référence(s) :

Firouzeh Nahavandi (sous la direction de), Turquie, Le déploiement stratégique, Bruxelles : Bruylant, 2012, 285 p.

Texte intégral

1Le lecteur qui se penchera sur l’ouvrage collectif Turquie, Le déploiement stratégique, apprendra sans doute beaucoup. L’étude, solide, dirigée par la sociologue belge d’origine iranienne Firouzeh Nahavandi, et publiée dans la très belle collection « Axes » de l’éditeur bruxellois Bruylant, propose un panorama des relations extérieures actuelles (c’est-à-dire essentiellement post-11 septembre) de la Turquie, présentée dès l’introduction comme une nation « qui compt[e] sur la scène internationale et se déploie dans son environnement immédiat » (p. 3). Des neuf contributions, rédigées tantôt par des spécialistes de la Turquie, tantôt par des spécialistes des pays dont les relations avec la Turquie sont étudiées, et auxquelles il faut ajouter une courte introduction, quelques grands enseignements se dégagent.

2Plusieurs articles, en particulier ceux de Didier Billion, directeur des publications de l’IRIS, et du politologue Ali Kazancigil, expliquent, avec détermination voire virulence, que qualifier la politique étrangère turque de ces dernières années, menée sous la houlette du ministre Ahmet Davutoğlu, au prétexte qu’elle est particulièrement dynamique, de « néo-ottomane », comme l’ont fait beaucoup d’observateurs, est « fantasmatique », « anachronique », et relève de « clichés sur les sociétés musulmanes » (Kazancigil, p. 52). Ces mêmes contributions relèvent aussi que cette nouvelle politique extérieure turque, voulue par les gouvernements du parti AKP, dit « islamiste modéré », qui cherche à la fois l’apaisement avec les voisins et le rayonnement régional et international, ne constitue pas véritablement une rupture avec celle des décennies précédentes qui en portent en fait les germes.

3L’importance de l’économie dans la politique étrangère turque actuelle, beaucoup moins « sécuritaire » que dans la tradition kémaliste, est aussi analysée, notamment dans les relations d’Ankara avec l’Asie centrale, comme le met en évidence l’ensemble de la contribution de Lebriz Yakacikli, docteur en sciences sociales et politiques de l’Université Libre de Bruxelles. Emeline Uwizeyimana, doctorante en sciences politiques et sociales, elle aussi à l’Université Libre de Bruxelles, explique que c’est aussi le cas avec l’Afrique et que, depuis quelques années, les échanges économiques de la Turquie avec le continent africain augmentent de 10 % tous les ans (p. 165). Le soft power, c’est-à-dire la capacité d’influencer un partenaire, en particulier un autre État, sans utiliser de moyens coercitifs, est aussi beaucoup plus développé par les gouvernements AKP qu’il ne l’était par ses prédécesseurs.

4Les autres contributions, notamment celles traitant des relations turco-iraniennes et turco-russes (par Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite à l’Institut des hautes études internationales et du développement, Genève, et Clément Therme, chercheur à ce même institut) mais aussi turco-chinoises (par Thierry Kellner, également chercheur à l’IHEID) concluent que la diplomatie tous azimuts des gouvernements AKP à permis des progrès immédiats réels, notamment, là encore en matière d’échanges économiques des relations extérieures de la Turquie. Toutefois, les analyses montrent aussi que ces progrès se sont souvent avérés beaucoup plus partiels et relatifs qu’ils n’ont pu paraître de prime abord. En outre, dans le cas des relations turco-iraniennes, ces progrès n’ont pas annulé les contentieux de fond qui demeurent, notamment s’agissant de la concurrence géopolitique au Caucase, ou au Moyen-Orient, où Turquie et Iran s’affirment comme deux puissances régionales dominantes (p. 85, 86, 87).

5De même, Pierre Vanrie, de l’Université Libre de Bruxelles, analysant dans le chapitre traitant de la question kurde la complexité des récentes évolutions de ce dossier, explique que malgré des progrès non-négligeables, « l’obligation pour l’AKP de devoir faire le grand écart permanent entre opinion turque et kurde de Turquie risque d’empêcher la réalisation concrète de ce [processus] d’ouverture kurde [démarré en 2008] qui, à partir de la fin 2010 et dans la perspective des élections législatives de juin 2011 a marqué le pas. » (p. 284)

6À l’inverse, le partenariat turco-israélien, longtemps particulièrement privilégié, s’est certes détérioré mais sans pour autant cesser d’exister. L’auteur du chapitre traitant du sujet, Élise Ganem, qui en est une spécialiste reconnue, montre d’une part que, si cette détérioration est concomitante de l’arrivée au pouvoir de l’AKP en Turquie, les évolutions politiques et géopolitiques des années précédentes, comme par exemple la Seconde Intifada, de l’automne 2001, en portait déjà les germes (p. 95). D’autre part, cette détérioration, symbolisée par « l’affaire de la flottille de Gaza », du printemps 2010, est bien réelle mais est quelques peu nuancée par l’auteur, qui explique que, au vu des intérêts stratégiques ou économiques, le partenariat turco-israélien demeurera mais « se fera dans davantage de discrétion » (p. 115).

7Au final, les contributions de cet ouvrage collectif sont toutes intéressantes, bien menées et regorgent d’informations et d’analyses nouvelles qui donnent à comprendre la politique étrangère de la Turquie depuis l’accession au pouvoir de l’AKP dans toute sa complexité et ses nuances. Toutefois, comme souvent s’agissant des ouvrages collectifs, le sujet, qui cherche à explorer « la place de la Turquie dans son environnement régional et sa nouvelle politique de déploiement » (p. 7), n’est pas totalement couvert. On peut comprendre qu’un tour d’horizon exhaustif aurait été particulièrement difficile à mener, mais on regrette que, sans parler de ceux avec l’Union européenne, largement étudiées par la littérature existante, les rapports avec les Balkans, la Grèce, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, etc. ne soient pas traités spécifiquement, voire parfois pas abordés du tout. Le lecteur sera par exemple sans doute surpris que, parmi les 41 pages de sa contribution pourtant intitulée « Réflexions introductives sur la politique extérieure de la Turquie » et dont une trentaine de pages est consacrée aux évolutions récentes de celle-ci, Didier Billion ne traite pour ainsi dire pas de l’Arménie. Il mentionne le processus de rapprochement de 2008-2010, entre Ankara et Erevan, en moins d’une ligne, page 45. Certes ces questions sont évoquées, en particulier par Ali Kazancigil, qui dénonce avec lucidité et franchise le refus du pouvoir turc de reconnaître le génocide de 1915, mais elles ne sont pas analysées. On le regrette car les développements liés à la tentative de rapprochement entre le deux voisins en disent long sur la diplomatie turque, complexe et parfois ambigüe, menée par l’AKP sous la direction du ministre Davutoğlu.

8Ces quelques manquements seront sans doute comblés à l’avenir et, en partie, grâce aux jalons que le présent ouvrage, Turquie, Le déploiement stratégique, a posés.

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Pour citer cet article

Référence papier

Julien Zarifian, « Firouzeh Nahavandi (sous la direction de), Turquie, Le déploiement stratégique »Revue arménienne des questions contemporaines, 15 | 2012, 107-109.

Référence électronique

Julien Zarifian, « Firouzeh Nahavandi (sous la direction de), Turquie, Le déploiement stratégique »Revue arménienne des questions contemporaines [En ligne], 15 | 2012, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/raqc/635 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eac.635

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Auteur

Julien Zarifian

Maître de conférences en civilisation américaine, université de Cergy-Pontoise

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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