Texte intégral
1Il s’agit du bilan des connaissances, tiré grâce à un Programme Collectif de Recherche, concernant le site antique de Boulogne-sur-Mer-Gesoriacum/Bononia – un port militaire et commercial essentiel aux relations transmanche – dans le contexte de la cité des Morins. La table ronde tenue pour tirer ses conclusions en 2015 est donc publiée près de cinq ans plus tard ici.
2Quant à la forme de cet assez volumineux recueil, la maquette est agréable et les illustrations en général de bonne qualité. Avec d’assez nombreux lecteurs, je considère toutefois que le report en fin de volume de la totalité des bibliographies citées dans les articles successifs est fort peu pratique, et tout particulièrement pour l’incontournable utilisation des articles spécifiques en pdf. En revanche, la présentation de trois volumineux corpus (noms de lieux, noms de personnes et noms communs) me semble une excellente initiative, bien utile à quiconque recherchant ici des informations sur tel ou tel point particulier, élément qui fait souvent défaut dans les volumes de publication de cette taille.
3On se reportera au sommaire pour le détail du contenu. Ce volume de près de 450 pages comporte donc 18 articles plus ou moins longs, répartis en deux sections elles-mêmes divisées chacune en trois sous-sections, après une introduction. Je me propose d’examiner le détail de ces contributions, avant de tirer le bilan sur l’ensemble ainsi constitué.
4La première partie porte donc sur le site portuaire de Boulogne et les relations transmanche à la période romaine :
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- 1 Cependant, contrairement à ce qu’indique la conclusion, la réelle place des différentes contributio (...)
- 2 Selon les données textuelles, épigraphiques et archéologiques.
Une Introduction d’une douzaine de pages, par deux des directeurs de la publication, se charge de replacer Boulogne antique et les contributions successives du recueil dans un contexte général et dans les problématiques qui concernent ce territoire et justifieront les choix des thématiques des articles rassemblés ici1. Le site se place à la période romaine sur le large estuaire de la Liane, dans une situation topographique très différente de celle de la ville d’aujourd’hui (voir la fig. 1). Base militaire navale de la Classis Britannica, sans doute à partir de Claude et au moins jusqu’au milieu du iiie s. de n. è.2, la ville est aussi port de commerce important et port de pêche.
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- 3 Selon Suétone, Caligula, 46 ; mais rien n’y dit que c’est celui de Boulogne, contrairement à la “ T (...)
L’étude du phare antique de Boulogne, disparu au xviie s. avec l’effondrement de la falaise, est tout à fait intéressante, à partir des documents textuels et iconographiques de la période, mais aussi d’une assez riche iconographie médiévale et moderne. Cette tour-phare, dite “ tour de Caligula3 ” ou “ Tour d’Odre ”, a aussi fait office de trophée. Les mentions antiques du port sont aussi examinées à cette occasion.
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La quasi-absence d’horrea connus sur le site est plus intrigante : l’auteur avoue que le peu de vestiges interprétés comme tels ne sont pas définitivement convaincants.
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- 4 La distance de cap à cap n’est que de 30 km. Étude menée ici par un archéologue britannique.
Puis c’est l’étude des liaisons transmanche, au premier chef entre le Pas-de-Calais et Douvres4 – avec le site de Richborough-Rutupiae un peu plus au nord –, puis, de manière plus large, en Manche ou en Mer du Nord, du point de vue militaire, bien sûr, mais aussi commercial, d’une grande importance dans un sens comme dans l’autre.
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L’article suivant – traduit de l’anglais – m’apparaît moins indispensable, traitant du site britannique d’East Wear Bay à Folkestone en remontant inutilement au… Mésolithique, pour un établissement somme toute assez modeste dont l’importance est sans doute exagérée par la place qui lui est ici offerte : 18 pages, très descriptive.
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- 5 Mais c’est sans doute l’effet des conditions de conservation, cet alliage étant oxydable et fragile
Pour le commerce transmanche, une première étude concerne un sujet original et peu traité : les importations en Gaule du Nord de vaisselle en “ pewter ” (alliage étain-plomb, parfois dénommé chez nous “ étain au plomb ”) provenant de Britannia (surtout du Sud-Ouest), avec le premier inventaire des pièces connues sur le continent (cf. fig. 9) : non moins de 280, essentiellement en Gaule Belgique et en contexte funéraire5, avec quelques pièces encore en Lyonnaise, en contexte fluvial ; une typologie est présentée.
5Suivent deux études céramologiques qui se complètent.
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La première concerne le faciès céramique propre à la Classis Britannica basée ici, pour les ier-iie s., avec des importations britanniques (notamment Black Burnished Ware).
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- 6 Dont une tuile estampillée CL[assis]BR[iritannica] (fig. 5).
La seconde propose l’examen de l’approvisionnement céramique (productions régionales et importations) de Boulogne, avec l’exemple d’une fouille récente rue Saint-Martin et de ses deux phases d’occupation : l’une, encore par la Classis Britannica6, au iie s., des réaménagements, dans un contexte encore militaire, de la fin du iie-première moitié du iiie s., d’autres encore aux iiie et ive s. et une dernière phase couvrant la période 320-ve s. Les importations de Bretagne insulaire sont notables.
6La 2e Partie concerne un cadre géographique plus large, couvrant la cité des Morins.
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- 7 Considérée par les Anciens comme “ au bout du monde ”, selon l’expression poétique et un peu désuèt (...)
- 8 Sans compter le Portus Itius de César (BG), que l’on peut sans doute identifier à Boulogne ou du mo (...)
L’histoire de cette cité7 est d’abord examinée, surtout à partir de la documentation textuelle et épigraphique. Les Morins ont leur capitale à Thérouanne-Tervanna, mais Gesoriacum (ou Gersiacum ?)8 est, dès le Haut-Empire, à la tête d’un pagus et devient à la fin du iiie s. le chef-lieu d’une nouvelle cité déduite de celle des Morins, sous le nom de Bononia. C’est aussi l’aboutissement de la voie dite de l’Océan pour le réseau mis en place sous Auguste par Agrippa. L’assez célèbre production de sel des Morins est soulignée.
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Puis le monnayage romain à Boulogne est comparé de manière suggestive à la circulation monétaire dans son arrière-pays, avec 18 sites, plutôt côtiers : on y note en particulier un nombre remarquable d’aurei qui, avec d’autres caractéristiques de ce monnayage, semble représentatif de la présence prégnante de la Classis Britannica. Mais, pour le Bas-Empire, seul Boulogne même est examiné, révélant le déclin du site, au moins à partir du début du ve s. (Constantin III).
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L’étude qui suit concerne les meules rotatives de la cité, également un indicateur économique important. On note des importations quantitativement significatives de meules en poudingue de Haute-Normandie (cité de Calètes et Véliocasses), mais aussi en pierre volcanique de l’Eifel (dont de grandes meules plates de moulins hydrauliques ou à sang) ; ceci dans le cadre de circuits commerciaux d’approvisionnent qui sont en fait ici ceux alimentant la Britannia (cf. carte, fig. 10).
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On revient ensuite à la céramologie avec les échanges commerciaux que révèle son étude dans le cadre de la plaine septentrionale des Morins, à partir d’une petite vingtaine de sites de fouilles récentes (dont 8 funéraires), pour les Haut et Bas-Empire. Une comparaison avec l’approvisionnement de Boulogne même est esquissée, confirmant, entre autres, les relations avec la Grande-Bretagne (cf. supra).
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- 9 Pas de carte des établissements du secteur, avec les comparaisons locales, p. 294 sqq. Pour le mond (...)
Sont présentés ensuite les balnea de deux établissements ruraux de la vallée de la Canche (à Attin et Beutin). On regrettera que l’habitat rural de la cité, et notamment dans l’outfield et territoire vivrier de Boulogne, ne soit vraiment abordé que par ce biais, indirect et partiel9 ; d’autant que ces deux sites n’ont par ailleurs été qu’en partie explorés. Le premier balnéaire fonctionne encore au Bas-Empire, alors que le second est abandonné au début du ive s. Certes, ce type d’équipement révèle une certaine aisance des propriétaires des lieux, mais sans plus, les deux établissements ne correspondant manifestement pas aux plus grandes villae connues, même si le balneum de Beutin est plus développé que celui d’Attin.
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- 10 Voir toutefois, au moins déjà, Doyen et Lelarge 2013.
- 11 Représentée par une vaste couche-dépotoir ou aire de rejets de plus de 2 500 m2 dans l’emprise de f (...)
- 12 Ceci est suggéré plus que clairement souligné, insuffisamment sans doute, dans le texte ; et ce peu (...)
On salue plus volontiers l’article qui suit, consacré au très remarquable site de Nempont-Saint-Firmin (Pas-de-Calais), fouillé en préventif il y a quelques années et encore largement inédit10 : occupation de la fin du iiie-début du ive s., sur une voie, puis surtout nécropole et occupation11, avec profonde modification du site, dans le 2e tiers du ive-début du ve s. Le mobilier révèle alors une claire présence militaire sur ce site, installé sur un promontoire dominant l’estuaire de l’Authie, qui semble aussi jouer alors un rôle économique prépondérant. Par cette présence de la militia, il est très probable que ce site participe de l’organisation du Litus Saxonnicum sur la Manche12. Les activités artisanales identifiées sont par ailleurs signalées.
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- 13 Sans doute discutable : il était proposé avec plus de prudence dans le rapport de fouille...
- 14 Avec d’autres (Cl. Sellier, R. Delmaire), mais sans que les arguments en faveur de ce choix soient (...)
- 15 Dont la référence précise n’est pas donnée : Occ., XXXVIII, 3.
- 16 À noter au passage, pour la forme, que la liste des mithraea données pour la carte fig. 14 (d’après (...)
On souligne ensuite l’apport de l’archéologie préventive aux connaissances plus anciennes dans ce secteur littoral, avec l’exemple du territoire de Marquise, non loin de la côte, à une dizaine de kilomètres au nord-est de Boulogne : présence, au Haut-Empire, d’un sanctuaire et de plusieurs nécropoles, ainsi que de quelques établissements ruraux alentour, avec des carrières de pierre faisant l’objet d’une assez large diffusion. Cependant l’interprétation du site central comme agglomération n’est pas clairement exprimée. Pour le Bas-Empire, il est proposé d’identifier, rue Ferber, un mithraeum13 et l’on insiste surtout sur le rôle du site dans l’organisation du Litus Saxonnicum, en proposant14 de localiser le cantonnement de cavaliers dalmates de Marcae ou Marcis – mentionné par la Notitia Dignitatum15 – à Marquise plutôt qu’à Marck-en-Calaisis, proche et quant à lui sur la côte (cf. carte fig. 1516).
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L’examen des données funéraires pour la cité des Morins est ensuite proposé. Ces ensembles (voir carte fig. 2) sont principalement autour de Thérouanne – la capitale – et Boulogne, ainsi que dans la plaine côtière au nord, le long de la Canche, frontière sud de la cité et à l’est, vers Saint-Omer. Les pratiques funéraires et l’organisation des nécropoles sont examinées, pour les Haut et Bas-Empire, de manière classique, sans qu’on puisse distinguer ici de faciès culturel spécifique, par exemple pour la zone littorale, ni de caractéristiques particulières à cette cité en Gaule Belgique.
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- 17 C’est moi qui précise “ écrites ”, car il existe aussi des sources archéologiques, iconographiques (...)
La dernière contribution apporte un dernier éclairage utile, avec les sources écrites17 alto-médiévales concernant la Morinie. Elle ne concerne cependant que les limites administratives des différentes entités territoriales de ce secteur, après la déduction de la cité-évêché de Boulogne de celle des Morins – ce que le titre ne précise pas –, un peu donc au détriment d’autres informations, par exemple au sujet de la christianisation et les premières églises de ce territoire.
- 18 En remettant ici, ce faisant, à sa juste place le commerce de la céramique, mis dans ce volume en e (...)
- 19 Ainsi, curieusement peut-être – compte tenu du profil de l’auteur –, cette conclusion laisse assez (...)
7Enfin, l’assez courte conclusion de Michel Reddé tente de tirer le bilan de ces études, en proposant quelques pistes de réflexion : cet exercice n’est selon moi pas des plus aisé, compte tenu du caractère peu homogène et parfois lacunaire de ce recueil (cf. infra). Les acquis, incontestables depuis les années 1970 sont d’abord soulignés : ils concernent en premier lieu le rôle économique de ce port, face à la Britannia18, et notamment l’approvisionnement de cette province ; cet aspect est développé à propos du commerce du vin, non traité en lui-même dans le recueil19.
- 20 En jouant maladroitement sur le terme de “ devenir ”…
8Si les thématiques déclinées dans les titres des différentes sections et sous-sections de cet ouvrage apparaissent cohérentes et assez complètes pour appréhender le fonctionnement de ce site insigne à l’intérieur de son territoire, cette cohérence – et exhaustivité – l’est sans doute moins dans la déclinaison du détail des chapitres successifs à l’intérieur de ces sections : ceci est tout particulièrement perceptible dans la dernière sous-section (“ Le devenir des Morins ”), où l’on attend donc un examen de cette agglomération et de son territoire au-delà de la période romaine et où l’on trouve, plaqué de manière très artificielle20, un chapitre sur les pratiques funéraires chez les Morins.
- 21 Ainsi, si l’index rerum mentionne “ agriculture, production agricole ”, ceci ne renvoie qu’à des al (...)
9En réalité, il ne s’agit pas – par cet ensemble d’études – de proposer en finalité un bilan des connaissances sur Boulogne antique et son territoire, mais plutôt sans doute d’offrir un certain nombre d’éclairages successifs – certes complémentaires –, au gré des différentes contributions, tout en laissant plus ou moins délibérément et explicitement de côté d’autres aspects : selon moi, surtout concernant l’occupation du sol et le monde rural (cf. supra)21, mais aussi par exemple les aspects cultuels ou des activités artisanales de production d’objets manufacturés, thématiques auxquelles seules quelques allusions sont faites çà et là.
10Il s’agit d’un recueil d’articles, avec ses manques plus ou moins criants, mais aussi avec ses aspects les plus captivants, dont cependant, par conséquent, la cohérence et l’homogénéité d’ensemble ne sautent pas d’emblée aux yeux : ceci en quelque sorte, en définitive, tel qu’on l’attendrait d’un colloque ou table ronde et de la publication de ses Actes, ce qu’est en réalité ce recueil (cf. introduction supra), alors que ceci n’est pas explicitement indiqué d’entrée, prêtant ainsi le flanc à ma critique sur ce point.
11Cette réserve n’enlève rien, cependant, à l’intérêt indéniable de la majorité des contributions et, ainsi, à l’apport de ce recueil à la connaissance de ce site de Boulogne et de son territoire dans l’Antiquité. On ne peut donc que se réjouir de la publication – de qualité – des Actes de cette table ronde de 2015.
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Notes
Cependant, contrairement à ce qu’indique la conclusion, la réelle place des différentes contributions par rapport à ces problématiques n’est pas vraiment définie ici, pour justifier un ensemble qui, dans certains cas, peut paraître hétéroclite voire arbitraire, et en tout cas reste lacunaire pour certains aspects (cf. ma propre conclusion, infra).
Selon les données textuelles, épigraphiques et archéologiques.
Selon Suétone, Caligula, 46 ; mais rien n’y dit que c’est celui de Boulogne, contrairement à la “ Tour d’Odre ”.
La distance de cap à cap n’est que de 30 km. Étude menée ici par un archéologue britannique.
Mais c’est sans doute l’effet des conditions de conservation, cet alliage étant oxydable et fragile.
Dont une tuile estampillée CL[assis]BR[iritannica] (fig. 5).
Considérée par les Anciens comme “ au bout du monde ”, selon l’expression poétique et un peu désuète de Virgile dans l’Énéide (undis / extremis hominum).
Sans compter le Portus Itius de César (BG), que l’on peut sans doute identifier à Boulogne ou du moins à l’estuaire de la Liane.
Pas de carte des établissements du secteur, avec les comparaisons locales, p. 294 sqq. Pour le monde rural, pour partie, voir toutefois infra l’article concernant Marquise.
Voir toutefois, au moins déjà, Doyen et Lelarge 2013.
Représentée par une vaste couche-dépotoir ou aire de rejets de plus de 2 500 m2 dans l’emprise de fouille (cf. fig. 3), recouvrant notamment la voie : ne pourrait-il d’ailleurs s’agir de dépôts de “ terres noires ”, ce qui ne serait pas étonnant pour cette période ?
Ceci est suggéré plus que clairement souligné, insuffisamment sans doute, dans le texte ; et ce peut-être avec d’autres établissements de la baie d’Authie : rappelons notamment, sur la rive opposée (Ambiens ?), la célèbre nécropole tardive de Vron (cf. entre autres Seillier 1986). Mais voir aussi à ce sujet la contribution suivante.
Sans doute discutable : il était proposé avec plus de prudence dans le rapport de fouille...
Avec d’autres (Cl. Sellier, R. Delmaire), mais sans que les arguments en faveur de ce choix soient donnés, le site étant considéré simplement comme “ plus favorable ”, hormis la présence ici de vestiges de l’Antiquité tardive. On peut donc percevoir ici une certaine tendance à la surinterprétation…
Dont la référence précise n’est pas donnée : Occ., XXXVIII, 3.
À noter au passage, pour la forme, que la liste des mithraea données pour la carte fig. 14 (d’après Sauer 1996) ne concorde pas avec la localisation des numéros sur la carte : nos 18 et 19 manquant dans la liste, localisation de Martigny, no d’Angers situé à Bordeaux, etc.
C’est moi qui précise “ écrites ”, car il existe aussi des sources archéologiques, iconographiques et autres.
En remettant ici, ce faisant, à sa juste place le commerce de la céramique, mis dans ce volume en exergue par non moins de trois contributions.
Ainsi, curieusement peut-être – compte tenu du profil de l’auteur –, cette conclusion laisse assez largement de côté les aspects militaires, ainsi que la période de l’Antiquité tardive…
En jouant maladroitement sur le terme de “ devenir ”…
Ainsi, si l’index rerum mentionne “ agriculture, production agricole ”, ceci ne renvoie qu’à des allusions dans une douzaine d’occurrences (pages) pour tout le recueil (5 seulement pour “ élevage ”, mais toutefois un peu plus nombreuses pour “ villa ”).
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