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Dossier thématique

Avis de tempête chez les climatologues

Un renouvellement des vecteurs de la crédibilité professionnelle en contexte d’urgence climatique ?
Stormy weather for climatologists. A renewal of their professional credibility in a time of climate urgency?
Aviso de tormenta para los climatólogos. ¿mudanza de los vectores de credibilidad profesional en el contexto de emergencia climática?
Hannah Gautrais

Résumés

La mobilisation sociale et politique autour du changement climatique transforme les conditions et les formes de l’activité scientifique en climatologie. Les chercheurs sont de plus en plus amenés à intervenir publiquement, à travers des activités d’expertise, de diffusion ou d’advocacy. Situer leurs pratiques à l’interface entre différents mondes sociaux et en lien avec plusieurs acteurs (entreprises, gouvernements, médias, associations) les pousse à interroger les vecteurs habituels de la crédibilité scientifique. À travers une enquête par entretiens, nous montrons que les climatologues enquêtés font preuve d’une grande prudence quant à la remise en question des formes classiques de la crédibilité scientifique, même si l’espace professionnel autorise des débats plus radicaux à son sujet.

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Texte intégral

Introduction

1Depuis quelques années, les scientifiques signent de plus en plus de tribunes dans les médias pour alerter sur les conséquences du changement climatique et appeler leurs collègues à s’engager (Capstick et al., 2022 ; Gardner & Wordley, 2019 ; Green, 2020 ; Jean, Steinberg & Santolini, 2022 ; Kalmus, 2022). Face au constat que mettre à disposition des connaissances scientifiques ne garantit pas une réponse politique efficace, certains formulent un devoir moral à intervenir dans le débat public en tant que détenteurs d’un savoir particulier. L’idée que les scientifiques auraient un impératif à agir contre le dérèglement du climat provoque des dissensions entre chercheurs et des réactions des institutions scientifiques. En effet, si celles-ci définissent désormais la transmission de connaissances aux citoyens afin d’informer le débat démocratique comme une mission essentielle des chercheurs, les interventions publiques des scientifiques restent encadrées pour éviter des discours trop prescriptifs, susceptibles de discréditer la profession (Nelson & Vucetich, 2009). Pourtant, de plus en plus de professionnels de la recherche et de citoyens soutiennent les scientifiques favorables à des politiques climatiques spécifiques (Cologna et al., 2021 ; Getson et al., 2021). L’articulation entre les prises de parole publiques des scientifiques et la crédibilité accordée aux sciences est donc marquée par une ambivalence fondamentale, particulièrement manifeste en contexte de crise climatique, que cet article propose d’aborder à partir d’un domaine se trouvant au cœur de ces débats : celui des sciences climatiques.

2Notre question s’inscrit dans la longue histoire des différents répertoires de mobilisation des « intellectuels scientifiques » (Pinault, 2003). Depuis les années 1980, ceux-ci favorisent des engagements ponctuels et individuels, destinés à dénoncer les risques créés par des innovations scientifiques spécifiques, en lien avec la succession de crises sanitaires et environnementales (Bonneuil, 2006). Les opportunités d’intervention publique des chercheurs se sont à la fois diversifiées et institutionnalisées dans les années 1990 : aux demandes d’expertise émises par les pouvoirs publics, s’ajoute une consigne des administrations scientifiques à produire une science « socialement robuste » et à en publiciser les résultats (Gibbons et al., 1994). Une littérature dédiée s’est donc développée pour tenter de dessiner le périmètre de ces nouveaux modes d’engagement des scientifiques.

3Du fait du continuum existant entre le travail de recherche et les activités de médiation vers des publics non spécialistes (Bauer & Jensen, 2011), la définition des interventions publiques des chercheurs ne fait pas consensus (Runkle & Frankel, 2012). Fabienne Crettaz von Roten et Olivier Moeschler distinguent ainsi les

modalités d’information (conférences, articles dans des magazines de vulgarisation, interview dans les médias), (…) les modalités de dialogue (cafés scientifiques ou boutiques de sciences), de décision (procédures participatives telles que les conférences de consensus) et d’intégration de la société dans la recherche (Crettaz von Roten & Moeschler, 2010, p. 48).

4Les auteurs reprennent la catégorie anglophone difficilement traduisible de « public engagement » qui regroupe toutes « les actions entreprises par les scientifiques pour communiquer leurs résultats et interagir avec le public en dehors de l’université ou du secteur scientifique » (Crettaz von Roten, 2017). Cette acception large néglige néanmoins les contraintes structurelles des espaces de prise de parole des scientifiques et unifie « l’espace public » sous une même opposition à la sphère scientifique. Le terme de « scientific advocacy » est quant à lui utilisé pour désigner des prises de parole plus prescriptives, en soutien à des politiques publiques spécifiques (Lackey, 2007), bien que certains auteurs tentent de le débarrasser de sa dimension polémique en le présentant comme un spectre de positionnements (Boykoff, 2019 ; Donner, 2014). Ces tentatives de typologie reposent sur l’hypothèse que les énoncés scientifiques et les prises de parole publique sont d’une nature radicalement différente, les uns s’appuyant uniquement sur des faits, les autres sur des valeurs et des opinions.

5Contrairement à ces classifications qui réifient les frontières entre les activités scientifiques et les engagements publics, je situe mon analyse dans le sillage des travaux des Science and Technology Studies (STS) qui ont souligné que les énoncés scientifiques supposent, comme les prises de parole publiques, un travail de persuasion de leurs destinataires (Latour & Woolgar, 1988). De plus, ces travaux ont montré que les chercheurs effectuent un « travail de démarcation » (boundary work) pour distinguer des énoncés « objectifs » et « normatifs », autrement dit qu’ils déploient des stratégies discursives et matérielles destinées à tracer une frontière entre ce qui relève de la science ou non, et employées dans des situations de « luttes pour la crédibilité » où les acteurs s’affrontent pour obtenir « l’autorité épistémique » (Gieryn, 1999). Les enjeux de crédibilité associés à ce travail de démarcation ont surtout été étudiés dans des configurations où les sciences sont mobilisées dans les situations d’expertise. Sheila Jasanoff étudie ainsi comment les chercheurs sollicités dans les réglementations des matières cancérigènes font face à une remise en question de la crédibilité de leurs résultats car les industriels exploitent les moindres incertitudes pour mettre en doute l’intérêt de mobiliser la science dans les décisions publiques (Jasanoff, 1987). Les différents acteurs mènent alors un travail de démarcation entre sciences et politiques publiques pour s’octroyer le droit d’interpréter les résultats scientifiques selon leurs intérêts.

6Centrée sur les risques de décrédibilisation des scientifiques intervenant dans l’espace public, la littérature a peu étudié l’effet retour des engagements publics des chercheurs sur l’espace scientifique lui-même, et en particulier sur les modalités d’établissement et de maintien de la crédibilité scientifique vis-à-vis des pairs. Cette question s’impose pourtant face à la généralisation de l’engagement public des chercheurs, au-delà des seules situations d’expertise.

7Quelques travaux récents se sont certes penchés sur la relation entre les prises de parole des climatologues et leur crédibilité, emboîtant le pas aux nombreuses discussions analogues au sein des sciences de la biodiversité (Horton et al., 2016). Les conclusions en sont similaires : les chercheurs peuvent conserver leur crédibilité s’ils jouent des rôles appropriés dans l’espace public, en se contentant par exemple de fournir des projections environnementales sans appuyer des politiques publiques particulières ni appeler à changer les pratiques à l’échelle des individus (Cologna et al., 2021 ; Messling, 2020). Ces travaux définissent cependant la crédibilité comme une qualité perçue et attribuée aux chercheurs, ce qui ne permet pas d’en interroger la dimension relationnelle, ni les stratégies précises qu’emploient les scientifiques pour rester crédibles (Cologna et al,. 2021 ; Kotcher et al., 2017).

8En effet, comme le soulignent notamment David Bloor et Steven Shapin, la crédibilité accordée à un chercheur ou à une communauté scientifique est le produit d’un processus social contingent et négocié. Tandis que la validité dépend de critères méthodologiques, la crédibilité scientifique est de nature relationnelle, c’est-à-dire construite selon à qui elle s’adresse (Bloor [1976], 1991). Pour Shapin, il existe donc trois « économies de la crédibilité », qui se déploient respectivement au sein de la communauté scientifique, s’appuyant sur l’interconnaissance entre ses membres ; à l’interface entre experts et non experts ; ou à l’interface entre experts de spécialités différentes (Shapin, 1995). Dans cette approche relationnelle, la crédibilité est conquise à l’aide de différents vecteurs, désignant les entités humaines ou non humaines sur lesquelles s’appuient les scientifiques pour apparaître crédibles. La crédibilité d’un énoncé dépend donc de l’évaluation contextuelle qu’en font ses destinataires ; à ce titre, une affirmation aux implications politiques fortes peut être jugée peu crédible dans l’espace scientifique, mais bénéficier malgré tout au chercheur qui la porte (en suscitant l’intérêt des institutions publiques par exemple, qui peut lui donner accès au rôle de conseiller). Depuis les années 1990, la littérature sociologique s’est surtout intéressée à la construction d’une crédibilité scientifique par des acteurs extérieurs à la recherche professionnelle (Epstein, 1995) mais a peu documenté l’évolution de l’économie de la crédibilité des sciences vis-à-vis des pairs.

9En intervenant publiquement, les scientifiques du climat se situent de plus en plus à l’intersection entre plusieurs économies de la crédibilité, entre pairs ou en relation avec des acteurs non scientifiques. Je souhaite interroger ici les interactions entre ces économies, c’est-à-dire leurs influences réciproques mais aussi le maintien d’une certaine étanchéité. Comment les engagements publics des scientifiques du climat participent-ils à consolider ou à entacher leur crédibilité vis-à-vis de leurs pairs et des institutions de recherche ? Débouchent-ils sur un renouvellement du travail de démarcation entre sciences et politiques climatiques, et plus largement sur une remise en question de la manière dont s’établit la crédibilité scientifique dans les sciences climatiques ?

10Après un retour rapide sur le contexte des sciences climatiques en France et une présentation de mon dispositif d’enquête, je verrai dans une deuxième partie que les chercheurs en sciences climatiques mènent un travail de démarcation classique entre leurs activités de recherche et leurs prises de parole publiques qui leur permet de s’engager dans deux économies de la crédibilité relativement étanches l’une vis-à-vis de l’autre. Néanmoins, je montrerai dans un troisième temps comment les interventions publiques des climatologues fragilisent partiellement le travail de démarcation entre science et politique au sein même de la communauté des sciences du climat, interrogeant ainsi les contours de l’économie de la crédibilité scientifique interne.

Contexte et méthode d’enquête

11Les sciences du climat sont un terrain particulièrement intéressant pour interroger comment la crédibilité scientifique vis-à-vis des pais se recompose en lien avec la prise de parole des chercheurs dans l’espace public. En effet, ce cas présente plusieurs caractéristiques décisives : par l’ampleur de sa médiatisation, mais aussi par le clivage entre les positions et les pratiques des scientifiques du climat en termes d’intervention publique sur la question climatique, alors même que l’importance du dérèglement du climat et de ses conséquences fait désormais consensus dans la communauté scientifique. De plus, les chercheurs en climatologie ont une place particulièrement importante dans la construction du changement climatique comme problème public.

Les sciences climatiques, entre recherche et action publique

12En France, les sciences climatiques se sont structurées dès les années 1990 autour de questions à forte dimension politique, comme la détermination d’un seuil maximal d’émission de gaz à effet de serre (Comby, 2015). Elles s’insèrent plus généralement dans un « régime climatique » international, système imbriquant les multiples instances de gouvernance des risques climatiques et les acteurs scientifiques qui les informent (Aykut & Dahan, 2011 ; Jasanoff, 2010 ; Miller & Edwards, 2001). Si ce régime émerge dès les années 1970 avec le premier programme mondial de recherche climatique, c’est surtout la publication du premier rapport du GIEC en 1990 qui consacre les travaux des climatologues comme une source d’informations centrale pour les prises de décisions internationales grâce aux projections fournies par les « modèles de climat ». Les climatologues français, d’abord réticents à rejoindre le GIEC de peur d’être amenés à minimiser l’incertitude de leurs résultats, s’y sont engagés au début des années 2000 (Guillemot, 2007). Ces dernières années, le déploiement des politiques transnationales de lutte contre le dérèglement climatique s’accompagne d’une forte demande d’expertise non seulement par les pouvoirs publics, mais aussi par les médias, les acteurs économiques et les collectifs militants. Ainsi, la construction du dérèglement climatique en tant que « crise » à la fois environnementale, politique, économique et sociale va de pair avec la multiplication des opportunités et des injonctions d’engagements publics des chercheurs.

Dispositif d’enquête

13J’ai enquêté par entretiens biographiques auprès de treize climatologues (anonymisés) prenant la parole publiquement avec l’objectif de saisir leurs trajectoires publiques, politiques et scientifiques. L’approche par les trajectoires permet une analyse dynamique qui saisit les évolutions individuelles et collectives des vecteurs de crédibilité employés par les scientifiques. J’ai pris contact avec la moitié des enquêtés en diffusant un appel à participation sur des listes professionnelles de mails, précisant que je recherchais des scientifiques du climat ayant des activités de « médiation ». L’autre moitié du corpus a été recrutée par sollicitation directe après repérage des profils intéressants à partir des informations disponibles sur internet. Les climatologues interrogés font donc partie de la minorité de scientifiques la plus active dans l’espace public (Jensen & Croissant, 2007). Les entretiens ont permis de reconstituer le parcours professionnel des chercheurs, d’interroger leurs perceptions à propos de leur rôle social et de retracer leurs trajectoires d’intervention dans les espaces de l’expertise, des médias et des associations.

14Afin de tirer profit d’un petit nombre d’entretiens effectués dans le cadre contraint d’un travail de master et de saisir une variété de cultures épistémiques et institutionnelles, j’ai fait le choix d’interroger des chercheurs de différentes disciplines (tableau 1), provenant de divers laboratoires (tableau 2). La communauté française des sciences du climat est en effet éclatée, disciplinairement et institutionnellement, en partie en raison de la complexité des phénomènes climatiques. Afin d’étudier conjointement les mécanismes physico-chimiques propres au fonctionnement météorologique et les interactions entre climat et système terrestre (continents, océans, biosphère, cryosphère), les sciences climatiques ont recours à la physique, la chimie, la biologie, l’informatique et les mathématiques, ainsi qu’à un grand nombre d’instruments technologiques (satellites, capteurs, radiosondes, radars, etc.). L’étude du climat constitue donc une « vaste machine » qui repose sur des infrastructures planétaires et des connaissances multiples associant observations qualitatives, descriptions des processus physico-chimiques et modélisations du système climatique (Edwards, 2010). La climatologie française est structurée autour de deux principaux pôles institutionnels : le CNRM (Centre National de Recherches Météorologiques, qui met en avant l’efficacité opérationnelle des recherches climatiques et recrute davantage d’ingénieurs) et l’IPSL (Institution Pierre Simon Laplace, un groupement de laboratoires d’Île-de-France fondé en 1994 travaillant sur le climat, attaché à la recherche fondamentale).

  • 1 Contrairement à Sapiro (2008), j’ai choisi d’inclure dans l’enquête la participation à des activité (...)

15Par ailleurs, j’ai adopté une définition volontairement large des engagements publics, incluant les activités de vulgarisation scientifique des connaissances climatiques à tous types de publics (scolaire, associatif, professionnel), les prises de parole dans les médias et/ou sur les réseaux sociaux, la production d’expertise à destination de divers commanditaires (organisations internationales, États, entreprises), et les liens avec le monde associatif et politique1. Élargir le domaine de définition de l’advocacy des chercheurs permet d’éviter de proposer un classement a priori des différentes modalités d’intervention, afin de saisir en pratique le travail de démarcation effectué par les chercheurs et comment ils intègrent plus ou moins la prise de parole publique aux activités scientifiques.

16Dans le domaine des STS, les engagements scientifiques ont été saisis à travers la notion d’« engagement épistémique » proposée par Céline Granjou et Isabelle Arpin (2015). Cette notion permet de penser l’imbrication entre les pratiques de recherche et les activités publiques, car le travail de production des connaissances engage toujours une conception du rôle social des sciences et un positionnement éthique et réflexif. Cependant, j’ai choisi de ne pas reprendre cette approche à mon compte, car elle suppose une analyse en termes d’« enchevêtrement » des facteurs qui déterminent les régimes de recherche pertinents pour la société, et agrège donc les pratiques scientifiques et les activités publiques (op. cit., p. 2). Cela la rend donc peu adaptée pour étudier l’effet spécifique des modes d’intervention publique sur la façon dont les scientifiques définissent leur crédibilité vis-à-vis de leurs pairs. Bien que les autrices évoquent des « boucles de rétroaction entre l’engagement dans des scénarios et des problèmes environnementaux particuliers, les approches et pratiques de recherche, et les investissements pratiques » (Granjou & Arpin, 2015, p. 13, traduit par mes soins), leur démarche typologique, cohérente avec la multi-dimensionnalité des engagements épistémiques, laisse de côté l’analyse fine des transformations de la sphère scientifique sous l’effet de la généralisation des prises de parole des chercheurs.

Tableau 1 : Unités de recherche d’affiliation des chercheurs enquêtés

Nom de l'unité de recherche

Tutelles

Localisation

Centre National de Recherche Météorologiques (CNRM)

CNRS, Météo - France

Toulouse

Institut de Géosciences de l’Environnement (IGE)

CNRS, IRD, Université Grenoble - Alpes, Grenoble  -INP

Grenoble

Laboratoire d’Études en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS)

CNES, CNRS, IRD, Université Toulouse III

Toulouse

Laboratoire de Physique de l’École Normale Supérieur de Lyon

CNRS, ENS Lyon

Lyon

Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD) (IPSL)

CNRS, École Polytechnique, ENS, Université Pierre et Marie Curie

Paris

Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN) (IPSL)

CNRS, IRD, Sorbonne Université, Muséum national d'histoire naturelle

Paris

Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) (IPSL)

CNRS, CEA, Université de Versailles Saint-Quentin

Paris

Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols (METIS) (IPSL)

CNRS, EPHE, Université Pierre et Marie Curie

Paris

RiverLy

INRAE

Lyon

Tableau 2 : Positions professionnelles des chercheurs enquêtés

 

Genre et âge

Statut

Spécialité et discipline

C1

F, 41 ans

Directrice de recherche

Hydroclimatologie
(sciences de la terre et de l’univers)

C2

F, 51 ans

Directrice de recherche

Hydroclimatologie (sciences de la terre et de l’univers)

C3

H, 28 ans

Post-doctorant

Hydroclimatologie (sciences de la terre et de l'univers)

C4

H, 50 ans

Directeur de recherche

Modélisation climatique (mathématiques)

C5

H, 62 ans

Directeur de recherche

Modélisation climatique (physique)

C6

F, 44 ans

Chargée de recherche

Paléoclimatologie marine (géochimie)

C7

H, 56 ans

Directeur de recherche

Océanographie et climatologie (sciences de la terre et de l’univers)

C8

H, 56 ans

Directeur de recherche

Modélisation climatique (physique)

C9

H, 53 ans

Directeur de recherche

Modélisation climatique (physique)

C10

H, 36 ans

Chargé de recherche

Hydroclimatologie (sciences de la terre et de l’univers)

C11

F, 42 ans

Directrice de recherche

Modélisation climatique (sciences de la terre et de l’univers)

C12

H, 46 ans

Directeur de recherche

Modélisation climatique (physique)

C13

H, 46 ans

Chargé de recherche

Hydroclimatologie (sciences de la terre et de l’univers)

Des savants dans la cité : s’engager sans se décrédibiliser

17Cette deuxième partie détaille les stratégies de crédibilité relativement classiques que les scientifiques du climat mettent en œuvre pour valoriser leurs interventions publiques au sein de l’espace scientifique. Que ce soit dans les médias, l’expertise ou le milieu associatif (trois sphères que j’étudierai successivement), les vecteurs de crédibilité mobilisés sont en effet usuels, et visent à distinguer les activités de recherche des logiques politiques et militantes. Ce travail de démarcation, surtout documenté par la littérature dans les situations d’expertise, connaît néanmoins des variations en fonction des contraintes spécifiques aux espaces publics investis, mais aussi selon les positions institutionnelles et disciplinaires des chercheurs interrogés. À ce titre, l’économie de la crédibilité scientifique dans le domaine climatique semble ainsi se construire moins sur le rejet de toute forme d’engagement que sur des processus de délimitation entre les « bonnes » et les « mauvaises » formes d’intervention.

Un investissement critique dans l’arène médiatique

18Dans la mesure où elles sont soutenues par les institutions d’appartenance des climatologues enquêtés et restent compatibles avec un travail de démarcation insistant sur la neutralité scientifique, les activités médiatiques constituent un moyen d’obtenir de la crédibilité dans les sciences climatiques.

19L’enquête a montré que les chercheurs prenant la parole dans les médias maintiennent en effet une image de neutralité en refusant de s’exprimer sur les mesures à mettre en œuvre pour limiter le dérèglement global. La majorité des scientifiques interrogés s’exprimant dans les médias se donnent ainsi un rôle d’éducation du public, parfois attaché à une déontologie professionnelle propre au service public. L’intervention publique est alors conçue comme le prolongement de leurs pratiques scientifiques et notamment de leur mission d’enseignement.

20En ce sens, prendre la parole en public ne remet pas en cause la crédibilité scientifique vis-à-vis des collègues. Pour ce faire, les chercheurs effectuent un travail de démarcation en affirmant que la transmission des connaissances à un public non spécialiste peut avoir des effets politiques par elle-même. Dans ce discours, le savoir doit mener à l’action gouvernementale ou individuelle, mais les scientifiques n’en sont pas directement responsables :

Je présente des faits scientifiques publiés et consensuels. (...) Quand je parle des solutions [au changement climatique] je présente des chiffres, je présente des leviers pour réduire le CO2 : on regarde le pourcentage d’émissions liées aux transports, à l’industrie... C’est factuel, et après je dis pas « bon maintenant vous allez devenir végétariens » ; je dis « les élevages bovins contribuent à tant de pourcents de l’effet de serre » et après je me dis que c’est aux gens de se faire leur propre opinion à partir des chiffres. Je m’interdis d’être moralisatrice, je ne donne aucune injonction aux gens, je présente les choses de la façon la plus chiffrée possible et ensuite c’est à eux de faire leur propre opinion. (Chercheuse 11, directrice de recherche).

21Ce travail de démarcation est cependant compliqué par la situation de double contrainte dans laquelle sont les scientifiques du climat lorsqu’ils prennent la parole sur la question du changement climatique. Alors même que les logiques médiatiques les poussent à produire des discours certains pour répondre aux attentes des auditeurs, passer sous silence les incertitudes attachées aux projections climatiques peut entacher leur crédibilité auprès de leurs pairs (Shackley & Wynne, 1996). En effet, les projections climatiques obtenues par les modèles scientifiques sont toujours affectées d’un certain degré d’incertitude du fait de la variabilité naturelle interne du climat, de l’imperfection des modèles et de l’indétermination des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre. La crédibilité scientifique en sciences climatiques tient moins à la réduction maximale de ces incertitudes qu’à leur explicitation. Alors que, dans l’espace médiatique, la capacité à tenir un discours catégorique à propos du dérèglement climatique constitue un risque de décrédibilisation faible et que le bénéfice attendu est fort, il semble que ce soit plutôt le contraire dans le domaine scientifique.

22Dans l’espace médiatique, les scientifiques du climat sont donc en position de devoir répondre simultanément aux contraintes de deux économies de la crédibilité opposées. En prenant la parole publiquement, ils représentent en effet à la fois leur profession et leurs institutions de recherche dont ils engagent la crédibilité vis-à-vis des autres acteurs scientifiques. Cette position d’intersection demande aux chercheurs un travail de démarcation adapté aux contraintes médiatiques. Selon Shackley et Wynne, face aux décideurs politiques, ce travail prend la forme d’une formulation des incertitudes qui laisse une latitude d’interprétation, permettant le dialogue avec les pouvoirs publics sans fragiliser la crédibilité des conseillers scientifiques auprès de leurs pairs (Shackley & Wynne, 1996). Les stratégies de crédibilisation des climatologues passeraient plutôt par un apprentissage des logiques médiatiques. Certains climatologues, particulièrement sollicités par les journalistes, établissent en effet un rapport routinier avec l’espace médiatique, qui leur permet d’en comprendre et d’en maîtriser les règles, comme ce directeur de recherche bien au fait du « script » médiatique implicite sur l’attribution d’évènements météorologiques extrêmes au changement climatique :

Ils m’aiment bien BFM. C’est quelque chose d’intervenir à BFM ! (rire) T’arrives, ils t’ont appelé, tu devines que c’est parce qu’il y a eu une tempête au large de truc, ils te disent même pas (…). BFM ils sont plutôt au parfum [sur le changement climatique] mais ils se refusent catégoriquement de porter un quelconque discours de ce genre-là quand ils parlent, ça ne peut être que l’expert qui le dit, ils ne peuvent poser que des questions de naïfs. (...) Ils me donnent la réponse avant que j’arrive en plateau, une fois c’était un gag, [le présentateur] me dit « Bah vous savez pourquoi vous venez. Vous avez vu les chutes de neige, les gens sont coincés dans les stations. Bon, on va vous demander est-ce que c’est lié au changement climatique ? Vous allez me répondre, on ne peut pas savoir. » Il m’a posé la question quand même, il m’a demandé « Est ce que c’est lié au changement climatique ? ». Il m’avait déjà fait la réponse ! (Chercheur 8, directeur de recherche).

23Face à la forte médiatisation de leur sujet de recherche, s’investir dans la compréhension et la maîtrise de l’espace médiatique permet à certains climatologues d’y exercer une forme de contrôle sur la scientificité des discours médiatiques sur le changement climatique.

24Cette montée en compétences médiatiques des scientifiques s’inscrit dans des stratégies de crédibilité au niveau institutionnel. Pour obtenir ou maintenir une bonne place dans les recherches sur le climat en contexte de mise en concurrence accrue les uns avec les autres, les laboratoires se dotent de services de communication destinés à accompagner et à former les scientifiques dans leurs prises de parole publiques, à travers par exemple le media training ou des programmes d’échange chercheurs-journalistes :

C’est intéressant, depuis le début de ma carrière, on a glissé d’une vulgarisation très open, à des stratégies de com qui sont aussi des stratégies d’institution, à la limite de la guerre entre les instituts quoi. Je surinterprète probablement mais il y a une guerre pour avoir la bonne place dans la thématique du climat. Et derrière il y a des notions de budget. Tu sais que les budgets de la fonction publique en ce moment ce n’est pas terrible et qu’on coupe plutôt un peu partout, j’interprète ça comme « Le climat c’est un thème à la mode », donc être un institut bien placé sur le climat, c’est avoir une chance de préserver un peu tes budgets. (Chercheur 12, directeur de recherche).

25Une fois maîtrisée, la scène médiatique peut être investie par les scientifiques pour soutenir un agenda de recherche, consolider leur crédibilité vis-à-vis de leur institution d’appartenance, mais aussi pour défendre la science elle-même lorsque celle-ci est mise en compétition dans l’espace public avec d’autres discours à propos du dérèglement du climat. Ce mode d’intervention se rapproche alors de la définition de « scientific advocacy » que propose Toss Gascoigne (2008) : il s’agit pour les chercheurs de « préserver les intérêts de la science », par exemple en démontrant la pertinence méthodologique des énoncés scientifiques sur le changement climatique. Un directeur de recherche tente ainsi d’expliquer dans les médias qu’attribuer un évènement météorologique extrême au changement climatique ne peut se faire que dans la limite d’intervalles de confiance :

Ah oui, la dernière fois [que je suis intervenu dans les médias sur une question d’attribution] c'était au moment des tornades aux États-Unis... J’avais pris le temps de me renseigner suffisamment pour pouvoir dire un tout petit peu quelque chose, et je pouvais aller parler de comment on fait pour savoir si, oui ou non… Enfin d’où ça vient la confiance là-dessus, de savoir si tel évènement est dû au changement climatique. Enfin disons qu’il y a toujours des choses plus importantes à dire à mon avis, sur quel est le travail derrière pour savoir si oui ou non c’est lié, plutôt que de savoir est-ce que c’est lié absolument...
- Donc en fait parler de la méthode scientifique plus que du résultat lui-même ?
- Oui, voilà. (Chercheur 8, directeur de recherche).

26On retrouve ici le résultat mis en avant par Sunniva Tøsse (2013) : les climatologues tentent de regagner une forme de contrôle sur les logiques médiatiques en dressant une frontière claire entre experts scientifiques et non experts. Dans cet extrait, l’expertise est définie par la capacité d’interpréter les incertitudes des projections climatiques.

27Au même titre que les interventions médiatiques, les activités d’expertise des climatologues sont soutenues et valorisées par les institutions scientifiques. Néanmoins, elles ne mettent pas en jeu les mêmes relations entre les économies de la crédibilité publique et interne à la communauté scientifique.

Crédibilité et échelles de l’expertise

28Les pratiques d’expertise des scientifiques du climat, c’est-à-dire les « activités de collecte, de synthèse et d’interprétation de connaissances pour forger une recommandation pour l’action » (Eyal, 2019), se déploient à plusieurs échelles spatiales et en association plus ou moins étroite avec les pouvoirs publics. Comme pour les sciences de la biodiversité, les modes de contribution des chercheurs à la production des savoirs en climatologie influencent leur engagement dans l’expertise : selon l’échelle à laquelle ils travaillent (locale ou globale), les scientifiques ont tendance à s’engager dans un type d’expertise qui se développe plutôt au niveau local et de façon suivie (« locally-focused »), ou dans une expertise internationale et ponctuelle propre au GIEC (« globally-focused ») (Granjou & Mauz, 2012).

  • 2 Dans son ouvrage La Voix du climat, K. De Pryck précise néanmoins qu’il existe encore de nombreux d (...)

29La procédure propre au GIEC permet aux climatologues d’effectuer un travail de démarcation claire entre sciences et décisions politiques. En effet, elle est conforme au « modèle linéaire » de l’expertise, qui repose sur une « séparation spatiale et temporelle des processus politique et scientifique et sur une relation particulière entre ces deux processus résumée par le slogan : speaking-truth-to-power » (Aykut, 2011). La mise en scène de cette linéarité procédurale délègue aux gouvernements le soin de tirer les conclusions politiques des faits scientifiques établis par consensus. Les rédacteurs des rapports se donnent ainsi un rôle strictement scientifique, en reprenant par exemple certaines procédures de garantie de l’écriture académique, qui garantissent la crédibilité du GIEC aux yeux de la communauté de recherche : la relecture systématique par les pairs, ou encore la définition d’un langage commun pour exprimer les incertitudes des projections climatiques, défini par des notes d’orientation (guidance notes)2.

30Ainsi, participer à la rédaction des rapports du GIEC confère une autorité vis-à-vis des pairs qui procède moins de l’applicabilité indirecte des recherches que du prestige scientifique entourant l’organisation, qui réunit les meilleurs chercheurs mondiaux, choisis sur candidature. De cette façon, être membre du GIEC accroît le crédit scientifique des chercheurs en sciences du climat alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit fragilisé par un soupçon d’agenda politique. Un directeur de recherche considère ainsi que sa participation à l’écriture des rapports du GIEC lui confère « un certain standing international » qui lui permet d’avoir accès facilement à des financements de recherche et d’être souvent sollicité pour participer à des projets (entretien, 01/02/2022). Aussi le statut de « rédacteur du GIEC » représente-t-il un puissant vecteur de crédibilité individuelle dans la communauté des sciences climatiques car il y entérine une position déjà dominante. À ce titre, l’engagement dans le GIEC subvertit moins les critères classiques de la « bonne science » qu’il ne s’y intègre et la renforce.

  • 3 Ce portail a été initié par Météo-France en collaboration avec les chercheurs du CNRM, de l’IPSL et (...)

31Le GIEC fait néanmoins figure d’exception parmi les modalités possibles d’expertise. Depuis une dizaine d’années, on observe par ailleurs une demande d’expertise accrue de la part des acteurs territoriaux, qui déplace les recherches climatiques vers le niveau local (Dahan & Guillemot, 2015). Une partie des climatologues s’investit donc dans ces formes d’expertise plus opérationnelles que le GIEC, qui sont destinées à fournir aux acteurs régionaux ou privés les informations nécessaires aux stratégies d’adaptation aux changements climatiques ; on parle alors de « services climatiques ». En témoignent le développement du réseau français des Groupes Régionaux d’Experts sur le Climat (GREC) depuis 2018 et la création du portail « DRIAS » en 2009 qui met à la disposition du public des projections climatiques régionalisées3.

32Les chercheurs spécialisés dans l’étude du changement climatique à l’échelle d’une région ou d’un territoire sont ainsi surtout sollicités par les pouvoirs locaux sur des questions d’adaptation :

En sciences du climat, en interaction avec le public, il y a deux grands concepts : la mitigation et l’adaptation. La mitigation c’est réduire les gaz à effets de serre, l’adaptation c’est s’adapter aux changements climatiques inévitables. Quand tu fais de la modélisation régionale et que tu t’intéresses à des échelles fines, tu bosses sur l’adaptation et pas sur la mitigation parce que c’est un problème global. Et l’adaptation pour que ça marche il faut être au contact des acteurs locaux, il faut comprendre leurs besoins et essayer de rentrer dans cette compréhension et de coconstruire des approches, ou en tout cas de bien être conscient de l’information qui est attendue, quoi. Et donc les réseaux d’expertise locaux travaillent à l’échelle des régions, où les gens connaissent les acteurs locaux, et donc peuvent avoir cette connaissance fine. (Chercheur 12, directeur de recherche).

  • 4 Extrait de la présentation du Réseau d’Expertise sur le Changement climatique en Occitanie (RECO) : (...)
  • 5 Par exemple, les observations climatiques réalisées par les acteurs économiques des stations de ski (...)

33Spécialiste de modélisation climatique régionale, ce chercheur a donc participé à la rédaction d’un rapport sur les changements climatiques régionaux dans le cadre d’un GREC. Bien que cela mériterait une enquête à part entière, nous pouvons faire l’hypothèse que ces groupements d’experts, revendiqués comme « hybrides »4 et ayant pour but de rassembler aussi bien les acteurs de la recherche que les acteurs publics, privés et associatifs locaux, posent sous un jour nouveau la question des effets retours de ces situations d’expertises sur la crédibilité scientifique vis-à-vis des pairs. Notamment, les chercheurs doivent avoir recours, dans ces modalités d’expertise, à des connaissances produites par des acteurs non scientifiques5.

34Si l’espace scientifique de la climatologie est loin d’être unifié, ces divisions traversent aussi parfois les organisations. La construction de la crédibilité scientifique peut ainsi être source de tensions à l’échelle des laboratoires, voire des équipes de recherche. Comme cela a aussi été mis en avant dans le cas de la toxicologie, les chercheurs d’un même laboratoire peuvent avoir différents rapports moraux à l’expertise (Demortain, 2021). On observe par exemple la coexistence des deux économies de la crédibilité décrites plus haut (internationale/locale) au niveau d’un même laboratoire. Une directrice de recherche très impliquée dans le réseau des GREC remarque par exemple que si elle n’observe pas de « hiérarchisation » au sein du laboratoire entre ses pratiques d’expertise et celles de son collègue Pierre (rédacteur de plusieurs rapports du GIEC), ils ne jouissent probablement pas de la même crédibilité scientifique vis-à-vis des instances d’évaluation de la recherche :

Pierre c’est un modélisateur. Son expertise est sur le développement de modèles robustes, pour donner des scénarios crédibles sur changement climatique. (…) On est très complémentaires : il faut des chercheurs d’excellence comme Pierre pour que, nous, on soit en capacité d’accompagner des territoires. Là-dessus on travaille en toute bienveillance dans le laboratoire, il n’y a pas de hiérarchisation – même si en termes d’évaluation académique de la recherche j’imagine très bien comment Pierre se situe par rapport à moi, typiquement. (Chercheuse 2, directrice de recherche).

35L’espace des sciences climatiques est traversé par plusieurs économies de la crédibilité : dans les environnements de recherche tournés vers l’opérationnalisation des recherches climatiques, la participation à des projets d’expertise en collaboration étroite avec les acteurs politiques ou économiques peut être valorisée auprès des institutions scientifiques et des pairs. Cette construction de la crédibilité par l’engagement dans l’espace public ne vient cependant pas remplacer les vecteurs de crédibilité propres à « l’évaluation académique » (reconnaissance institutionnelle, publication, collaborations internationales), mais s’y superposer. Une bonne activité de publication est ainsi posée comme condition implicite de l’intervention publique par ce chargé de recherche à l’IGE :

La notion d’impact sociétal, c’est assez ancré dans mon équipe, ça a été moteur dans mon activité de médiation. (…) Par ailleurs j’ai plutôt une production scientifique pas trop mauvaise, donc tous les signaux sont au vert pour faire ce dont j’ai envie (Chercheur 10, chargé de recherche).

36Les climatologues s’engageant dans des activités d’expertise n’effectuent donc pas tous le même travail de démarcation selon qu’ils travaillent à l’échelle internationale ou locale, mais ils maintiennent dans tous les cas une certaine étanchéité entre les économies de la crédibilité. L’engagement dans des activités d’advocacy adossées à des groupes militants fait l’objet de positionnements plus éclatés.

L’engagement militant comme contre-modèle

37La méfiance générale des chercheurs interrogés vis-à-vis de l’engagement associatif ou militant (aucun n’étant adhérent actif d’une association défendant la cause climatique au moment de l’enquête) peut s’expliquer par leur adhésion à un « schème technoscientifique ». Mobilisé dans les milieux de l’ingénierie pour appréhender la réalité politique à travers un mode de raisonnement valorisant les prises de position étayées par la connaissance des faits et des données, ce schème de pensée est intériorisé au cours de la formation scientifique (Sainsaulieu, Surdez & Zufferey, 2019). Transféré dans la sphère politique, il peut expliquer une certaine réticence au militantisme sous sa forme la plus partisane ou idéologique :

[Ne pas être engagé politiquement sur la question climatique] c’est pas forcément pour ne pas mélanger les genres [politique et scientifique]... Je pense qu’il y a aussi malgré tout, pas forcément une prudence, mais un regard sur moi-même qui dit « est-ce que c’est bien sérieux tout ça », un peu de distance, je ne me sens pas assez confiant pour dire « voilà une vérité simple dans laquelle je vais m’engager » pour militer dans une... Parce que quand on milite dans un parti politique ou une ONG, c’est souvent assez étroit et moi, le côté manque de nuance... Je ne peux pas m’empêcher de dire qu’il y a d’autres perspectives. (Chercheur 7, directeur de recherche).

38Cependant, les mobilisations à propos du changement climatique ont des propriétés particulières qui permettent aux chercheurs de s’associer avec des mouvements militants tout en conservant une posture d’expertise. En effet, la plupart des mouvements écologistes utilise l’argumentation scientifique comme répertoire d’action en réponse à un « impératif scientifique » conditionnant le dialogue avec les décideurs publics (Granjou & Mauz, 2007 ; Ollitrault, 2001).

  • 6 Scientist Rebellion est un groupe international de scientifiques créé en 2020. Son but est de sensi (...)

39Ainsi, plusieurs chercheurs enquêtés collaborent de façon ponctuelle avec les associations écologistes les plus engagées sur la question climatique, comme Alternatiba, Extinction Rebellion, ANV Cop21 ou encore Greenpeace. Ces engagements sont rendus possibles par la mise en scène du statut d’expert, déjouant les risques de décrédibilisation dans le milieu scientifique. Un directeur de recherche a ainsi accepté de témoigner lors du procès d’activistes de Greenpeace ayant enduit un avion d’une grande compagnie aérienne de peinture verte, alors même qu’il juge que le militantisme risque de « décrédibiliser la science » et exprime une grande méfiance envers des initiatives comme Scientist Rebellion6. Son intervention est rendue possible par le statut de témoin scientifique, appelé à la barre pour établir l’existence d’une urgence à agir contre le changement climatique, qui consacre sa neutralité tout en lui permettant de participer à la défense (littérale) d’une cause :

[Greenpeace] m’a demandé de témoigner, et justement j’étais un bon client pour ça parce que je n’ai jamais été militant Greenpeace, Extinction Rebellion ou autre, donc j’ai pu avoir ce rôle, en bonne conscience. Ils m’ont pas du tout dit ce qu’il fallait que je dise ou demandé de noircir le tableau, c’était super réglo sur ce point-là. Mais c’est le genre de choses qui peut arriver justement quand on n’est pas militant associatif, parce que j’étais plus crédible qu’un membre de Greenpeace. (Chercheur 9, directeur de recherche).

40Ici, l’efficacité de l’engagement est paradoxalement justifiée par une attitude de retrait des logiques politiques. Le chercheur a préparé son intervention (qui n’avait pas encore eu lieu au moment de l’enquête) en relisant « le dernier papier qu’[il connaissait] d’auteurs connus sur le rôle de l’aviation » et en « regardant ce que [ses] collègues du GIEC avaient écrit dans le chapitre correspondant » (entretien, 01/02/2022). Il compte ainsi convoquer, comme le font les climatologues dans les médias, le registre du consensus scientifique : l’aviation participe grandement au dérèglement du climat. Cette vision oblitère cependant les usages stratégiques de la science dans les procès climatiques afin de renforcer les argumentaires militants (Torre-Schaub, 2020).

41Afin de conserver la relative étanchéité des différentes économies de la crédibilité dans lesquelles ils sont engagés, les chercheurs enquêtés qui portent un discours plus directement prescriptif dans l’espace public, par exemple sur les objectifs politiques à adopter face à la crise climatique, utilisent alors une rhétorique de séparabilité (formelle) des identités sociales de chercheur et de citoyen :

[Quand j’interviens sur les solutions au réchauffement climatique] je dis tout de suite que je sors complètement de ma casquette de scientifique. (Chercheur 7, directeur de recherche).

Je dis souvent qu’à titre personnel je préférerais qu’on vise le degré de réchauffement le plus faible possible, et je n’ai pas envie qu’on nie cette voix citoyenne parce que je suis scientifique et qu’à ce titre-là je n’aurais pas le droit de parler. (Chercheur 10, chargé de recherche).

  • 7 On retrouve parmi les climatologues la « concurrence des identités écologistes » décrite par Sylvie (...)

42Les pratiques d’advocacy dans l’espace politique et associatif sont alors formulées comme des choix personnels afin de ne pas mettre en jeu la crédibilité de la communauté scientifique dans son ensemble. La nécessité de cette distinction peut s’expliquer par l’absence de consensus interne dans la communauté des sciences du climat à propos des formes légitimes de l’engagement scientifique, qui se double d’une hétérogénéité des sensibilités écologiques7. Les climatologues ne peuvent donc pas s’engager en tant que communauté professionnelle.

43Dans cette première partie j’ai montré que les vecteurs traditionnels de la crédibilité scientifique vis-à-vis des pairs perdurent et qu’ils conditionnent les modalités d’interventions publiques des scientifiques du climat. Pourtant, cette persistance de l’économie de la crédibilité classique n’empêche pas une forme de politisation des chercheurs, réalisée entre pairs, autour d’une reconfiguration des pratiques scientifiques et de l’adoption de vecteurs de crédibilité inhabituels et contestés.

L’économie de la crédibilité scientifique traditionnelle en débat

44Cette seconde partie discute les résultats précédents en montrant comment les engagements publics des chercheurs peuvent les amener à questionner le périmètre de la crédibilité scientifique interne. En effet, on observe dans la communauté scientifique des formes de politisation qui découlent des contacts qu’ont les chercheurs avec l’espace public. Cette politisation scientifique débouche parfois sur la remise en cause de la démarcation entre science et politique sur laquelle repose en partie l’économie de la crédibilité traditionnelle, et ce au nom de la mise des compétences scientifiques au service de l’urgence climatique.

45Les formes de politisation que je vais désormais aborder ont la particularité d’être internes à la sphère scientifique, relativement inédites dans leurs manifestions, mais aussi localisées et contestées. Ainsi, je verrai que si certains chercheurs sont tentés d’abandonner la posture de neutralité scientifique comme vecteur de crédibilité, cet affaiblissement de la démarcation entre science et politique reste l’objet de vifs débats dans les laboratoires de recherche.

Réinventer les frontières de la crédibilité scientifique

46Dans les entretiens, plusieurs climatologues reconnaissent, voire revendiquent, la dimension politique de leur pratique scientifique, s’inscrivant dans la continuité des mouvements de « politisation de la science » nés dans les années 1970 pour questionner la séparation entre les sciences et les autres pratiques politiques et sociales « à partir des fonctions supposées de cette sphère d’activité et de l’autorité dont elle jouit vis-à-vis des autres » (Debailly, 2013, p. 401). Cette attitude réflexive vis-à-vis des enjeux politiques et sociaux qui traversent les sciences climatiques semble justement favorisée par la position d’interface qu’occupent les chercheurs, position qui les pousse à clarifier leur rôle dans les différentes sphères sociales : scientifique ? Expert ? Activiste ?

47La politisation scientifique prend tout d’abord une forme individuelle, qui intervient dans le parcours des chercheurs à la faveur d’évènements propres au contexte de montée de l’enjeu climatique. La majorité des climatologues interrogés fait ainsi le récit d’une « prise de conscience » de la dimension politique des sciences, s’appuyant sur une forme de reconstruction a posteriori des évènements vécus (Bourdieu, 1986).

48Un chargé de recherche en hydroclimatologie a par exemple amorcé un processus de politisation après avoir été confronté à une lecture politique de son travail émanant d’un collectif de citoyens sonnant l’alerte sur les risques de sécheresse dans une commune du Jura, ce qui l’a amené à s’interroger sur l’impact social de ses recherches. Il fait alors le récit d’un « déclic » :

Le déclic, et ça a vraiment été un déclic, ça a été en 2016-2017, quand j’ai découvert que [ce collectif] avait réussi à choper des données que j’avais produites sur des projections d’humidité du sol, publiées dans un article scientifique quand j’étais à Météo-France (…) J’avais fait mon travail scientifique, bien, et d’ailleurs j’ai même eu un prix international là-dessus, donc un super boulot niveau scientifique, sauf que pour être vraiment utile, il a fallu que ce soit un collectif de citoyens qui s’en empare. (…) Et ça m’a vraiment foutu un coup en fait. (…) Ça m’a vraiment fait me poser des questions sur mon utilité sociale. (Chercheur 13, chargé de recherche).

49Le chercheur commence par insister sur la qualité scientifique de son travail (« prix international », « super boulot scientifique »), se rapportant ainsi à des vecteurs de crédibilité classiques. Cependant, il remet ensuite en question le fait que les impacts sociaux et politiques ne soient pas inclus dans les vecteurs classiques de la crédibilité scientifique (impensé de l’« utilité sociale »). Dans la suite de l’entretien, le climatologue va plus loin, en questionnant la prévalence de la production de nouveaux savoirs climatiques sur la nécessité de rendre les savoirs existants politiquement et socialement efficaces :

En plus sur le changement climatique et l’hydrologie... Bon il y a encore plein de progrès à faire mais on est arrivés à un moment où les messages envoyés aux décideurs sont à peu près clairs : y a de moins en moins d’eau, et il va falloir s’entendre pour partager. La connaissance scientifique est suffisante pour ces messages-là. Donc même si je continue à le faire je me dis que c’est moins utile de produire de nouvelles connaissances que de rendre utiles celles qui existent déjà. (Chercheur 13, chargé de recherche).

50Ainsi, le contexte de débat public à propos de la gestion de la crise climatique peut favoriser chez les scientifiques du climat une lecture politique de leurs pratiques de recherche, qui affaiblit la démarcation sciences/politique et les mène à interroger la pertinence des vecteurs de crédibilité classiques. Si, dans les faits, cette interrogation ne semble pas forcément conduire les chercheurs enquêtés à abandonner les activités scientifiques visant à générer de nouveaux savoirs, elle peut réorienter leurs intérêts et leurs modes de recherche, notamment quand l’occasion se présente sur le plan institutionnel. Le chercheur 13 s’est par exemple investi dans un projet européen d’aide aux acteurs de la gestion locale des ressources en eau face aux dérèglements climatiques.

51Les processus de politisation individuelle s’inscrivent également dans des instances inédites de réflexion collective, qui contribuent à reconfigurer l’économie de la crédibilité interne à la communauté scientifique. L’enquête a en effet montré que la communauté des sciences du climat déploie une activité réflexive particulièrement intense depuis quelques années, sous la forme d’ateliers d’écologie politique, d’écoles d’été, de groupes de recherche ou de commissions éthiques… Ces espaces de discussion entre pairs sont des lieux privilégiés de questionnement des vecteurs de crédibilité car ils sont construits sur des liens de familiarité. La gestion locale des débats autorise en effet des remises en question plus radicales des critères de scientificité que l’arène publique, car elle n’engage pas l’image publique de la profession et permet aux chercheurs de porter une parole politique avec l’aval de leurs pairs :

Au début dans l’atelier d’écologie politique, c’était beaucoup des chercheurs qui avaient du mal à accepter la dichotomie entre le fait que leurs recherches consomment beaucoup énergétiquement (…) et la position plus militante qui était d’être conscients des thématiques d’énergie. Concilier les deux c’était dur, et le faire en plus sans savoir comment ça pouvait être perçu par des collègues, c’était pour eux très dur. Et le fait qu’il y ait cet espace de discussion inter-laboratoires, ça a permis quelque part de débloquer aussi un état d’esprit, d’accepter cette prise de position et l’aspect réflexif. (Chercheur 3, post-doctorant).

  • 8 Cette revendication de limitation des activités de recherche polluantes est surtout portée par le g (...)

52Les ateliers d’écologie politique, collectifs pluridisciplinaires de chercheurs, mettent ainsi à distance les vecteurs de crédibilité scientifique classiques. Par exemple, l’Atécopol, premier atelier d’écologie politique créé à Toulouse en 2018, affirme la priorité de la responsabilité sociale et morale des scientifiques face à la crise écologique sur les critères d’excellence scientifique. Soulignant qu’« aucune des activités scientifiques n’est neutre » (Atécopol, 2021, p. 328), l’atelier promeut l’engagement scientifique, à travers par exemple des cycles de conférences grand public, des activités de sensibilisation aux enjeux écologiques ou encore des tribunes dans la presse. Les vecteurs actuels de crédibilité scientifique sont alors revendiqués comme secondaires par rapport à cet engagement, voire dénoncés s’ils causent la production de gaz à effet de serre (déplacements en avion pour des collaborations internationales par exemple)8. Cette mobilisation se heurte néanmoins à la résistance de ces vecteurs classiques de la crédibilité scientifique lorsqu’ils contraignent les carrières individuelles et encadrent les rapports avec les directions des laboratoires : « l’équilibre entre la recherche d’une légitimité institutionnelle et la détermination que réclame l’urgence de la situation est ainsi régulièrement éprouvé au sein de l’Atelier » (Atécopol, 2021, p. 332).

53Du fait de la relative nouveauté des ateliers d’écologie politique et autres groupes apparentés, il est difficile d’évaluer leurs conséquences concrètes à grande échelle sur les pratiques des scientifiques du climat qui y participent. Ces groupes peuvent néanmoins favoriser des dynamiques de réorientation scientifique observées chez certains enquêtés. Après sa participation au lancement d’un atelier d’écologie politique, la chercheuse 6 décide par exemple qu’elle souhaite « aligner [ses] préoccupations environnementales et scientifiques » (entretien, 18/03/2022) et s’engage dans une reconversion thématique. Elle met de côté sa spécialisation en paléoclimatologie sur laquelle elle avait construit sa crédibilité scientifique pour s’impliquer dans la coordination d’un projet de recherche alliant sciences sociales et sciences expérimentales et centré sur les impacts des changements du climat dans une région polaire.

54Ainsi, avec l’apparition de ces collectifs de chercheurs qui promeuvent l’utilité sociale et politique des sciences comme un objectif primordial de leurs pratiques et antagoniques avec l’aspiration à l’excellence académique, les critères de crédibilité eux-mêmes deviennent un objet de mobilisation. En cela, s’intéresser à l’économie de la crédibilité traditionnelle permet de dépasser une première lecture du travail de démarcation des scientifiques comme une simple défense de leur autonomie vis-à-vis des acteurs extérieurs, pour prendre comme objet sociologique le travail réflexif (voire militant) des scientifiques sur ce qui démarque leur activité d’autres pratiques sociales, notamment sur le plan politique. Cependant, tout en reconnaissant les influences politiques modelant leurs activités, certains scientifiques du climat défendent la prévalence de vecteurs de crédibilité plus traditionnels, enracinés avant tout dans la pertinence scientifique des résultats produits.

Une « communauté perdue » ? Controverse politique et controverse scientifique

55Dans la communauté des sciences climatiques, s’il est acquis que les modèles servent d’appui à la décision politique, une tension persiste entre leur fonction cognitive et leur fonction de prévision (Guillemot, 2014). Dans cette section, je montrerai que les désaccords entre chercheurs sur la nécessité d’estomper la démarcation entre science et politique sont particulièrement visibles dans la controverse scientifique à propos du futur de la modélisation climatique.

  • 9 La « résolution » renvoie à la taille des mailles utilisées pour modéliser le système climatique ; (...)

56Parmi les modèles de simulations climatiques, « les modèles de circulation générale » (« general circulation models », GCM), sont aujourd’hui dominants en climatologie. Ils sont construits en deux parties : une partie dynamique, appuyée sur les lois de la dynamique des fluides et de la thermodynamique et formalisée par une série d’équations décrivant la circulation de l’atmosphère à la surface du globe, et une partie paramétrique dans laquelle il s’agit de représenter les autres processus affectant l’atmosphère (nuages, végétation…), grâce à des sous-modèles nécessitant une « calibration ». Les GCM sont cependant critiqués, car ils peinent par exemple à distinguer les effets du dérèglement climatique de la variabilité naturelle du climat à l’échelle locale, alors même que les demandes sociales et politiques d’informations climatiques précises sur des régions données sont grandissantes. Des projets de modélisation du système terrestre à haute résolution ont alors vu le jour, promettant des prévisions opérationnelles à différents horizons temporels9. Soutenu par la Commission Européenne à hauteur de 150 millions d’euros, le projet « Destination Earth » devrait par exemple fournir ses premières prédictions en 2023.

57Ce nouveau type de modélisation provoque des tensions entre climatologues, qui révèlent des désaccords sur les fondements de la crédibilité des sciences climatiques. Une directrice de recherche interrogée a par exemple décidé de se former aux modèles haute résolution à l’échelle globale pour réorienter son activité vers une méthode à la fois porteuse scientifiquement et plus directement en prise avec les besoins des décideurs politiques, lui permettant de « faire ce qu’[elle] pense être la meilleure chose à faire pour un chercheur pour la société » (entretien, 28/01/2022). À l’inverse, un climatologue spécialisé dans le développement des GCM perçoit l’attrait actuel pour ce nouveau type de modèle comme un dévoiement des recherches climatiques par des enjeux sociopolitiques :

  • 10 Référence aux Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET) introduits en 2004.

Moi, je pense que la communauté est perdue. On écrit des projets de recherche qui ne ressemblent plus à rien parce qu’on sait plus faire vibrer notre science. On est juste dans une espèce de culpabilisation de penser qu’on ne fait pas ce qu’il faudrait. Y a pas besoin de ces modèles de climat global à très haute résolution pour faire des plans climat à l’échelle des régions10 et pourtant ça prend une place énorme dans le budget de l’Europe. Et là, clairement, c’est l’argument d’autorité : « il faut répondre à l’urgence climatique, et c’est moi qui réponds à l’urgence climatique ». On n’est plus sur des arguments scientifiques. Au nom de l’urgence climatique, ça permet de dire n’importe quoi. Moi, encore une fois, l’urgence climatique comme moteur me va très bien, mais je le ferai au rythme de la recherche. (Chercheur 8, directeur de recherche).

58S’il y a évidemment des enjeux institutionnels et professionnels à valoriser un type de modèle plutôt qu’un autre, le climatologue défend ici l’idée que le développement des modèles doit être basé sur leur pertinence scientifique et se faire au « rythme de la recherche » plutôt qu’en réponse immédiate à la demande publique de prévisions d’impacts. Pour lui, cela suppose par exemple de ne pas transférer le financement des GCM vers les modèles globaux à très haute résolution sans avoir pris le temps de déterminer scientifiquement leur capacité à éclairer le changement climatique local. Il montre également que la crédibilité scientifique des GCM vient de la culture scientifique qui a lentement été accumulée à leur propos, et qui serait perdue s’ils venaient à ne plus être financés. Ainsi, les débats portant sur l’alignement des vecteurs de crédibilité scientifique sur les enjeux d’adaptation au dérèglement climatique s’expriment au sein de la communauté scientifique par une controverse sur l’horizon de développement des modèles climatiques.

Conclusion

59Dans cet article, j’ai montré que les stratégies de crédibilité des climatologues en contexte de crise climatique sont relativement classiques : lorsqu’ils interviennent dans l’espace public, les chercheurs mobilisent les critères de confiance habituels pour convaincre leurs auditeurs et conserver leur crédibilité auprès de leurs pairs. Ce résultat confirme le fait que certaines configurations d’engagement public peuvent consolider la crédibilité scientifique vis-à-vis des pairs à condition que les chercheurs parviennent à maintenir l’étanchéité des différentes économies de la crédibilité dans lesquelles ils interviennent.

60Néanmoins, l’enquête montre également que la persistance d’un travail de démarcation science/politique (Gieryn, 1983) peut coexister avec une mise à distance des critères de crédibilité habituels (internationalisation, publication, excellence académique…), au nom d’une responsabilité à mettre les compétences scientifiques au service de la cause climatique et d’en limiter le coût écologique. Les diverses formes de mobilisation collective et les réorientations scientifiques qui en découlent ne sont ici qu’ébauchées, et mériteraient une étude approfondie.

61Ainsi, s’intéresser aux vecteurs de crédibilité scientifique vis-à-vis des pairs permet de décaler le regard sur l’implication politique des climatologues, en sortant des débats normatifs sur la nécessité ou les risques de leurs prises de position. Nous voyons alors que la revendication d’efficacité sociopolitique des recherches climatiques peut être soit intégrée à l’économie de la crédibilité classique, notamment quand elle sert à justifier des modes d’engagement publics institutionnalisés, soit à l’origine de contestations inédites visant à repenser les vecteurs de crédibilité traditionnels. Finalement, ce constat confirme la nécessité d’analyser l’espace des sciences climatiques comme un espace hétérogène et hiérarchisé, loin de l’image médiatique uniforme des « climatologues ».

62Plus largement, se pencher sur les mutations des vecteurs de crédibilité scientifique en temps de crise permet d’interroger les recompositions contemporaines de la profession scientifique quand elle se déploie à l’interface de différents mondes sociaux. Cette enquête exploratoire mérite d’être complétée en élargissant l’échantillon des scientifiques interrogés et en mobilisant d’autres méthodes, comme des observations en laboratoire, afin de saisir les processus de politisation de la science. La constitution du changement climatique comme objet de recherche pluridisciplinaire devrait également être analysée plus précisément (Cabane & Revet, 2015), puisqu’elle met les climatologues de plus en plus en contact avec des chercheurs de sciences sociales davantage habitués à penser la dimension politique de leur activité.

Je remercie tous les scientifiques du climat qui se sont prêtés au jeu de l’enquête sociologique, ainsi que Boris Gobille et Julien Barrier pour leur accompagnement sur ce travail. J’adresse également mes sincères remerciements aux évaluateurs de la revue pour la précision et la qualité de leurs suggestions, et en particulier aux trois coordonnateurs du dossier thématique (Fabrizio Li Vigni, Séverine Louvel et Benjamin Raimbault) pour leur suivi extrêmement formateur et stimulant. Cet article leur doit beaucoup.

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Notes

1 Contrairement à Sapiro (2008), j’ai choisi d’inclure dans l’enquête la participation à des activités associatives et politiques que les climatologues entreprennent en tant que « citoyens ». Cela permet d’interroger leurs compétences contestataires et leurs dispositions à la mobilisation comme ressorts de leurs engagements.

2 Dans son ouvrage La Voix du climat, K. De Pryck précise néanmoins qu’il existe encore de nombreux désaccords sur la caractérisation des incertitudes par les scientifiques, et selon les groupes de travail (De Pryck 2022).

3 Ce portail a été initié par Météo-France en collaboration avec les chercheurs du CNRM, de l’IPSL et du CERFACS (Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique).

4 Extrait de la présentation du Réseau d’Expertise sur le Changement climatique en Occitanie (RECO) : https://reco-occitanie.org/missions/.

5 Par exemple, les observations climatiques réalisées par les acteurs économiques des stations de ski ou encore par des citoyens sensibilisés aux questions environnementales.

6 Scientist Rebellion est un groupe international de scientifiques créé en 2020. Son but est de sensibiliser au réchauffement climatique à travers des actions de désobéissance civile. Le choix des militants de porter des blouses blanches lors des manifestations témoigne de la mise au service de l’image scientifique pour la cause climatique.

7 On retrouve parmi les climatologues la « concurrence des identités écologistes » décrite par Sylvie Ollitrault, « de l’individu inquiet de la détérioration de son environnement au militant contre-culturel » (2001, p. 106).

8 Cette revendication de limitation des activités de recherche polluantes est surtout portée par le groupement de recherche « Labos 1point5 » (https://labos1point5.org), qui propose des « bilans carbone » des laboratoires. Cette initiative questionne directement les vecteurs de crédibilité contemporains, puisqu’il a été montré que prendre l’avion permet aux jeunes chercheurs d’obtenir de la visibilité dans la communauté scientifique, et aux chercheurs plus âgés de maintenir cette visibilité (Berné et al., 2022).

9 La « résolution » renvoie à la taille des mailles utilisées pour modéliser le système climatique ; elle est de l’ordre d’une centaine de kilomètres pour les GCMs, et autour d’un kilomètre pour les modèles haute résolution (résolution kilométrique). En outre, les simulations peuvent être effectuées sur un domaine local (région, pays) ou global (globe terrestre). Des modèles à mailles fines sont habituellement utilisés au niveau local, afin de préciser les résultats des simulations globales (« limited area models »). Le débat actuel porte sur la proposition de créer un « jumeau numérique de la Terre » (digital twin) permettant de produire des simulations climatiques globales de résolution kilométrique.

10 Référence aux Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET) introduits en 2004.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hannah Gautrais, « Avis de tempête chez les climatologues »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 17-2 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/30161 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rac.30161

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Auteur

Hannah Gautrais

Élève en sociologie à l’École Normale Supérieure de Lyon (dernière année). Son mémoire de master 2 a porté sur l’engagement public des scientifiques du climat, dont est tiré cet article.

Adresse : 15 parvis René Descartes, FR-69007 Lyon (France)
Courriel :

hannah.gautrais[at]ens-lyon.fr

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