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Les forêts vues du ciel

L’appropriation militante des dispositifs de visualisation aérienne dans une controverse canadienne forestière autour du glyphosate
Forests from the air. The activist appropriation of aerial visualization devices in a Canadian forestry controversy over glyphosate
Bosques desde el aire. La apropiación activista de dispositivos de visualización aérea en una controversia forestal canadiense sobre el glifosato
Charlotte Glinel

Résumés

Les pesticides sont aujourd’hui au cœur de nombreuses controverses environnementales et d’études sur la production de savoirs. La controverse néo-brunswickoise a pour particularité de mobiliser les acteurs autour de l’épandage aérien de glyphosate en forêts publiques. Une coalition composite de militants (écologistes et chasseurs) s’oppose à une industrie forestière solidement implantée dans l’économie et la politique locale. Pour cela, les dispositifs de visualisation aérienne sur les forêts, jusque récemment chasse gardée du gouvernement et de l’industrie locale pour l’épandage de pesticides et la planification forestière, sont appropriés par les militants afin de donner à voir les conséquences de l’utilisation du glyphosate en forêt. Nous montrons, à travers une approche historique et ethnographique, comment militants et forestiers articulent des visualisations verticales et horizontales, et mobilisent ainsi des regards analogues sur les forêts tout en produisant des discours antagonistes.

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Texte intégral

En juin 1954, des avions ont donc survolé le Miramichi, et dessiné dans le ciel des arabesques de traînées blanches qui se sont transformées bientôt en brouillard. Le produit pulvérisé – 1100 grammes de DDT à l’hectare, en solution huileuse – s’est infiltré à travers les frondaisons de sapins ; une partie de ce poison est arrivé jusque sur le sol, et dans les ruisseaux d’eau vive. (Carson, 2019 (1962), p. 136)

  • 1 En France, une forte couverture médiatique y a été consacrée, à l’image de l’ouvrage du journaliste (...)

1En 1962, Rachel Carson consacra quelques pages de son célèbre Printemps silencieux aux forêts du Nouveau-Brunswick, province bilingue du Canada Atlantique. Elle y dénonçait la lutte contre la tordeuse du bourgeon d’épinettes, qui consistait en des campagnes d’épandage de DDT sur les forêts infestées, ou susceptibles d’être infestées par cet insecte indésirable. Elle évoque, parmi les Rivières de la mort, la rivière Miramichi : rivière réputée pour sa richesse en saumons alors disparus. Soixante ans plus tard, l’été venu, les avions traversent toujours le ciel des forêts néo-brunswickoises, mais pour y épandre du glyphosate. L’herbicide, objet de controverse mondiale1, est ici utilisé pour tuer la végétation feuillue concurrente des conifères que l’on plante après avoir coupé à blanc des forêts domaniales.

  • 2 Suivant le système de comptabilité nationale canadien, en 2017, 12 820 emplois étaient liés à l’ind (...)
  • 3 L’association de membres de la communauté anglophone et des minorités francophone et autochtones es (...)

2Centrales dans l’économie et les pratiques culturelles canadiennes et néo-brunswickoises2, ces forêts se retrouvent projetées au cœur d’une controverse lancée en 2015 autour d’un groupe Facebook de partage de témoignages qui réunit plus de 15 000 membres et une pétition qui rassemble 35 000 signatures (dans une province de 760 000 habitants). Alors qu’ailleurs, ce sont souvent les effets cancérogènes du glyphosate qui cristallisent les conflits relatifs à cette substance, les préoccupations portées par les acteurs du Nouveau-Brunswick mobilisés contre son épandage concernent au premier chef la dégradation de l’écosystème forestier et le déclin de la population de cerfs. Aujourd’hui, une coalition « improbable » (Mathieu, 1999) de militants écologistes et de chasseurs, issus de communautés autochtones, francophones et anglophones3, conteste l’usage de cet herbicide sur les plantations de conifères. Ces dernières remplacent les forêts acadiennes, identifiables à leurs mélanges feuillus-résineux denses et diversifiés. La coalition met en cause par la même occasion le contrôle croissant au cours des cinquante dernières années des entreprises de foresterie auxquelles le gouvernement provincial concède la gestion des forêts. La controverse oppose alors des acteurs aux définitions du monde et aux expertises concurrentes (Gusfield, 1981 ; Lascoumes, 2014).

  • 4 Certains experts engagés par le gouvernement et l’industrie forestière sont connus pour leurs posit (...)

3D’une part, le gouvernement et les entreprises privées concessionnaires ont créé un groupe de travail destiné à rendre publics des travaux en toxicologie et sylviculture qu’ils ont commandés auprès d’experts fédéraux reconnus4. Ils rejettent la nocivité du glyphosate pour l’écosystème forestier et imputent le déclin de la population de cerfs à une cause « naturelle » (Stone, 1989) : des hivers rigoureux. D’autre part, la coalition militante dénonce les effets néfastes de la gestion industrielle sur les forêts et la faune locale et met en cause l’intégrité des expertises développées pour la justifier, mettant en œuvre des « savoirs tordus » (McGarity & Wagner, 2008). Comme en Europe et aux États-Unis, la réglementation de l’usage des pesticides repose sur une toxicologie réglementaire avec un cadrage sanitaire (Kleiman & Suryanarayanan, 2013 ; Jouzel, 2019) qui laisse dans l’ombre le caractère potentiellement nocif de l’herbicide pour la biodiversité forestière. C’est pourtant cette dernière qui constitue le cœur de la controverse néo-brunswickoise. Exclus des consultations provinciales en 2014, les militants contestent le développement des plantations qui, à la suite de coupes rases, et suivies d’épandage d’herbicide, se traduisent par la disparition d’essences feuillues qui forment la nourriture et l’habitat des cerfs et biches qui disparaissent de concert. Dès lors, afin de contester les politiques forestières et mobiliser leurs concitoyens, les militants produisent des savoirs qui s’inscrivent dans un autre champ : ils produisent des photographies aériennes et équipent leur regard. Celui horizontal de l’expérience des chasseurs s’articule au regard vertical par avion ou par drone, qui vient concurrencer sur son propre terrain l’expertise dont l’industrie forestière avait jusque-là le monopole. C’est sur cette instrumentation particulière du regard militant que nous nous focaliserons, en suivant sa carrière depuis l’épandage de DDT jusqu’à la dénonciation des effets de l’épandage aérien aujourd’hui.

4Nous cherchons à montrer, en suivant une approche historique et ethnographique, comment le cadrage forestier spécifique de la controverse amène des militants-experts ruraux à s’emparer du dispositif sociotechnique industriel de visualisation aérienne des forêts, afin de donner à voir les conséquences, imperceptibles à l’œil nu, d’une gestion forestière au glyphosate réalisée sur des dizaines de milliers d’hectares. L’article se situe à l’intersection des travaux sur la production des visualisations militantes et sur l’analyse des problèmes publics environnementaux. Pour cela, nous analysons la « fabrication des visualisations » (Lynch, 1985 ; Latour, 1993 ; Grevsmühl, 2014) telle qu’elle imbrique des instruments techniques et des conditions sociales d’existence et d’interprétation qui appuient la production de savoirs antagonistes, à la lumière de travaux sur l’expertise qui empruntent à la sociologie pragmatique (Bessy & Chateauraynaud, 1995) autant qu’à l’étude de mouvements sociaux environnementaux (Akrich et al., 2010).

5La littérature relative aux mobilisations environnementales a souvent pris pour objet la constitution de savoirs « profanes » (Wynne, 1996) et « locaux » (Corburn, 2005) situés dans l’expérience ordinaire, ainsi que la spatialisation de liens causaux entre phénomènes inhabituels et facteurs environnementaux, à l’image des études sur l’épidémiologie populaire (Brown, 1993), qui voient dans bien des cas leurs méthodes d’enquête disqualifiées par les autorités réglementaires (Calvez, 2009). Les militants néo-brunswickois se positionnent en tant que contre-surveillants des forêts (Wylie et al., 2017) et se distinguent avant toute chose par la structuration sociale de leur mouvement. Leur division du travail de preuve ne s’adosse pas à l’engagement d’enquêteurs professionnels (Allen, 2010) ou de chercheurs comme c’est le cas des configurations de science citoyenne environnementale (Kimura & Kinchy, 2019). Il s’agit de l’initiative de militants ruraux, non-nécessairement dotés en capitaux académiques et économiques conséquents. De plus, leur cadrage n’a pas tant pour but de présenter un protocole de recherche destiné à être reconnu par les entités réglementaires (Epstein, 1995). C’est la création de savoirs pour mobiliser leurs concitoyens et entretenir une pression politique sur les élus provinciaux qui motive les militants – à l’instar de l’enquête participative menée par Barbara Allen à Fos-sur-Mer (2018). Pour montrer les transformations qui s’opèrent cachées au fond des bois et mettre en lumière l’invisible toxique, les militants ne s’intéressent pas aux échelles moléculaires (Ottinger, 2010) qui orientent le regard des militants contre la pollution de l’air par exemple. Le cadrage forestier de la controverse les amène à articuler leurs savoirs localisés à des dispositifs techniques proches de ceux de leurs rivaux pour produire des images aériennes globales.

6Héritée d’une histoire militaire et scientifique complexe, la visualisation aérienne constitue une véritable ressource de pouvoir. Comme l’a montré Sebastian Grevsmühl, l’invention de la ligne d’horizon a créé une perspective dans le paysage, de même que l’alliance de l’aviation et de la photographie, en « basculant » le regard de l’horizontale à la verticale a donné lieu à la fin du XIXème siècle à un nouveau « régime scopique », en passant du paysage au planisphère (Grevsmühl, 2014, p. 97, p. 132). Comme technique d’observation et de représentation, cette pratique du regard aérienne participe de la transformation des environnements physiques (Scott, 1998) et des savoirs (Daston & Galison, 2012). La littérature a aussi souligné le rôle du basculement opéré par les photographies de la Terre prises depuis la Lune dans la constitution d’un militantisme environnemental globalisé (Jasanoff, 2001), ou encore l’instrumentation des échelles (Harrison, 2006) et l’utilisation du counter-mapping (Breen et al., 2015 ; Paneque-Gálvez et al., 2014) par des mouvements grassroots proches de la géographie critique et de la recherche-action. Les études sur les luttes territoriales ont ainsi souligné l’importance de la cartographie comme représentation et support d’argument, et de constitution d’identités collectives (Dechézelles & Olive, 2016). Dans notre cas, la vision verticale sert le contrôle synoptique d’une gestion forestière intensive et des opérations techniques afférantes, mais elle incarne également une revanche sur le monopole industriel de la gestion des terres publiques.

7Nous ne nous focaliserons pas tant sur la circulation des images aériennes au-delà du contexte de leur prise, que sur la production de ces représentations en tant que telle, et sur ce qu’elle nous dit de la structuration du mouvement militant et de la signification de l’intégration de tels instruments techniques de visualisation dans son répertoire d’actions. Pour comprendre cela, dans un premier temps, nous décrivons la production d’une discipline aéroportée de la gestion des forêts publiques, par l’épandage aérien de DDT puis de glyphosate, et nous intéressons à la mémoire des riverains des forêts ainsi qu’à leur expérience de cette discipline. Dans un second temps, l’article chercher à montrer comment ces mêmes acteurs s’approprient ces formes de visualisation dans le cadre de la controverse actuelle sur le glyphosate pour mobiliser leurs concitoyens.

  • 5 Les noms ont été anonymisés. Aucun patronyme n’est conservé du fait du nombre relativement faible d (...)
  • 6 Le Chiac est une langue mêlant le français et l’anglais parlée par les Acadiens du Sud-Est de la pr (...)
  • 7 Depuis la fin de l’enquête, un lanceur d’alerte, ancien technicien au ministère des ressources natu (...)
  • 8 Archives Provinciales du Nouveau-Brunswick, séries RS 106 et 821.

Enquêter en contexte de controverse

L’article repose sur une enquête qualitative menée entre juillet 2018 et janvier 2019. Elle se fonde principalement sur une série d’observations partagées entre les deux groupes d’acteurs, en suivant une dizaine de réunions publiques ou militantes en milieu rural, autochtone et urbain et d’autant de journées passées en forêt avec des militants et des ingénieurs forestiers de la principale entreprise de la région. Les données récoltées sont également le fruit de 44 entretiens semi-directifs5 menés auprès de 29 militants ou sympathisants et de 15 promoteurs du modèle forestier en place (techniciens et ingénieurs forestiers privés ou publics), dont 18 ont la chasse pour loisir (répartis entre les deux partis). Cette enquête a été menée dans un contexte multiculturel, en français, en chiac6 (n=27) et en anglais (n=17).

De prime abord, l’entrée sur le terrain n’était pas facilitée par le contexte de méfiance dans lequel étaient plongés les deux camps militants et forestiers : il était marqué par le licenciement récent de la médecin hygiéniste en chef qui travaillait sur un rapport relatif aux risques associés à l’utilisation de glyphosate dans la province, ainsi que les témoignages d’agents d’État intimidés par plusieurs acteurs de l’industrie locale7. En amont de l’entrée sur le terrain, j’ai effectué une veille sur les réseaux sociaux et sites internet institutionnels, et j’ai constitué un corpus d’archives médiatiques écrites et audiovisuelles anglophones et francophones contemporaines, qui s’est poursuivi au-delà de la présence sur place. Ce corpus m’a permis d’identifier les porte-paroles des deux camps, leurs argumentaires, et la succession des faits. Les émissions politiques des stations de radio locales ont constitué un matériau précieux pour étudier la perception du problème du point de vue d’un public plus âgé, moins présent sur les autres canaux médiatiques.

Mon allochtonie a plus tard constitué un avantage pour me faire expliciter toutes sortes d’éléments techniques ou de contexte. Néanmoins, l’entrée sur le terrain a été rendue possible par ma connaissance préalable de la province : plusieurs étés d’emplois saisonniers m’ont permis de tisser des liens d’interconnaissance avec des acteurs locaux. L’un des premiers militants rencontrés me précisa « ça laisse savoir que t’es pas une espionne que [l’entreprise forestière] a envoyée, t’sais ? parce qu’il y a beaucoup de d’ça, faut qu’on soit prudents. » Du côté industriel et gouvernemental, le terrain a été en partie ouvert par l’intermédiaire de professeurs de sciences sociales de la faculté de foresterie provinciale qui me recommandèrent auprès de leurs anciens étudiants devenus ingénieurs au gouvernement et dans les entreprises forestières locales. À partir des premiers contacts, j’ai élargi mon échantillon par « boule de neige », tout en veillant à diversifier les entrées dès le début de l’enquête. Enfin, en réaction aux premiers résultats de l’enquête, la réinscription de la controverse actuelle dans l’histoire plus longue de l’épandage aérien m’amena à dépouiller des archives gouvernementales portant sur la période s’étendant de 1935 à 19828.

Vues du ciel : avions, pesticides et photographies

  • 9 « Ensemble des techniques d’élaboration de plans et de cartes d’après des photographies aériennes.  (...)

8Le « régime scopique » (Grevsmühl, 2014) vertical des forêts au Nouveau-Brunswick rendu possible par l’utilisation d’avions militaires (figure 1) puis civils s’est particulièrement développé à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, pour d’une part mener des campagnes massives d’épandage de pesticides, et d’autre part améliorer les techniques de photogrammétrie9. L’interdépendance entre ces programmes est allée de pair avec le renforcement des relations entre industriels et ministère des ressources naturelles dont la province hérite aujourd’hui. Au cours des cinquante dernières années, la mémoire des épandages de DDT et des scandales qui les ont accompagnés a nourri la méfiance des populations rurales laissées pour compte dans la gestion de leurs territoires, et nourri une lutte pour la reconnaissance de leurs droits et savoirs.

Figure 1 : Vues aériennes d'une piste de décollage et d'une campagne d'épandage de DDT

Figure 1 : Vues aériennes d'une piste de décollage et d'une campagne d'épandage de DDT

Source: J. Stone, « Aerial view of Nictau base on Tobique river, NB ; two Stearman spraying planes », Department of Land and Mines, 1957. Source : RS 106 25 5a

Le DDT et la fabrication d’un « régime scopique » forestier (19451986)

9Pour les acteurs de l’industrie et du gouvernement, les forêts publiques de la province (hors terres conservées) doivent être cultivées afin de répondre aux besoins du marché. Aussi, les forêts considérées dans la controverse autour de l’usage du glyphosate sont bien les parcelles coupées et remplacées par des plantations, qui s’inscrivent dans l’histoire plus profonde des pratiques de standardisation des forêts qui se noue au début des années 1950, avec l’usage croissant de l’aviation.

10Les professionnels de la foresterie rencontrés, des bûcherons aux ingénieurs, évoquent le fléau principal des forêts de la province : la tordeuse du bourgeon d’épinette, un insecte qui tous les trente-cinq ans ravage des milliers d’hectares d’épinettes. Pour l’éliminer, l’industrie forestière provinciale comme au Québec et aux États-Unis trouva un antidote, non sans conséquence pour les habitats forestiers (Carson, 1962) : le DDT. L’étude de la lutte contre ce parasite permet de comprendre la genèse conjointe de l’utilisation d’avions et de pesticides dans la gestion forestière et le développement de la production de bois, au-delà de son extraction.

  • 10 RS 106 25 5 a, L.S. Webb, « Budworm Control from the Operator’s Point of View », Pulp and Paper Mag (...)
  • 11 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1951-2, p. 50.
  • 12 RS 106 25 5 a, « Aerial spraying against spruce budworn in NB. 1958 », Bi-monthly progress report, (...)
  • 13 RS 106 25 5 a, F. E. Webb à W.W. McCormack, FPL, « Aerial survey of Spruce Budworm », Fredericton, (...)

11En 1952, le DDT est utilisé pour la première fois sur les forêts du Nouveau-Brunswick, à l’occasion de la fondation d’un partenariat entre gouvernement et entreprises forestières. La New Brunswick International Paper Company rencontre le ministre des Terres et des Mines en août 1951 pour développer un programme d’épandage aérien, présenté comme le seul moyen pour lutter contre l’épidémie10. Un premier programme est lancé l’année suivante, financé par l’entreprise de papeterie et le gouvernement provincial pour sauver le sapin baumier et l’épinette dans le nord de la province11. Bientôt, d’autres entreprises s’associent ainsi que le gouvernement fédéral. Au même moment, Forest Protection Limited (FPL) est mise sur pied. Première forme d’association de surveillance et d’épandage aériens, elle est désignée au niveau fédéral comme un succès pour diviser les coûts entre puissance publique et exploitants privés. Entre 1952 et 1958, 2,1 millions d’hectares ont été arrosés au moins une fois avec 6 millions de livres de DDT dilués dans le même volume de solvant huileux. FPL s’occupe de la formulation de l’insecticide12 et s’appuie sur une structure d’informations issues du laboratoire de biologie forestière de l’université provinciale, où l’on retrouve son écologue le plus actif F.E. Webb, qui a servi pendant la guerre dans la Royal Air Force. Le service assure l’évaluation des performances et risques de l’entreprise, en partenariat avec des acteurs privés pour l’obtention de données aériennes13.

  • 14 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1980, p. 8.
  • 15 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1981-2, p. 5 ; p. 67.

12Les relations entre gouvernement et entreprises forestières qui se renforcent dans les années 1950, se nouent dans le développement d’une sylviculture axée sur les plantations qui demande le développement de la flotte aérienne locale et de la cartographie du territoire (Castonguay, 2006). Dès les années 1940, le gouvernement lance les premiers essais de semis et plantations, qui s’intensifient au début des années 1980 : 26 millions d’arbres sont plantés en 1980 et plus de 5500 hectares sont traités par des herbicides14. En 1986-1987, ce sont 16 102 hectares de terres de la Couronne qui sont l’objet d’un épandage aérien de glyphosate Round Up®15.

  • 16 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1952, p. 90.
  • 17 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1980, p. 7.

13La même année, à l’issue du programme de photo-interprétation de photographies aériennes en couleurs, à l’échelle 1 : 12 500, une base de données SIG est créée. La surveillance aérienne des forêts de la province avait débuté en 1945 avec l’organisation de la « division de photogrammétrie » au sein du ministère des ressources naturelles16. La cartographie des territoires se renforce au tout début de la décennie 1980 pour améliorer les « prévisions d’approvisionnement de bois17. » Le nouveau modèle de gouvernance forestière fondé sur la prévision économique est initié par Gordon Baskerville, doyen de la faculté de foresterie de University of New Brunswick : il vise à contrer les risques des épidémies de tordeuse qui ont amené beaucoup d’incertitudes sur le marché du bois.

  • 18 RS821, DNR, Rapport d’activité de 1981-2, p. 7.
  • 19 A. Deneault, « Un féodalisme canadien », Le Monde Diplomatique, 1er avril 2019 ; B. Livesey, « New (...)

14Dans la co-construction de la sylviculture néo-brunswickoise, c’est le gouvernement qui se montre moteur. À partir de 1982, avec la Loi sur les terres et forêts de la Couronne, en échange de l’extraction des ressources nécessaires à l’approvisionnement de leurs usines, les entreprises licenciées « s’engagent à soumettre les zones de coupes à un traitement sylvicole intensif », tout en présentant des plans d’aménagement tous les 25 ans, approuvés par le département des ressources naturelles. Conscient des risques de capture induits par cette nouvelle législation18, le département se construit toutefois sous l’influence grandissante de la principale entreprise papetière, de bois et de sylviculture de la province. L’entreprise familiale qui s’est développée suivant un modèle de concentration verticale de toutes les activités de la filière forêt-bois provinciale s’illustre dès la fin de la bataille du DDT au moment où le gouvernement fédéral se désinvestit de FPL. Le groupe convainc ses partenaires de la nécessité d’un plan inégalé d’épandage en 1964 (McLaughlin, 2011, p. 19) et se dote par la suite d’une flotte aérienne privée qu’il facture au gouvernement. Dans le domaine de la télédétection (GPS instantané, Lidar), le géant forestier national s’est également imposé comme moteur de la recherche et développement en même temps que son influence auprès du gouvernement provincial s’est fortement amplifiée. Désormais, le gouvernement provincial se trouve seul face aux entreprises forestières toujours plus puissantes, ce qui alimente les inquiétudes de la population qui y voient une capture de la gestion forestière19.

La sylviculture vue du ciel : une perpendicularité qui gouverne

15Au cours des journées passées sur les terres gérées par cette entreprise en août 2018, j’ai pu rencontrer des ingénieurs forestiers responsables de la campagne annuelle d’épandage de glyphosate. Cette rencontre a fait surgir la question de la fabrique du regard et de la transmission du savoir relatifs à la gestion des forêts par voie aérienne. Accompagnant l’ingénieur forestier en charge de la recherche et développement de l’entreprise, on rencontra quatre de ses collègues techniciens dans un bureau délocalisé au milieu d’une zone d’exploitation, qui discutaient de la préoccupation du moment – la préparation de la saison d’épandage. M’exposant la courte formation aux techniques de cartographie SIG suivie à l’université commune aux forestiers publics et privés, Steven (qui s’occupe de la zone cette année) me décrit le bref moment au cours duquel l’on décide de l’épandage ou non de l’herbicide controversé sur une parcelle.

  • 20 Entretien avec Daniel, directeur des programmes d’épandage au DRN qui insiste : « Les technologies (...)

16Il passe une demi-journée, parfois une journée entière, souvent le samedi, à bord d’un hélicoptère de la compagnie et compare l’état des parcelles qu’il voit aux informations indiquées sur le logiciel cartographique développé par la compagnie et utilisable sur smartphone (qui donne les dates de coupe à blanc, plantation et arrosages – épandages – précédents). Regardant les forêts d’en haut, il interprète les nuances de vert des forêts et plantations en les comparant à l’état dans lequel la végétation devrait être ou ne pas être pour la bonne croissance des conifères selon les informations du terminal, et il décide en quelques secondes « d’arroser » ou non. Il s’agit de confirmer le travail de cartographie déjà opéré en amont de la tournée en hélicoptère pour repérer les parcelles susceptibles d’épandage dans les prochaines semaines. Je lui demande alors comment il a appris à distinguer les parcelles : « oh c’est facile, c’est court, un samedi par-ci, par-là, ça mange un peu les week-ends, mais ça prend pas plus d’une après-midi ou deux, ça dépend de la météo. L’année d’après, c’est toi qui t’en charges. » La transmission consiste à suivre un senior une matinée dans le même processus en dehors des horaires de semaine, et à agir seul les années suivantes. Ce savoir-faire est considéré par l’entreprise comme une simple confirmation empirique de faible valeur de décisions prises dans les bureaux à partir d’un savoir technique. Forme codifiée de connaissances, il prend pour support l’enregistrement des traitements sur une même base de données disponibles sur des cartes et une application et légitime l’action. Le privilège du groupe industriel repose ici sur le pouvoir de prendre des décisions immédiates, à partir d’images instantanées depuis le ciel. Néanmoins, ce n’est pas seulement la technè forestière qui s’exprime. Même si le gouvernement met en avant la précision des outils GPS20, le sort des parcelles dépend à la fois d’un coup d’œil synoptique et d’une métis entendue comme le savoir-faire cumulé au fil des ans par le travailleur sur le terrain et dans les airs qui nourrit en retour le savoir technique (Scott, 1998, p. 313 ; Guidoni-Stoltz, 2020).

17La gestion forestière néo-brunswickoise repose sur le développement intensifié depuis l’après-guerre de savoirs sylvicoles qui mobilisent un outil central : la vue aérienne. Rendant possible l’épandage massif de pesticides, elle permet également la planification par la cartographie. Tombées du ciel, les pluies de pesticides sur les forêts publiques sont présentes dans le souvenir des vieux riverains. Les avions représentent un objet de biopouvoir d’État à part entière (Scott, 1998), parce qu’ils participent à la discipline des forêts et parce qu’ils sont hors d’atteinte des « profanes », qui alors s’en méfient : « Les choses qui viennent des avions, ça n’peut pas être bon » me confie un militant chasseur.

La sylviculture vue des forêts : une perpendicularité qui mobilise

18Un propriétaire de lot boisé de Rogersville témoigne sur l’émission de débat d’une radio francophone locale :

J’viens d’Rogersville, ils ont toute sprayé. On s’est réveillé à matin, y a une amie qu’a fermé ses vitres parce que sinon ça l’éventait dans la maison. Y ont pas averti si t’avais pas l’Times and Transcript, le newspaper à [entreprise forestière dominante]. Les airplanes [avions] ont passé, tu voyais le sprayage [l’épandage]. Et comme deux semaines après, j’ai tué mon deer [cerf]. J’l’ai emmené faire couper, celui qui l’a coupé m’a back callé [rappelé], il dit « viens icitte », on a ouvri le deer, on éventait la vraie poison [sentait le glyphosate] d’dans.

19Ce témoignage n’est pas isolé, des militants d’une soixantaine d’années évoquent également avec méfiance les avions qu’ils voyaient sillonner le ciel dans leur enfance et qu’ils voient aujourd’hui. Janis résume ainsi la position des autres habitants de son village au cœur des terres de la Couronne :

DDT was around for a long time before anybody realized how bad it was. [] We didn’t know anything and we saw the planes go by with the spray coming out, we ran out and went underneath the spray. Right? And now, people are saying "oh my goodness, we did it to ourselves because we didn’t know, and nobody told us”. I think [the glyphosate] was a hot issue because of the experience that people had of DDT planes flying over in the 50s and 60s and so they just associate spraying and spraying.

20Ces témoignages s’inscrivent dans un travail de mémoire des opérations d’épandage qui participe de la constitution des « histoires causales » (Stone, 1989) et d’une étiologie politique autour de l’épandage aérien. Leur interprétation du vécu passé, parfois toujours présent (épandages, colonisation, déforestation, destruction de l’habitat des cervidés), donne un sens – au sens de signification et de direction – à l’objet de la lutte, et éventuellement aux modes d’action employés pour parvenir à cette fin (Benford & Snow, 2000). Pour les populations rurales, le passage des avions va de pair avec un sentiment de disparition des écosystèmes forestiers tels qu’ils étaient. Robert, ingénieur public usager du glyphosate en forêts et chasseur, se montre empathique vis-à-vis des riverains : « when something just disappears like that… I have a favored hunt spot and it just gets eliminated, what will I do ? I think it’s just a shock and… it’s just a sense of helplessness. » Les cadres de l’action invitent à emprunter des chemins et répertoires d’action cohérents, éventuellement similaires à ceux utilisés par le passé et qui ont fait preuve d’efficacité : à savoir la mobilisation de la population par des manifestations, pétitions et pression sur les élus politiques qui ont conduit au moratoire de l’utilisation du gaz de schiste à l’automne 2014. Réciproquement, le choix du répertoire d’action oriente le travail de la preuve à mener (Stone, 1989 ; Cardon & Prete, 2018). Afin d’alerter et de mobiliser plus de sympathisants pour peser dans le débat public, les militants de la première heure produisent des photographies aériennes à l’échelle des parcelles forestières devenues plantations. Ces représentations visuelles visent à offrir une signification et à faire écho à ce que les récepteurs – dans toute leur diversité – perçoivent dans leurs expériences des forêts qui représentent près de 85 % de la province.

  • 21 La littérature sur l’« agnotologie », qu’elle soit produite par des journalistes d’investigation (G (...)

21Néanmoins, la mobilisation n’est pas nouvelle. En réaction aux politiques et pratiques forestières développées depuis le début des années 1980, le Conseil de Conservation, institution environnementale provinciale fondée dans les années 1960 (McLaughlin, 2011), ne cesse de militer tout au long des années 1990 pour faire pression sur le gouvernement. Il s’associe avec des groupes comme le Groupe pour la Protection des Forêts du Nouveau-Brunswick, fondé par des bûcherons et forestiers, pour lutter contre les pratiques sylvicoles des entreprises multinationales. La mobilisation se massifie à partir de 2014, avec l’exclusion des environnementalistes et des représentants autochtones des négociations organisées par le gouvernement sur la définition d’une nouvelle politique forestière, ainsi que l’alerte lancée par le technicien en charge de la distribution des permis de chasse sur les populations de cerfs. Ils dénoncent le développement de ce qui relèverait d’une « ignorance stratégique21 » de leurs causes politiques. Dès lors, la résistance à l’ignorance agit pour la justice environnementale des riverains anglophones, Mi’kmaq et acadiens. Les membres des deux dernières communautés inscrivent leur mémoire dans la récente colonisation des terres forestières publiques (Landry & Lang, 2014).

22Nous voyons ici comment la continuité entre l’usage de DDT et d’autres pesticides et herbicides a dessiné les relations entre acteurs publics et privés et contribué par la même occasion au modelage des territoires publics. Cette histoire est aussi celle de la fabrication d’un regard forestier vertical, ainsi que de l’émergence d’une mobilisation populaire à l’encontre d’une capture industrielle de la gestion des terres publiques qui laisserait stratégiquement dans l’ombre ses effets négatifs sur les forêts acadiennes. Comment donner à voir l’ampleur des conséquences de cette gestion ? Les militants de la controverse actuelle ne « bricolent » pas leurs propres instruments de mesure, à l’image des riverains du Wyoming que Sara Wylie et son équipe (2017) accompagnent contre l’exposition à des gaz toxiques. Ils s’approprient les techniques de visualisation de leurs adversaires pour mobiliser leurs concitoyens. La vision panoptique (Foucault, 1975 ; Scott, 1998) n’est pas l’apanage d’un État et d’une industrie disciplinant le territoire. Elle est appropriée par les habitants qui pour autant ne disposent pas des outils performatifs et du pouvoir que monopolisent les premiers.

S’approprier le regard plongeant pour en dénoncer les conséquences

23La vue du ciel permet d’embrasser d’un seul coup d’œil de grandes surfaces de forêts. Cet avantage est mobilisé par les usagers du glyphosate pour les opérations aériennes d’épandage, mais aussi par les militants qui entrent ainsi en compétition avec les premiers pour la production de savoirs sur ces forêts, vues du ciel. Ces vues des forêts sortent ainsi de l’arène professionnelle pour entrer dans l’arène de la controverse publique (Cefaï, 2016). Elles jouent un rôle dans la mobilisation de nouveaux sympathisants, en permettant de donner à voir l’invisible toxique, que l’on ne peut saisir qu’à travers ses conséquences : des forêts disparues, perceptibles dans leur ensemble par les airs.

Des pratiques du regard pour rivaliser : cartes, regard horizontal et prises de vue aériennes

24Au début de la controverse s’agrégeaient sur le groupe Facebook militant des témoignages « de pied » de chasseurs. Ces derniers partageaient des photographies de leurs « spots de chasse », témoignant des « anomalies » observées sur la faune et la flore au cours des dernières saisons. Dans le cadre de l’histoire plus longue de l’environnementalisme forestier urbain (McLaughlin, 2011), la controverse débutée en 2015 résonnait davantage avec une « histoire globale » (Grevsmühl, 2014) des forêts. Ainsi, l’un des premiers militants à réaliser des prises de vues aériennes participait déjà au Forest Global Watch, programme mondial de traitement de données satellitaires pour estimer la déforestation dans le monde. Par la suite, il inscrivit son travail de preuves dans une approche beaucoup plus locale auprès de militants ruraux à la « perspective horizontale ». La production de prises de vue aériennes nécessite l’alliance de trois principales sources de données : les cartes, les visions et savoir-faire de terrain, et les photographies ou vidéos prises du ciel.

  • 22 A l’image d’autres communautés autochtones comme en Colombie-Britannique, les communautés Mi’kmaq d (...)

25« Bienvenue dans mon jardin ! » s’exclame Lionel en s’adressant à ses comparses, Paul et Sean, confortablement installés sur un cèdre multicentenaire moussu et ombragé, tombé il y a quelques décennies. Lionel est ingénieur à la retraite. Acadien d’origine, il a découvert en Colombie-Britannique les bases d’un militantisme environnemental qu’il a poursuivi à son retour au Nouveau-Brunswick. Paul, 75 ans, est son cousin par alliance. Bûcheron de métier, il est un militant reconnu dans la région contre l’industrialisation des forêts, et est à l’origine d’un documentaire télévisé à succès. Ensemble, les deux hommes se rencontrent fréquemment pour prendre des photos des terres déforestées et arrosées à proximité de chez Paul. Enfin, Sean, 50 ans, travaille pour sa communauté Mi’kmaq à rassembler des preuves sur la mauvaise gestion forestière22. Ami de Lionel, ils se sont rencontrés dans les cercles militants environnementalistes formés à l’occasion des mobilisations contre le gaz de schiste. Ce dernier, venu en réponse à l’alerte de Paul sur les nouvelles coupes effectuées sur une cédrière située derrière chez lui, récolte de nouvelles traces de l’exploitation et de la transformation des paysages.

  • 23 Un numéro d’Histoire et Mesure y a été consacré en 2017 : « Mesurer la forêt », 32(2).

26Il compare pour cela devant Paul, Sean et moi des images satellitaires de Google Earth prises en 2015, les cartes de zones d’épandage mises en ligne par le gouvernement, les photos qu’il a prises l’année précédente et celles prises le jour-même. Les cartes sont ici principalement utilisées pour situer les parcelles et comparer leur évolution dans le temps. Offrant des perspectives perpendiculaires, Lionel les utilise conjointement avec des photographies aériennes et des visualisations directes. Instrument privilégié de la planification de la gestion forestière23, chaque année, pour préparer sa campagne annuelle d’épandage, et par souci de transparence, l’industrie forestière locale rend publique la carte des zones d’épandage à l’échelle de la province. Celle-ci est hébergée sur un site géré par le gouvernement, et partagée sur le site internet et les journaux locaux. L’association environnementaliste historique la reprend et la traduit en langage plus accessible au grand public. Les résidents s’appuient sur cette carte pour connaître les zones à éviter et vérifier la salubrité de leurs zones de chasse ou de cueillette de bleuets. Les militants producteurs de données iconographiques se fondent sur cette carte pour justement s’y rendre, la même année, ou plus tard, et vérifier si des zones à proximité des cours d’eau ont été touchées.

27La forêt paysage (figure 2) est la forêt telle qu’elle se présente selon une perspective horizontale les pieds sur terre dans l’expérience courante. Comme dans d’autres contextes forestiers ou plus urbains (Trom, 1997 ; Joa, Winkel & Primmer 2018), c’est ce qui a mis en mouvement des chasseurs témoins de déforestation/reforestation. Cette perspective représente le paysage avec une ligne d’horizon plus ou moins éloignée selon le relief, qui dissimule des scènes au fond des bois. Prendre la forêt comme objet de regard n’est pas aussi évident qu’il peut y paraître au premier abord du fait de son apparente homogénéité, de sa densité, des difficultés d’accès. Elle n’a de sens que comprise en relation avec les activités humaines qui s’y déroulent. Le regard en forêt est en premier lieu guidé par les routes tracées par les compagnies d’exploitation. Les 4x4 des visiteurs s’y déplacent aisément et les marcheurs s’en éloignent rarement de plus de 200 mètres. La comparaison constante avec les zones de forêt qui entourent les plantations qu’on a pour ligne d’horizon permet de mieux se rendre compte des différences, non seulement dans la vision (qu’est-ce qu’une forêt ? qu’est-ce que la reforestation ?), mais aussi dans les écarts de température. En effet, en cette journée de juillet qui avoisine les 30 °C, les forêts plus fraiches n’en sont que plus agréables et permettent de mieux appréhender l’humidité des lieux, au contraire des plantations sèches aux sols érodés. Les forêts sont ici utilisées comme témoins (Bessy & Chateauraynaud, 1995) relativement à celles transformées, comme elles le sont sur les photographies. Deux types de traces humaines sont l’objet du regard des acteurs sur le terrain : les repères dans l’espace, et les traces d’activité de gestion.

Figure 2 : Vue de pied d'une plantation après coupe rase et épandage, Terres de la Couronne, Nouveau-Brunswick, juillet 2018.

Figure 2 : Vue de pied d'une plantation après coupe rase et épandage, Terres de la Couronne, Nouveau-Brunswick, juillet 2018.

Crédits photographiques : Charlotte Glinel.

28Lors des visites avec les militants, une fois sur le terrain, la quête d’informations au-delà de la vision de grandes étendues coupées, porte sur l’histoire des parcelles. Dans cette perspective, ils cherchent deux types de traces laissées par les compagnies d’exploitation : d’une part, les traces de coupe (les fanions bleus qui indiquent les délimitations des parcelles d’arbres à couper au contraire des fanions roses qui les protègent), d’autre part les panneaux d’annonce d’ « arrosage. » Ces derniers informent le passant sur la date de l’épandage, le nom commercial de l’herbicide, les références du permis d’épandage, la compagnie qui opère, éventuellement le propriétaire. Parfois, le panneau indique également un numéro de téléphone, et recommande de ne pas consommer les fruits sauvages sur la zone traitée. Souvent, il s’accompagne d’un autre panneau posé précédemment annonçant une chasse à l’orignal à venir. Leur combinaison incarne tout autant la compétition pour l’usage des terres que des traces humaines. Suivant le lexique pragmatique proposé par Christian Bessy et Francis Chateauraynaud (1995, p. 244), chacune de ces traces humaines représente un « repère » entendu comme issu « d’un dépôt d’information dans un objet qui peut être facilement déchiffré par un interprète humain. » Dans le cas des fanions, seules des personnes habituées des forêts domaniales, chasseurs ou forestiers, partagent leur signification. Ainsi, la mise en relation des outils déjà constitués trouvés sur internet (cartes d’épandage), de la perception des lieux et de ces panneaux permet de mieux comprendre l’histoire de la parcelle.

29Au cœur de la controverse se trouvent les cerfs disparus ces trente dernières années. Sur leur piste au cœur des forêts qui ne sont plus, le regard horizontal s’attarde sur les traces humaines, il se pose sur les techniques sylvicoles avec précision, et sur l’état du sol. C’est ainsi que Paul, bûcheron, nous présente 500 mètres derrière chez lui une aire d’hivernage des cerfs de Virginie destinée à protéger les cervidés, l’hiver venu, des vents forts et de la neige, qui vient d’être coupée. Celle-ci se situe au cœur d’une cédrière qui leur fournit leur nourriture préférée : des tiges tendres de cèdres et de feuillus. Au milieu, la compagnie licenciée a dégagé plusieurs bandes de terres d’où elle a extrait le bois qui l’intéressait. Ce que Paul met en cause est la mauvaise gestion de l’équilibre entre la coupe et la préservation des aires d’hivernage. Sur place, on commence par observer les parcelles, des bandes d’environ trente mètres de large sur cent coupées à blanc qui alternent avec des zones de surfaces similaires préservées. Ce qui saute aux yeux du riverain sont les cèdres âgés de plus de cent ans, arrachés et laissés sur place, avec au sol la roche qui affleure : « c’est de la gaspille. » Après avoir montré à son compagnon autochtone la structure d’ensemble, Paul s’approche de la lisière d’une bande préservée. Il s’accroupit et nous montre des racines d’un type de mousse : « les chevreuils [cerfs] en raffolent ! » Le problème qu’il souligne est qu’à dix mètres de la zone coupée, cette mousse est sèche et marron, ce qui la rend toxique, alors qu’elle devrait être jaune. Il nous fait goûter une racine jaune comestible – mais amère. Son père l’utilisait comme médicament contre les maux de gorge, sur les conseils d’un ami autochtone. Ensuite, il replace la motte à son endroit et Sean compare le geste à celui des opérateurs : « it’s what we do too, what our fathers told us to do, it’s not what they do with these trees ! » Les savoirs que partagent Paul et Sean, servent la célébration d’une relation de respect de la forêt qui relèverait d’un « bon sens » socialement défini, intercommunautaire, rural et d’une relation empathique avec les cerfs. Ils se mettent à la place de ces cerfs, voient de la nourriture altérée, un habitat détruit, des températures trop élevées, un climat trop sec et qui sera trop exposé au vent l’hiver venu. Paul revendique la provenance de ses savoirs de son expérience de bûcheron, de chasseur et de promeneur rural, et rejette la légitimité scolaire, tout en affirmant la valeur d’un savoir local : « c’est pour mes enfants que j’fais tout ça : c’est notre habitat comme c’est l’habitat des chevreuils. Y a pas besoin de faire des études pour comprendre ça ! » Les connaissances éthologiques de Sean reposent également sur son expérience de chasseur, mais à l’arc, ce qui nécessite d’être à moins de vingt mètres de l’animal pour l’atteindre aux organes vitaux. Comment sortir ces savoirs des bois ?

30Pendant ce temps-là, Lionel est resté à la voiture. Dans le coffre du 4x4, il a ouvert le boîtier de son drone. À partir des indications de Paul sur les zones d’épandage et les cours d’eau abîmés, il examine longuement les cartes en se repérant autour des routes forestières pour décider où diriger son drone. Lui et un autre militant disposent respectivement d’un petit avion et d’un drone personnels qu’ils utilisent quasi-exclusivement pour la récolte de données sur la gestion forestière. Ces instruments nécessitent une maîtrise technique (repérage dans l’espace, choix de l’altitude) et légale (altitude autorisée) autant que leur articulation avec les savoirs des personnes qui connaissent la forêt en question. Ils offrent alors une vision panoptique, similaire à celle des forestiers : ils montrent des parcelles entières de plusieurs dizaines voire centaines d’hectares, coupées, plantées, « arrosées », qui ne sont pas visibles autrement. Les acteurs engagés dans ces opérations, militants et forestiers, se font tous experts de leurs perspectives au sein de leur propre groupe, et la nature de leurs regards renvoie à des positions sociales en dehors du groupe.

La forêt réduite : ressource pour la mobilisation

31Pour légitimer leurs données, les militants déploient un dispositif sociotechnique comparable à celui des forestiers, dans la mesure où, comme le résument Christian Bessy et Francis Chateauraynaud (1995, p. 242) « l’épreuve de perception de l’objet par le corps propre est souvent déclassée, dans la hiérarchie des preuves, au profit des instrumentations techniques. » Cette instrumentation permet de proposer des images comparables à celles produites par leurs adversaires. Cette production ne se situe non pas à l’échelle microscopique toxicologique, par manque de moyens financiers et relationnels – souligné par les leaders du mouvement, mais à l’échelle de parcelles forestières agrégées, de plusieurs dizaines voire centaines d’hectares. À l’image des fermiers californiens mobilisés auprès du gouvernement pour dénoncer des épandages aériens de pesticides agricoles, les militants néo-brunswickois cherchent à donner une mesure, une échelle provinciale au problème (Harrison, 2006). La vue du ciel permet d’une part de mesurer l’ampleur de la déforestation, de la reforestation et des opérations d’épandage, et d’autre part de rendre visible aux yeux d’un public plus large ce qui est dissimulé, dans les terres de la Couronne les plus éloignées des habitations.

32En premier lieu, Lionel et un autre militant ingénieur cherchent à mesurer l’ampleur du problème qu’ils dénoncent. Leurs activités d’observation des forêts selon une perspective perpendiculaire, reposent sur un long travail en amont de repérage sur le terrain de « ce qui ne va pas » dans l’ordre des choses, la délimitation des zones à étudier (selon leur mauvais état, et les capacités énergétiques de leur appareil). À la suite de la récolte d’images, ils peuvent mettre en série leurs images par la localisation géographique. En second lieu, les images sont destinées à donner à voir l’invisible à l’œil nu. L’un comme l’autre préparent des présentations destinées à leurs groupes militants et éventuellement à des réunions publiques. Le choix des images est important, et Lionel m’explique qu’il préfère montrer des photos prises au cours de l’été indien, puisque les arbres feuillus – menacés par les herbicides – prennent des couleurs orangées qui se distinguent de la terre brune des plantations : les frontières entre forêt et plantation « arrosée » font saillir les différences entre la normalité et le stigmate. Enfin, le lieu privilégié de la diffusion de ces images est le groupe Facebook autour duquel s’est agrégée la mobilisation. Beaucoup de sympathisants utilisent les images satellites de Google Earth pour évaluer l’état des forêts qu’ils connaissent. L’un d’eux témoigne il y a six ans « The Google Earth views of New Brunswick are too depressing. I can't even look at them anymore. » Quand ils partagent une image ou une vidéo qu’ils ont réalisée, les sympathisants ou militants l’associent systématiquement à sa localisation géographique (nom du village, éventuellement des routes forestières), à la date de la prise, et à un témoignage lié à une activité personnelle (spot de chasse, lieu d’enfance.)

Figure 3 : Prise de vue aérienne et localisation géographique d'une plantation après coupe rase et épandage d'herbicide

Figure 3 : Prise de vue aérienne et localisation géographique d'une plantation après coupe rase et épandage d'herbicide

Source : F. Johnson, « Forest Cover Loss in Canaan Watershed, NB: Clearcut, Herbicide and Plantation Site, Three Mile Brook »

33Le processus de perception des forêts s’insère dans un contexte précis d’énonciation d’une description du monde « dans un acte rationalisé d’interprétation » (Grevsmühl, 2014, p. 132). Ce qui distingue les visions des deux camps est la perception au sein du paysage d’un stigmate ou de la normalité, relativement au référentiel défini, qui repose notamment sur les couleurs. On voit sur la figure 3, image prise d’un drone et associée à sa localisation géographique, les différences entre les forêts de résineux à gauche, une zone de plantation vert clair au centre, et à droite une zone de plantation marron, où l’herbicide a été épandu deux semaines auparavant. La notion de stigmate est ici employée comme instrument de catégorisation de l’objet de perception, avec une charge morale qui renvoie tant à son étymologie qu’à celle de la pollution. Cette dimension morale fait écho dans le cadre de la controverse à la critique des relations entre le gouvernement et les industries, et à la critique plus générale de ce type d’exploitation des terres. La coupe à blanc constitue ainsi un stigmate dans le paysage forestier aux yeux des militants, alors qu’elle constitue un paysage normal de l’exploitation forestière aux yeux des agents de l’entreprise exploitante. Pour ces derniers, les couleurs plus vertes que marrons, et une image dense d’une plantation de deux ans, vues du ciel, représentent autant de signes d’anormalité et de la nécessité d’un épandage d’herbicides.

34L’image que perçoivent les forestiers demeure néanmoins la même. Richard comprend les réactions du public, reconnaît que les terres objet d’épandages ne plaisent pas sans nier leur normalité : « the year after we spray, it looks bad, abundance is not here, but it’s only on small areas and temporary. » Le stigmate dans une dimension pragmatique agit comme une « prise » du fait de sa présence dans les objets (Bessy & Chateauraynaud, 1995, p. 235, 239) : on le suit d’une échelle à l’autre, de l’objet aux représentations, aux réseaux qui les unissent. Cette prise présente une dimension à la fois technique et politique, de la prise de photo à la prise – ou influence – que les hommes peuvent avoir sur la chose, ou encore la prise que l’on donne pour s’approprier le problème public. Comme le démontre le dispositif d’apprentissage des forestiers, la manipulation de ces instruments de visualisation nécessite des compétences techniques et des moyens financiers qui excluent. Pour cause, un objet technique « définit des acteurs et un espace » (Akrich, 1987). Toutefois, ces opérations de visualisation impliquent non seulement un outillage technique précis, mais aussi une division du travail avec les autres acteurs sur le terrain. Ces derniers procèdent au repérage des terres à observer, mais aussi à l’observation et l’interprétation des données verticales vis-à-vis de l’expérience horizontale.

  • 24 Cette dernière configuration est la plus souvent explorée, à l’image des capteurs de toxicité utili (...)

35Au sein du schéma de division du travail des militants, les rôles s’associent aux positions sociales des acteurs, sans pour autant intégrer de scientifiques patentés24. En cela, la formalisation des savoirs n’a pas les mêmes effets délétères observés par Julien Weisbein (2015) dans les relations internes au groupe de surfeurs qui étudient la pollution des plages. De plus, la diversité des profils aux capitaux scolaires (bien qu’en majorité faibles), usages des techniques et regards variés s’oppose ainsi au groupe forestier où fonctionnaires et salariés de l’industrie sont issus d’une formation commune et concentrent dans chaque individu les compétences partagées entre militants. Même si les militants mobilisent regards verticaux et horizontaux sur l’état des forêts pour combler les lacunes des uns et des autres, ces derniers ne sont pas portés par les mêmes acteurs. La division du travail qui se déroule repose sur la distribution d’opérations de regard entre les militants suivant leurs compétences et intérêts techniques, leurs instruments à disposition, autant d’éléments qui les renvoient à leurs positions sociales au-delà du groupe. Parmi les forestiers, la division s’opère en amont du terrain, puisqu’à l’intérieur des entreprises ce sont principalement des ingénieurs à des postes de décision qui sont engagés dans les opérations d’épandage, mais aussi dans la controverse. S’il n’y a pas de différence significative en termes de regards constitués entre les deux camps de la controverse, ce sont leurs objectifs qui les distinguent, et c’est dans la composition interne des groupes que s’opèrent les distinctions entre horizon et perpendicularité. Leurs assemblages sociotechniques, porteurs de socialisations distinctes, font diverger les « régimes de perceptibilité » (Murphy, 2006, p. 10, p. 12) : la perception d’un même objet peut varier selon les traditions épistémologiques, ce qui signifie que plusieurs états de forêts peuvent coexister.

36Les « savoirs locaux » (Corburn, 2005), entendus comme des savoirs d’expérience vécue qui s’éprouvent dans le partage de récits au sein des communautés spécifiques, sont valorisés de manière différenciée dans les deux camps. La reconnaissance de ces savoirs (par opposition aux savoirs « profanes » définis négativement vis-à-vis des savoirs scientifiques) et de la figure du paysan sachant en relation avec la spécificité des milieux où il travaille est l’objet de travaux sur l’agriculture relatifs à la constitution de savoirs professionnels (Nash, 2006), ou encore de populations rurales équipées de smartphones pour lutter contre les crimes commis en forêt tropicale (Brofeldt et al., 2018). Par analogie, il s’agit ici de la valorisation des hommes des bois, et de la spécificité des forêts auxquelles ils se réfèrent. Cette division du travail est reconnue comme nécessaire non seulement sur le terrain, mais aussi en dehors du terrain, par les autres militants. Tracy, militante naturaliste du Conseil de conservation, m’explique que Paul « would be the eyes in the forest. » C’est ainsi qu’il se définit lui-même, et se distingue des fonctionnaires du Département des Ressources Naturelles qui ne le « prennent pas au sérieux » parce qu’il a cessé ses études à seize ans. Au sein de la division du travail militant de constitution de données et de production de causalité, la métis qui s’exprime concerne autant la ruse et les savoirs accumulés dans le temps face à un environnement mouvant pour pister cerfs et forêts (Scott, 1998), que face à un ordre économique et politique colonial en s’appropriant le regard vertical. Elle s’inscrit, en des termes de sociologie des sciences, dans le processus de « réduction ». Bruno Latour (1993), dans sa méta-description de la forêt amazonienne de Boa Vista, décrit le phénomène de réduction de la forêt dans sa complexité en son inscription dans le discours scientifique. Cette opération de réduction amène une perte de la localité, de la particularité de la situation. La localité est portée ici par les détenteurs de la connaissance de la perspective horizontale, et la réduction par les acteurs qui technicisent la vision par sa verticalisation. Le rôle des acteurs qui réduisent est de traduire ces « anecdotes » en images globales, en données « valides », qui contribuent à conférer une « objectivité mécanique » aux conséquences du glyphosate en forêt (Daston & Gallison, 2012). Toutefois, cette dimension mécanisée nourrit une dimension de « témoignage » propre à une forme d’expertise « d’Ancien Régime » qui, comme le souligne J.-B. Fressoz (2015), se renouvelle dans le cas des controverses environnementales contemporaines.

  • 25 T. Glynn NB Media Coop, 31 mars 2015.

37Contrairement à ce qu’ont pu montrer des études sur la technicisation des savoirs militants qui montrent que parfois « les voix des menacés sont perdues dans les sèches abstractions de leur prose » (Sellers, 1999, pp. 57-58), la complexité du savoir d’expérience ne disparait pas totalement dans les images aériennes. Les supports technologiques du regard évoqués permettent de créer des données et d’utiliser les mêmes termes de débat, de négociation, dans l’arène de la controverse que les forestiers professionnels. Les militants les plus dotés en ressources technologiques jouent le rôle de traducteurs entre forêt et arène publique, par l’intermédiaire de cette codification technicisée de la métis des acteurs ruraux qui repèrent et interprètent les phénomènes observés. Ce phénomène de traduction de l’espace des revendications – dans l’oralité et sur les réseaux sociaux – à l’espace de l’action publique revêt également pour les militants conservationnistes plus anciens, associés aux acteurs sur le terrain, une légitimation supplémentaire du combat. Celle-ci s’intègre dans le cadre d’une justice environnementale pour la reconnaissance conjointe des savoirs et des droits de populations rurales et Mi’kmaq. Les savoirs localisés, en même temps qu’ils sont portés par des acteurs différents des savoirs technicisés, sont valorisés au sein de la communauté militante dans la constitution d’un corpus de preuves de la mauvaise gestion des terres et pour expliquer la disparition des cerfs qui font entrer dans l’arène des populations ignorées jusqu’alors, qui jouent le rôle de surveillants, gardiens des forêts. La reconnaissance de ces acteurs est donc triple : elle s’inscrit d’une part dans la division du travail militant (en surveillant l’état des forêts), dans la réception de leurs savoirs par de nouveaux sympathisants au moyen de témoignages, et éventuellement dans les actes de désobéissance civile (telles que les actions directes d’arrêt d’opérations25).

Conclusion

38Du développement de la sylviculture de plantation à la critique de la forêt-jardin, des années 1940 à aujourd’hui, les avions ont sillonné le ciel néo-brunswickois pour cartographier le territoire boisé, planifier sa gestion, épandre du DDT puis du glyphosate, et fonder un « régime scopique » au service d’une gestion industrielle des forêts publiques. Aujourd’hui, ce même régime scopique est mobilisé par des militants. En capturant des images aériennes de forêts, ils rendent visibles les effets d’une telle gestion, et participent à mobiliser la population provinciale à son encontre.

  • 26 Depuis la fin de l’enquête en 2019, la coalition militante a été entendue à l’été 2021, aux côtés d (...)

39L’attention portée à l’aspect historique et matériel de ces appropriations a montré d’une part qu’un même dispositif de visualisation verticale pouvait être l’instrument d’une discipline territoriale (Scott, 1998), comme l’instrument de sa contestation ; d’autre part, que cette appropriation militante, si elle ne convainc pas le gouvernement26, peut mobiliser des concitoyens en intégrant des savoirs situés de riverains qui ne sont pas exclus par le dispositif, mais en constituent son principe.

40Dans ce sens, l’enquête a mis au jour un premier paradoxe : alors que nous aurions pu considérer comme asymétriques les instruments de vision portés par les deux groupes d’acteurs, nous avons observé la mobilisation de regards similaires sur les forêts (Murphy, 2006 ; Jasanoff, 2010). Loin de rapprocher les points de vue, l’utilisation de dispositifs techniques analogues renforce l’antagonisme des savoirs entre forestiers industriels et militants, en facilitant leur mobilisation dans l’arène publique, hors des forêts. En cela, nous pouvons nous interroger sur le caractère spécifique des controverses forestières, dans la mesure où la production militante d’images aériennes de forêts, encore exceptionnelle en 2018, s’est popularisée auprès des sympathisants de la cause néo-brunswickoise, comme elle est régulièrement utilisée par les militants français qui dénoncent la pratique des coupes rases, ainsi que par des mobilisations pour la conservation de forêts tropicales (Paneque-Gálvez et al., 2014).

41Au-delà d’une simple opposition entre regards vertical et horizontal, cet article met en évidence une articulation des regards et des savoir-faire associés, qui prend forme dans la transformation des forêts d’une part, et dans la légitimation des savoirs expérientiels de l’autre. Au cœur de la littérature sur la production de perceptions aériennes environnementales, cette étude a ainsi montré que ce regard est non seulement celui de l’État et de l’industrie locale (Scott, 1998), mais aussi celui de militants qui ne sont pas simplement intégrés à des mobilisations écologistes urbaines et globalisées (Grevsmühl, 2014 ; Jasanoff, 2001) : il peut également être celui de populations rurales et autochtones marginalisées. Le phénomène d’appropriation de techniques de visualisation dominantes étudié ici concerne la faction la plus rurale du mouvement qui, au contraire des nombreuses enquêtes relatives aux savoirs situés et citoyens, agissent sans collaboration « scientifique. » (Allen 2010, 2018 ; Breen et al., 2015 ; Wylie et al., 2017).

42Réciproquement, à l’intérieur des mouvements sociaux, la formalisation des savoirs peut parfois avoir des effets délétères (Sellers, 1999 ; Weisbein, 2015). En effet, ce mouvement de traduction des savoirs situés en images aériennes risquerait d’évincer les premiers. Dans le cas néo-brunswickois, l’instrumentation par les militants des techniques dominantes, sans scientifique patenté, ne va pas de pair avec une scientifisation de leurs activités. Au contraire, du fait des conditions de production et de diffusion des images, et du fait des agencements d’acteurs, cette appropriation technique capture des savoirs situés et constitue une forme de résistance à la scientifisation. La production et l’interprétation de ces images forment le support de récits résistants, sans être systématiquement mis en série. L’appropriation du privilège de la vision aérienne instantanée de l’industrie leur permet également de surmonter la difficulté, pour la définition du problème public, à passer d’une échelle localisée du problème à une échelle provinciale (Harrison, 2006). Ces prises de vue, au rôle croissant dans la mobilisation, représentent alors pour les militants ruraux un support de valorisation de leurs savoirs localisés auprès de leurs concitoyens, au moment de leur production puis de leur diffusion.

Cet article a bénéficié dans un premier temps de la confiance accordée par les personnes rencontrées sur le terrain, puis des précieuses recommandations des évaluatrices et évaluateurs anonymes, de collègues du CSO ainsi que du suivi attentif de Jean-Noël Jouzel et de Sylvain Brunier. Qu’elles et ils en soient remerciés.

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Notes

1 En France, une forte couverture médiatique y a été consacrée, à l’image de l’ouvrage du journaliste Foucart S. (2019). Et le monde devient silencieux. Paris : Le Seuil.

2 Suivant le système de comptabilité nationale canadien, en 2017, 12 820 emplois étaient liés à l’industrie forestière pour un revenu total qui représente un dixième du PIB provincial. (Service canadien des forêts (2018). L’Etat des forêts au Canada Rapport annuel, RN Can.). Pour un rapport sur la chasse et les pratiques de loisirs en forêt : Gautreau et al., 2017.

3 L’association de membres de la communauté anglophone et des minorités francophone et autochtones est désignée comme « improbable » du fait des fortes tensions interethniques liées à l’histoire coloniale et au contrôle des ressources naturelles, comme l’illustrent les incendies d’infrastructures de pêche Mi’kmaq à l’automne 2020 et la récession des droits des minorités linguistiques au cours des dernières années.

4 Certains experts engagés par le gouvernement et l’industrie forestière sont connus pour leurs positions favorables à l’utilisation de l’agent orange et autres pesticides auparavant controversés.

5 Les noms ont été anonymisés. Aucun patronyme n’est conservé du fait du nombre relativement faible de noms de famille dans les communautés acadienne et autochtone. Les verbatims ont été transcrits littéralement.

6 Le Chiac est une langue mêlant le français et l’anglais parlée par les Acadiens du Sud-Est de la province.

7 Depuis la fin de l’enquête, un lanceur d’alerte, ancien technicien au ministère des ressources naturelles, et professeur au centre de formation technique de foresterie (équivalent BTS) a également été licencié. Il a porté plainte contre son ancien employeur, accusant l’industrie forestière d’être à l’origine de son renvoi. Voir J. Poitras, « Documents show concerns about instructor's views on glyphosate ahead of firing », CBC News, 3/04/2022.

8 Archives Provinciales du Nouveau-Brunswick, séries RS 106 et 821.

9 « Ensemble des techniques d’élaboration de plans et de cartes d’après des photographies aériennes. », https://www.cnrtl.fr/definition/photogramm%C3%A9trie, consulté le 20 novembre 2020.

10 RS 106 25 5 a, L.S. Webb, « Budworm Control from the Operator’s Point of View », Pulp and Paper Magazine of Canada, Montreal, 1958.

11 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1951-2, p. 50.

12 RS 106 25 5 a, « Aerial spraying against spruce budworn in NB. 1958 », Bi-monthly progress report, Department of agriculture. Jan. – Fév. 1959

13 RS 106 25 5 a, F. E. Webb à W.W. McCormack, FPL, « Aerial survey of Spruce Budworm », Fredericton, 24/07/1959. Afin d’informer le directeur de FPL, F. Webb précise « The information was obtained by aerial survey earlier this month, using aircraft and facilities provided by FPL. Observers were D.R. Macdonald, Research Officer of this Laboratory, and M.D. Russell, Research Forester, Bathurst Power and Paper Co. »

14 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1980, p. 8.

15 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1981-2, p. 5 ; p. 67.

16 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1952, p. 90.

17 RS 821, DNR, Rapport d’activité de 1980, p. 7.

18 RS821, DNR, Rapport d’activité de 1981-2, p. 7.

19 A. Deneault, « Un féodalisme canadien », Le Monde Diplomatique, 1er avril 2019 ; B. Livesey, « New Brunswick college instructor fired… », National Observer, 11 juillet 2019.

20 Entretien avec Daniel, directeur des programmes d’épandage au DRN qui insiste : « Les technologies qu’on utilise aujourd’hui peuvent nous dire exactement où est-ce qu’exactement l’application se fait, en temps et lieux. »

21 La littérature sur l’« agnotologie », qu’elle soit produite par des journalistes d’investigation (Gillam, 2017) ou des universitaires (Proctor, 2012) est évoquée par cinq militants qui les citent au cours des entretiens.

22 A l’image d’autres communautés autochtones comme en Colombie-Britannique, les communautés Mi’kmaq de la province revendiquent une gestion des ressources naturelles plus « respectueuse de la nature » du territoire que leurs ancêtres n’ont jamais cédé (Bankes, 2006). Cette mobilisation est parallèle et complémentaire de celle plus large relative au glyphosate.

23 Un numéro d’Histoire et Mesure y a été consacré en 2017 : « Mesurer la forêt », 32(2).

24 Cette dernière configuration est la plus souvent explorée, à l’image des capteurs de toxicité utilisés par le mouvement californien contre la pollution de l’air, décrits par Sylvain Parasie et François Dedieu (2019), qui nécessitent la médiation d’agents entre scientifiques et militants pour susciter leur crédibilité aux yeux des autorités californiennes.

25 T. Glynn NB Media Coop, 31 mars 2015.

26 Depuis la fin de l’enquête en 2019, la coalition militante a été entendue à l’été 2021, aux côtés de leaders autochtones, d’acteurs industriels et de scientifiques par le gouvernement provincial à l’occasion des audiences relatives au glyphosate organisées par le Comité permanent des changements climatiques et de l’intendance de l’environnement. Une partie des revendications militantes ont été transcrites dans le rapport publié en novembre 2021. Néanmoins, aucune disposition n’a été prise à ce jour et le principe de l’utilisation de glyphosate en forêt n’a pas été remis en question.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Vues aériennes d'une piste de décollage et d'une campagne d'épandage de DDT
Crédits Source: J. Stone, « Aerial view of Nictau base on Tobique river, NB ; two Stearman spraying planes », Department of Land and Mines, 1957. Source : RS 106 25 5a
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/docannexe/image/28655/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 23k
Titre Figure 2 : Vue de pied d'une plantation après coupe rase et épandage, Terres de la Couronne, Nouveau-Brunswick, juillet 2018.
Crédits Crédits photographiques : Charlotte Glinel.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/docannexe/image/28655/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 479k
Titre Figure 3 : Prise de vue aérienne et localisation géographique d'une plantation après coupe rase et épandage d'herbicide
Crédits Source : F. Johnson, « Forest Cover Loss in Canaan Watershed, NB: Clearcut, Herbicide and Plantation Site, Three Mile Brook »
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/docannexe/image/28655/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 36k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Charlotte Glinel, « Les forêts vues du ciel »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 16-3 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/28655 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rac.28655

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Auteur

Charlotte Glinel

Doctorante en sociologie au Centre de Sociologie des Organisations (UMR CNRS – Sciences Po). Ses recherches portent actuellement sur la redéfinition des politiques et des techniques de travail forestières en France métropolitaine dans le cadre du réchauffement climatique.
ORCID : https://orcid.org/0000-0002-4205-7617

Adresse : Centre de Sociologie des Organisations, 1 place Saint-Thomas, FR-75007 Paris (France)
Courriel : charlotte.glinel[at]sciencespo.fr

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