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Varia

La délégation épistémique et son pilotage

Quand les bureaux d’études modélisent le risque inondation pour les services de l’État
Epistemic delegation and its management. When engineering consultants model flood risk for State services
Delegación epistémica y su manejo. Cuando las Oficinas Técnicas modelan el riesgo de inundación para los servicios del Estado
Rémi Barbier et Isabelle Charpentier

Résumés

La production des savoirs nécessaires à la gestion de l’environnement et des risques est couramment confiée à des bureaux d’études. Cette situation de délégation épistémique met en jeu la capacité du commanditaire à piloter l’ensemble du processus afin de s’assurer de la pertinence et de la qualité des savoirs produits. L’article aborde cette problématique à partir des modélisations du risque inondation effectuées par des bureaux d’études pour le compte des services de l’État. Il propose une description de la pratique et une caractérisation de la compétence de pilotage des agents de l’État en partant des représentations de la modélisation qui les guident dans leurs opérations de prescription et de contrôle. Il distingue ensuite plus précisément ce qui se joue dans le portage de l’étude, cadré par les mécanismes de la commande publique, et ce qui relève de l’évaluation critique des documents produits par les bureaux d’études.

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Texte intégral

Introduction

1La gestion de l’environnement et des risques est une activité intensive en savoirs. Elle mobilise en particulier des savoirs techniques qu’on peut qualifier d’ordinaires, comme des inventaires naturalistes ou des études de risque inondation, élaborés à partir de méthodes globalement éprouvées. En fonction de la récurrence du besoin, des compétences disponibles en interne ou encore de considérations stratégiques liées à leurs situations d’usage, ces savoirs ordinaires peuvent être produits directement par les institutions qui en ont besoin, services de l’État, collectivités ou entreprises, ou par délégation à des tiers, en particulier des bureaux d’études (BE par la suite). Le second cas de figure, objet de cet article, instaure une situation qu’on qualifiera de délégation épistémique et qu’on peut définir ainsi : une relation liant une institution à un tiers chargé de lui fournir les savoirs techniques dont elle a besoin pour s’acquitter de ses missions ou obligations. La délégation relève du schéma général de la relation principal-agent, qui réunit deux acteurs autour d’une mission confiée par l’un à l’autre, dans un contexte d’information imparfaite et d’intérêts divergents (Brouard, 2014). Elle soulève des enjeux de pilotage et notamment de sélection et de contrôle de l’agent, d’autant plus aigus quand le comportement de ce dernier n’est pas directement observable, que la qualité de son travail n’est pas aisément appréhendable et que la relation est ponctuelle.

  • 1 C’est par exemple le cas des savoirs nécessaires à la mise en œuvre de la compensation écologique ( (...)
  • 2 Comme lorsque le recours à une modélisation pour l’élaboration d’une trame verte conduit à écarter (...)

2Qu’en est-il dans le champ des savoirs de la gestion de l’environnement et des risques ? Sans qu’il soit possible de le quantifier précisément, on peut dire d’abord que la délégation épistémique y est courante. Cela vaut par exemple pour les études naturalistes (Alphandéry & Fortier, 2011), les études de danger (Martinais, 2010) ou de risque inondation étudié ici. Ensuite, plusieurs caractéristiques de ces savoirs compliquent le pilotage du commanditaire : leur nature exacte, les étapes et les moyens de leur production peuvent être difficiles à spécifier ex ante, en raison des problématiques complexes et parfois imprécises qu’ils doivent éclairer1 et de la pluralité potentielle des méthodes disponibles pour les produire ; les surprises (Brunet, 2020) et besoins nouveaux générés par le terrain peuvent conduire à un ajustement de la commande, tandis que de leur côté les méthodes mobilisées par le BE peuvent avoir des effets non prévus et difficiles à gérer2 ; ils sont également difficiles à évaluer, compte-tenu de leur technicité et de leur caractère territorialisé limitant l’espace de comparaison possible. Enfin, la prise en compte des effets induits par les mécanismes propres aux marchés de prestations (Bouleau & Chauvin, 2021) et par la nature de la relation établie entre le commanditaire et le BE avive la question de leur qualité et pertinence pour l’action.

3Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) s’est intéressé à cet enjeu de qualité à propos des évaluations environnementales requises dans les études d’impact. S’il a pointé dans un premier rapport la responsabilité des bureaux d’études dans la faible qualité constatée de ces évaluations (CGEDD, 2011), il a insisté ensuite sur la responsabilité partagée du commanditaire et du prestataire : le premier doit être capable de définir une commande précise, d’accorder un budget et une durée de réalisation adéquats, de suivre tout le déroulement dans le cadre d’une relation « bâtie sur l’exigence et la confiance qui se traduit par des échanges constructifs » (CGEDD, 2019, p. 45). Selon le CGEDD, la qualité de ces études s’apprécie sur les aspects de contenu et de forme mais également sur un plan procédural, en termes de traçabilité et de transparence sur les méthodes. Enfin, il a abordé la question sous l’angle de la régulation de ce marché : en l’occurrence, au-delà de la Charte d’engagement des bureaux d’études, jugée peu efficace, des recommandations ont été émises en faveur du renforcement de la transparence et d’une grille d’analyse de la qualité.

4Ces constats légitiment de s’intéresser à la délégation épistémique et à son pilotage et, au-delà, à la pertinence et à la qualité des savoirs ainsi produits. Ce faisant, notre ambition est d’enrichir sous cet angle original la réflexion sur la place des savoirs en société, plus précisément sur leurs modalités de production dans un contexte d’action publique (Demortain, 2019). Nous le faisons à partir du cas des modélisations du risque inondation effectuées par des BE pour le compte des services de l’État. Ces prestations portent à la fois sur un objet complexe (une modélisation) et sur un sujet sensible (cela se traduit par des servitudes d’urbanisme contraignantes pour les collectivités). L’article complète sur ce plan l’analyse de Guevara Viquez (2021) sur les relations entre producteurs et contrôleurs de modélisations hydrauliques au Costa-Rica. En l’occurrence, ces modélisations sont destinées à évaluer l’impact des projets immobiliers sur le ruissellement urbain et le risque inondation. Elles ont naturellement un coût et leur résultat peut affecter l’économie du projet en fonction des demandes d’ajustements auxquelles elles peuvent conduire. L’autrice rend compte des incertitudes inhérentes à leur réalisation et de la teneur des négociations entre consultants et contrôleurs publics. Elle montre en particulier leur caractère hétérogène entre enjeux techniques et considérations très opérationnelles relatives aux « moyens budgétaires disponibles pour assurer une prévention [du risque inondation] sans entraver le développement immobilier » (p. 67). Nous souhaitons pour notre part nous situer au plus près du travail des agents de l’État et proposer une caractérisation de leur pratique et de leur compétence de pilotage tout au long du processus.

5Nous distinguerons à cet effet ce qui se joue dans le portage de l’étude, cadré par les mécanismes de la commande publique et sollicitant une triple compétence de prescription, de sélection et de suivi, et ce qui relève plus spécifiquement de l’évaluation critique des rapports produits au fur et à mesure par le BE. Nous nous inspirons pour cela du modèle de la prise, développé par C. Bessy et F. Chateauraynaud (1995) pour caractériser l’expertise d’authentification des objets controversés. Pour ces auteurs, la prise permettant l’authentification résulte de la rencontre entre, d’une part, un dispositif porté par les personnes, par exemple des savoirs ou des représentations, et, d’autre part, des saillances engendrées par le corps-à-corps avec l’objet. Nous envisagerons ici l’activité d’évaluation des écrits techniques sous l’angle de la rencontre entre, d’une part, un dispositif porté par le commanditaire, constitué en l’espèce de représentations de l’activité de modélisation et de savoirs déjà disponibles et, d’autre part, des signes ou saillances générés par le comportement du prestataire ou inscrits dans ses productions successives. Nous verrons également que ce double travail de portage et d’évaluation est soutenu par un dispositif d’appui constitué de supports techniques (guides…) et humains (collègues et experts régionaux).

6L’article est organisé comme suit. Nous présentons tout d’abord les principales caractéristiques de la situation de délégation étudiée ainsi que la méthodologie d’enquête. Nous décrivons ensuite un élément clef du dispositif de pilotage porté par les commanditaires, à savoir leur représentation de la pratique de modélisation qui oriente le contrôle exercé sur les BE. Nous rendons compte enfin du portage de l’étude, depuis l’élaboration du cahier des charges jusqu’au suivi scrupuleux de sa réalisation en passant par la sélection du prestataire, puis de l’accompagnement critique des rapports du BE : nous montrons que celui-ci articule des moments de co-présence (les comités de pilotage) favorisant le dialogue technique, et des moments de lecture solitaire des rapports d’études, tous les deux propices au recueil de signes ou d’indices nourrissant le jugement sur le travail en cours. 

Une situation de délégation épistémique

Modéliser le risque inondation à des fins réglementaires

  • 3 La procédure a été révisée par le décret n° 2019-715 du 05/07/2019, qui a fait l’objet d’une notice (...)

7L’objet de la délégation consiste dans la modélisation de l’aléa inondation sur un bassin versant ou un tronçon de rivière à des fins réglementaires. Une doctrine nationale fournit quelques éléments minimaux de cadrage3. En particulier, l’aléa modélisé doit correspondre à la « crue de référence », c’est-à-dire la plus forte crue historique connue ou la crue d’occurrence centennale si celle-ci lui est supérieure. Ensuite, afin d’intégrer le risque de défaillance des ouvrages de protection comme les digues, la modélisation doit intégrer une hypothèse dite de transparence hydraulique : cela revient à considérer comme inondables les zones protégées par de tels ouvrages. Combinée avec l’identification et l’évaluation de la vulnérabilité des enjeux susceptibles d’être affectés par l’inondation, la modélisation permet d’élaborer la carte du risque inondation et de dire le risque réglementaire (Le Bourhis, 2007). L’énoncé de celui-ci s’accompagne de servitudes d’urbanisme liées au niveau de risque encouru dans chaque zone identifiée. L’ensemble forme un Plan de Prévention du Risque Inondation, ou PPRi, ayant valeur réglementaire et opposable aux tiers.

  • 4 Il s’agit de l’OPQIBI, organisme de qualification de l’ingénierie.

8Concrètement, à la suite d’un arrêté préfectoral, le processus est piloté par les « cellules risque inondation » des Directions Départementales des Territoires (DDT), composées dans nos cas d’étude d’un à deux ingénieurs assistés par un à deux techniciens. Ce pilotage est réalisé en lien avec les services régionaux compétents réunis au sein d’un comité de pilotage, ou « copil ». Cela concerne d’abord deux services de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) : le service d’hydrométrie, chargé des stations de mesure des hauteurs d’eau et du calcul des débits sur certains cours d’eau, et le service dédié à la prévention des crues. Le Cerema, centre d’expertise et d’appui aux politiques publiques organisé en une vingtaine d’agences territoriales, peut également dépêcher un expert en risque inondation. Le financement de ces études est assuré par les crédits issus du fonds de prévention des risques naturels majeurs ; d’après nos interlocuteurs, la contrainte financière est plutôt faible. Les bureaux d’études susceptibles de répondre aux appels d’offres de la DDT forment un tissu très hétérogène sur le plan de la répartition spatiale comme sur celui de la taille. À titre indicatif, on dénombre un peu moins de 300 entités bénéficiant de la qualification (non obligatoire) « étude de protection contre les inondations » délivrée par l’organisme de qualification des professionnels de l’ingénierie4.

9L’élaboration d’un PPRi est un processus long, de dix-huit mois à trois ans d’après nos interlocuteurs, qui intègre une forte composante politique. Au regard des enjeux pour leur territoire, les élus suivent en effet le processus de près, de même que les riverains, particuliers ou professionnels, sollicités dans le cadre de la concertation obligatoire. Pour reprendre les catégories proposées par Martinais (2010) à propos des études de dangers en matière de risques industriels, le copil représente « l’espace restreint de la décision », composé d’ingénieurs, tandis que l’association des élus et du public instaure de son côté l’espace public du risque inondation. En cas de contestation, des négociations d’accommodation peuvent s’engager sur les servitudes d’urbanisme, voire remonter à la carte d’aléa à condition d’en payer le prix en termes de contre-expertise : cela peut être le fait de collectivités disposant de services techniques (Gralepois, 2011), ou d’industriels capables de financer une étude spécifique à leur site. La contestation des modélisations est donc intégrée à l’horizon d’attente des agents des DDT, avec l’objection récurrente des élus ou riverains, « mais on n’a jamais vu d’eau ici ! », et l’expression de diverses incompréhensions, en particulier vis-à-vis de la règle de transparence hydraulique (Goutx, 2014). De ce fait, la maîtrise de l’étude est perçue comme essentielle par les agents de l’État :  

[Les élus] n’ont pas la connaissance hydraulique mais celle du terrain. Et on va bloquer l’urbanisation à certains endroits, donc des critiques ils en auront et on a intérêt à savoir de quoi on parle. (agent 1) 

10Pour éclairer le pilotage de cette délégation épistémique, nous avons conduit des entretiens auprès d’agents des services déconcentrés ayant eu à piloter la réalisation de telles études ou à participer, à un titre ou à un autre, aux comités de pilotage d’études réalisées par des BE pour l’État ou pour des collectivités. Vingt entretiens individuels ou collectifs ont été réalisés en 2019 et 2020 avec vingt-cinq interlocuteurs. Ils ont ciblé principalement les agents des services risques de six DDT et les experts régionaux (DREAL, Cerema). Les interlocuteurs seront identifiés dans le texte respectivement en tant qu’agents et experts. Les entretiens ont suivi une trame commune : présentation du parcours professionnel puis récit d’un ou de plusieurs cas de pilotage d’études. Deux entretiens ont également permis d’aborder le point de vue des prestataires. Enfin, les entretiens ont été complétés par l’analyse de quatre appels d’offres et de l’ensemble des rapports d’une étude PPRi.

Une relation asymétrique partiellement compensée par un dispositif d’appui

11La relation entre services départementaux de l’État et BE se caractérise par une asymétrie de compétence plus ou moins marquée selon les situations. Celle-ci tient à plusieurs facteurs : l’affaiblissement général des compétences techniques des services déconcentrés, en raison de la baisse des effectifs  et d’un repositionnement sur des missions régaliennes ou d’animation associé à la promotion de profils d’ingénieurs généralistes ; le manque de pratique et de possibilité de mise à niveau pour ceux qui ont eu une formation ou une expérience de modélisation ; certaines pratiques de gestion des ressources humaines, comme la rotation rapide sur les postes d’encadrement qui empêche de capitaliser l’expérience. De fait, nos interlocuteurs des DDT sont peu nombreux à avoir une formation initiale sur le sujet, et encore moins ont eu ou ont encore la possibilité de la mettre en œuvre : sur neuf agents interrogés, quatre ont été formés à l’hydraulique, un seul a pratiqué la modélisation en situation professionnelle, et cinq se sont « formés sur le tas » comme le dit l’un d’eux.

12La situation d’une DDT apparaît sur ce point particulièrement atypique. Ce service a été confronté lors d’une étude PPRi à des difficultés importantes, imputées à un déficit de contrôle du BE. De ce fait, une contractuelle formée à la modélisation a été recrutée afin d’assurer une « montée en compétence de l’ensemble de la cellule risque » (agent 6). Dans le même esprit, une action de formation fut adossée à une prestation de modélisation, afin que le service puisse réaliser en interne de petites modélisations et devienne plus compétent dans sa mission d’accompagnement et de contrôle. De manière générale cependant, cette asymétrie concourt à instaurer un état que nous pouvons qualifier d’inconfort du commanditaire, bien résumé par cet expert régional :

Les ingénieurs et techniciens qui se retrouvent dans ces services à piloter des études de PPR avec des BE privés qui sont quand même bien chevronnés, qui connaissent bien leur travail, ils ne sont pas très à l’aise. (expert 4) 

  • 5 Guide méthodologique pour le pilotage des études hydrauliques, 09/2007, Direction générale de l’urb (...)

13Cet inconfort est en partie compensé par l’expérience acquise progressivement, exceptionnellement par le recours à une assistance à maîtrise d’ouvrage, et enfin par un environnement de travail fournissant certains appuis, à condition de savoir qu’ils existent ou de pouvoir y accéder. Ce dispositif d’appui comprend en premier lieu des guides et formations. Ainsi, un guide national sur les plans de prévention des risques et un guide spécifique sur la conduite des études hydrauliques existent bien5, mais l’existence de ce dernier était inconnue de la plupart de nos interlocuteurs de DDT, sans doute en raison de sa relative ancienneté (2007) et des mécanismes d’amnésie institutionnelle à l’œuvre dans de nombreuses structures.

14Ce dispositif consiste en second lieu en un réseau de collègues, et d’abord un « réseau métier régional » ou « club risque » permettant d’échanger de manière récurrente dans une perspective de formation et d’homogénéisation des pratiques. Un réseau d’experts régionaux, issus de la DREAL ou du Cerema et mobilisables à différentes étapes des études PPRi, joue également un rôle important. L’ensemble correspond au schéma de « collectivisation de la compétence et de spécialisation technique » mis en évidence à propos des agents en charge des risques industriels (Bonnaud & Martinais, 2010). À cet égard, des évolutions contradictoires semblent être à l’œuvre et illustrent la diversité des mécanismes affectant in fine le pilotage de la délégation : d’un côté, la réforme de l’État tend à réduire la disponibilité des experts du Cerema, tandis que de l’autre les nouvelles missions confiées aux Services de prévention des crues (SPC) des DREAL auraient un effet positif. En effet, ceux-ci doivent désormais modéliser une large gamme d’inondations au niveau des stations de mesure des débits qu’ils contrôlent ; dès lors, une DDT peut étendre la prestation sur la crue de référence à toutes les crues intéressant le SPC, ce qui établit un équilibre d’intérêt et facilite l’enrôlement du SPC dans le copil :

C’est une double coopération car ils nous apportaient leur expertise et après ils récupéraient les cartes dont ils avaient besoin. (agent 4) 

15Cela augmente également les possibilités de juger de la qualité du modèle du BE, car ses résultats pourront être évalués lors de crues plus fréquentes que la crue de référence.

La modélisation du point de vue des commanditaires

Une représentation de la modélisation

  • 6 En particulier une méthode naturaliste fondée sur l’observation des traces laissées sur un territoi (...)

16Si d’autres méthodes existent6, la modélisation s’est imposée comme point de passage obligé pour établir les cartes d’inondation des PPRi. Quand bien même ils n’en sont pas spécialistes, les entretiens montrent que nos interlocuteurs se sont forgé une représentation globale du processus. On peut la résumer autour de cinq grandes composantes, sur lesquelles leur intervention peut être contributive (fourniture de données…), prescriptive (imposer un type de modèle) ou de contrôle :

  • élaborer la représentation topographique du territoire d’étude et bathymétrique (profondeur) du cours d’eau, sous une forme numérique adaptée à la modélisation appelée maillage ;

  • identifier la crue de référence et reconstituer ses hydrogrammes, c’est-à-dire les courbes représentant l’évolution temporelle des débits destinés à être « injectés dans le modèle » ;

  • mobiliser un jeu de données historiques sur les crues survenues dans le territoire d’étude (hauteurs lues sur les repères de crues, photographies, articles de journaux…) permettant d’évaluer les hauteurs d’eau et l’étendue spatiale des inondations associées à un certain niveau de crue ;

    • 7 Les types de modélisation (1D, 2D, 3D) font notamment référence à leur capacité à calculer des vite (...)

    choisir un type de modélisation7 et un logiciel associé, permettant de calculer l’emprise spatiale de l’inondation en tout point de la zone d’intérêt ;

  • réaliser le calage et la validation : le calage consiste à ajuster la valeur des paramètres du modèle qui traduisent certains phénomènes physiques à l’œuvre dans une inondation, comme la résistance à l’écoulement de l’eau en fonction de la « rugosité » du cours d’eau. La valeur du paramètre est modifiée jusqu’à faire coïncider la hauteur d’eau calculée en certains points avec la valeur mesurée grâce aux repères de crue. Valider le modèle consiste dans un second temps à comparer des hauteurs calculées avec des hauteurs mesurées qui n’ont pas été mobilisées pour le calage.

17Des sources d’incertitudes se logent au sein de chacune de ces composantes : disponibilité et qualité des données topographiques ou historiques, détermination de la crue de référence et fiabilité de ses hydrogrammes, adéquation et performance du logiciel… Leur existence est bien identifiée par les agents de l’État, qui sont donc conduits à composer ou à s’arranger (Chalas et al., 2009) avec elles. En l’occurrence, une première manière de produire de la rassurance sur le résultat consiste à contrôler particulièrement ces deux opérations identifiées comme majeures, le calage et la validation. Celles-ci établissent en effet un lien entre ce que peut dire le modèle et le comportement « réel » du territoire d’étude observé lors d’événements antérieurs :

Plus vous êtes confrontés à des éléments mesurés différents, plus vous allez pouvoir vérifier que vous reproduisez bien la réalité. La modélisation, c’est que si on reproduit bien le passé, on va bien reproduire le futur. (expert 1) 

18Notre interlocuteur précise qu’il « faut utiliser tout ce qui est connu pour pouvoir le faire et utiliser les bonnes comparaisons » : la validation apparaît ainsi directement fonction de l’étendue de la mise à l’épreuve subie par le modèle, ce qui n’en fait pas pour autant aux yeux des spécialistes le « meilleur modèle » mais assure a minima qu’il n’a pas été « réfuté par un ensemble d’opérations et de mesures » (Bouleau, 1999, p. 311). A contrario, un agent de DDT évoque le cas d’un ruisseau où « il n’y avait pas de station de mesure, c’était juste de la théorie, rien pour contrôler derrière avec des repères de crues. Donc on pouvait dire ce qu’on voulait » (agent 1). L’obligation de majorer systématiquement de 30 cm les hauteurs d’eau calculées constitue un deuxième levier de rassurance en aval de toute la démarche : par ce moyen, on étend mécaniquement les zones inondables, ce qui peut compenser des erreurs ou approximations qui auraient conduit à réduire à tort l’emprise de l’inondation.

19Enfin, qu’il s’agisse de caler et de valider le modèle, ou de procéder au maillage du territoire d’étude, la disponibilité en données apparaît cruciale. Nos interlocuteurs évoquent sur ce plan la nécessité d’en recueillir le plus grand nombre possible préalablement au démarrage de l’étude, mais aussi de pouvoir les compléter en cas de besoin et enfin de veiller à leur qualité. Ils relèvent également que la disponibilité en données historiques est très variable selon les territoires : elle dépend de l’importance des enjeux qu’ils recèlent, et donc du suivi des inondations qui y est effectué depuis plus ou moins longtemps. C’est la source d’une inégalité structurelle dans les conditions de réalisation des modélisations et les possibilités de contrôle, qui dépendent pour partie des recoupements opérés avec des études antérieures.

Une représentation de l’art pratique du modélisateur

20Les choix à faire dans les cinq composantes décrites précédemment et la bonne articulation de celles-ci traduisent l’art pratique du modélisateur. La manière dont nos interlocuteurs sont revenus sur leur propre expérience ou dont ils ont évoqué le travail des BE permet de dessiner les contours d’une représentation de cet art de la modélisation. Celle-ci nous intéresse dans la mesure où elle oriente également la vigilance et le jugement sur le travail fourni. On peut l’organiser autour de deux figures ou manières de modéliser qu’on propose de qualifier à l’aide des catégories mobilisées par B. Latour (2012) pour contraster deux cours d’action, le mode automatique et la reprise en manuel.

21La figure plutôt négative est celle du modélisateur opérant en « mode automatique » : il s’en remet de manière peu réflexive aux logiciels, et notamment aux automatismes permettant d’effectuer certaines étapes clés avec une économie de temps, par exemple le maillage du territoire d’étude à partir du modèle numérique de terrain, ou la traduction hydraulique de la présence d’un obstacle (un pont par exemple) par un paramètre. Le mode automatique privilégie également un usage peu réflexif des données recueillies, qui peut s’avérer problématique lorsque le modélisateur leur applique des traitements inadaptés en raison d’une particularité non identifiée :

Des fois, les BE font des extrapolations [à partir des données de débit de crue] et ça ne va pas car [la méthode n’est pas adaptée au contexte] (…) Si les BE (…) ne se sont pas creusé la tête et n’ont pas fait de terrain ils ne vont pas y penser. (expert 2) 

22A contrario, la figure positive est celle du modélisateur opérant en « mode manuel », privilégiant la réflexion sur le fonctionnement hydrologique de la rivière à l’attrait pour la puissance de calcul, prêt à traiter à la main un certain nombre de singularités topographiques ou hydrologiques, « même si c’est fastidieux » comme l’indique un de nos interlocuteurs. Il rentrera ainsi manuellement dans le modèle la géométrie de l’obstacle évoqué ci-dessus plutôt que de le traduire par le paramètre calé automatiquement par le logiciel. Il se montrera également soucieux de toujours questionner la fiabilité des données et leur pertinence, voire de « revenir au terrain » pour affiner une topographie ou examiner un repère de crue afin de comprendre sa signification hydraulique et sa pertinence… L’enjeu décisif ici selon un agent est que le recours excessif au mode automatique peut conduire à « passer à côté de quelque chose d’important », si le modélisateur ne s’est pas suffisamment « creusé la tête » ou ne s’est pas suffisamment confronté au terrain. S’assurer que le BE n’est pas « passé à côté de quelque chose d’important » constitue de fait un troisième levier de rassurance vis-à-vis des incertitudes inhérentes à la modélisation.

23Dans la pratique, l’art du modélisateur consiste probablement à savoir combiner les deux modes avec discernement. Cela dépend des habitudes acquises lors de sa formation et de sa socialisation dans différents univers professionnels, comme c’est le cas chez les scientifiques modélisateurs (Babel et al., 2019). Mais cela dépend également de paramètres contractuels, notamment le temps et le budget alloués, qui peuvent avoir été mal évalués ou volontairement sous-estimés dans le cadre d’un marché concurrentiel. Les acteurs interrogés sont pleinement conscients de ces contraintes :

Ce qui coute cher pour eux c’est le terrain. Donc ils font très très peu de terrain, et sans terrain (…), ben vous passez à coté de certaines choses. (…) Comme ils ont obligation de résultat à délai fixe, le fait d’arriver en fin d’étude à la bourre et de voir qu’il y a un problème (…) c’est là qu’on a le droit à des petites magouilles. (expert 3) 

24Le contrôle dont le BE est l’objet semble également induire des effets paradoxaux. Dans une logique opportuniste risquée du point de vue réputationnel, un BE peut en effet être tenté de redéléguer une partie du travail au commanditaire, en lui transmettant des « résultats bruts » afin de bénéficier du travail d’analyse et d’interprétation des services de l’État :

On a l’impression qu’ils [les BE] ont tendance un peu à balancer les résultats bruts de modèle et puis en avant quoi ! (…) Je pense que c’est à nous de trouver un bon compromis, qu’on leur fasse comprendre que oui, on va vérifier derrière, mais que si on trouve que le travail est trop médiocre, on va leur faire refaire les choses et qu’on va leur faire perdre du temps (…). Quand on sait qu’on va être relu c’est sûr on ne fait pas d’efforts. (agent 2) 

25Enfin, les pratiques de rétention d’information de la part des BE sont également bien identifiées. Si les BE entendent, très légitimement, préserver de la concurrence leur savoir-faire professionnel, les agents interrogés estiment qu’ils seraient également peu incités par la situation contractuelle à révéler d’éventuelles difficultés survenues en cours de travail :

Dans le rapport ils disent que tout s’est très bien passé (…) alors que la réalité, quand on fait un modèle, il y a toujours des secteurs où on est embêté, on ne sait pas modéliser, on fait des choix, des hypothèses. Mais ça jamais vous le trouverez dans un rapport de BE. (…) S’ils détaillent les problèmes, ils ont peur et à juste titre de se trouver avec des demandes d’études complémentaires, de justification. (expert 3) 

26Cette tendance au déficit de transparence a été confirmée par la lecture des rapports auxquels nous avons eu accès : alors qu’elles ont été demandées dans le cahier des charges, la justification des hypothèses ou l’estimation des incertitudes ne sont pas forcément au rendez-vous. On retrouve ici l’enjeu des informations privées détenues par un délégataire, et de l’arbitrage délicat entre les révéler afin d’alimenter la confiance ou les maintenir cachées afin de ne pas subir les effets négatifs de la transparence. Cela s’explique par les enjeux évoqués ci-dessus, mais on pourrait également faire l’hypothèse d’un déficit de culture professionnelle en matière de traçabilité des savoirs, au sens où cet enjeu ne semble pas totalement intégré au système général d’orientation des pratiques professionnelles. Cela questionne également la posture du commanditaire, et notamment sa capacité à accepter que des surprises ou des difficultés imprévues puissent surgir dans un tel processus et que certains éléments du contrat soient alors ajustés.

Une représentation de la carte d’aléa

27La conscience des incertitudes, des variations dans les manières de modéliser et des contraintes liées au contexte marchand a in fine des conséquences sur la représentation de la robustesse de la carte d’aléa produite par le BE. On pourrait à cet égard la qualifier de « fiction réaliste » (Stengers, 1992), c’est-à-dire ici de conjecture sur le monde futur ancrée plus ou moins étroitement dans la réalité passée et présente du terrain, fondée a priori sur des hypothèses crédibles et des choix raisonnés. Ce statut est instable et peut évoluer dans deux sens opposés.

28La modélisation sous-jacente peut d’abord être rabattue sur la « fiction », en l’affaiblissant en-deçà du doute raisonnable, via le recours à une topique classique selon laquelle « il ne faut pas être paranoïaque, mais une étude on peut la faire aller dans un sens ou dans l’autre en jouant sur des paramètres » (agent 1). Selon les acteurs, cela peut servir à conforter la nécessité d’une attitude vigilante ou à contester des résultats. À l’inverse, la modélisation peut être tirée vers le « réalisme », en la durcissant cette fois au-delà de la certitude raisonnable : il s’agit alors de gagner en autorité et/ou de se conformer à un idéal de vérité supposé fonder globalement la confiance dans la science, comme cela a pu être relevé dans les pratiques de vulgarisation scientifique (Bensaude-Vincent, 2000). Ce durcissement peut d’ailleurs résulter de la demande des acteurs eux-mêmes, comme l’explique cet enseignant-chercheur ayant travaillé en bureau d’études pour des collectivités :

Le maire d’une commune, tu lui dis voilà les incertitudes que j’ai sur ma modélisation, il n’en veut pas, et ses administrés n’en veulent pas. Ils veulent une certitude.

29Une telle exigence peut refléter une illusion sincère sur le pouvoir et donc le devoir de « dire vrai » de la modélisation, en conformité à cet idéal social de la science. Mais cela permet également d’éviter des situations inconfortables, conduisant en l’occurrence les élus à devoir faire des choix en situation d’incertitude, et à en assumer toutes les conséquences, politiques voire juridiques. Un équilibre doit sans doute être trouvé dans la capacité à assumer « que, finalement, le modèle, malgré son coût, n’est toujours qu’un modèle et qu’il y a tellement de paramètres qui rentrent en compte que malgré la qualité qu’il a, il restera limité » (agent 3). À cet égard, le pilotage de la délégation et le débat démocratique sur les résultats pourraient gagner à être équipés par divers mécanismes de transparence et d’évaluation qualitative des savoirs, comme ceux évoqués dans le rapport CGEDD ou ceux élaborés dans le sillage des travaux sur la science post-normale (Kloprogge et al., 2011).

Le pilotage de la délégation au concret

Le portage de l’étude via le mécanisme de la commande publique

30Le Code de la commande publique fournit un cadre général pour l’organisation et le déroulement de la prestation. Son maniement représente une compétence en soi, parfois suffisante pour motiver et justifier une prise de poste : « j’étais le dernier à savoir passer des marchés, voilà comment je suis arrivé là-dessus », explique ainsi cet agent. Cette compétence est cependant décrite comme fragilisée en raison de la fin des missions de maîtrise d’œuvre exercées autrefois pour le compte des collectivités territoriales : celles-ci permettaient un apprentissage de la commande publique transférable dans d’autres domaines, comme avec cet agent passé par ce biais du domaine des routes à celui du risque inondation.

31Concrètement, le processus démarre par l’écriture d’un cahier des charges. Sa rédaction ne part jamais de rien : des modèles sont archivés et il est possible d’en récupérer en interne ou dans un petit cercle de DDT voisines afin de « voir ce que les collègues ont fait » (agent 6). Une partie du travail consiste à bien spécifier certains éléments procéduraux, comme les échéances, les livrables, les comités techniques. Concernant le contenu, les entretiens et la lecture de quatre appels d’offres mettent en évidence des variations autour de trois éléments clefs.

  • 8 A contrario, la standardisation des pratiques est beaucoup plus forte au Royaume-Uni avec l’imposit (...)

32Le premier est l’encadrement de la stratégie de modélisation8 : d’un côté, le commanditaire peut décider d’imposer un certain type de modèle, parce qu’il le maîtrise et/ou le juge adapté aux caractéristiques du territoire, voire un logiciel libre pour mieux contrôler le travail ; de l’autre, laisser ce choix au BE a le mérite de contraindre celui-ci à effectuer une première analyse des enjeux, à faire un choix raisonné, puis à en assumer les conséquences par la suite, même si le commanditaire aura à comparer des propositions hétérogènes. Intervient ensuite la question des données de terrain, dont on a vu l’importance à différentes étapes de la modélisation. Le cahier des charges peut imposer ou laisser le BE libre de définir le nombre de visites destinées à recueillir de telles données. Il peut également permettre d’engager l’acquisition de données topographiques complémentaires à celles fournies, « comme ça [le BE] ne pourra pas dire il me manque telle donnée topo » (expert 4). Le dernier élément a trait aux modalités de présentation et de justification des hypothèses, des choix de modélisation, des résultats et des « incertitudes, imprécisions et interrogations quant à la validité des résultats obtenus » (Cahier des charges, DDT66). Le cahier des charges indique également selon quels formats les résultats doivent être fournis afin de faciliter leur contrôle et leur bancarisation, et il peut requérir des tableaux comparatifs entre les résultats du modèle et les données mesurées, avec justification précise des écarts. En fin de compte, l’écriture du cahier des charges requiert de faire preuve de discernement dans l’étendue des prescriptions, compte-tenu de l’équilibre souhaité entre contrôlabilité et responsabilisation du BE.

33Une fois le cahier des charges rédigé et diffusé, les offres reçues sont évaluées selon une grille pluridimensionnelle. On y retrouve les critères classiques de prix, de qualité du mémoire technique, de composition de l’équipe et de ses références, de délai. L’appréciation technique des dossiers est un enjeu délicat, pour lequel les experts régionaux sont sollicités après un premier travail de la DDT. Celui-ci consiste d’abord dans la comparaison des offres entre elles, exercice dans lequel les enjeux de précision paraissent déterminants : « tel BE propose une précision avec tel modèle, un autre fait différemment. On essaie de les comparer entre eux pour trouver la solution la plus fiable et on s’appuie sur les autres critères pour discriminer entre deux BE qui seront très proches au niveau du mémoire technique » (agent 7). Même lorsque le détail technique est difficile à appréhender, les agents peuvent se forger un jugement synthétique à partir d’autres repères, en évaluant par exemple le soin mis à rédiger une réponse spécifique et non un copier-coller d’une réponse antérieure, « histoire de ne pas s’engager avec un BE qui n’a pas bien lu le dossier » (agent 6).

34Des signes plus concrets, comme les agréments et références, sont également pris en compte, ainsi que les CV des personnels affectés à la réalisation de l’étude. De manière plus informelle, la réputation des BE est connue ou appréciée à la suite d’échanges avec d’autres DDT : il s’agit alors de s’informer sur leur propension à respecter le cahier des charges et à tenir les délais, mais également sur la manière dont ils ont été « à l’écoute » du commanditaire et s’il a été possible de « faire corriger facilement les choses » (agent 5) une fois la prestation enclenchée. Le déroulement de la prestation engage en effet de nouveaux enjeux, décrits dans la partie suivante, mais également une véritable compétence de suivi :

Il faut vraiment suivre de très près le déroulement. (…) Il faut être en permanence conscient de là où on en est et de ce qu’on attend d’eux. (…) Si on laisse trainer, ils prennent plus leurs aises, même si ce n’est pas forcément de mauvaise foi. (agent 7)

35À défaut, le commanditaire s’expose à voir la situation lui échapper, avec des délais non tenus, des chevauchements entre différentes phases de l’étude et des documents remis au dernier moment avant la tenue des réunions techniques, ce qui en affaiblit le rôle.

Les réunions : entre dialogue technique et rapports de force

36Le déroulement de la prestation est jalonné par les réunions techniques du comité de pilotage. Les propos de nos interlocuteurs montrent qu’on peut les analyser à plusieurs niveaux. Elles constituent en premier lieu un espace de dialogue technique, semblable à celui analysé dans les relations entre contrôleurs et contrôlés dans d’autres domaines, comme celui de la sûreté nucléaire : un espace permettant de générer des apprentissages et de compléter des savoirs lacunaires (Rolina, 2010), de mieux prendre en compte les attendus et contextes pratiques des protagonistes (Eydieux et al., 2018), mais aussi de débattre des surprises ou des difficultés rencontrées et de procéder à certains choix. Cela requiert de la part du contrôleur, ici du commanditaire de l’étude, de savoir « prescrire, argumenter, apprendre, provoquer des modifications » (Rolina, 2010, p. 93). Le cadre de ce dialogue entre ingénieurs est fixé dans le cahier des charges, qui institue ces temps et en précise les conditions, notamment l’envoi préalable des documents et le format de présentation des résultats. De telles réunions servent par exemple à valider ou questionner les choix méthodologiques. Cet expert régional évoque ainsi une réunion au cours de laquelle il fallut choisir entre des hydrogrammes de crue élaborés selon une diversité de méthodes, conformément au cahier des charges :

On a plusieurs hydrogrammes mais il faut en choisir un à entrer dans le modèle et c’est pas évident. (…) C’est un consensus qui se fait entre le représentant du bureau d’étude, le collègue de la DREAL, de la DDT… (expert 5) 

37Ces réunions permettent également de faire circuler des savoirs pertinents, par exemple à propos des données hydrométriques ; cela permet d’apprécier leur pertinence, comme l’explique ce spécialiste en hydrométrie de la DREAL :

Les stations [de mesure des débits] produisent ces données publiques mais on est là en termes d’expertise et d’explications auprès des utilisateurs. (…) On dit sur quelles stations il faudrait mieux s’appuyer, laquelle à la plus grande chronique. (expert 6) 

38La productivité de ces échanges est préparée par le cahier des charges, par exemple s’il exige de fournir et de comparer plusieurs hydrogrammes, ou de fournir plus ou moins d’éléments de justification ou de supports de contrôle. Mais cette qualité d’échange n’a rien d’évident, il y a également de la négociation, de l’évitement et des tentatives de passage en force. Pour reprendre l’exemple du choix des hydrogrammes, le même expert poursuit : « Souvent cette discussion n’a pas lieu : le bureau d’étude vient et annonce qu’il prend tel hydrogramme et ne le justifie pas forcément. » La réunion, et c’est sa seconde dimension, est donc également une arène perméable au rapport d’autorité qu’instaurent plus ou moins ouvertement les BE en jouant sur leur expertise. S’engage alors une relation qui peut être délicate à assumer pour le commanditaire :

Il faut être sûrs de soi pour les forcer à fournir les éléments… ils nous entourloupent… nous déstabilisent en rentrant dans le très technique… ils ajustent leur effort à ce qu’ils anticipent comme volonté et pouvoir de contrôle en face. (agent 6) 

39Au-delà de cette dimension de rapport de force, qu’il n’a pas été possible dans le cadre de ce travail de valider et d’interpréter également du point de vue des BE, la réunion est enfin un espace où se forme un jugement sur leur professionnalisme, qui contribue à instaurer une relation empreinte de plus ou moins de confiance. Cette régulation par la confiance, nourrie par des signaux tangibles (certification, agrément…) ou intangibles (constat que le délégataire n’abuse pas de sa position pour minorer son effort), est présente dans toutes les situations de délégation, par exemple dans les relations de sous-traitance (Baudry, 1994). En l’occurrence, le sérieux professionnel peut être apprécié à travers une série d’indices, synthétiques, comme la « qualité d’écoute et de réponse aux demandes », ou plus spécifiques, comme le fait de prendre une initiative témoignant d’une volonté de transparence. Ainsi en est-il du signalement d’une difficulté, évoqué par cet expert : « Il aurait pu ne pas appeler et attendre la prochaine réunion. C’est du savoir professionnel. Il sait que la conséquence d’en parler va générer du travail supplémentaire pour lui » (expert 5). A contrario, certains comportements alertent le commanditaire, comme en témoigne cet agent ayant participé au suivi d’une étude réalisée pour une collectivité :

Le BE a travaillé pour arriver aux résultats que la commune voulait, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure (…). Plus on faisait des remarques et on trouvait des choses bizarres, plus les réponses étaient bizarres et moins il y avait de zone inondable. Donc à la fin on remarque qu’on se moque de nous quoi, et que c’est juste pour construire sur ce terrain. (agent 1) 

40Le jugement se clôt ici sur la mobilisation de la topique de la soumission des études aux désidératas du commanditaire, donc sur le volet fictionnel de la modélisation.

Lire un rapport : la vigilance épistémique en action

41Ces réunions sont préparées par la lecture des rapports intermédiaires et finaux, et débouchent sur une validation ou une demande de compléments. Cette lecture doit être effectuée soigneusement car il est délicat de revenir ensuite sur une validation. Elle est nourrie par l’expérience acquise au fur et à mesure de la lecture de tels rapports, et par des allers-retours avec les experts régionaux lorsque certains points techniques sont en jeu. Elle sollicite de la vigilance épistémique (Sperber et al., 2010), c’est-à-dire l’activation de mécanismes visant à circonscrire le risque d’être induit en erreur (de façon accidentelle ou intentionnelle) et à calibrer la confiance dans un contexte de divergence d’intérêts. Informée par les représentations de la modélisation et de l’art du modélisateur, elle requiert le sens de l’observation, de la méticulosité et de la rigueur afin de détecter tous les « loups » susceptibles de s’être glissés dans le rapport, pour reprendre le terme d’un expert. Cette vigilance peut être structurée préalablement, ou s’exercer de manière plus flottante.

  • 9 Contrairement aux études de dangers en matière de risque inondation (rupture de digue…) ou de risqu (...)

42Une première manière de structurer cette vigilance consiste, pour un agent, à construire au fur et à mesure de son expérience une liste de points clés correspondant à des problèmes ou à des erreurs qu’il a eu à connaître9. C’est rassurant, même si cela peut s’apparenter à un travail de Sisyphe :

On a beau se faire des listes en se disant, on va vérifier ça, on va vérifier ça, on peut toujours encore échapper à des trucs. Et c’est généralement quand on tombe dessus qu’on se rend compte que c’était ça qu’il fallait vérifier. C’est un peu comme si on avait un train de retard tout le temps. (agent 2)

43Une autre manière de structurer cette vigilance consiste, quand c’est possible, à organiser un recoupement méthodique avec des travaux antérieurs, en « superposant la connaissance qu’on a avec la nouvelle connaissance, pour voir ce qui a bougé et pourquoi ça a changé » (agent 1). La limite et la difficulté sont ici d’une autre nature : cela suppose en effet de « décortiquer » les études anciennes en éléments d’information comparables, et à pouvoir statuer sur d’éventuels écarts alors rendus visibles. Cette vigilance structurée combine donc la puissance cognitive de la liste (Goody, 1979) à celle des pratiques de visualisation (Latour, 1987). Mais cette vigilance opère également de manière flottante, au fil d’une lecture au cours de laquelle l’agent est en quelque sorte en état d’alerte vis-à-vis de tout indice pouvant se transformer en élément d’appréciation. Cette lecture peut provoquer, en premier lieu, une impression d’ensemble défavorable, comme lorsque cela « sent le débutant » ou que se dégage un sentiment de travail « léger » ou « superficiel » et donc suspect :

Quand ça ne va pas assez dans le détail, [qu’un choix] fait l’objet d’une ou deux lignes, on voit tout de suite que ça a été pris un petit peu à la légère et qu’ils se sont dit, ce n’est pas des hydrauliciens à la DDT, on peut écrire ce qu’on veut. (agent 7) 

44La lecture du rapport peut également conduire à identifier des éléments troublants plus singuliers, des anomalies. Cela peut être un paramètre manifestement trop précis pour être valide ou fixé à une valeur aberrante au regard de la réalité physique sous-jacente, ou encore un résultat en décalage avec le savoir du relecteur : ainsi de cet expert, spécialiste d’un bassin transfrontalier, qui dit avoir « sursauté » quand il prit connaissance d’un débit modélisé côté français supérieur de 30 % à celui qu’il avait eu la possibilité de lire dans le rapport réalisé côté allemand (expert 1). À ces saillances qu’on peut qualifier de « en relief » s’ajoutent celles « en creux », principalement une absence de justification ou une sélectivité suspecte, comme lorsqu’un ou plusieurs repères de crue sont écartés sans justification, ou qu’un écart avec une étude antérieure n’est pas justifié : cela peut donner à penser que leur prise en compte mettait en cause les résultats et aurait impliqué des approfondissements auxquels le BE ne pouvait ou ne souhaitait pas consentir.

45Ces alertes enclenchent ce qu’on peut appeler la mise en œuvre du contradictoire, consistant à rassembler des éléments opposables afin de conduire potentiellement à une révision du travail. Cela peut porter sur des données d’entrée de la modélisation, par exemple une mesure de débit écartée voire modifiée par le BE mais dont le service hydrométrique de la DREAL pourra revalider la pertinence, ou un repère de crue « non retenu » ou au contraire intégré à tort et sur lequel seule une visite de terrain, permettant de voir son emplacement et de comprendre la logique des écoulements, permettra de statuer. C’est toute la différence entre les manières de modéliser qui resurgit ici, en lien avec les possibilités ou volontés de procéder en « mode manuel » et de faire le détour par le terrain. Le contradictoire consiste également, quand cela est possible (logiciel libre ou licence d’utilisation d’un logiciel commercial), à rentrer dans le modèle pour comprendre l’origine des problèmes identifiés ou en évaluer le sérieux. Cela peut déboucher sur la mise au jour d’oublis, comme la non prise en compte d’ouvrages importants, d’erreurs de saisie dans certaines données, mais également de claires manipulations pour permettre de caler ou de valider le modèle.

46La vigilance et les investigations en contradictoire qu’elle enclenche ont des conditions de possibilité et d’efficacité. Elles sollicitent en premier lieu l’expertise propre des agents et la finesse de leur représentation du processus de modélisation, notamment de ses points de sensibilité, et dépendent à ce titre de la possibilité qui leur est offerte de la conforter ou de la forger. Elles requièrent en second lieu la possibilité de disposer d’une base de données historiques et d’études antérieures suffisamment conséquente pour que le recoupement soit possible, ce qui est très variable selon les cours d’eau et pèse directement sur les possibilités de contrôle. Elles s’appuient enfin sur la profondeur des connaissances d’arrière-plan des agents, notamment celles relatives au territoire modélisé et à l’instrumentation dont il est éventuellement l’objet. Ainsi, pour être natif du territoire, cet agent connaît suffisamment bien les zones modélisées pour que d’éventuels problèmes puissent lui « sauter aux yeux » ; tel autre se laisse guider par sa connaissance de la toponymie pour vérifier que les lieux désignés en référence à leur inondabilité ressortent bien dans la modélisation.

47Ces facteurs sont largement contingents. Mais l’accès à une autre forme de connaissance d’arrière-plan dépend pour sa part de l’organisation interne des services, laquelle peut faciliter ou compliquer la circulation d’informations utiles au pilotage des études. Une de nos interlocutrices évoqua ainsi, en contre-exemple, la réorganisation récente du service risque de sa DREAL : auparavant, ce service intégrait l’unité hydrométrie en charge des stations de mesure de débit ; elle pouvait ainsi participer aux opérations de cette unité, ce qui lui permettait d’actualiser en permanence sa connaissance des stations et de leur fiabilité pour un usage en modélisation, information précieuse qu’elle pouvait partager lors des copil. Le transfert de l’unité hydrométrie dans un autre service a rendu moins fluide la circulation de cette information. Cela confirme la structuration multi-niveau de la qualité du processus de pilotage : interviennent donc le niveau de l’organisation interne des services, mais également, comme on l’a vu, ceux de la commande publique et de la régulation du marché, de l’accès à des réseaux d’appui et enfin des pratiques idiosyncrasiques.

Conclusion

48À partir de cette étude exploratoire nous avons proposé une première description et formalisation de la compétence de pilotage de la délégation épistémique, un mode de production majeur des savoirs nécessaires à la gestion de l’environnement et des risques. Elle requiert de la part des acteurs en charge de ce pilotage une compétence de prescription, de sélection et de suivi, cadrée dans le cas d’espèce par le mécanisme de la commande publique. La capacité à juger le travail fourni s’appuie pour sa part sur des représentations du domaine de connaissance en jeu, en l’occurrence des représentations de la modélisation et de ses points de sensibilité mais également de l’art pratique du modélisateur, lesquelles orientent le contrôle et la vigilance sur des éléments spécifiques. Ces représentations se combinent aux savoirs d’arrière-plan et aux possibilités de recoupement offertes par d’éventuels travaux antérieurs pour former le dispositif permettant d’avoir prise sur le processus, d’apprécier le professionnalisme du BE et de contrôler les rapports techniques.

49Ces prises émergent à l’occasion des réunions de comité de pilotage, qui permettent de nouer un dialogue technique imprégné néanmoins par des rapports de force, et de recueillir des signes alimentant ou questionnant la confiance dans le professionnalisme du BE. Elles sont également produites par la lecture critique des écrits techniques, réponses aux appels d’offres et rapports d’études. Cette lecture critique, effectuée sur fond de vigilance épistémique, permet la formation d’un jugement global et le recueil d’éléments troublants plus spécifiques pouvant conduire à solliciter l’appui des experts régionaux et, le cas échéant, à engager le dialogue contradictoire avec le prestataire. Comme on le voit, le pilotage articule de manière étroite deux registres d’évaluation, l’un centré sur la professionnalité et l’autre sur la validité propre des résultats. Cette analyse permet de poser les bases d’une réflexion critique sur la manière d’améliorer ce pilotage et la qualité des savoirs produits, en combinant par exemple des mesures de formation, de renforcement des appuis et le recours à des protocoles de traçabilité et d’évaluation qualitative.

50Ce travail appelle précisions et prolongements. Bien qu’appréhendé dans notre enquête, le point de vue des prestataires sur leur pratique et les conditions qui leur sont faites devrait être approfondi, en lien avec les enjeux et effets propres au marché des savoirs. Par ailleurs, il sera intéressant de suivre comment la prise en compte du changement climatique ou des inondations majeures survenues en 2021 en Allemagne et en Belgique remet en cause ces pratiques de modélisation consistant à anticiper le futur à partir d’un passé dont on pressent qu’il pourra de moins en moins servir de cadre de référence. Ensuite, ce modèle de la compétence de pilotage de la délégation épistémique doit être validé et affiné en variant notamment la nature des commanditaires et des champs d’application. Pour en rester sur les inondations, il pourrait être pertinent d’analyser la manière dont les collectivités territoriales, dont les compétences sur ce point se renforcent, pratiquent elles-mêmes cette délégation. Enfin, les ressorts structurels de la délégation, en particulier ici les raisons et effets de l’affaiblissement de la capacité de l’État à produire les savoirs dont il a besoin, mériteraient également d’être approfondis en lien avec les travaux sur la pénétration du nouveau management public et la réforme de l’État.

Cet article est issu de deux projets financés respectivement par l’ENGEES (projet HyGReC) et l’Unistra (Idex Prim’eau). Deux stagiaires, Faustine Aliotti et Étienne Desforet, ont contribué aux entretiens, qu’ils en soient remerciés. Les auteurs remercient les relecteurs pour leurs précieuses remarques et suggestions.

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Notes

1 C’est par exemple le cas des savoirs nécessaires à la mise en œuvre de la compensation écologique (Petitimbert, 2018). Le flou entourant cette notion donne de fait un rôle de prescripteur aux BE via les méthodes développées en interne et proposées aux commanditaires.

2 Comme lorsque le recours à une modélisation pour l’élaboration d’une trame verte conduit à écarter des données et des savoirs profanes et suscite perplexité et réserves chez les acteurs (Alphandéry et al., 2012).  

3 La procédure a été révisée par le décret n° 2019-715 du 05/07/2019, qui a fait l’objet d’une notice explicative (https://medias.amf.asso.fr/upload/files/Modalites_appli_decretPPRI.pdf – Novembre 2019).

4 Il s’agit de l’OPQIBI, organisme de qualification de l’ingénierie.

5 Guide méthodologique pour le pilotage des études hydrauliques, 09/2007, Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, ministère de l’écologie, https://www.cerema.fr/fr/centre-ressources/boutique/guide-methodologique-pilotage-etudes-hydrauliques

6 En particulier une méthode naturaliste fondée sur l’observation des traces laissées sur un territoire par l’ensemble des crues qui y ont eu lieu, dite hydrogéomorphologique (Goutx, 2014).

7 Les types de modélisation (1D, 2D, 3D) font notamment référence à leur capacité à calculer des vitesses d’écoulement de l’eau en 1, 2 ou 3 dimensions.

8 A contrario, la standardisation des pratiques est beaucoup plus forte au Royaume-Uni avec l’imposition des « best models and practices » (Langström et al., 2011).

9 Contrairement aux études de dangers en matière de risque inondation (rupture de digue…) ou de risques industriels, il n’y a pas de grille d’analyse imposée.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rémi Barbier et Isabelle Charpentier, « La délégation épistémique et son pilotage »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 16-3 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/28454 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rac.28454

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Auteurs

Rémi Barbier

Professeur en sociologie et gestion de l’environnement à l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg (ENGEES) et chercheur au laboratoire GESTE. Ses travaux portent sur les enjeux institutionnels, démocratiques et épistémiques de la gouvernance territoriale de l’environnement
ORCID : https://orcid.org/0000-0003-3994-8440

Adresse : ENGEES, 1 quai Koch, FR-67070 Strasbourg (France)
Courriel : remi.barbier[at]engees.unistra.fr

Articles du même auteur

Isabelle Charpentier

Modélisatrice, directrice de Recherche (CNRS) au Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie (UMR7357). Ses recherches ont longtemps porté sur la simulation numérique en ingénierie et en géosciences. Elle se concentre aujourd’hui sur la modélisation des socio-écosystèmes et les interactions Humain-Nature.
ORCID : https://orcid.org/0000-0001-9079-8236

Adresse : ICUBE (UMR 7357), 2 rue Boussaingault, FR-67000 Strasbourg (France)
Courriel : icharpentier[at]unistra.fr

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Droits d’auteur

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