Marie-Pierre Bès a été formée en économie de l’innovation à Toulouse où elle a soutenu une thèse en 1992 intitulée « Innovations et progrès technique : le cas du satellite dans l'industrie spatiale » (une partie des résultats fait l’objet de l’article « Regards à l'intérieur de la boîte noire des satellites : tâches de conception et modalités d'apprentissage des technologies spatiales », Revue d'économie industrielle, 64, 2ème trimestre 1993. pp. 61-81). À l’issue de cette recherche, elle a été recrutée sur un poste de maîtresse de conférences en économie à l’Université Paul Sabatier et affectée à l’Institut Universitaire de Technologie d’Auch. En 2005 et jusqu’en 2020, elle a été détachée dans une école d’ingénieurs en aéronautique (l’École Nationale Supérieure des Construction Aéronautique, intégrée en 2013 dans l’Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace) où elle était responsable de l'unité de formation Sciences Humaines et Sociales. Au cours de ces années, elle a déployé beaucoup d’énergie et de créativité pour sensibiliser et initier les élèves ingénieurs aux sciences sociales, mobilisant des intervenants de toutes disciplines, créant des modules d’enseignement inédits et inventant des modalités pédagogiques originales.
Marie-Pierre Bès (4 octobre 1965 - 15 février 2021)
Crédit photo : Marie-Pierre Bès
Après son recrutement comme maîtresse de conférences, elle a poursuivi ses recherches au sein du Laboratoire de Recherche en Économie de la Production, dirigé alors par François Morin. Ses travaux se sont orientés vers les processus de construction de connaissances collectives (Marie-Pierre Bès, 1998, « La capitalisation active des connaissances : principes, contextes et obstacles », Annales des Mines, Gérer et Comprendre, décembre, pp. 38-51) et elle a été amenée pour approfondir cet objet à rejoindre le Laboratoire Interdisciplinaire sur les Ressources Humaines et l’Emploi en 1998.
Tout en poursuivant ses recherches et ses enseignements en économie, elle s’est impliquée très tôt, avant même la soutenance de sa thèse, dans des collaborations interdisciplinaires sur l’étude des activités d’innovation avec des géographes et des sociologues. De plus en plus intéressée par la sociologie, elle s’est alors engagée en 1998 dans une collaboration avec Michel Grossetti à l’occasion d’une recherche sur les relations entre les laboratoires du CNRS et les industriels. Cette recherche a débouché sur des résultats étayant la thèse de l’encastrement des relations science-industrie dans des réseaux de relations interpersonnelles (Michel Grossetti et Marie-Pierre Bès, 2001, « Encastrements et découplages dans les relations science – industrie », Revue Française de Sociologie, 42(2), pp. 327-355). Cette recherche a aussi permis de formaliser l’approche par les chaînes relationnelles qui consiste à reconstituer les chaînes de relations interpersonnelles permettant à des personnes d’accéder à des ressources, ici des partenaires de recherche. Elle a ensuite développé cette approche sur d’autres populations et terrains, notamment les doctorants (Marie-Pierre Bès, 2004, « Connaissances et relations sociales des jeunes chercheurs », Recherches sociologiques, XXXV(3), pp. 123-135), les étudiants (Marie-Pierre Bès, « Les chaînes relationnelles entre anciens étudiants : l'usage des carnets d'adresses électroniques », Réseaux, (168-169), 2011, pp. 189-214) et les associations d’anciens élèves (Marie-Pierre Bès, 2016, « Des alumni à l’université française. Comment créer ex nihilo un réseau de diplômés ? », Recherches sociologiques et anthropologiques, 47(1), pp. 89-110). Ce faisant, elle est devenue une spécialiste reconnue de l’analyse des réseaux sociaux par les chaînes relationnelles, une approche originale et innovante qu’elle a largement contribué à établir.
Ses recherches sur les réseaux sociaux l’avaient conduite à rejoindre une équipe de sociologie en 2003 (au sein du Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires), puis à obtenir en 2016 son rattachement par le Conseil National des Universités à la section « sociologie, démographie » et sa qualification comme professeure en 2018. En 2019, elle a intégré le Comité Exécutif de l’Association Française de Sociologie voulant soutenir la dynamique de la discipline. Sa conversion disciplinaire a été couronnée en 2020 par son recrutement sur un poste de professeure de sociologie à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès, poste qu’elle s’apprêtait à occuper au moment où sa maladie a été détectée en octobre 2020. Celle-ci l’a emportée le 15 février 2021 alors même qu’elle était engagée dans plusieurs publications, de nombreux projets de recherche et des nouvelles collaborations nationales et internationales sur le milieu industriel, les élites, l’enseignement supérieur et la recherche.
Les quelques articles cités dans les précédents paragraphes permettent de se faire une idée des apports de la recherche de Marie-Pierre Bès en économie industrielle, dans les études des activités d’innovation technique et des sciences, dans les analyses des réseaux sociaux. Mais ils donnent une idée bien incomplète de son travail de défrichage d’objets situés à la frontière des disciplines et des méthodes, et surtout de son infatigable énergie pour tisser des liens entre chercheurs, mobiliser des collègues, créer des communautés intellectuelles. Ils ne disent rien non plus de ses nombreuses implications hors de l’université, pour l’environnement, contre les injustices sociales, en politique comme dans le secteur associatif, même si l’on trouve des traces de ces engagements dans ses écrits.
Personnalité énergique et forte, elle était aussi bienveillante, joyeuse et solaire ; elle parvenait immanquablement à transformer des assemblées de congressistes, de participants à des projets de recherche, ou plus simplement ses collègues de bureau en communautés vivantes, solidaires et intellectuellement fécondes. Elle était également une mère présente, aimante et fière de ses enfants.
Certains mesurent la place occupée par une personne dans la communauté scientifique par le nombre de publications ou de citations. On peut privilégier une impression plus qualitative, celle du manque qu’entraîne la disparition de cette personne dans les esprits et les sentiments de celles et ceux qui l’ont connue. Si l’on se fie aux réactions multiples à sa disparition, dans le cas de Marie-Pierre Bès, ce manque est immense.
Michel Grossetti et Béatrice Milard, au nom de toute l’équipe de sociologie du LISST.