Navigation – Plan du site

AccueilNuméros2-1« Aujourd’hui les plaques sont mo...

« Aujourd’hui les plaques sont molles ! »

Savoir situé et ambiguïté dans une communauté de pratiques
“Today, the plates are soft!”. Situated knowledge and ambiguity in a community of practices
¡«Hoy las placas son blandas!» Saber situado y ambigüedad en una comunidad de prácticas
«Oggi le placche sono molli». Sapere situado ed ambiguità decisionale in una comunità di pratiche
Silvia Gherardi

Résumés

Cet article propose une méthode d’analyse ethnographique des savoirs pratiques appelée « interview avec un sosie ». Cette approche suggère d’interpréter le processus socio-cognitif de prise de décision comme une activité située ; elle vise à proposer une description fine du « freinage ouvrier » en l’interprétant fondamentalement comme un processus de gestion de l’ambiguïté. Un prédicat linguistique provenant du cas étudié (une phrase liée au produit assemblé en atelier par les ouvriers d’une usine de batteries : « aujourd’hui les plaques sont molles ») saisit la fonction sociale d’une telle phrase énoncée à des fins symboliques dans le milieu de travail d’un ouvrier. Elle fait sens en tant que symbole de production d’identité collective et de clôture sociale mais aussi comme une phrase qui signifie une ressource pour contrôler les relations de pouvoir avec le management. Il n’est pas nécessaire que prévale un accord sur les valeurs et sur les significations pour que le « freinage ouvrier » s’accomplisse ou non ; un accord instable et minimal peut être suffisant pourvu qu’il procède d’un processus de négociation qui prend en compte et gère : a) l’ambiguïté inhérente à tout processus social d’interprétation ; b) l’ambiguïté des conséquences variables suivant les interprétations disponibles ; c) l’ambiguïté de la mise en œuvre de l’action.

Haut de page

Notes de la rédaction

Article initialement publié dans Studi Organizzativi, 3, 2003, pp. 59-183, et reproduit avec l’autorisation de l’auteur que nous remercions. Traduction de l’italien par Marc Barbier et Rigas Arvanitis, revue par l’auteur.

Texte intégral

Introduction

1Un des mythes de l’âge moderne pourrait bien être celui de l’univocité : les sciences exactes, la sociologie et les sciences sociales en général ont insisté de façon répétée sur la nécessité de rigueur scientifique du langage, d’absence d’ambiguïté de la terminologie employée et sur l’étendue universelle des concepts. Les premiers héros de cette bataille contre l’ambiguïté ont certainement été Galilée, Descartes et Newton, qui fondèrent la science moderne justement sur l’univocité des discours, sur une définition aristotélicienne des catégories et sur un formalisme des théories. Des expressions métaphoriques ou allégoriques étaient considérées provisoires, secondaires, voir de simples « raffinements » quand elles n’étaient pas exclues, déniées comme des formes appartenant au champ de la littérature, de la poésie et des sciences humaines pour employer le vocabulaire contemporain. Elles ne pouvaient qu’entraîner la confusion dans la recherche scientifique. Intrinsèquement à l’histoire de la pensée moderne occidentale, Morin (1974) décrit cette disposition vis‑à‑vis de la connaissance comme un « rationalisme morbide » et comme l’expression positive du désir que le réel coïncide avec le rationnel. Cela a conduit cette pensée à ignorer l’événement parce qu’il représente toujours la possibilité d’une exception, et à refuser le langage polysémique de l’homme de lettres, langage pourvoyeur d’ambiguïté pour la perspicacité de l’homme de science.

2Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi dans l’histoire de la pensée humaine. La « disparition de l’ambiguïté », comme Levine (1985) a pu la définir, est un processus moderne qui reçoit son impulsion de l’ascension de la bureaucratie occidentale. Beaucoup plus récemment, le concept d’ambiguïté a été largement utilisé dans les études organisationnelles, en particulier pour les travaux qui concernent la décision, en cherchant un regard nouveau sur de vieux problèmes d’action collective. En ce sens, les travaux de Cohen et al. (1972), March et Olsen (1976), Weick (1979, 1985), Starbuck (1987) et Daft et Weick (1984), Bonazzi (1999) sont des classiques qui, suivant différentes modalités et approches, s’attachent à analyser les sources de l’ambiguïté dans les organisations au sein des processus de prise de décision : ambiguïté des préférences, de pertinence, de récit et d’interprétation. Différents phénomènes comme la mobilité des personnes, l’abaissement des standards des prestations, les changements répétés au niveau décisionnel, ou d’autres caractéristiques du travail plus difficilement définissables sont identifiés comme autant de sources d’ambiguïté. Toutefois, au sein des études organisationnelles, le concept d’ambiguïté a un statut particulier car l’ambiguïté est conceptualisée comme un problème épistémologique plutôt que comme un phénomène transitoire qui appartiendrait à la réalité « extérieure ». L’ambiguïté se développe : dans les relations que le sujet instaure avec la réalité environnante et avec d’autres acteurs ; dans la rencontre entre le sujet, ses formes d’expression et les formes culturelles à sa disposition ; dans le rapport qui attache le sujet au cours de ses propres actions et à l’action collective. À cela s’ajoute le fait que toute la production de la scolastique est fondée sur le rôle médiateur de l’ambiguïté entre les interprétations du monde étudié et les représentations de ces interprétations qu’impose un système particulier d’interprétation.

3En dépit de leur variété, les approches culturelles partagent la conviction que les phénomènes d’organisation n’ont pas d’univocité, mais sont constitués et traversés de multiples interprétations élaborées aussi bien par les acteurs des organisations que par les chercheurs qui les étudient. L’existence de ces interprétations « bariolées » constitue en fait un véritable problème scientifique, à la fois de par la contradiction qu’elle adresse aux thèses positivistes et du fait qu’elle forme un défi pour la conduite d’un travail de recherche empirique. Pour peu que les études ethnographiques sur les organisations puissent se « vanter » d’être devenues une « tradition », elles ont surtout eu le mérite d’apporter toute une série de problèmes de recherche, méthodologiques, théoriques, liés au recueil des données, liés à l’articulation de différents niveaux d’interprétation soit, enfin, concernant la production des résultats eux-mêmes (Norris, 1985 ; Rosen, 1991 ; Linstead, 1994 ; Bruni, 2003).

4Un certain nombre de recherches mettent l’ambiguïté en relation avec des traits culturels et la considèrent comme une source de questionnements pertinents. Rosen (1985) a étudié les comportements informels pendant les fêtes et les émotions engendrées par l’ambiguïté. Levitt et Nass (1989) se sont intéressés, de leur côté, à la production de livres scolaires en proposant une lecture qui considère l’ambiguïté comme le produit propre de l’industrie du livre (et probablement même d’autres industries culturelles). Meyerson (1991), Feldman (1991) et Lanzara (1993) ont étudié, respectivement, les travailleurs sociaux, les politiques scientifiques et des opérateurs psychiatriques pour mettre en évidence la prégnance de l’ambiguïté dans ces professions, et la façon dont elle est communiquée à travers les métaphores. Dans cette perspective, Martin et al. (1983) et Hatch et Ehrlich (1993) ont ainsi analysé des récits et des traits d’humour spontanés pour comprendre finement les contradictions, la non-congruence et les incohérences qui soutiennent toujours les modes d’existence de la variété des formes culturelles. Bruni et Gherardi (2001) à travers l’étude ethnographique d’une jeune femme qui rentre dans une communauté de pratiques, ont décrit l’ambiguïté des pratiques de socialisation d’une personne nouvellement arrivée dans un collectif de travail.

5À partir d’une revue de ces travaux, je définirais l’ambiguïté dans les termes suivants : il s’agit d’abord d’une indétermination dans l’usage de la langue (on pourrait parler d’ambiguïté linguistique), c’est-à-dire dans les métaphores, dans la polysémie, dans le flou de certains actes de langage, mais aussi dans le soin extrême qui peut être apporté à certaines expressions. Au-delà de cette ambiguïté repérable dans la langue, l’ambiguïté de la vie dans les organisations est toujours liée à la multitude de significations qu’une situation peut receler, à une confusion, à des attentes des personnes qui s’avèrent erronées, à des conséquences vagues, résultat d’une action, à des opinions esquissées au sujet de sentiments différents. L’ambiguïté organisationnelle présente ainsi une variété de facettes : l’ambiguïté empirique comme ambivalence, l’ambiguïté comme indétermination ou comme contradiction relative à une information, l’inexactitude de l’information, l’incertitude qu’elle peut véhiculer, ainsi que les ressources psychologiques liées à la flexibilité cognitive et qui stimulent une nouvelle lecture (Levine, 1985). Émotions, cognitions et actions sont interconnectées dans les modes d’existence de l’ambiguïté que ce soit au niveau individuel ou collectif.

6Devenir membre compétent d’une communauté de pratiques comporte donc le fait de s’emparer d’une pluralité de pratiques situées, pour faire partie d’une culture, savoir interagir avec les artefacts qui soutiennent ces pratiques et même vivre avec l’ambiguïté qui caractérise chaque savoir pratique puisque tout savoir contextualisé est lié à des circonstances toujours changeantes. Le savoir tacite, que l’on peut même concevoir comme un savoir esthétique (Strati, 2000), c’est-à-dire acquis à travers la perception des sens et élaboré socialement à travers le développement du goût esthétique d’une communauté, est en quelque sorte le patrimoine de la communauté. Il a une forme et un sens, qui est conservé, transmis et géré dans la communauté comme une partie intégrante des microdécisions de cette communauté (Gherardi, 1990).

7Un certain nombre d’auteurs (Lave & Wenger, 1991 ; Brown & Duguid, 1991 ; Zucchermaglio, 1996 ; Wenger, 1998) ont identifié la communauté de pratiques comme une association informelle définie non seulement par le périmètre de ses participants, mais aussi et surtout par les modalités de l’action et de l’interprétation des événements. La communauté de pratiques est un réseau de relations entre des personnes, en activité dans une réalité environnante et en communication continue, qui sont confrontées à l’existence d’autres communautés. Les relations sont ainsi construites autour des activités, et les activités prennent forme à travers des interactions sociales, de sorte que les compétences spécifiques et les expériences deviennent une composante de l’individu et se stabilisent à l’intérieur même de la communauté. « Apprendre » est le terme qui indique la faculté à participer, avec les compétences requises, au réseau souvent complexe des relations et à la conduite de l’activité dans laquelle l’individu s’implique lorsqu’il met en acte une pratique. De cela il ressort que l’apprentissage est toujours un processus social situé dans des interactions spécifiques et structuré dans et par l’ambiguïté (Gherardi, 2006). Le but d’un processus d’apprentissage intentionnel et explicite comme par exemple le fait d’apprendre un métier en pratique, est de découvrir qu’est-ce que faire ; cela suppose d’utiliser des routines spécifiques d’organisation et des artefacts dont il est possible de rendre compte par une explication a posteriori de l’action accomplie. Apprendre, en définitive, se réalise à travers un processus de négociation collective des significations dans la communauté de pratiques au sein de laquelle on développe ce qui devient un métier. Le savoir pratique peut être analysé (Blackler, 1995) dans ses manifestations au sein des systèmes linguistiques et culturels, dans les technologies ainsi que dans les formes de conflit et de collaboration (savoir médiateur), localisé dans le temps et dans l’espace et spécifique à un certain contexte (savoir situé), toujours socialement construit dans un processus continu de développement (savoir provisoire), instrumental et finalisé (savoir pratique).

8Ce que je tente d’articuler ici est une méthode d’observation ethnographique et une interprétation du processus de décision d’une activité située et, de la sorte, offrir une description interprétative du « freinage ouvrier » pour représenter le processus de gestion de l’ambiguïté.

9Le « freinage ouvrier » dans la littérature a été étudié et présenté comme un exemple des soi-disant jeux de la production, c’est-à-dire des négociations coopératives et conflictuelles qui caractérisent les cultures ouvrières (Roy, 1952, 1953 ; Burawoy, 1979). L’exemple que je rapporte ici pour illustrer cette méthode de recherche est tiré de l’étude d’une communauté de « cols bleus » dans un atelier d’assemblage d’une usine de batteries. Le savoir pratique de cette communauté est rapporté par un personnage fictif issu des instructions données par le chercheur aux interviewés ; il fonctionne comme un « double » ou un « sosie » des personnes réelles qui ont été interviewées. Le chercheur se fait ainsi à son tour l’interprète d’un système de microdécisions nécessaires pour décrire et interpréter le processus et l’action collective visant à « réaliser son quota de production » et de faire en sorte que le processus et l’action visant à « remplir son quota » se passe bien si cela n’est pas le cas. D’abord, je propose au lecteur un exercice d’observation participante imaginaire (Strati, 2003) qui consiste à se mettre de façon empathique dans la peau de cette personne fictive, appelée Monsieur Rossi, et d’atteindre de la sorte la culture matérielle de sa communauté de pratiques. Successivement, je discuterai la méthodologie de la recherche et les conclusions qui peuvent en être tirées.

Remplir son quota

10Imaginez que vous soyez le sosie de Monsieur Rossi et que vous vous rendez demain au travail à sa place sans que personne ne s’aperçoive de l’échange. Monsieur Rossi vous explique alors comment vous comporter.

  1. Vous êtes un ouvrier dans l’atelier d’assemblage d’une entreprise qui produit des batteries. Vous devez commencer à 6h00 du matin et travailler sans pause jusqu’à 9h15.

  2. Lorsque vous prenez votre poste, la première chose à faire est de jeter un coup d’œil à la grande ardoise visible à l’autre bout de l’atelier pour voir le type de batteries qui sont alors en production et quel est le quota à atteindre.

  3. Une fois cela fait, vous allez à la rencontre de vos collègues de travail. Vous leur donnez les roulements pour souder les bornes des batteries et préparer les plaques qui doivent être assemblées.

  4. Lorsque vous êtes le préparateur, vous disposez les séparateurs sur la banquette, les plaques négatives à gauche, les plaques positives au centre, les séparateurs à droite. Vous superposez aux plaques négatives les séparateurs et vous posez les plaques positives. Vous répétez l’opération un certain nombre de fois pour obtenir des unités finies. Finalement vous les posez sur le quai là où votre collègue soudeur les prélève pour les disposer dans la machine à souder.

  5. Que ce soit comme assembleur ou comme soudeur vous remarquerez la grande variabilité de la qualité des matériels ; par exemple, les plaques peuvent être rigides ou bien trop molles.

  6. Si les plaques sont trop molles, vous devez en référer au chef d’atelier.

  7. Si les séparateurs ont plus de trois carreaux hors d’usage, vous devrez les jeter.

  8. Si vous trouvez une boîte de séparateurs défectueux, alors il faut appeler le contrôleur de qualité.

  9. Si vous voyez des plaques trop basses, il faut chercher à y remédier en les étirant vers le haut avec une petite pince. Important ! Il faut mettre peu de plomb lorsqu’on soude parce qu’une soudure bien faite doit être aussi belle à voir.

  10. Les problèmes les plus importants doivent être référés aux chefs mais seulement lorsque c’est absolument nécessaire lorsque vous vous apercevez qu’il y a un gros ennui qui vous fait perdre du temps et qui vous empêche « de remplir votre quota ».

  11. En tout les cas, il est mieux de résoudre les problèmes en demandant de l’aide à vos collègues,

  12. plutôt que d’appeler le chef, ce qui vous fait perdre du temps.

  13. Si vous voulez appeler un chef, vous devez enlever les gants, aller téléphoner et essentiellement perdre du temps, parce que les chefs sont introuvables, extrêmement occupés, et ils n’arrivent jamais.

  14. Ensuite cela dépend de qui est présent. Monsieur X est « bien en jambe », Monsieur Y est « un incompétent », et Monsieur Z quelqu’un « plein de bonne volonté ».

  15. Vous devrez appeler le chef dans seulement deux cas : lorsqu’il est nécessaire d’appeler l’entretien ou lorsque vous n’avez pas pu atteindre les quotas préétablis.

  16. S’il faut réduire la production, cela se décide avec les collègues ; on se passe le mot, on demande aux autres combien ils vont réussir à produire et on décide de freiner.

  17. Donc appelez le chef pour lui montrer comment sont les matériaux,

  18. mais, lui, il ne résout jamais les problèmes ; il vous dit seulement de continuer à travailler même si la qualité s’en ressent.

  19. Rappelez-vous que c’est la quantité qui compte ; à la fin de la journée les chefs comptent seulement le nombre de pièces réalisées. La règle est : toute la production à temps, même si la qualité s’en ressent.

  20. Vous devez vous engager ainsi à maintenir libre la dernière heure : dans les premières heures de travail, vous devez donc avoir un rythme soutenu, en établissant un roulement entre assembler et souder avec votre collègue pour chaque série de quatre batteries.

  21. C’est le plus âgé du couple qui décide du rythme, lorsque tous les deux en sont d’accord.

  22. Lorsque vous avez fait trois heures de travail intense et que le quota commence à être atteint, vous pouvez commencer à ralentir, prendre dix minutes de pause à chaque cycle et sortir pour une cigarette, un café, ou faire la causette.

  23. Après déjeuner, on ne travaille plus comme le matin : une fois la production finie, vous récupérez un peu si vous êtes en retard. Finissez vite, nettoyez votre lieu de travail et jouissez d’un repos bien mérité. Travailler rapidement le matin est important, parce que de cette manière vous vous assurez que votre partie sera bien effectuée et que dans l’après-midi vous pourrez vous relâcher.

  24. Si on perd plus d’une demi-heure, il faut se mettre d’accord et réduire la production.

  25. Pour y parvenir, il est fondamental d’être d’accord avec les collègues de travail et

  26. surtout avoir un partage de la même méthode de travail. Il vaut mieux travailler toujours avec la même personne parce qu’ainsi on obtient un certain degré d’entente et on évite les discussions.

  27. Si vous travaillez demain avec Mario, il y n’a pas de problème, parce que vous avez tous les deux la même méthode de travail ; par contre, avec Antonio vous aurez des problèmes.

  28. Il y a des collègues qui préfèrent travailler tranquillement ; ils travaillent toujours au même rythme.

  29. Ici être « Ok » cela veut dire toujours réaliser son quota ; tout au moins c’est comme cela que pensent les chefs !

  30. Ici on apprend à jurer. La désorganisation vous fait parfois sauter les plombs, les matériaux sont mauvais, il y a toujours les mêmes problèmes, et de toute façon il faut atteindre ses objectifs. Autrefois, les chefs étaient capables de résoudre les problèmes et de rendre heureux les ouvriers.

  31. Si on n’est pas satisfait, alors pour s’opposer, ne rien faire de plus : remplir son quota et après s’arrêter.

  32. Parce que s’ils vous ont donné de mauvais matériaux, ça vous énerve, vous arrêtez plus souvent et la production est insuffisante.

  33. Alors ceux du montage commencent à critiquer. Entre eux il y a des frictions, parce que les ouvriers du montage suivent la cadence de la machine et doivent travailler tout le temps au lieu des six heures comme nous le faisons à l’assemblage. Et donc ils sont envieux de vos pauses et du temps de pause finale.

  34. Vous n’êtes pas intéressés à changer de travail parce que vous avez appris le métier et vous n’êtes pas intéressés par une promotion à la catégorie supérieure.

  35. Pour faire carrière, il est important de bouger, d’apprendre à produire plus, à vous exposer auprès des supérieurs et montrer que vous n’êtes pas un fainéant.

11En qualité de sosie de Monsieur Rossi vous devez même savoir un certain nombre de choses à propos de ce qui s’est passé, il y a de cela quelques années, et qui est toujours transmis par les travailleurs les plus âgés comme un mythe. C’est seulement ainsi que vous comprendrez pourquoi Monsieur Rossi veut « remplir son quota », et pourquoi il ne produit seulement que six heures sur sept, afin de pouvoir se relâcher. En effet, la « zone de temps libre » est un héritage de la bataille contre les poussières toxiques, remportée par les ouvriers de l’atelier il y a dix ans. Le management décida alors de restructurer les installations et les ouvriers sont sortis victorieux de la négociation sur les standards de productivité. Le symbole de leur résistance fut le temps libre à la fin de la journée pour célébrer leur victoire. Ensuite, toutefois, les nouveaux ouvriers arrivèrent, le management changea de stratégie et on décida d’obtenir quelques conseils pour redessiner l’organisation du travail.

Collecter, interpréter et représenter les données

12Monsieur Rossi n’est pas une personne en chair et en os qui décrit son monde du travail dans une interview pour le plaisir de l’interlocuteur et, par sa transcription, pour le lecteur. Il est une fiction, un artefact créé par le chercheur qui, après des analyses scrupuleuses, revient au langage naturel pour le recomposer comme faisant partie d’une communauté de travail et permet de communiquer les analyses au lecteur, en permettant de se sentir présent à « l’intérieur » de la situation. Monsieur Rossi est un ouvrier « composite », résultat de la carte cognitive agrégée établie à partir des 20 interviews réalisées avec les ouvriers de l’atelier.

13Il est représentatif du groupe d’ouvriers qui détient l’hégémonie culturelle de l’atelier ; cependant, comme lui-même l’explique, il existe un second groupe qui veut adopter une attitude moins exigeante vis‑à‑vis du travail. Les travailleurs les plus jeunes qui n’ont pas participé à l’occupation de l’atelier sont plus proches de la préoccupation du groupe dirigeant d’augmenter la productivité. La « plage de temps libre » n’est pas importante pour eux. En constituant, toutefois, une minorité dissidente (ou une contre-culture entière à une sous-culture), j’ai préféré les décrire indirectement par la manière dont ils sont dépeints par le groupe majoritaire. Ce type de processus peut être associé à un « jeu de miroirs » (Gherardi & Strati, 1990) et il semble utile pour dévoiler ce que les interviewés tendent à maintenir caché. En effet, la discrétion qui caractérise les savoirs locaux a toujours été un des obstacles majeurs pour l’ethnographie qui cherche à s’insérer dans une communauté, tout comme pour le management qui tente d’exercer et d’étendre son contrôle. J’illustrerai donc l’emploi de ces techniques utilisées pour créer l’artefact « Monsieur Rossi » ; l’objectif est de fournir des clés interprétatives aux ethnographes, qui ne spécifient souvent pas les techniques utilisées pour le recueil de données, ni pour leurs analyses (Gherardi & Turner, 1999).

14Pour le recueil de données, j’ai développé une technique d’interview structurée – interview dite « avec un sosie » – en m’inspirant des expériences des psychologues du travail (Oddone, Re & Briante, 1977). Mes interviews duraient 30 à 45 minutes, selon les compétences linguistiques des interviewés et leur adresse dans le maintien d’un monologue. Les instructions fournies aux interviewés étaient souvent perçues comme « étranges » et cela aboutissait au genre de propos suivants :

Maintenant que j’ai bien analysé le travail je voudrais m’en approcher encore plus. Je voudrais parvenir à imaginer comment ça se passerait si je prenais ta place. Nous posons donc que je suis ton sosie, absolument identique à toi, et que je doive venir demain travailler à ta place, comme devrais-je me comporter pour que personne ne s’aperçoive de ma présence à la place de la tienne ?

15À la suite de cette question, je m’assurais que l’interviewé avait compris la situation. Pour faire cela, je tentais d’expliquer à l’interviewé ce qu’aurait été mon propre compte rendu s’il avait dû lui-même prendre ma place à l’université :

Imagine si tu allais demain à l’Université mais pas avant 9h30 parce que je ne suis pas très matinale et tous les personnes présentes s’étonneraient de me voir. Pour compenser, il faut rester toute la journée, même jusqu’à 8 heures de soir. Il faut saluer tous ceux que l’on rencontre, mais ne pas s’arrêter pour parler parce que le matin ils sont plutôt lunatiques.

16L’exemple contenait une invitation tacite à se concentrer sur les détails de chaque moment, sur les relations de travail et sur les émotions, plus que sur les caractéristiques techniques du travail. L’interviewé ne se voyait pas imposer de limites de temps et il était spécifié que le chercheur n’interviendrait pas, pour ne pas « interrompre le cours de ses pensées ». Au terme de l’interview, il était demandé d’ordonner les instructions fournies selon leur importance.

17D’un point de vue théorique, cette technique est fondée sur un certain nombre de présuppositions. Tout d’abord, nous faisons l’hypothèse que s’instaure un savoir « réciproque » entre interviewé et interviewer qui est susceptible d’encourager un rapport de confiance et donc d’augmenter la crédibilité de l’interview (Antaki, 1985). Le fait que l’interview soit un instant d’interaction sociale et pas un recueil « objectif » de données, implique à son tour trois données : a) la construction sociale de l’objet du discours, du sujet de l’échange et de l’interaction ; b) la contextualité de la situation d’interlocution, c’est-à-dire le contexte plus large dans lequel celle-ci se produit ; c) le langage qui est le médium de l’interaction. Le langage ne décrit pas une réalité objective à laquelle il correspond fidèlement ; il organise un discours sur la vérité de manière partielle et fragmentée. Même la théorie de l’attribution assigne de l’importance aux facteurs sociaux et au contexte et les attributions faites par les individus sont considérées comme l’expression de la crédibilité dont ils jouissent auprès de leurs pairs ou d’autres acteurs de leur monde social (Semin & Manstead, 1983). Les descriptions fournies dans les interviews avec le sosie dépendent du contexte d’interaction : elles sont le résultat d’une négociation complexe entre ce qui est dit dans la conversation avec le chercheur et ce qui potentiellement pourrait être dit avec les autres.

18Une seconde hypothèse concerne la volonté du chercheur d’accepter une technique projective. Ce terme signale une variété de procédures qui ont en commun de signaler l’ambiguïté, la variabilité et parfois l’étrangeté des tâches assignées et dont les interprétations sont déterminées par la personne interviewée qui doit attribuer un sens à la situation et la rendre intelligible (Branthwaite & Lunn, 1985). Le principal avantage de ces techniques projectives est de permettre des interprétations qui reflètent les intérêts et les préoccupations des interviewés en dépassant les barrières de la rationalité et de l’autocensure, des influences sociales, des répressions inconscientes, et en stimulant, par contre, des associations inusuelles, imaginatives et conjecturelles (formulées avec la formule « comme si »). Le chercheur obtient ainsi l’accès aux codes ordinaires que l’interviewé assigne à la réalité. Elles permettent de saisir l’ambiguïté en préservant en même temps les contradictions et les secrets que les interviewés ne veulent pas ou ne peuvent pas dévoiler. Le chercheur cherche à ne pas interrompre le sujet et ainsi à observer la structure narrative déployée pour organiser le récit. Selon l’hypothèse de l’ethnographie du langage (Bauman & Sherzer, 1989) et des analyses narratives (Czarniawska‑Jorges, 1997), la langue parlée est une performance dans le sens que le langage dans une pratique située constitue la vie sociale et culturelle au niveau communicationnel. De plus, le type de tâches assignées (expliquer ce qu’il faut faire et comment se comporter) entraîne un souci du détail propre à favoriser la performativité du langage : instruire, recommander, suggérer et argumenter.

19Avec la succession de ces interviews, le chercheur commence à comprendre graduellement le milieu de travail d’un point de vue interne et commence à raisonner comme un détective qui voudrait recomposer une mosaïque linguistique. À la fin, il organise une rencontre de restitution avec le groupe non pas pour valider les résultats, mais pour acquérir d’autres données provenant de la discussion conjointe entre les sujets et le chercheur (Bloor, 1983). Si le chercheur n’a pas l’intention de transformer des données qualitatives en données quantitatives, par exemple en ayant recours à des analyses de contenu, alors on se trouve face au problème de mener des analyses qualitatives de données qualitatives. La subjectivité de l’analyse est un problème inévitable dans l’interprétation des données qualitatives et elle contiendra, vraisemblablement, des intérêts et des préjugés du chercheur (Gherardi & Turner, 1999).

20Par conséquent, « l’interprétation des données de type projectif est un moyen pour augmenter la participation du chercheur et mieux comprendre le problème qu’il étudie » (Branthwaite & Lunn, 1985, p. 114). Pour produire l’analyse qualitative, j’ai employé deux façons différentes de transcription de chaque interview. Dans un premier temps, j’ai représenté graphiquement chaque interview sur une large feuille de papier en utilisant la technique des cartes cognitives (Jones, 1985 ; Gherardi & Strati, 1994) de façon à considérer l’interview dans son ensemble comme une unité individuelle d’analyse et respecter la cohérence entre langage et concepts et de façon à distinguer plus clairement ce que les interviewés considèrent comme plus ou moins important. Puis avec la méthodologie tirée de la grounded theory (Glaser & Strauss, 1967), j’ai construit les catégories à travers lesquelles je pouvais analyser le pouvoir discrétionnaire dans « l’être au travail ».

21Mon usage des cartes cognitives ne s’inscrit par dans les emplois courants d’aujourd’hui mais poursuit la tradition initiée par le groupe de Bath, Eden et al. (1983), employée plus récemment par Eden (1992) et Nicolini (1999). À l’inverse de la façon objectivante dont les cartes cognitives sont utilisées (les cartes sont censées dire ce pensent les individus dans les approches courantes), le courant de Bath les emploie pour montrer ce que les individus disent penser.

22Dans ma méthodologie, les cartes cognitives sont un moyen de représentation, un support graphique, qui permet de confronter les interviews et d’isoler les groupes de pensées récurrents, contradictoires, centraux ou périphériques. En effet, dans les analyses de données, aussi bien les réponses récurrentes que les plus excentriques et isolées peuvent signaler des mécanismes sous-jacents et donc il est important que tous les types de réponses soient pris en considération.

23En dernier lieu, je suis revenue au langage naturel, en tâchant de recréer le langage utilisé dans la communauté étudiée et de « simuler » une interview avec un ouvrier-type, nommé Monsieur Rossi pour la circonstance, qui synthétise les formes de pensée les plus communes et les prescriptions d’action les plus fréquentes qui seraient exposées à un hypothétique novice dans la communauté.

24Les données ainsi recueillies peuvent être analysées selon des objectifs différents. Mon travail constitue un exemple d’ethnographie situationnelle qui, au lieu de viser une description du système culturel le plus ample de l’organisation ou de la communauté, se concentre sur la compréhension d’un aspect particulier de ce système, c’est-à-dire les microdécisions et le pouvoir discrétionnaire des individus et de la communauté dans l’élaboration d’un savoir local par rapport à ce qu’être au travail signifie comme pratique située.

25Comme l’a remarqué Alvesson (1996), l’approche « situationnelle » dans la conduite d’une ethnographie implique de se concentrer sur une situation limitée dans le temps et dans l’espace, qui devient le « phénomène » central de l’observation et qui permet d’engendrer un compte rendu reconnaissable de la situation ainsi que du contexte institutionnel par les acteurs et le chercheur (Alvesson, 1996, p. 476). J’ai ainsi construit un jeu de catégories concernant l’activité décisionnelle. Pour accomplir cette abstraction progressive depuis les concepts de premier degré – ceux employés par les sujets de la communauté étudiée – vers ceux de second degré – ceux employés pour rendre compte des interprétations de la communauté scientifique (Van Maanen, 1979) –, afin de construire une théorie « située » dans les données, j’ai rassemblé toutes les interviews de la communauté. Dans les sections suivantes, je vais maintenant présenter les microdécisions de Monsieur Rossi. La numérotation utilisée pour indexer des fragments d’interview permet au lecteur de tracer les correspondances entre les concepts de premier niveau (ceux des interviewés) et les concepts de second niveau (ceux de l’interviewer).

Être au travail ou le cadre des décisions situées

26Maintenant, le lecteur peut imaginer être un chercheur qui voudrait comprendre comment Monsieur Rossi est parvenu à construire avec les autres membres d’une communauté de pratiques un monde qui fait sens. Ainsi, il s’agit de comprendre comment est gérée collectivement l’ambiguïté décisionnelle dans les pratiques professionnelles quotidiennes (Alby & Zuccher-maglio, 2006). Dans le cours de l’observation participante de la communauté avec les interviews « au sosie », on accède à une compréhension directe du sens commun : Monsieur Rossi ne veut pas se noyer dans la mer existentielle et triste de l’indécision ; il construit sa cohérence en se « débrouillant » dans les situations réelles sans avoir la prétention d’avoir résolu toutes les ambiguïtés ou d’avoir fourni un compte rendu philosophique exhaustif du monde.

27Il est suffisamment satisfait lorsqu’il remplit lui aussi son quota de production journalière et conclut une journée de plus. Quel est le secret de Monsieur Rossi ? Comment obtient-il, résultat apparemment banal, la description d’une pratique située ? Le chercheur doit isoler et interpréter un ensemble de microdécisions qui rappellent comment la communauté de Monsieur Rossi isole certaines figures, choisit certaines choses et relations qui lui sont plus significatives alors qu’il rejette d’autres aspects moins importants dans une réalité « de fond ».

28Dans « l’organisation » où travaille Monsieur Rossi, il crée un espace relationnel et en fournit une image qui est celle décrite et représentée dans la figure 1.

Figure 1 - L’espace relationnel de Monsieur Rossi

Figure 1 - L’espace relationnel de Monsieur Rossi

Les nombres en parenthèse permettent de faire à référence aux lignes de l’interview avec le sosie décrite précédemment

  • La relation la plus proche de Monsieur Rossi est celle d’une interdépendance réciproque [3] qui le lie à son camarade de travail [2, 25] et qui est interne au contexte de travail normalisé par le quota de production (produire une certaine quantité d’output dans un temps déterminé [19]), commun aux ouvriers comme au manager et qui assigne le commandement aux plus âgés [21].

  • Ce contexte normatif est brisé régulièrement et délégitimé [27] par ceux qui ont une vision différente du monde [28].

  • L’espace relationnel de Monsieur Rossi avec ses collègues est tracé par des contacts avec eux : lorsque l’un d’entre eux demande de l’aide [11], lorsqu’on décide collectivement de réduire la quantité d’output [16, 24], dans l’accélération du rythme du travail [20], quand il assure que les objectifs de la production sont respectés [22], et dans les moments de détente [23]. La communauté professionnelle de Monsieur Rossi, de toute façon, comprend deux types d’individus, qu’il a lui-même stéréotypés : ceux qui travaillent rapidement [19] et ceux qui ne sont pas pressés de finir [27]. Pour éviter toute équivoque, la règle pour être « Ok » est d’avoir atteint son quota à la fin de la journée [29].

  • L’espace relationnel de Monsieur Rossi avec ses supérieurs est défini par des individus qualifiés de « chefs ». Quels qu’ils soient [10], ces individus vont être soigneusement évités parce qu’ils font perdre du temps [12], parce qu’ils ne résolvent pas de problèmes [13, 17], et qu’ils sont intéressés seulement par la quantité [19]. Le type « chefs », de toute façon, varie le long d’un continuum de compétences [14]. Un « chef » est « Ok » lorsqu’il réussit à rendre son ouvrier heureux [30]. Les règles pour s’adresser aux « chefs » sont clairement définies [15, 14, 17] à l’égal de leurs fonctions : ratifier l’impossibilité de « remplir son quota » et le communiquer formellement à l’équipe préposée à l’entretien.

  • L’espace relationnel de Monsieur Rossi avec les « autres » est plus limité et il se réfère à ses relations avec des ouvriers qui travaillent dans l’usine en aval dans la chaîne de montage [33]. Ce sont des relations conflictuelles, soit du fait de la qualité des produits semi-finis que Monsieur Rossi expédie au montage aval, soit du fait de l’hypothétique ressentiment que les ouvriers de la chaîne de montage devraient nourrir à l’encontre des travailleurs de l’atelier d’assemblage. Le travail de Monsieur Rossi le force même à entrer en contact avec le superviseur du contrôle qualité [8], mais cette relation est décrite en des termes tout à fait neutres.

29Comme tout chercheur le ferait, vous êtes parfaitement conscient du fait que Monsieur Rossi fait le récit de son monde uniquement pour vous et que le récit peut être lu, par conséquent, pour ce qu’il dit entre les lignes, ou ce qu’il implique, ou bien encore pour ce qu’il ne dit pas… La différence entre vous (ou le chercheur) et Monsieur Rossi est votre capacité à voir le fond, à voir comment les personnages se détachent et comment est effectuée la mise en scène pour vous en tant que spectateur ; Monsieur Rossi ne saisit pas le décor, il le considère comme une donnée. Monsieur Rossi n’est pas conscient du rôle actif qu’il joue dans la construction de son espace relationnel et des microdécisions qu’il prend pour vivre dans une réalité déterminée. Ce qu’il décrit est un monde « donné » – un monde dans lequel vous, en tant que chercheur, localisez dans un espace plus large que celui, discrétionnaire, construit autour d’une série de microdécisions qui définissent l’« espace relationnel » et un « contrat avec le travail ». Le contrat avec le travail est créé dans la communauté de pratiques au niveau individuel et collectif. Nous commençons ici par l’examen de cette dimension collective.

30Monsieur Rossi a indiqué à son sosie sa stratégie préférée : chercher à produire beaucoup au début de la journée pour ainsi être sûr « de remplir son quota de production », ensuite graduellement ralentir, nettoyer son emplacement de travail et réussir à obtenir des relâches pendant les derniers moments de la journée de travail [20, 22, 23]. Il a même souligné [33] que les ouvriers à la chaîne de montage doivent travailler constamment et vous savez que cela signifie sept heures en moyenne au lieu de « nos six heures ». Monsieur Rossi a même recommandé [20] « de maintenir le dernier moment libre » et de prendre une pause de dix minutes à la fin de chaque cycle. Cette « zone de temps libre » peut être créée et défendue seulement collectivement. Si elle n’était pas collective (et si elle n’était pas employée à jouer aux cartes), si elle n’était pas un symbole de résistance à l’institution, elle perdrait sa signification. Le chercheur découvrira par la suite que ceux qui « sont cool » [28] appartiennent à une génération plus jeune et que la vieille garde se plaindrait s’il y avait seulement vingt minutes libres à la fin de la journée. Il y a donc deux modèles de contrat avec le travail en compétition latente, qui pourraient facilement donner lieu à un conflit culturel.

31Pour arriver à une meilleure compréhension du travail de Monsieur Rossi, vous pouvez montrer que les représentations fournies par Monsieur Rossi de son travail modèlent Monsieur Rossi lui-même : « Si tu n’es pas satisfait, alors venge-toi en ne faisant rien ; occupe-toi seulement d’atteindre ton quota [31]. Parce que s’ils t’ont donné des pièces de mauvaise qualité, alors ton travail ne va pas, tu t’énerves, tu t’arrêtes plus souvent et ta production est insuffisante [32]. »

32Monsieur Rossi met en regard ses relations avec le travail en prenant diverses décisions (voir figure 2) :

  • L’image de soi au travail. A-t-il eu les moyens de bien travailler ? Monsieur Rossi a une image de lui au travail comme d’une « personne qui travaille vite » [20] et dont les paramètres d’évaluation sont la qualité des matériaux [32], le ratio de satisfaction « chef/problème/apport personnel » [30], en travaillant en partenariat avec un frère culturel ou pas [27].

  • Les frontières de son travail. Monsieur Rossi conceptualise les frontières de « ce que le devoir impose de faire » pour « remplir son quota » ; ce qui revient à négocier la quantité d’engagements dédiés à la réduction des écarts [6, 7, 8]. Contrairement à quelques-uns de ses collègues, Monsieur Rossi ne veut pas évoluer vers un espace de « développement », un espace dans lequel il pourrait étendre les frontières de son travail et ainsi être en mesure de résoudre des problèmes particuliers ou des demandes exceptionnelles de la part de ses chefs.

  • Adapter sa production à une idée de la justice. Monsieur Rossi n’est certainement pas le type de personne qui veut « en faire plus » que ce qui se trouve inscrit sur l’ardoise [2]. Ce que Monsieur Rossi ne dit pas à son sosie est que son quota est l’output minimum que le management demande, ce qui pour lui

  • équivaut à faire le maximum. Du reste, il n’est pas dit que Monsieur Rossi cherche à en « faire moins ». Faire ce qui est juste veut dire « faire le nombre qu’il faut », et peut-être réduire légèrement la production, mais seulement du fait de la qualité insuffisante des matériaux mise à disposition [23]. La justice sociale n’est pas ici une idée abstraite, mais une pratique située et, comme telle, elle a son mètre étalon, élaboré et légitimé collectivement.

  • La contrepartie attendue. Les attentes de Monsieur Rossi reflètent le parcours qu’il a accompli pour arriver à une évaluation globale de la « façon dont les choses se passent ici » [30] et de ce « qui est Ok » [29]. Changer de travail ou de carrière ne l’intéresse pas [34]. Pour cette raison, il n’applique pas de stratégies appropriées [35], il se préoccupe seulement de réaliser son quota.

Figure 2 - Le contrat de Monsieur Rossi avec son travail

Figure 2 - Le contrat de Monsieur Rossi avec son travail

Le lieu de travail comme territoire en situation

33Maintenant que le lecteur a compris ce que signifie être au travail pour Monsieur Rossi, nous pouvons passer aux conclusions plus générales de l’analyse de cette communauté, conclusions qui pourront être appliquées à d’autres réalités.

34Mon étude ethnographique m’a permis d’isoler et de décrire l’« être au travail », qui peut varier d’une communauté à l’autre (ou dans la même communauté), mais que l’on peut considérer comme une construction centrale pour la structuration des significations dans la culture de cette communauté de pratiques. Le courant récent des « workplace studies » (Heath & Button, 2003 ; Parolin, 2008) montre bien comment le lieu du travail n’est pas un simple contenant physique d’activité, mais un espace social de relations sociotechniques, construit collectivement. Suchman (1996) le décrit comme un « territoire en situation », dans le sens indiqué par Goffman (1971), un espace rendu accessible à travers l’emploi qui s’y déroule. La division du travail, soutient Suchman, définit la « position », concept qui prend un double sens de localisation dans l’organisation du travail et d’emplacement dans l’espace. L’espace de travail est construit en relation aux autres positions. L’attribution des places dans une activité ouvrable permet aux participants de cette pratique de s’identifier eux-mêmes et par rapport aux autres soit en relation avec les activités spécifiques soit en relation avec le lieu de travail. Ceci permet d’organiser l’activité et les emplacements en relation les uns avec les autres. Suchman soutient que la structure du « spatial‑orientational positioning » est une ressource que les acteurs, qui interagissent dans le lieu de travail, ont à leur disposition pour interpréter le travail. Comment sont créées ces significations dans le déroulement d’une pratique de travail ?

35Je soutiens que, principalement, les significations sont le fruit d’un processus microdécisionnel, individuel et collectif, centré sur les espaces discrétionnaires : la géographie de l’espace relationnel et ce que stipulent les dispositions du contrat de travail. Chaque zone consiste en un groupe de microdécisions qui peuvent être indépendantes (comme c’est le cas de l’espace relationnel dans lequel les sujets et les objets significatifs sont le fruit des règles d’attention qui agissent dans le fond) ou en relation (comme dans le cas du contrat de travail qui soumet la relation entre l’activité et le sujet à une série de décisions interdépendantes).

36Chaque communauté de pratiques développe son patrimoine de savoir situé, soit tacite, soit explicite, technique, relationnel, éthique et esthétique, qui permet aux membres de prendre des microdécisions sur la base de la connaissance locale du contexte social, des acteurs impliqués et des buts de leurs actions. Le chercheur obtient l’accès à ce savoir situé à travers la compréhension des significations locales de « l’être au travail ». Cette construction ne constitue pas une description complète de la culture d’une pratique, mais fournit sûrement une clé utile pour y accéder, en particulier pour qui veut mener une étude ethnographique située et dans un temps limité.

37Avant de se déclarer entièrement satisfait de la méthodologie décrite ici, il faut examiner un dernier problème théorique et méthodologique : comment passer des analyses de la dimension individuelle de la pensée, du processus décisionnel individuel et de l’action à la dimension collective de ces mêmes objets ? Nous ne pouvons pas nous contenter de techniques de collage plus ou moins sophistiquées, ou d’autres descriptions sommaires de l’action collective. Les interviews avec le sosie, la carte cognitive individuelle, la carte cognitive résultante et agrégée sont des techniques de recherche satisfaisantes, mais dont le sens (comme le sens pratique de Bourdieu, 1990) n’est entièrement recueilli que par l’observation participante du jeu en train de se dérouler. Pour observer la pratique du jeu de la « réduction des quotas », le chercheur doit déjà posséder ces catégories interprétatives qui lui permettent d’attribuer un sens à ces activités qui se déroulent sous ses yeux et que les participants ne nomment pas explicitement.

38Il est nécessaire pour le chercheur, qui possède alors une certaine quantité de savoir local, de s’adonner à l’observation participante. Sur la base des analyses précédentes une construction détaillée a été définie qui renferme symboliquement le noyau des décisions en situation d’ambiguïté, dans l’expression « aujourd’hui les plaques sont molles ». Comme nous verrons sous peu, il s’agit d’un régulateur ou d’un inhibiteur de l’action collective. Ce type d’ambiguïté est central par rapport à l’évaluation qualitative qu’effectue le groupe de Monsieur Rossi puisqu’il établit la frontière entre le mou et le non‑mou, en « connaisseur » (Turner, 1988, qui emploie le terme anglais « connoisseurship »), c’est‑à‑dire en exerçant cette connaissance sensible qu’exerce aussi bien un sommelier qui décrit un vin que Monsieur Rossi qui juge les plaques « molles ». En outre, comme on le verra dans le prochain paragraphe, l’expression « aujourd’hui les plaques sont molles » symbolise la culture d’une pratique et constitue un artefact linguistique, une étiquette cryptique dans une carte cognitive (Bougon, 1992), qui permet l’action collective (ou son absence) avec une gestion locale de l’ambiguïté.

39Le fait d’avoir reçu une liste de règles de la part de Monsieur Rossi sur la manière de passer inaperçu, et le fait d’avoir ainsi réduit la distance cognitive avec son monde, permet maintenant au chercheur d’entamer l’observation participante.

Négocier l’ambiguïté des pratiques : quand est-ce que les plaques sont molles ?

40Une fois appris certains codes de communication et esthétiques de la communauté, le chercheur est en mesure d’observer empiriquement des formes rituelles des processus de négociation sociale de l’ambiguïté décisionnelle. Grâce à l’accès (évidemment partiel) au savoir tacite de la communauté, le chercheur est en mesure de percevoir et remarquer ces signaux d’irritation, de trouble et de tension dans l’air que provoque l’expression « aujourd’hui les plaques sont molles ! ». Parfois, cette annonce prend la forme d’une vérité « révélée » (évidente) ; parfois, elle est accueillie par un chœur de dénégations, enfin il y a des occasions dans lesquelles une telle phrase semble être un déclencheur plusieurs fois répété avant que ne se déroule le rituel qu’elle initie.

41Le chercheur apprend que toutes les voix ne jouissent pas de la même autorité pour déclarer que « aujourd’hui les plaques sont molles », ou que la destinée des plaques dépend de la voix qui l’annonce. Le chercheur réalise ainsi qu’elle fournit une réponse indirecte à la question « à quel point sont‑elles molles ces plaques molles ? » et que l’ambiguïté de cette mesure est résolue dans le réseau de relations de pouvoir préexistant là où se situe une négociation tacite sur le « moelleux ». Mais qu’est-ce que signifie tout cela pour l’action située ? Le savoir pragmatique contenu dans l’expression « plaques molles » réside dans la pratique de « réduction des quotas » et le chercheur peut par conséquent observer comment se réalise cette pratique : quelqu’un va chercher le contremaître, le persuade d’observer le matériel, convient avec lui de l’impossibilité de satisfaire la production dans la quantité établie, négocie la réduction et orchestre le chœur de soutien à cette réduction. Même les chefs connaissent ce rituel et récitent leur rôle : ils cherchent à être invisibles et à ne pas mettre en cause le rôle de « chef » du contrôle de qualité, de minimiser l’événement et, lorsque c’est nécessaire, de céder avec dignité.

42L’annonce de la « morbidité » des plaques pourrait même apparaître comme un simple expédient pour réduire les quotas de production et exercer un contrôle sur qui pourrait en produire plus, et donc simultanément aussi sur les chefs et les superviseurs. C’est là une lecture correcte mais réductrice. Considérons les dynamiques de pouvoir qui s’expriment autour de la « mort » des plaques :

  1. la réputation individuelle, l’estime du compagnon de travail, la compétence des travailleurs et la célébration collective des qualités personnelles sont en jeu ;

  2. les relations interpersonnelles ainsi que la différence de statuts entre des travailleurs jeunes et plus âgés doivent être maintenues et reproduites ;

  3. le groupe de travail comme acteur collectif doit être sauvegardé et reproduit. À l’intérieur du groupe, il peut s’exprimer un conflit entre l’attitude de ceux qui veulent une part de temps libre et ceux qui préfèrent travailler avec calme (ou travailler à un rythme plus continu, devrions-nous dire), qui est légitime, mais qui trouve sa limite dans la conviction de tous les membres sur le groupe en tant que ressource et bien collectif ;

  4. le contre-pouvoir vis-à-vis des superviseurs et du management doit être maintenu et équilibré comme le droit à co‑déterminer la quantité et, lorsqu’elle a été atteinte, le droit à disposer du temps restant comme temps libre, temps appartenant aux ouvriers, temps soustrait aux chefs.

43Si le rituel décrit ci-dessus n’a pas lieu lorsqu’est donné le signal, l’inactivité peut avoir plusieurs significations. Tout d’abord, à moins que le matériel soit véritablement impossible à travailler – auquel cas tous sont habilités à définir cette situation (et habituellement il s’agit du premier ouvrier qui perd patience et va chercher le chef), à moins que l’annonce ne soit donnée par un des indiscutables chefs des ouvriers –, il existe une façon tacite de tâter le terrain pour voir qui est d’accord et quand pourrait démarrer une telle opération. Lorsque l’accord sur le signal tarde à se manifester, l’atmosphère se remplit de blagues lourdes et vulgaires sur le terme « mou » et « molles ». L’atmosphère peut passer de la légèreté à la tension du fait que les deux groupes veulent décider sur qui a le droit de définir la situation ou bien silencieusement calculent et évaluent combien de fois cette semaine le quota de production a été atteint ou pas. Ainsi, ils négocient sur l’opportunité d’une réduction ultérieure.

44Lorsque le groupe a décidé que « aujourd’hui les plaques sont molles », un interlocuteur extérieur est appelé (celui‑ci ne fait pas nécessairement partie de la ligne de commandement hiérarchique). Le superviseur est souvent le porte-parole du groupe, d’autres fois c’est une personne appartenant au groupe minoritaire et, parfois, on observe un « saut dans la hiérarchie ». Le critère de choix de l’interlocuteur réside dans les conditions « objectives » du matériel (moins l’ambiguïté est élevée pour établir le niveau de « morbidité » du matériel, plus le superviseur est considéré comme un allié), dans les caractéristiques personnelles du superviseur (s’il est plus ou moins proche idéologiquement du groupe) et dans les relations personnelles entre le superviseur et celui qui en demande l’intervention.

45La décision sur quel chef doit être appelé suit une logique semblable mais curieusement le groupe ne choisit pas toujours la ligne de moindre résistance ; parfois il décide de se quereller. Engager une bataille en exprimant de l’hostilité et en montrant collectivement ses muscles peut être un but non explicite de la négociation sur la réduction des quotas. Cette discussion collective entretenue par la flamme du désaccord et l’expression de l’hostilité sur la réalisation des objectifs de production ou sur leur réduction si un quota a déjà été établi, a une dimension cathartique. Le groupe en tire une sensation de satisfaction, qu’il soit perdant ou gagnant. Cela, en effet, est un rituel dans le rituel puisqu’il exprime et reproduit l’identité de groupe comme une routine. Il est ce que Durkheim (1912) définit comme rituel positif puisqu’il confirme une valeur et en facilite l’expression.

46Les interprétations de la situation de la part des managers renforcent à leur tour l’identité collective du groupe célébrée comme un rituel de bataille. Les gestionnaires réagissent avec apathie et ennui ; pour eux, c’est « comme d’habitude ». Ils racontent comment ils doivent « trouver l’énergie pour répondre », alors que les ouvriers doivent toujours s’opposer. Le chercheur suspecte que parfois toute la situation est une pièce bien réglée jouée par les deux parties pour le plaisir qu’elles en tirent.

47Les dynamiques de pouvoir de négociation implicites dans les discussions sur la réduction des quotas constituent un thème récurrent de la sociologie du travail et des organisations (Whyte et al. 1995 ; Roy, 1969, Turner, 1971 ; Burawoy, 1979) où elles ont souvent été étudiées comme un phénomène culturel. Notre recherche confirme abondamment ce point de vue autour de la production et de la négociation de l’ordre social, mais elle met aussi en évidence un aspect plus caché sur le rôle de l’ambiguïté dans les jeux autour de la production qui permet d’engendrer et de coordonner une action collective.

48Pour la communauté de pratiques de Monsieur Rossi, il est crucial de maintenir l’ambiguïté relative à la qualité du matériel et à la réalisation des quotas de production. En même temps, la définition de la situation est nécessaire pour l’action collective et il ne peut pas être décidé de réduire les quotas de production en situation d’ambiguïté. L’ambiguïté accentue la flexibilité de l’action, elle permet de choisir une action dès que la l’ambiguïté de la situation est dénouée en substituant l’univocité à la polysémie de la phrase « les plaques sont molles ». Une fois qu’une action est déterminée, l’ambiguïté se réduit mais toutefois ne disparaît pas entièrement. De la même manière qu’une culture demande le partage minimum de valeurs et de significations, l’action collective nécessite le partage minimum de relations au signifié univoque.

49L’observation de la manière dont la communauté de Monsieur Rossi a résolu l’ambiguïté sémantique pour agir (ou ne pas agir) fournit un modèle décisionnel plus général. L’analyse des microdécisions qui permettent à la communauté de travail de gérer l’ambiguïté des « plaques molles » révèle un triple processus de négociation :

  1. Négocier sur l’ambiguïté de l’interprétation : la décision de définir les plaques « molles » est prise individuellement et collectivement.

  2. Négocier sur l’ambiguïté des conséquences : l’expression « aujourd’hui les plaques sont molles » peut avoir des significations différentes. Elle peut être un moyen d’entamer une conversation, exprimer la fatigue ou l’ennui, être la simple constatation d’un fait, une plaisanterie ironique, un code secret, et ainsi de suite. Mais lorsque Monsieur Rossi et ses compagnons de travail soutiennent la relation entre les « plaques molles » et « réduire l’output » ils savent que l’une implique l’autre.

  3. Négocier sur l’ambiguïté de l’action : qu’est-ce qui déclenche l’action « réduire l’output » et comment cela se fait‑il ? Ce peut être un ouvrier qui fait l’annonce ou un groupe de deux ou trois personnes. Alternativement, le processus peut inclure plusieurs ordres de priorités. En tout cas, c’est une coordination rapide et tacite qui permet sa mise en œuvre.

50La communauté de Monsieur Rossi a une connaissance collective de la mise en relation des quantités produites avec la qualité des matériaux nécessaires à la production et cette connaissance régit le comportement individuel et collectif. Ce script – et sa relation avec d’autres schémas cognitifs et d’autres stratégies d’action comme « travailler avec calme toute la journée » ou « entamer le travail rapidement, puis lentement diminuer la cadence et libérer la dernière heure » – n’est pas nécessairement partagé par tous, n’est parfois même pas partagé du tout. Ce n’est pas un accord sur un schéma cognitif qui soutient l’action mais un processus décisionnel qui résout l’ambiguïté, suspend la volonté et permet de choisir une action.

Conclusions

51La tentative d’interpréter une autre culture est, dans les mots de Geertz (1973), un exercice herméneutique, et le texte ethnographique qui le contient est aussi une vérité partielle (Clifford, 1986). Une explication ethnographique est significative seulement si elle apparaît plausible par rapport à notre conception des questions implicites ou explicites des processus sociaux (Douglas, 1975).

52La plausibilité est le critère de validité pour la recherche ethnographique mais, puisque la légitimité des interprétations est toujours relative, expliciter la signification des données et de ses méthodes est la responsabilité de l’auteur. Toutefois, à moins de considérer que le langage n’est pas transparent, chaque signifié dérivera d’une interprétation et chaque acte interprétatif sera une action qui suspend l’ambiguïté intrinsèque au langage en assignant au signifié son indicibilité substantielle (Derrida, 1967). Tous les langages sont fondamentalement métaphoriques et toutes les significations sont arbitraires mais il y a des limites aux interprétations (Eco, 1990). Comme Norris (1990) le soutient, le fait que le signifié soit indécidable dans certaines situations n’implique pas qu’il soit toujours indéterminé. Produire des significations et les traduire en action veut dire vivre et se confronter à l’ambiguïté du langage et du quotidien.

53J’ai choisi de construire l’exemple de Monsieur Rossi afin de discuter de l’ambiguïté des microdécisions dans une communauté de pratiques parce qu’apparemment il y a très peu (ou si peu) d’ambiguïté dans son travail. Le savoir qui lui est demandé n’est absolument pas sophistiqué et n’appartient pas à un système technologique ou de communication complexe. Dans ses interprétations et interactions, il se confronte à une ambiguïté qui est entièrement « normale ». Comme nous tous, Monsieur Rossi se heurte parfois au problème de l’usage univoque du langage, d’autres fois il s’amuse avec des discours ambigus et d’autres fois encore il se cache derrière l’indétermination.

54Dans la présentation de mes données, j’ai en partie sacrifié la richesse du langage naturel à la faveur d’un langage utile pour organiser l’action. Consciente de la non-transparence du langage et du fait que les récits enregistrés sont le résultat d’une complexe négociation au cours de l’interview, j’ai été amenée à adosser une technique de projection à la traditionnelle méthode de l’observation participante. Dans mon expérience, cela s’est révélé être extrêmement utile puisque les diverses descriptions et interprétations du même événement pouvaient être conciliées dans un contexte spécifique, en me permettant de traiter les thèmes comme des négociations de signifié plutôt que comme des réponses individuelles à un problème cognitif. J’ai été ainsi en mesure de lire les interviews dont la performance rhétorique consiste à convaincre l’interlocuteur de la justesse d’une construction particulière, ou en en écartant une autre ou en en escamotant une autre encore.

55La méthode des cartes cognitives, successivement utilisée dans les analyses initiales des « interviews avec un sosie », permet de déboucher sur une meilleure compréhension des comptes rendus des acteurs interviewés. Ici l’emploi rhétorique du langage s’est révélé crucial pour développer une conversation virtuelle sur des thèmes importants retenus par la personne interrogée, par l’enquêteur et par ceux mentionnés comme alliés ou ennemis. Une communauté de personnes et de discours était évoquée par la figure du sosie dans l’élaboration discursive sur lui et son monde. Le langage ambigu, indirect et polysémique est délibérément cryptique : l’interlocuteur ne jouit pas encore de pleine confiance car il est extérieur à la communauté et il est en contact avec des communautés différentes et parfois antagoniques, comme celle des ouvriers de l’atelier de montage en aval, du gestionnaire et de l’autre groupe, intérieur à la communauté, mais qui est composé de ceux qui « pensent différemment ». Le langage ambigu est parlé pour communiquer en situations psychologiquement ambivalentes et socialement caractérisées par les conflits d’intérêts.

56Dans la discussion de la proposition « aujourd’hui les plaques sont molles », j’ai cherché à souligner les fonctions sociales de cette phrase emblématique. À l’intérieur de la communauté, la phrase soutient la pratique de célébration et de reproduction de l’identité collective et la création de liens sociaux ; à l’extérieur, elle négocie les relations de pouvoir avec le noyau directeur. L’indétermination protège le symbole et accompagne l’intrinsèque polysémie en même temps que, contextuellement, elle permet des interprétations univoques qui naissent du processus social d’attribution de sens à la réalité et qui provoquent l’action collective (ou son absence). Un plein accord sur des valeurs et les significations n’est pas nécessaire pour que l’action soit réalisée en pratique ; un accord minimum et précaire peut être suffisant pourvu qu’il adopte le mouvement d’un processus de négociation où l’on gère : (a) l’ambiguïté interne au processus social qu’est l’interprétation ; (b) l’ambiguïté des conséquences sur les autres d’une interprétation ; (c) l’ambiguïté liée à la mise en œuvre de l’action.

57Sur le plan sémantique, prendre une décision est une dynamique interprétative qui se situe entre indétermination et détermination. Cela délimite un espace de significations et annonce l’action. J’ai conçu l’activité décisionnelle non pas comme un problème d’optimisation ou de choix entre des alternatives mais comme la production discursive de sujets de discussion et de structures décisionnelles qui permettent à un monde (parmi tant de possibles) de se réaliser, et invitent les autres à en être les acteurs potentiels (Gherardi, 1990). Décider veut dire penser, négocier, vouloir, choisir « un état des choses ».

58Dans l’ambiguïté des interprétations de la vie « partagée », on peut identifier un certain nombre d’espaces discrétionnaires au sein desquels les prémisses de la décision peuvent être décrites de manière satisfaisante en faisant référence à quelques indicateurs de la culture de la communauté de pratiques et qui peuvent être confrontées à des communautés différentes. On peut ainsi définir un schéma interprétatif de la culture d’une communauté de pratiques qui, en définissant partiellement la culture, identifie un « ensemble de prémisses décisionnelles » relatives aux aires de discrétionalité suivantes :

  • la construction sociale de l’espace relationnel dans lequel la communauté se positionne par rapport à l’organisation, la manière de constituer son territoire, d’identifier les autres domaines significatifs et les thèmes qui sont pertinents substantiellement ;

  • l’élaboration contextuelle, procédurale et contingente d’un contrat avec le travail qui règle individuellement et collectivement les relations entre les individus, la communauté, le travail et les attentes de réciprocité et de justice ;

  • les stratégies que la communauté développe individuellement et collectivement pour se confronter et se mettre en relation avec la rationalité de l’organisation. Ce sont les jeux de production des ouvriers, la résistance des bureaucrates ou autres formes moins connues de résistance à la logique d’exploitation, logiques d’évasion du langage du devoir, ou élaboration de formes culturelles d’affirmation de soi. Chaque communauté invente ses subterfuges et cherche à les cacher dans l’intime conviction d’être la première ou l’unique communauté à les avoir pensés.

59Le paradoxe de l’unicité (Martin et al., 1983) – c’est-à-dire la conviction et l’affirmation de cette unicité alors même que celle-ci suit des modes et des modèles bien définis de comportement – est ce qui essentiellement autorise les ethnographes à faire leur travail. Tant que les acteurs de l’organisation ne seront pas impliqués dans la description et dans la manifestation de la particularité de leurs points de vue ou des traits distinctifs de leur organisation, que ce soit pour se convaincre eux-mêmes ou pour impressionner le chercheur, ce dernier (à son tour) aura raison de déconstruire cette prétendue unicité en explorant les pratiques. Dans ce jeu, la différence entre chercheur et sujets d’organisation réside dans la rhétorique utilisée pour comprendre, expliquer et représenter la culture que tous les deux cherchent à définir (Czarniawska‑Joerges, 1991).

60Finalement, j’achève ma contribution sur une réflexion qui dérive de cette ethnographie et des « communautés de pratiques » et de sa conceptualisation. J’ai volontairement cherché dans ce texte à introduire le lecteur au monde du savoir partagé et actif dans l’action. Toutefois, en conclusion, je voudrais souligner en quoi mon usage de ces termes diffère de celui de E. Wenger. En effet, lorsque le terme apparut pour la première fois dans les travaux qui voulaient fonder une théorie sociale de l’apprentissage en opposition à la théorie cognitive, ses promoteurs entendaient affirmer l’existence d’un sujet collectif qui apprend par opposition à l’apprentissage individuel. Cette définition à mon avis présente le défaut de supposer un sujet qui précède l’action et qui la dirige plus ou moins intentionnellement. J’ai proposé ailleurs (Gherardi & Nicolini, 2002) de renverser le concept en attribuant la priorité aux pratiques de façon à décrire le « faire collectif » qui dans son déploiement définit simultanément une communauté dont les frontières se définissent dans l’action elle-même. Autrement dit, c’est la pratique qui performe la communauté ; la recherche que j’ai présentée et qui illustre comment « remplir son quota » est une pratique qui réunit ensemble aussi bien les ouvriers qui idéologiquement soutiennent la réduction de la production que ceux qui s’y opposent, comme les chefs qui, bien qu’étrangers au groupe de travail, ne peuvent pas ne pas être impliqués dans cette pratique.

61Ainsi, avec l’usage du concept de communauté de pratiques, on met l’accent sur la pratique alors qu’avec celui de communauté on attire l’attention vers des phénomènes différents. En effet, alors que le terme de communauté pousse à rechercher une origine unique au sujet dont on recherche l’identité, l’engagement et la projection, donner la primauté à la pratique pousse à enquêter sur l’action collective qui, pour pouvoir se déployer, met ensemble plus de personnes, plus d’interprétations de la réalité, plus de rationalités subjectives dans une situation sociale douée de sens. Un aspect pertinent de la stabilisation et de la performance d’une pratique est constitué par la gestion de l’ambiguïté dans les microdécisions qui soutiennent le savoir pratique. En effet, la culture d’une pratique est le résultat d’une action coopérative et compétitive entre des acteurs, soutenue par les attentes réciproques, et fournit un accord sur les méthodes de la compréhension.

Haut de page

Bibliographie

Alby, F. & Zucchermaglio, C. (2006). Afterwards we can understand what went wrong, but now let’s fix it. How situated action shapes team decision-making in organizations. Organization Studies, 27(7), 943-966.

Alvesson, M. (1996). Leadership Studies: From Procedure and Abstraction to Reflexivity and Situation. Leadership Quarterly, 7(4), 455-485.

Antaki, C. (1985). Ordinary Explanation in Conversation: Causal Structures and Their Defence. European Journal of Social Psychology, 15, 213-230.

Bauman, R. & Joel, S. (eds) (1989). Explorations in the Ethnography of Speaking. Cambridge: Cambridge University Press.

Blackler, F. (1995). Knowledge, Knowledge Work and Organizations: An Overview and Interpretation. Organization Studies, 16(6), 1021-1046.

Bloor, M. (1983). Notes on Member Validation. In Robert Emerson (ed) Contemporary Field Research (pp. 156-172). Boston: Little Brown.

Bonazzi, G. (1999). Dire, fare, pensare. Milano: Angeli.

Bougon, M. (1992). Congregate Cognitive Maps. Journal of Management Studies, 29(3), 369-389.

Bourdieu, P. (1990), The Logic of Practice. Standford: Standford University Press.

Branthwaite, A. & Tony, L. (1985), Projective Techniques in Social and Market Research. In W. Robert (ed.). Applied Qualitative Research (pp.101-129). Aldershot: Gower.

Brown, J. S. & Duguid, P. (1991), Organizational Learning and Communities of Practice: Toward a Unified View of Working, Learning and Innovation. Organization Science. 2(1), 40-57.

Bruni, A. & Gherardi, S., (2001). Omega’s Story: the Heterogeneous Engineering of a Gendered Professional Self. In M. Dent & S. Whitehead, Managing Professional Identities: Knowledge, Performativity And The ‘New’ Professional (pp. 174-198). Routledge: Londres.

Bruni, A. (2003). Lo studio etnografico delle organizzazioni. Rome: Carocci.

Burawoy, M. (1979). Manufacturing Consent. Chicago: University of Chicago Press.

Clifford, J. (1986). Introduction: Partial Truths. In J. Clifford & G. Marcus (eds). Writing Cultures (pp. 1-26). Berkeley: University of California Press.

Cohen, M., March. J. & Olsen, J. (1972). A Garbage Can Model of Organizational Choice. Administrative Science Quarterly, 17, 1-25.

Czarniawska-Joerges, B. (1991). Culture Is the Medium of Life. In P. Frost, L. Moore, M. Reis Louis, C. Lundberg & J. Martin (eds). Reframing Organizational Culture (pp. 285-297). Newbury Park: Sage.

Czarniawska-Joerges, B. (1997), Narrating the Organization. Chicago: The University of Chicago Press.

Daft, R. & Weick, C. (1984). Toward a Model of Organizations as Interpretation Systems. Academy of Management Review, 9e, 284-295.

Derrida, J. (1967). De la Grammatologie. Paris : Le Seuil.

Douglas, M. (1975). Implicit Meanings. Londres: Routledge et Kegan.

Durkheim, É. (1912). Les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie. Paris : F. Alcan.

Eco, U. (1990). I limiti dell’interpretazione. Milano: Bompiani.

Eden, C., Jones, S. & Sims. D. (1983). Messing About in Problems. Oxford: Pergamon.

Eden, C. (ed.) (1992). On the Nature of Cognitive Maps. Journal of Management Studies, 29(3- special issue).

Feldman, M. (1991). The Meanings of Ambiguity: Learning from Stories and Metaphors. In P. Frost et al. (eds). Reframing Organizational Culture (pp. 145-156). Newbury Park: Sage.

Geertz, C. (1973). The Interpretations of Culture. New York: Basic Books.

Gherardi, S. (1990). Le microdecisioni nelle organizzazioni. Bologna: Il Mulino.

Gherardi, S. (1995). When Will He Say: “Today the Plates Are Soft”?: Management of Ambiguity and Situated Decision-Making. Studies in Cultures, Organizations and Societies, (1), 9-27. (trad. it. ‘Sapere situato e ambiguità decisionale in una comunità di pratiche’, Studi Organizzativi, 2003, (3), 159-183).

Gherardi, S. (2006). Organizational Knowledge: The Texture of Workplace Learning. Oxford: Blackwell.

Gherardi, S. & Nicolini, D. (2002). Learning in a constellation of interconnected practices: canon or dissonance? Journal of Management Studies, 39(4), 419-436.

Gherardi, S. & Strati, A. (1990). The Texture of Organizing an Italian Academic Department. Journal of Management Studies, 27(6), 605-618.

Gherardi, S. & Turner, B. (1999). Real Men Don’t Collect Soft Data. In A. Bryman & R. Burgess (ed). Qualitative Research (pp. 103-119). London: Sage.

Glaser, B. & Strauss, A. (1967). The Discovery of Grounded Theory. Chicago: Aldine.

Goffman, E. (1971). The Territories of the self. In Relations in Public: Microstudies of the public order. New York: Harper and Row.

Hatch, M. J. & Erlich, S. (1993). Spontaneous Humour as an Indicator of Paradox and Ambiguity in Organizations. Organization Studies, 14(4), 505-526.

Heath, C. & Button, G. (2002), Special Issue on Workplace Studies: Editorial Introduction. The British Journal of Sociology, 53(2), 157-161.

Jones, S. (1985). The Analysis of Depth Interviews. In R. Walker (ed). Applied Qualitative Research (pp. 74-93). Aldershot: Gower.

Lanzara, G.F. (1993). Capacità Negativa. Bologna: Il Mulino.

Lave, J. & Wenger, E. (1991). Situated Learning. Legitimate Peripheral Participation. Cambridge: Mass, University Press.

Levine, D. (1985). The Flight from Ambiguity. Chicago: The University of Chicago Press.

Levitt, B. & Clifford, N. (1989). The Lid on the Garbage Can: Institutional Constraints on Decision-making in the Technical Core of College Text Publishers. Administrative Science Quarterly, 34, 190-207.

Linstead, S. (1994). The Responsibilities of Betrayal: Deconstruction and Ethnographic Praxis. Blurring Genres, 6, 1-27.

March, J. & Olsen, J. (eds) (1976). Ambiguity and Choice in Organizations. Bergen: Universitetforlaget.

Martin, J. & Feldman, M., Hatch, M.J. & Sitkin, S. (1983). The Uniqueness Paradox in Organizational Stories. Administrative Science Quarterly, 28, 438-453.

Meyerson, D. (1991). “Normal” Ambiguity?: A Glimpse of an Occupational Culture. In P. Frost et al. (eds). Reframing Organizational Culture (pp. 131-144). Newbury Park: Sage.

Morin, E. (1974). La complexité. Revue International des Sciences Sociales, 4, 6-32.

Norris, C. (1985). The Contest of Faculties: Philosophy and Theory after Deconstruction. Londres: Methuen.

Nicolini, D. (1999). Comparing Methods for Mapping Organizational Cognition. Organization Studies, 20(5), 833-860.

Oddone, I., Re, A. & Briante. G. (1977). Esperienza Operaia,Coscienza di Classe e Psicologia del Lavoro. Torino: Einaudi.

Parolin, L. (2008). I workplace studies: tecnologia ed interazione sociale nei contesti di lavoro. Studi Organizzativi (à paraître).

Rosen, M. (1985). Breakfast at Spiro’s: Dramaturgy and Dominance. Journal of Management Studies, 11(2), 31-84.

Rosen, M. (1991). Coming to Terms with the Field: Understanding and Doing Organizational Ethnography. Journal of Management Studies, 28(1), 1-24.

Roy, D. (1952). Quota Restriction and Goldbricking in a Machine Shop. America Journal of Sociology, 57, 427-442.

Roy, D. (1953). Work Satisfaction and Social Reward in Quota Achievement. American Sociological Review, 18, 507-514.

Roy, D. (1969). Making Out: A Counter-System of Worker Control of Work Situation and Relationships. In T. Burns (ed). Industrial Man (pp. 359-379). Harmondsworth: Penguin.

Semin, G. & Manstead. A. (1983). The Accountability of Conduct: A Social-psychological Analysis. Londres: Academic Press.

Starbuck, W. (1987). Surmounting our Human Limitations. In R. Quinn & K. Cameron (eds). Paradox and Transformation:Toward a Theory of Change in Organization and Management (pp. 65-80). Cambridge: Ballinger.

Strati, A. (2003). Knowing in practice: aesthetic understanding and tacit knowledge. In D. Nicolini, S. Gherardi & D. Yanow (eds). Knowing in Organizations (pp. 53-75) Armonk, NY: M.E. Sharpe.

Suchman, L. (1996). Constituting shared workspaces. In Y. Engestrom & D. Middleton (eds). Cognition and Communication at Work. Cambridge: Cambridge University Press.

Turner, B. (1971). Exploring the Industrial Subculture. Londres: Macmillan.

Turner, B. (1988). Connoisseurship in the Study of Organizational Cultures. In A. Bryman (ed.). Doing Research in Organization (pp. 108-122). Londres: Routledge.

Van Maanen, J. (1979), The Fact of Fiction in Organizational Ethnography. Administrative Science Quarterly, 24, 539-550.

Weick, C. (1979). The social psychology of organizing. Reading MA: Addison Wesley.

Weick, C. (1985). Sources of Order in Under-organized Systems: Themes in Recent Organization Theory. In Y. Lincoln (ed). Organizational Theory and Inquiry: The Paradigm Revolution (pp. 106-136). Beverly Hill: Sage.

Wenger, E. (1998). Communities of Practice. Learning, Meaning and Identity. New York: Cambridge U. Press.

Whyte, W.F. et al. (1955). Money and Motivation. Westport: Greenwood.

Zucchermaglio, C. (1996). Vygotskij in Azienda. Rome: La Nuova Italia Scientifica.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 - L’espace relationnel de Monsieur Rossi
Légende Les nombres en parenthèse permettent de faire à référence aux lignes de l’interview avec le sosie décrite précédemment
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/docannexe/image/19866/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 47k
Titre Figure 2 - Le contrat de Monsieur Rossi avec son travail
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/docannexe/image/19866/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 38k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Silvia Gherardi, « « Aujourd’hui les plaques sont molles ! » »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 2-1 | 2008, mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rac/19866 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rac.003.0003

Haut de page

Auteur

Silvia Gherardi

Professeure de sociologie à l’université de Trento, Italie, et directrice du RUCOLA.
Elle travaille sur l’apprentissage et le savoir au travail, les politiques de genre, les conditions de travail et la responsabilité sociale des entreprises. Récemment, elle a travaillé sur les approches théoriques de la pratique en essayant de développer une approche sociologique de la pratique située. Depuis 1993, elle coordonne l’unité de recherche Communication, Apprentissage organisationnel et esthétique. Ces domaines d’intérêt incluent l’exploration des domaines organisationnels en examinant les aspects cognitifs, émotionnels, symboliques et linguistiques des processus d’organisation. Son unité de recherche examine la ségrégation de genre dans les réseaux d’apprentissage inter-organisationnels dans les biotechnologies.
En 2005, elle a reçu le titre de docteur honoris causa du département de sociologie de l’Université danoise de Roskilde. Elle a édité les actes de la 6e Conférence internationale sur l’apprentissage et le savoir organisationnel (Gherardi et Nicolini (2005). The Passion for Learning and Knowing. Trento (Italy), University of Trento) et a publié récemment Organizational Knowledge: The Texture of Workplace Learning (Oxford, Blackwell).

Adresse : Dipartimento di Sociologia e Ricerca Sociale - Research Unit on Cognition, Organizational Learning, and Aesthetics via Verdi 26 IT-38100 Trento (Italie)
Courriel: silvia.gherardi[at]soc.unitn.it

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search