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Notes de lecture
Culture, esthétique

Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie

Paris, Presses universitaires de France, coll. La Nature humaine, 2012, 160 p.
Vincent Hecquet
p. 413-414
Référence(s) :

Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, Paris, Presses universitaires de France, coll. La Nature humaine, 2012, 160 p.

Texte intégral

1Le zombie est un personnage à la mode auquel sont consacrés de nombreux films, romans, séries télévisées ou jeux vidéo. Le livre analyse les raisons de cet engouement en montrant que le zombie présente trois figures qui sont chacune en phase avec les interrogations et mythes de notre époque. Le zombie est une figure du double, simultanément inquiétant, pitoyable et parfait exutoire de notre agressivité. Il est aussi une figure du monstre, en ce qu’il incarne la mort et la décrépitude grotesque dans un contexte où les normes sociales les écartent du champ du visible. Enfin, l’invasion des zombies est une image d’apocalypse, et les représentations de fin du monde plaisent par leur caractère sublime et permettent de maîtriser les peurs contemporaines.

2Issu du folklore haïtien, le personnage du zombie est entré dans la culture populaire occidentale au début du xxe siècle puis a été renouvelé, à la fin des années 60, par les films de George A. Romero. Dans la tradition haïtienne, le zombie est un individu qu’un prêtre vaudou a drogué et plongé dans un état de mort apparente pour lui servir d’esclave. Ce mythe prend racine dans les conditions coloniales d’Haïti, puise dans les imaginaires africain et catholique et reflète la terreur de l’esclavage. Il faut noter que le zombie du folklore haïtien ne peut transmettre son maléfice et retrouve son humanité pourvu que le sortilège soit levé. Cette première version du personnage a été popularisée, en Occident, au début du xxe siècle par le roman The Magic Island de William B. Seabrook (Londres, G. G. Harrap, 1929) puis par le film White zombie (1932) de Victor Halperin. Ensuite, le personnage a été redéfini à la suite du grand succès des trois films de George A. Romero, Night of the Living Dead (1968), Dawn of the Dead (1978) et Day of the Dead (1985). Après ces films, le zombie est désormais présenté comme un mort véritable. Errant sans but et plongé dans un état végétatif, il ne sort de son apathie que pour attaquer et dévorer les vivants, telle la goule des contes arabes. En outre, le réalisateur s’est inspiré du roman de Richard Matheson Je suis une légende (trad. de N. Serval, Paris Gallimard, 2001 [1954]) dont le héros est le dernier survivant d’une épidémie ayant transformé les hommes en vampires. Il y a puisé le thème de quelques rescapés luttant pour la survie dans des villes abandonnées et envahies de créatures hostiles. Les films des années récentes ont tous repris cette figure du personnage. La seule différence tient à l’origine du mal. Dans les films de George A. Romero, ce sont tous les morts qui reviennent spontanément à la vie et l’épidémie prend valeur d’un châtiment touchant la société occidentale ou l’humanité. C’est ce que signifie la célèbre réplique de Dawn of the Dead : « When there is no more room in hell, the dead will walk of earth » (« Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre »). En revanche, dans des films plus récents comme Resident Evil (Paul W. Anderson, 2002) ou 28 Days Later (Danny Boyle, 2002), l’épidémie ne se transmet que par morsure et son origine est clairement attribuée à des expériences d’armes bactériologiques ou de l’industrie pharmaceutique. Ceci fait écho à de nouveaux motifs de peur, le Sida et les accidents industriels.

3Une première raison pour laquelle le zombie fascine est qu’il apparaît comme un double de l’homme. Ce double est d’une extrême richesse évocatrice, simultanément inquiétant, pitoyable et parfait exutoire offert à notre agressivité. Sa proximité de l’homme est une des composantes de la peur que le zombie inspire. Dans son ouvrage Inquiétante étrangeté (, Paris, Presses universitaires de France, 1981 [1919]), Sigmund Freud a analysé la peur qu’on éprouve devant l’inclinaison de la réalité commune en un objet effrayant ou devant des objets ambigus et redoublés, par exemple un personnage dont on ignorerait s’il est un homme ou un automate. Le zombie participe de cette étrangeté car on n’arrive pas à le considérer tout à fait comme un mort. « C’est bien parce que nous ne savons pas exactement ce qui hante le silence de sa conscience ni ce qui demeure des ruines de son esprit que le zombie nous intrigue et nous inquiète » (ibid., p. 53). Ce double inspire deux réactions de natures opposées. Au moment où il est plongé dans sa vie végétative, reproduisant de façon grotesque les gestes de sa vie passée, le zombie rappelle moins un monstre qu’un traumatisé et suscite l’empathie. Il évoque différentes figures de victimes de la modernité, rescapé d’une catastrophe, malade d’Alzheimer, individu épuisé par le rythme des sociétés contemporaines. Toutefois, par le danger qu’il incarne, le zombie est aussi un être nuisible que quiconque peut tuer sans commettre un crime, et ce d’autant plus qu’il apparaît plongé dans un état indigne d’être vécu, nouvel avatar du paria de l’Antiquité.

4Le zombie apparaît aussi comme un monstre, c’est à dire un être en rupture avec la norme, conformément à l’une des étymologies et acceptions du mot possibles. Il incarne la mort quand celle-ci est refoulée jusqu’au déni dans les sociétés contemporaines. Cela l’oppose au fantôme, personnage des sociétés traditionnelles. Dans les légendes anciennes comme dans les tragédies de William Shakespeare, le fantôme revient hanter les vivants car il attend une réparation ou car il a été privé des rites de deuil. Il aspire à retrouver la paix et pourra y parvenir dès qu’il aura obtenu une restauration symbolique. Ainsi le fantôme correspond-il aux sociétés traditionnelles, dans lesquelles la mort est une réalité familière et où le passage de la vie à la mort est clairement marqué par des rites de transition. Le zombie est bien différent, son retour sur terre ne tient pas à une rupture de l’ordre symbolique entre la vie et la mort, et il ne peut trouver de rémission. Il correspond aux sociétés contemporaines, dans lesquelles la mort est maintenue à distance et où les rites de médiation tendent à s’estomper. Le zombie est aussi monstrueux par son agressivité absolue, sa régression et sa bêtise. Il respecte les caractéristiques du corps grotesque tel que Mikhaïl Bakhtine l’a décrit dans son livre L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance (Paris, Gallimard, 1982 [1965]) : un corps difforme, ouvert sans limite, perpétuellement en processus d’ingestion déglutition, dont le spectacle suscite la jubilation. À ceci près, bien sûr, que le corps grotesque de la culture populaire analysé par Mikhaïl Bakhtine est libérateur et positif, tandis que l’invasion des zombies annonce la fin de l’humanité.

5Cette représentation de l’apocalypse constitue la troisième raison pour laquelle les films de zombies séduisent. Dès 1790, dans la Critique de la faculté de juger (trad. de l’allemand par A. Renaut, Paris, Flammarion, 1995 [1790]), Emmanuel Kant a montré le plaisir négatif que l’on ressent devant les objets qui relèvent du sublime, à savoir qui excèdent l’imagination. Comme exemple d’image sublime, le philosophe cite une tempête en mer, en précisant qu’on ne peut la juger ainsi que si l’on est soi-même en sécurité. Cette situation est tout à fait analogue à celle d’un spectateur de film de zombies. Du reste, les films du genre développent une esthétique des ruines, rejoignant un topos du sublime romantique. Dans le contexte de pessimisme des sociétés occidentales, les visions de fin de monde charment enfin par leur dimension cathartique. Jouer avec une image négative permet de la maintenir à distance et de la maîtriser. Ainsi que le conclut l’auteur, « Le cinéma de zombies nous amuse et nous rassure. Plus de sentiment de culpabilité, plus de crainte. Pendant deux heures, le spectateur regarde ces représentations le sourire en coin ; voir l’anéantissement du monde produit un petit vertige, et un sentiment d’apaisement » (p. 134).

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Hecquet, « Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie »Questions de communication, 23 | 2013, 413-414.

Référence électronique

Vincent Hecquet, « Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie »Questions de communication [En ligne], 23 | 2013, mis en ligne le 30 septembre 2013, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/8512 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.8512

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Auteur

Vincent Hecquet

Insee, F-75675
vincent.hecquet@insee.fr

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