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Notes de lecture

Claude Forest, Économies contemporaines du cinéma en Europe

Paris, CNRS Éd., 2001, 374 p.
Kristian Feigelson
Référence(s) :

Claude Forest, Économies contemporaines du cinéma en Europe. Paris, CNRS Éd., 2001, 374 p.

Texte intégral

1Adoptant une perspective comparatiste, après un précédent travail d’histoire économique (Cent ans d’exploitation des salles de cinéma, Paris, CNRS Éd., 1995), Claude Forest analyse l’industrie filmique en Europe. Développant l’idée d’une industrie improbable, l’auteur s’efforce, avant tout, de répertorier les points forts et faibles du cinéma en Europe (les ressources de la filière, l’offre filmique et la programmation en salles, le statut de l’exploitation et l’évolution comparée de la fréquentation). Dans un contexte européen déséquilibré, cette recherche peut aussi se lire comme un véritable parcours du film vers la salle, et de la salle au spectateur. Divisé en deux parties, l’ouvrage confronte une partie plus conceptuelle qui analyse les mécanismes de dépendance de la filière en Europe à une seconde, plus descriptive, des vingt-huit pays rassemblés sous forme de fiches synthétiques, résumant la situation respective de l’exploitation et le statut des interventions publiques. Ce recueil de données statistiques sur la filière a le mérite d’ouvrir un premier travail comparatif sur la dernière décennie en Europe. S’appuyant sur une série de ressources documentaires, jusqu’ici éparpillées ou souvent mal exploitées, l’auteur propose une photographie comparée des situations cinématographiques de l’Europe du nord à l’est de l’Oural. Outil de travail indispensable, le livre revient sur la mutation de fond des années soixante, liée à la chute de la fréquentation qui provoqua une crise durable de l’exploitation cinématographique en Europe. L’ouvrage ne donne qu’un aperçu parcellaire de grandes tendances nationales, en pointant certaines contraintes, sans toujours les approfondir. Comme le reconnaît d’ailleurs son auteur, cette deuxième partie peut sembler plus critiquable, mais elle permet de soulever un certain nombre de questions. Car finalement, quels sont les éléments de convergences – sinon la proximité et l’histoire de certains de ces pays – pour comprendre les interactions entre les industries cinématographiques ? L’idée d’Europe peut alors sembler réductrice dans cette approche, si l’on explore une dimension plus sociologique du cinéma. Par exemple avec le cinéma, l'avènement et l'impact d'une réelle société des loisirs prendraient un tour spécifique selon les contextes (voir à partir de l’exemple français les travaux de P. Yonnet, Jeux, modes et masses, Paris, Gallimard, 1985 ; Travail, loisir, Paris, Gallimard, 1999). Peut-on réserver un traitement aussi global à cette filière à partir d’une réflexion sur la segmentation des publics et l’évolution de la fréquentation ? En outre, ce modèle européen, souvent vécu comme mythique ou même comme contre-modèle en Europe, ne permet-il pas de relativiser une certaine expérience européenne en matière de cinéma, au travers les programmes Media et Eurimages ? L’Europe cinématographique, à supposer qu’elle existe en dehors de ces institutions européennes, manquant souvent de fonds importants pour financer sa production, contredirait-t-elle les thèses d’Edgar Morin (Penser l’Europe, Paris, Gallimard, 1987) que prône une communauté (au moins culturelle) de destin ? Breaking the waves (Lars von Triers), avait réuni plus d’une vingtaine de coproducteurs issus du monde entier, renforçant cette thèse d’une improbable industrie européenne. Une dizaine de ces pays, dont certains sont appelés à rejoindre l’Union européenne, sont toujours confrontés à une transition économique de type plutôt néo-libérale où, sous tous ces aspects, le cinéma autrefois affaire d’État n’est plus une priorité nationale. Dans certains cas, la production s’est effondrée. La question de l’absence de véritables publics européens pointe ici le véritable déficit d’Europe. On peut donner l’exemple des films de Ken Loach, plus populaires en France qu’en Grande-Bretagne, ou inversement, celui de l’absence d’un véritable intérêt du public britannique pour les films français, minoritaires et peu distribués. On voit ici l’enjeu du local dans le processus actuel de globalisation. L’histoire du cinéma en Europe (cf. entre autres ouvrages, Sorlin P., European Cinemas, European societies 1939-1990, London, Routledge, 1991) a aussi pu montrer l’évolution de différents pôles tour à tour dominants ou dominés, et d’ailleurs plus souvent concurrentiels que complémentaires. On a le cas de Cinecitta, en crise après les années quatre-vingt, qui s’est reconverti dans le téléfilm, ou du pôle Babelsberg, à Berlin, aujourd’hui dominant en Europe, grâce à l’apport du groupe Vivendi. Peut-on présenter ces pôles de manière aussi autonome et selon un découpage géographique, ou pouvant prêter à confusion ? La Turquie, aujourd’hui controversée dans le débat européen, n’y figure pas, alors que la Russie, présente de manière sommaire, pourrait être renvoyée à sa configuration plus asiatique qu’européenne ? Une approche géo-économique, comme l’entend Claude Forest, rend difficile la comparaison de cinématographies aussi diversifiées et parfois même isolées. Elles recomposent leur spécificité européenne face à un pôle américain concurrentiel et hégémonique. Le principe d’un « cinéma-monde » renforcerait cette thèse d’un pôle hollywoodien offensif, face à une économie d’archipels disséminés en Europe. Cette domination (diffusion numérique satellitaire, multiplexes, films formatés, distribution offensive...) s’appuie sur les faiblesses structurelles de la filière européenne, rendant caduque l’idée d’un cinéma européen qui, néanmoins, relève d’un projet politique. Le cas français apparaît ici à la fois comme exemplaire (un modèle envié et parfois copié en Europe), et coûteux dans sa politique de soutien au cinéma, défendu comme une « exception culturelle » (Farchy J., La fin de l’exception culturelle, Paris, CNRS Éd., 1999). S’interroger, comme Claude Forest, sur les effets de cette domination américaine sur les marchés européens permet de comprendre le processus de standardisation d’une production filmique qui n’échappe pas à la concentration. Sa définition du film renvoie à celle, assez classique, d’un produit culturel de masse et appréhende le cinéma « européen » sous l’angle d’une culture de masse fragilisée. Mais ne peut-on pas aussi se demander si certains films emblématiques (ceux du cinéma indépendant britannique ou certains films récents du finlandais Kaurismaki) ont réussi à relever des défis paradoxaux en terme de succès et de publics ? Claude Forest conclut ainsi : « L’appétence pour le cinéma semble surdéterminée par de puissants facteurs socioculturels indépendants de la taille de la nation, de sa puissance économique ou de la force de l’offre de la filière cinématographique ». Ambitieux, cet ouvrage a le mérite de poser à nouveau certains termes d’un débat toujours ouvert.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Kristian Feigelson, « Claude Forest, Économies contemporaines du cinéma en Europe »Questions de communication [En ligne], 3 | 2003, mis en ligne le 09 août 2013, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/7553 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.7553

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Auteur

Kristian Feigelson

IRCAV, université Paris 3

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