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Notes de lecture

Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections

Paris, CNRS Éd., 2002, 166 p.
Sébastien Rouquette
Référence(s) :

Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections. Paris, CNRS Éd., 2002, 166 p.

Texte intégral

1Comment, en sciences de l’information et de la communication, analyser la vie politique et, notamment, la vie électorale ? En spécifiant son objet, Marlène Coulomb-Gully définit les frontières, les particularités et donc l'intérêt de son approche de spécialiste des médias. Si d'autres disciplines, comme la sociologie ou les sciences politiques, se centrent sur les mutations récentes du jeu politique, les nouvelles configurations organisant les relations hommes politiques/journalistes/public, l'influence des médias, l'agenda politique, le travail gouvernemental, la vie politique, mais aussi sur les connaissances des gouvernés, l'apport d'une approche communicationnelle est de montrer ce que change cette nouvelle médiatisation sur la représentation de la vie politique. Surtout si, comme le résume la belle formule initiale de l'auteur : “La politique à la télévision, c'est d'abord de la télévision”. Mais, d’emblée, l’auteur précise : “Le propre de la télévision réside dans sa formalisation “sensible”, dans le formatage “esthétique” qu'elle impose”. Et cette rhétorique télévisuelle joue sur la narration et les rituels de campagne, sur la symbolique et l'incarnation politique, mais aussi de manière plus anecdotique, sur la satire politique.

2D'abord, on ne peut parler de campagne électorale sans parler de mise en récit, de cet enchaînement de séquences qui partent de la candidature, des multiples rebondissements, jusqu'au dénouement que sont les résultats. Cette mise en récit permet et, en fait, oblige à s'inscrire dans un schéma prévisible, récurrent – tous les cinq ans désormais – et déjà connu, donc plus facilement compréhensible : le déroulement de la campagne. On peut d'ailleurs mesurer l'importance de ce récit de campagne, ou de cette campagne en récit, par la rationalisation, a posteriori, dont font l'objet toutes les campagnes présidentielles. Conformément aux règles de cohérence narrative, on reconstruit après coup la façon dont il fallait lire les signes de la victoire des uns (celle de Jacques Chirac sur Édouard Balladur, 1995), et la défaite des autres (celle de Lionel Jospin en 2002). Il est instructif de décrire comment les programmes télévisés ont contribué à cette économie du récit en 1995. Narration implique personnage. C'est Jacques Chirac, dépeint en héros trahi (cf. sa marionnette transpercée de couteaux par Les Guignols de l'info), ou en perdant annoncé (la fameuse interview d'Arlette Chabot) finalement vainqueur. C'est encore Édouard Balladur dépeint en héros/vainqueur probable.

3Logiquement, c'est plus encore sur les moments forts de cette histoire que pèse la rhétorique télévisée. Que change alors la présence des caméras sur ces rites politiques comme les meetings quasi quotidiens, le passage obligé de la déclaration des candidatures, le dépôt des cinq cents signatures, le commentaire des résultats des premier et deuxième tour ? Tous doivent être visibles, organisés pour être immédiatement lisibles. Par exemple, cela est vrai du rituel de visite des villes de province. Se déplacer sur un lieu public, un hôpital (Lionel Jospin, 1995, Carcassonne), ou visiter des PME-PMI (Édouard Balladur, Jacques Chirac), choisir tel ou tel décor de ce rituel de campagne, n'a pas la même signification, question de bord politique. Plus intéressant encore, à la lecture de ces différents rituels dont la médiatisation est analysée, l'effet télévision pèse plus encore dans certains domaines que dans d'autres. Bien sûr, convoquer les caméras pour déclarer sa candidature à Matignon, en tant que Premier ministre (Édouard Balladur, 1995), ne manque ni de poids ni de signification. Mais on peut encore le faire devant la presse régionale (Jacques Chirac, 1995), ou en direction de toute la presse écrite (Lionel Jospin, 2002). En revanche, tous les meetings politiques se sont adaptés à la rhétorique télévisée. Média audiovisuel oblige, le message doit à la fois être conçu pour l'écrit (le discours) et l'image. Désormais, explique Marlène Coulomb-Gully, le rôle de la foule, des soutiens du candidat placés au premier rang, de la couleur “repère” (bleu profond pour Jacques Chirac, vert espoir pour Lionel Jospin en 1995), les slogans inscrits sur les pupitres (suffisamment hauts pour être insérés dans un plan moyen) sont désormais incontournables, inévitables mais surtout visibles. Mais, autant que sur la forme, c'est sur le fond de ce rituel que pèse, selon l’auteur, cette rhétorique télévisée. À la diversification des genres informatifs télévisés (débat, JT) répond la diversification des moments du meeting (discours, débat sur une estrade ou encore interview du candidat par une personnalité de la région). Le contenu s'adapte au média.

4Il faudrait alors interroger les raisons pour lesquelles certains rituels offrent plus de prise à l'institution et à la rhétorique télévisées que d'autres. Est-ce en raison de leur caractère plus visuel que sonore ? En raison de leur force dramatique ? Quoi qu'il en soit, et c'est l'une des forces de ce livre, en nous entraînant là où nous amènent aujourd'hui les candidats, en décryptant les lieux où ils se rendent (sorties publiques), les temps qu'ils choisissent (prendre le 1er mai pour faire des déclarations), les personnes qu'ils rencontrent devant les projecteurs ou non (foule ou non, personnalités locales présentes ou pas), les gestes qu'ils réalisent (discours, marche, cérémonie), cette diversification des regards et des rites analysés dit toute la complexité réelle des rapports entre télévision et politique. Dire cela, c'est dire, comme le fait l'auteur, qu'il faut déplacer l'analyse des rapports entre télévision et politique des seuls plateaux télévisés. C'est dire que ces rapports ne se construisent pas seulement dans les débats et les interviews politiques. C'est insister sur le fait que la démocratie télévisée prend de plus en plus corps dans les reportages de campagnes, ceux des JT comme ceux des reportages de magazines télévisés.

5De la même façon, parce que, de plus en plus, une campagne électorale se joue de multiples significations, à la fois sur l'image et le son mais aussi sur des temps, des lieux, des attitudes préméditées, parce que les élections sont de plus en plus un moment de “surchauffe symbolique” pour reprendre le mot de Jacques Gerstlé, interroger l'impact de la télévision sur la symbolique politique était aussi une nécessité. Là encore, les constats sont multiples. Mettre en scène pour la télévision un symbole, c'est d'abord en faire quelque chose de visible. Ainsi de Jeanne d'Arc, pas seulement revendiquée par Jean-Marie Le Pen, mais visuellement et presque physiquement accaparée par le candidat, via une statue posée sur son bureau. C'est faire feu de tout bois. Visuellement : les couleurs, les drapeaux (celui de l'Europe et de la France pour un discours européen), les sigles (la croix de Lorraine, symbole du gaullisme repris par Édouard Balladur). “Auditivement” : les slogans, les hymnes (l'Internationale versus la Marseillaise). Mais, c'est tout autant l'obligation pour les grands candidats de ne pas afficher des symboles trop clivants, tout obnubilés qu'ils sont par le double fait que, pour l'emporter, il faut déplaire au moins d'électeurs possibles et que la télévision est par excellence un média de masse, c'est-à-dire un média au public fortement pluriel. En ce sens, Marlène Coulomb-Gully a raison de rappeler qu'en obligeant à s'adresser à un public de téléspectateurs beaucoup plus indéterminé que celui des simples militants, la retransmission télévisée d'un meeting ou d'une rencontre incite à arrondir son discours. La dépolitisation de la vie politique est certes un phénomène qui dépasse de très loin le seul rapport télévision et politique, mais l'effet est tout de même aggravant. Ainsi de la pomme : qu’y a-t-il de moins clivant, de moins connoté politiquement et de plus éphémère qu'une pomme comme symbole de campagne (Jacques Chirac, 1995) ? Il en est de même du corps politique, tantôt proche (Jacques Chirac : le gaullisme populaire), tantôt distant (Édouard Balladur), tantôt absent (Lionel Jospin, candidat d'un parti plus que d'une personne), tantôt caricaturé (Les Guignols de l'info, Le Bébête show). Tout fait sens. Rien ne peut plus être laissé au hasard, et surtout pas aux hasards interprétatifs des électeurs.

6Au total, l'accumulation des exemples, la multiplication des terrains d'analyses rendent la démonstration convaincante, instructive et agréable à suivre. Aujourd'hui, on ne peut occulter que la rhétorique politico-télévisuelle repose sur les principes du récit narratif, privilégiant la dimension rituelle de la campagne, une expression figurative symbolique mais aussi – comme l'avait aussi montré Patrick Lecomte à propos de Michel Noir (Télévision, élections et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993) – une expression personnalisée et théâtralisée. Reste malgré tout à savoir si en centrant son analyse sur un média – ici la télévision – on ne prend pas le risque de surestimer l'influence de ce seul média dans l'organisation de ce ballet médiatique ? Et par exemple de la visualisation des symboles. Comment séparer ce qui, parmi les symboles lisibles par l'image, est l'effet du seul média télévision ou des photos de Une de presse écrite ? Le langage photographique n'est-il pas tout autant un langage symbolique que le langage audiovisuel, un langage où l'expressivité des visages, la mise en situation, synthétisent en un cliché un point de vue sur un candidat ? Comment distinguer, dans le choix des slogans ou des musiques des meetings, ce qu'on doit à la seule présence des caméras et à celle des radios ? Comment différencier les procédés de narrativisation dus aux journalistes télévisés de ceux dus aux journalistes de presse écrite racontant en feuilleton quotidien le déroulement de la campagne ? On doit, comme le fait Marlène Coulomb-Gully, rappeler que la mise en récit est une loi générale de l'information. Et insister sur ce qui est propre à ce véritable multimédia de masse qu'est la télévision. Peut-être faut-il alors généraliser cette perspective.

7En ce sens, autant qu'une influence décisive de la télévision dans la mise en récit de la campagne électorale, c'est d'une influence particulière dont il faut parler. Ce livre doit donc être lu comme un travail permettant de cerner précisément les procédés particuliers au média télévisé pour mettre en scène et en récit tous les soubresauts électoraux qui traversent une campagne, télévisée en premier lieu mais, de plus en plus, multimédiatique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Rouquette, « Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections »Questions de communication [En ligne], 3 | 2003, mis en ligne le 09 août 2013, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/7550 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.7550

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Auteur

Sébastien Rouquette

CEISME, université Paris 3

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