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Notes de lecture
Communication, langue et discours

Reynald Secher, Vendée. Du génocide au mémoricide. Mécanisme d’un crime légal contre l’humanité

Paris, Éd. Le Cerf, coll. Cerf politique, 2011, 448 p.
Hélène Piralian-Simonyan
p. 342-344
Référence(s) :

Reynald Secher, Vendée. Du génocide au mémoricide. Mécanisme d’un crime légal contre l’humanité, Paris, Éd. Le Cerf, coll. Cerf politique, 2011, 448 p.

Texte intégral

1Dans son précédent livre, La désinformation autour des guerres de Vendée et du génocide vendéen (Anet, Atelier Fol’Fer, 2009), se situant dans la filiation des travaux de Gracchus Babeuf et de Raphaël Lemkin, Reynald Secher poursuivait obstinément et courageusement son combat (entrepris depuis sa soutenance de thèse en 1985 et la publication de son premier livre dans lequel il démontrait « documents à l’appui, que la Vendée correspondait à un système proto-industriel légal d’anéantissement et d’extermination d’une partie du peuple de France non pas en raison de ce qu’elle faisait, mais de ce qu’elle était » ; Le génocide franco-français : la Vendée-vengé, Paris, Presses universitaires de France, 1986) pour que la Terreur vendéenne soit reconnue comme génocide. Il y témoignait aussi, dans un chapitre intitulé « 1985 : Une nouvelle problématique par rapport à l’histoire de la Vendée », des effets destructeurs que le dévoilement de ce génocide et son déni ont entraînés pour lui et sa famille.

2On ne relèvera pas le détail des arguments qui furent employés à son égard pour discréditer ses recherches sauf pour dire qu’ils sont représentatifs des pratiques négationnistes. On notera simplement son étonnement d’être devenu la cible d’une mise à mort sociale qui s’est accompagnée de menaces de mort, de vol de manuscrit et de tentative de corruption. Actes de violence qui l’ont conduit à s’interroger sur les raisons de ce déni et sur la violence qui l’accompagne : « Est-ce par peur de faire resurgir officiellement ce très ancien passé qui donne un autre visage à notre révolution ? » (Ronald Secher, La désinformation autour des guerres de Vendée et du génocide vendéen, Anet, Atelier Fol’Fer, 2009, p. 82). Car, dit-il : « On peut légitimement se poser la question de savoir comment un peuple souverain, qui a fait la révolution au nom des droits de l’homme et du citoyen, a pu concevoir et mettre en application cet anéantissement et cette extermination d’une partie de lui-même au nom de ces mêmes droits » (ibid.). Est-ce cette contradiction fondamentale qui doit être occultée en ce qu’elle a servi, faute d’avoir été reconnue et condamnée, à légitimer d’autres terreurs menées elles aussi au nom du bien ? Est-ce cela qui maintient ce déni actif et virulent ? Est-ce aussi pour cela que ses effets psychiques dévastateurs continuent de mettre à mal une population de plus en plus clivée, de l’origine de ce qui, à bas bruit mais violemment, continuerait de la miner et de la détruire et ceci à son insu ? C’est pour toutes ces questions qui ouvrent à la parole ce lieu jusque là forclos de douleurs liées à ce génocide dénié, à tous ceux qui sont des victimes inconscientes parce qu’héritières de ces morts assassinés, que ce texte me paraît fondamental.

3Quant à ce dernier livre, Vendée. Du génocide au mémoricide, il en est la suite logique en ce qu’il poursuit le travail de décryptage des rouages de ce génocide à partir de la découverte que Renald Secher a faite aux Archives nationales de documents totalement inédits. Documents signés de la main des auteurs de ces crimes, c’est-à-dire des membres du Comité de salut public et notamment de Robespierre, de Carnot, de Barrére et d’autres et qui permettent de démontrer plus précisément que la politique d’extermination engagée par le pouvoir révolutionnaire à l’encontre de la Vendée ne se limite pas à la campagne militaire des colonnes infernales, mais commence bien avant, à l’automne 1793. Aussi, dans un second volet, ces mêmes documents permettent-ils d’introduire la notion de mémoricide avec les dimensions d’atemporalité et d’imprescriptibilité (voir Hélène Piralian-Simonyan, « Le mémoricide : un crime toujours à l’œuvre ? ») qui sont les caractéristiques de tous les génocides. Décryptage qui permet de mettre au jour l’actualité des effets dévastateurs du déni de ce génocide dans le présent des citoyens et la nécessité d’une reconnaissance officielle de celui-ci qui leur reconnaîtrait le droit à la douleur.

4Or, jusqu’à maintenant, les victimes de ce massacre avaient peine à se reconnaître comme telles et donc à demander cette reconnaissance, ce qui avait pour effet non seulement que ce génocide reste dénié, mais, pire encore, que la revendication de sa reconnaissance soit utilisée par certains penseurs, et non des moindres, comme exemple des demandes aussi injustifiées qu’usurpatrices du terme (voir, entre autres, les arguments de Pierre Nora ou Vladimir Jankelevich : www.genocide.fr/documents.htm ; consulté le 19/09/12). En effet, il semble que le génocide des Vendéens soit le seul dont les victimes soient désignées comme des coupables, et se vivent elles-mêmes obscurément ainsi puisque se revendiquer comme victimes équivaudrait, entre autres choses, à se désigner, au regard des autres, comme ennemis de la République et des droits de l’homme. Ce qui a pour conséquence de produire simultanément un surinvestissement des génocidés et la nécessité d’une présentification quasi permanente de ceux-ci pour les empêcher de disparaître, puisqu’ils ne sont recueillis ni tenus par aucune instance de reconnaissance collective (voir la symbolique du soldat inconnu : Jean-François Jagielski, Le soldat inconnu, Paris, Éd. Imago, 2005). Cette omniprésence des génocidés, produit d’un impossible deuil, vient en même temps empêcher ces descendants de percevoir les effets psychiques actuels destructeurs qu’engendre en eux la destruction dont leurs ancêtres firent l’objet. C’est cette destruction qui revient en boomerang au sein des familles, d’autant plus violemment que se trouvent occultés les liens de sens qui lient ces malheurs présents aux destructions massives des ancêtres. C’est alors que, d’une manière insensée, l’éternité reviendrait aux génocidés et la destructivité à leurs descendants. Le mémoricide entretient et maintient cette coupure des liens de sens entre le passé et le présent, la destruction des ancêtres et les malheurs familiaux, lesquels deviennent incompréhensibles. Ainsi les sujets qui ont été une première fois déstructurés, détruits, désarticulés et comme arrachés à leur humanité par les génocidaires, le sont-ils une deuxième fois par ceux qui entretiennent le mémoricide. Car c’est l’impossible construction d’un lieu collectif de réception que constitue la reconnaissance d’un génocide que bloque le déni et maintient le mémoricide, qui permet que la violence génocidaire puisse à l’infini se répéter.

5Par conséquent, ces descendants vivent dans une sorte d’exil à l’intérieur de frontières invisibles, là où vivent les génocidés, mais là aussi où la séparation d’avec eux, c’est-à-dire leur deuil, n’a pas été possible. Ceci les contraint à fusionner avec leurs ancêtres dans une temporalité abolie, fixés au temps du trauma génocidaire, là où la différence des générations mais aussi celle entre les sexes se trouvent comme effacées dans une indistinction qui les précipite les uns contre les autres en une proximité incestueuse, faute de repères, ceux constitués par la séparation des vivants et des morts, la succession des générations et l’interdit d’inceste. Cette sorte de proximité ne peut que les conduire à enfanter du même, donc des éternels survivants. C’est ce caractère, qui devient promiscuité, qui ne peut que produire des incestes comme des meurtres, mais aussi des enfants morts avant de vivre ou des suicides qui sont autant de retournements sur soi de cette violence génocidaire non reconnue ni par soi ni par la société, donc autorisée parce que non reliée à un espace collectif extérieur, qui serait garant de la loi et protecteur.

6Cette violence ne peut se maîtriser et disparaître qu’à partir de la prise de conscience de son sens au regard du génocide comme violence retournée contre soi, de celle que leurs ancêtres ont subie. Ainsi mettent-ils en scène, incarnent-ils ce qui est dénié, seule manière de montrer ce qui ne peut être dit ni à eux-mêmes ni aux autres. Ce qui pourtant est une impasse car cela n’est pas plus vu qu’entendu, ni par eux-mêmes ni par les autres. Dès lors, comment serait-il possible à ces descendants de participer à la vie collective, d’appartenir à une nation qui nie les morts qu’elle a causés et poursuit cette négation par un mémoricide qui maintient, jour après jour, ces génocidés dans l’inexistence. Comment le pourraient-ils sans se renier et devenir complices des complices de leurs bourreaux, c’est-à-dire des citoyens français qui, actuellement, persistent à soutenir activement ce mémoricide ? C’est pourquoi il est possible de comprendre que cette société vendéenne repliée sur elle-même tente désespérément de rester séparée de la société dite française, c’est-à-dire républicaine, en refusant ses symboles qui, pour elle, renvoie les Vendéens à ce qui est indissociablement lié à l’origine de leur destruction. Cette société vendéenne serait-elle alors une société endeuillée mais qui n’oserait pas dire sa douleur parce que son origine serait devenue inavouable, parce qu’irrecevable dans la lecture qu’en feraient « les autres » ? Telle est la force du mémoricide qui pèse sur les descendants des victimes du génocide des Vendéens et qui en paralyse la pensée. En effet, ce refus de voir et de savoir qui touche le lien de la Révolution à ce génocide a sans doute été payé du prix du déferlement des totalitarismes mondiaux du xxe siècle (Stéphane Courtois, « Historiens néo-robespierristes et mémoricide de la Vendée) sur lequel ces derniers se sont appuyés et qui a permis d’asseoir à la fois leur impunité et leur justification.

7Ce qui est essentiel à comprendre consiste, à partir d’un génocide et plus encore lorsque tous les protagonistes – victimes, survivants, témoins et bourreaux – sont morts, en ce qui produit la persistance de la destruction génocidaire est le mémoricide. Mais aussi que la société qui en est complice ne peut qu’être elle aussi affectée par cette violence entretenue et non symbolisée qui ne peut alors qu’apparaître en elle en des poches de violence dont le véritable sens reste, en miroir de la violence génocidaire, à la fois inconscient et inconnu. Peut-on alors comprendre et penser que sont légitimes et nécessaires, au salut public des citoyens français comme des Vendéens, les votes de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale visant à reconnaître officiellement le génocide vendéen et libellée ainsi : « La République Française reconnaît le génocide vendéen de 1793-1794 » comme la loi déposée au Sénat qui demande d’abroger les décrets d’extermination promulgués en 1793 à l’encontre de la population vendéenne (à ce sujet, voir La Lettre de l’association Vérité pour la Vendée, 29-30) ?

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Pour citer cet article

Référence papier

Hélène Piralian-Simonyan, « Reynald Secher, Vendée. Du génocide au mémoricide. Mécanisme d’un crime légal contre l’humanité »Questions de communication, 22 | 2012, 342-344.

Référence électronique

Hélène Piralian-Simonyan, « Reynald Secher, Vendée. Du génocide au mémoricide. Mécanisme d’un crime légal contre l’humanité »Questions de communication [En ligne], 22 | 2012, mis en ligne le 08 janvier 2013, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/7000 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.7000

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