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Notes de lecture
Culture, esthétique

Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique entre économie et morale

Paris, B42/Cité du Design, 2010, 85 p.
Vincent Hecquet
p. 327-328
Référence(s) :

Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique entre économie et morale, Paris, B42/Cité du Design, 2010, 85 p.

Texte intégral

1L’ouvrage d’Annick Lantenois traite des évolutions du design graphique, entendu comme le traitement visuel des énoncés, depuis les années 80. En analysant les productions graphiques du registre de la communication publique, notamment les affiches, écriteaux, identités visuelles des collectivités locales, l’auteur montre que les évolutions de leur style reflètent des changements dans la façon dont ces institutions se présentent et dans les relations qu’elles entretiennent avec le public. Au début des années 2010, avec l’essor des technologies, le designer graphique doit redéfinir son rôle dans un environnement inédit, fondé sur une extension des espaces numériques (d’où la métaphore du titre).

2Au tournant des années 80-90, de nombreuses municipalités renouvellent leur identité graphique en abandonnant leur blason traditionnel au profit d’un logo dessiné par une agence de communication. Ceci correspond à une nouvelle conception du projet que la ville prétend incarner et de son rapport à l’histoire. Le blason traduit l’enracinement de la collectivité dans la durée et sur un territoire. Il peut intégrer des éléments iconiques renvoyant à des époques différentes (végétaux, tour, roue dentée, etc.) signifiant la stratification du passé. Les logos des années 80, quant à eux, sont construits à partir de formes géométriques, intégrant bien souvent des traits et courbes symbolisant le mouvement. Ils ne présentent plus la ville comme un territoire enraciné dans l’histoire, mais comme un espace dont les qualités s’inscrivent dans le temps présent, l’essor, le dynamisme, la vitalité. Dans les blasons traditionnels, la forme et la symbolique sont communes entre les différentes cités, plaçant les habitants dans une communauté plus large, régionale ou nationale. À l’inverse, les logos dessinés pour les villes n’ont plus de codes communs. Ils se répandent en même temps que ceux dessinés pour les entreprises, entrainant une dissémination des identités et une mise en équivalence des acteurs publics et privés. Ces changements peuvent être liés à l’affaiblissement du sentiment d’appartenance, au recul des identités traditionnelles, à l’« épuisement des récits du devenir qui orientaient les pensées et les actions des hommes vers un futur meilleur que le présent ». L’incapacité à se projeter dans le futur et l’oubli du passé vont de pair avec l’hypersensibilité au présent. L’historien François Hartog a proposé, pour en rendre compte, la notion de « présentisme », qui désigne « l’évidence d’un présent omniprésent, l’expérience contemporaine d’un présent perpétuel, insaisissable et quasiment immobile ».

3Si le graphisme des années 90 reflète une inscription exclusive dans le temps présent, il témoigne encore d’une confiance en la capacité des institutions à organiser le social. Ceci apparaît bien dans le style désigné par la formule « graphisme d’utilité publique », qui s’impose suite à l’exposition « Images d’utilité publique » présentée en 1988 par le centre Georges-Pompidou et le Centre de création industrielle. Ce style privilégie la lisibilité par la simplicité des lettrages, la hiérarchie des messages, la mise en valeur du texte qui se détache nettement sur le support. Il peut être rattaché au courant fonctionnaliste du design, qui s’est développé dans les années 20-30 en Europe avant de se trouver relayé, dans les années 50, par la Suisse et l’école d’Ulm en Allemagne. Ce graphisme correspond à l’écriture d’une institution qui s’adresse à un destinataire archétypal, non à des publics différenciés. Le graphiste est perçu comme le détenteur de compétences objectives, permettant la transmission fiable et pertinente du message.

4Cependant, un renversement s’opère depuis la fin des années 90. En effet, un grand nombre de productions contemporaines se démarquent du style précédent en développant l’ornementation et en occupant largement l’espace du support, parfois au détriment de la lisibilité. Un bon exemple de lettrage sophistiqué est celui de l’identité visuelle adoptée de 2004 à 2009 par l’École nationale supérieure des arts décoratifs. En outre, l’utilisation de lettrages dans le style de l’écriture manuscrite, au tracé incisif pouvant évoquer les graffitis, est caractéristique du graphisme contemporain. C’est le cas, par exemple, des écriteaux conçus pour l’édition 2007 de l’exposition d’art contemporain « Documenta » de Kassel. Du point de vue esthétique, la tendance à l’ornementation comme la valorisation du tracé manuscrit peuvent s’interpréter comme une recherche d’originalité au moment où la généralisation des logiciels de composition risquerait de conduire à une production uniformisée. Il est tentant d’y voir le signe d’un nouveau stade de remise en cause des institutions et d’affaiblissement du collectif. En particulier, le tracé de style manuscrit suggère une écriture singulière, subjective et relative parmi d’autres tracés similaires. « Il n’y plus de récit de transcendance totalisant porté par le pouvoir fédérateur de transmission de l’écrit ». Un vide s’instaure ; l’ornementation et le tracé individuel peuvent apparaître comme des tentatives pour le combler.

5Au début des années 2010, le graphisme est confronté à l’enjeu nouveau du numérique. Le monde des objets dans lequel nous vivons est désormais accru avec plusieurs espaces numériques – internet, jeux vidéo, terminaux. Le designer doit apprendre à utiliser les technologies numériques. Plus profondément, il lui revient de concevoir les systèmes de repérage et de mise en forme de l’information dans un monde désormais étendu avec des environnements numériques. Une collaboration nouvelle doit donc être établie entre le designer et le programmeur, comme celle qui avait pu être nouée entre le designer et l’ingénieur au cours des années 20. Ainsi les designers contemporains ont-ils devant eux une mission essentielle, celle d’organiser la lisibilité du monde actuel, étendu par les environnements numériques.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Hecquet, « Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique entre économie et morale »Questions de communication, 22 | 2012, 327-328.

Référence électronique

Vincent Hecquet, « Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique entre économie et morale »Questions de communication [En ligne], 22 | 2012, mis en ligne le 07 janvier 2013, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/6980 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.6980

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Auteur

Vincent Hecquet

Insee, Paris
vincent.hecquet@insee.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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