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Notes de lecture
Sociétés

Marie Cartier, Les facteurs et leurs tournées : un service public au quotidien

Paris, Éd. La Découverte, coll. Textes à l’appui, 2003, 329 p.
Kristian Feigelson
p. 499-500
Référence(s) :

Marie CARTIER, Les facteurs et leurs tournées : un service public au quotidien, Paris, Éd. La Découverte, coll. Textes à l’appui, 2003, 329 p.

Texte intégral

1En 1949, le film Jour de fête de Jacques Tati, grand succès populaire de l’après-guerre, avait immortalisé l’icône du facteur en tournée. Esquissant déjà le cheminement d’un métier de proximité qui dérivait du rural vers l’urbain, le postier incarna une figure familière du paysage social. L’ouvrage de Marie Cartier renouvelle les centaines de travaux et thèses publiés à ce jour sur un sujet pourtant encore peu abordé sous l’angle des sciences de la communication. Comment comprendre aujourd’hui la fonction de facteur au cœur d’un processus de médiation ? Une tournée quotidienne de postier suppose 300 à 1 000 boites à lettres visitées. Près de 20 milliards de plis et objets sont acheminés chaque année dans les centres de tri. À partir d’une enquête sur le modèle de l’anthropologie sociale menée en immersion, de 1996 à 2000, à Mareil, en banlieue parisienne, Marie Cartier, enseignant-chercheur à l’université Paul Verlaine-Metz, croise le passé de ses interviewés et leurs conditions sociales. Elle pointe en profondeur les évolutions survenues depuis l’après-guerre, affectant un grand établissement public de 324 000 agents. Comme elle l’écrit en introduction : « La sociologie historique de ce groupe professionnel devrait permettre de réinterroger les décisions stratégiques des dirigeants de la Poste : est-ce une bonne idée de faire des facteurs des vendeurs ? Est-ce une bonne idée d’organiser la distribution quotidienne du courrier sur le modèle de la restauration rapide ? » (pp. 7-8). Plus encore, au travers des catégories de postiers, sa démonstration permet d’aborder la question de l’État vu du bas, en réexaminant les notions de classes populaires. Depuis 1946, les agents des PTT avaient été rattachés au statut général des fonctionnaires de l’État. Ici, la profession de facteur est envisagée comme un observatoire des pratiques populaires, en référence à l’ouvrage magistral de Richard Hoggart, La culture du pauvre (Paris, Éd. de Minuit, 1970). Clin d’œil aussi aux enquêtes prémonitoires menées, en 1950, par Michel Crozier, lesquelles annonçaient déjà une vision plus concrète de l’État.

2Après la période de stabilité des Trente Glorieuses (1945 à 1975), la Poste n’est plus « l’abri » d’une protection sociale privilégiée pour les groupes de postiers fragilisés par les transformations d’un capitalisme modernisateur (chap. 1 : « Des classes populaires honorables »). En 1983, la gauche au pouvoir, soucieuse de réduire les dépenses de la fonction publique, entame une politique de baisse des effectifs (près de 2,5 % par an), menée drastiquement jusqu’en 1993 (chap. 2 : « Des intermédiaires sociaux »). Des concours d’accès sélectifs à la profession sont mis en place. La Poste donne une extension nouvelle à la notion de prestation de service impulsant de nouveaux discours sur le management. En 1993, la notion de marché unique européen renforce ces tendances dans un univers financier plus concurrentiel. Paradoxalement, l’institution postale (se scindant de France Télécom) s’appuie aussi sur le savoir-faire administratif de ses agents pour avaliser ses réformes. Dans cet ouvrage, la notion de service public n’est pas directement abordée sous l’angle de la seule modernisation sociale. Marie Cartier restitue plutôt l’évolution de pratiques professionnelles au travers de portraits finement esquissés qui sont au croisement de trois générations de postiers (chap. 3 : « Les nouveaux facteurs »). Elles témoignent d’une identité collective prégnante au sens où l’entendait déjà Émile Durkheim. Une enquête menée en 1990 sur les 102 000 préposés des PTT confirmait leurs origines – majoritairement ouvrières ou rurales – et leur absence de diplômes. Ainsi l’ouvrage pose-t-il la problématique d’une tertiairisation de ces classes populaires. On pourra seulement regretter le peu de références à la problématique de l’acculturation et du déracinement chez des postiers qui, pour beaucoup, sont originaires d’outre-mer, et qui s’adaptent, avec plus ou moins de facilités, aux valeurs d’une administration se métamorphosant progressivement en entreprise. La féminisation de la corporation engagée dans les années 70-80, la déstabilisation et le déclassement du métier avec l’apparition d’une nouvelle génération, diplômée de l’université (à l’instar de la figure médiatique d’Olivier Besancenot), donne un nouveau visage à la fonction. Celle-ci ne relève plus du simple portage, le postier devenant « conseiller financier ». Concurrencée par le privé comme par l’internet, l’activité courrier (50 % de son chiffre d’affaire) décline et devient peu rentable.

3L’intérêt de l’ouvrage est de présenter l’ensemble de ces interactions à partir d’un creuset de références sociologiques. Croisant les notions de capital scolaire, culturel et social, pour renouveler les approches du travail, l’enquête se double toujours d’une réflexion épistémologique. À partir du recueil de données concrètes sur l’organisation d’un service public au quotidien, Marie Cartier pointe les contraintes techniques d’un métier, les stratégies d’acteurs et les demandes de l’institution. D’ici 2012, la moitié des effectifs devra quitter une entreprise qui fermera la moitié de ses bureaux pour, peu à peu, se transformer en véritable banque. Ainsi cette recherche se fait-elle l’écho des préoccupations actuelles concernant l’évolution dans la durée des services publics en France.

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Pour citer cet article

Référence papier

Kristian Feigelson, « Marie Cartier, Les facteurs et leurs tournées : un service public au quotidien »Questions de communication, 8 | 2005, 499-500.

Référence électronique

Kristian Feigelson, « Marie Cartier, Les facteurs et leurs tournées : un service public au quotidien »Questions de communication [En ligne], 8 | 2005, mis en ligne le 29 mai 2012, consulté le 15 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/5883 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.5883

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Auteur

Kristian Feigelson

CSTA/CNRS IRCAV, université Paris 3
kristian.feigelson@univ-paris3.fr

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