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Notes de lecture
Médias, journalisme

Jean-Claude Lefort, Chronique intempestive. De la télévision de proximité en Guadeloupe

Pointe-à-Pitre, Jasor, 2003, 134 p.
Vincent Hecquet
p. 478-479
Référence(s) :

Jean-Claude LEFORT, Chronique intempestive. De la télévision de proximité en Guadeloupe, Pointe-à-Pitre, Jasor, 2003, 134 p.

Texte intégral

1Jean-Claude Lefort a été rédacteur en chef du service « Culture Société » à RFO Paris et de la radio RFO Guadeloupe. Dans cet ouvrage, il présente une analyse et un projet pour les médias d’outre-mer et revient sur quelques événements qui ont marqué la société guadeloupéenne. Jean-Claude Lefort part du constat de la baisse d’audience de la télévision et de la radio publiques dans les départements d’outre-mer (DOM) : la concurrence ne vient pas tant des grands réseaux privés (TF1, M6…) que de télévisions et de radios privées locales, aux moyens bien inférieurs, et dont la technique confine parfois à l’amateurisme. En Guadeloupe, existent notamment les télévisions Canal 10 et Archipel 4, les radios Média Tropical ou Radio Caraïbes International, à la Réunion, Radio Free Dom… Le succès de ces médias tient à ce qu’ils satisfont une aspiration du public quant à une information de proximité, et qu’ils prennent le temps de retransmettre des débats portant sur la vie locale. Face à eux, RFO souffre de la contradiction entre des exigences techniques et des moyens limités. Par exemple, la chaîne publique a renoncé à retransmettre le tour cycliste de Guadeloupe, finalement diffusé par Archipel 4 et Média Tropical, avec certes de fréquents problèmes techniques, mais aussi un très grand succès. De plus, par ses contraintes budgétaires, RFO en arrive parfois à l’incohérence, des émissions ambitieuses voisinant avec les soap opera du milieu de journée ! Jean-Claude Lefort souhaite le développement de nouvelles télévisions de proximité, éventuellement soutenues par les collectivités locales et qui permettraient d’enrichir l’information locale, de renforcer le dialogue entre habitants, de rapprocher citoyens et élus. Ainsi lui semble-t-il essentiel de voir ces chaînes se montrer davantage soucieuses de qualité et de rigueur journalistiques que les télévisions locales actuelles.

2Les dérives de certaines télévisions locales sont particulièrement illustrées par ce qui, en Guadeloupe, fut appelé l’affaire Ibo Simon. Ancien chanteur rasta aux textes satiriques, Ibo Simon est au début des années 90 l’animateur vedette de la chaîne Canal 10. Maniant la provocation, l’autodérision et le style populiste, il fut élu sur ses propres listes au conseil municipal de Pointe-à-Pitre en 1995, au conseil régional en 1998, puis réélu au conseil municipal de Pointe-à-Pitre en 2001. Durant des années, il attaque quotidiennement les immigrés haïtiens et dominiquais, qualifiés de « racaille », de « chiens » et d’« indésirables ». Le dimanche 22 juillet 2001, un meeting sur l’« exclusion nécessaire des indésirables » est suivi d’une opération coup de poing retransmise sur Canal 10, au cours de laquelle une famille dominiquaise (de 9 enfants), en retard de paiement de loyer, est jetée à la rue par une foule hostile. Déjà mis en examen en avril 2000 dans une affaire d’agression sexuelle, Ibo Simon avait, lors de la publication de l’ouvrage chroniqué ici, de la vie politique et médiatique. En février 2002, il a été déchu de ses mandats et condamné à une peine de prison avec sursis pour incitation à la haine raciale. Pourtant, au cours de l’été 2005, son retour était annoncé sur une chaîne associative de Basse-Terre, Eclair TV. Un fait qui illustre avec acuité l’actualité des questions soulevées par Jean-Claude Lefort. La télévision de proximité, dont il souhaite le développement, est aussi celle qui diffuse des programmes dont il montre le caractère contestable. Un caractère non démenti par Michel Rodriguez, président et éditorialiste de Canal 10 qui, lors d’un entretien avec l’auteur, prétend ne rien regretter et défend même l’idée d’une télévision sans journaliste.

3En outre, Jean-Claude Lefort présente la société guadeloupéenne comme marquée par des enjeux analogues à ceux des pays développés : l’abondance et la consommation s’accompagnent d’un chômage élevé, d’une montée de la solitude, de l’insécurité… Dans une optique assez moderniste, il brocarde certains blocages (l’éparpillement des chambres de commerce et d’industrie…), salue l’entrée des femmes en politique et défend l’usage du français et du créole dans les médias. Parfois, il accompagne son propos de termes fortement connotés qui attestent d’une ouverture aux idées autonomistes (« pesanteurs néo-coloniales », « confettis de l’empire »). Sur le plan économique, Jean-Claude Lefort s’alarme des risques que la mauvaise organisation des transports et les atteintes à l’environnement font peser sur le tourisme. Une dimension qui peut davantage prêter au débat et à la critique. Et si l’analyse de l’auteur a le mérite de faire ressortir les mutations de la société et de l’économie guadeloupéennes, elle opère une assimilation au contexte des pays développés occidentaux qui peut sembler excessive. Selon les chiffres de l’Insee, la Guadeloupe compte encore 41 % d’actifs n’ayant aucun diplôme, contre 16 % en métropole ; le taux de chômage y atteint 24,6 % contre 10,2 % en métropole.

4De même, d’autres questions abordées, comme le droit des femmes ou la délinquance, se posent dans des termes très différents de ceux des sociétés occidentales. De surcroît, les perspectives tracées pour l’écotourisme paraissent par trop optimistes. Enfin, on peut regretter que ne soit pas abordée la grave question du déclin des villes de Guadeloupe qui, comme dans les autres départements d’outre-mer, sont confrontées à un exode des classes moyennes dont l’ampleur est nettement plus accusée que pour des villes de taille comparable de métropole. En résulte une ségrégation sociale accrue, les villes concentrant de plus en plus d’habitants en situation précaire. Cette tendance est aussi génératrice d’étalement pavillonnaire, congestion des routes, besoins croissants d’équipements, difficultés des communes à maîtriser les finances publiques…

5En dépit de ces réserves, les analyses de Jean-Claude Lefort sur la société et l’économie guadeloupéennes méritent attention. La part revendiquée de subjectivité entre pour beaucoup dans l’agrément de la lecture. Les conséquences du modernisme, la dénonciation des blocages économiques et sociaux, l’identification aux sociétés développées sont assez représentatives du discours tenu par les nouvelles générations de décideurs guadeloupéens. Surtout, l’ouvrage constitue une analyse motivée et convaincante des enjeux de la télévision d’outre-mer, dont certaines évolutions sont nettement préoccupantes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Hecquet, « Jean-Claude Lefort, Chronique intempestive. De la télévision de proximité en Guadeloupe »Questions de communication, 8 | 2005, 478-479.

Référence électronique

Vincent Hecquet, « Jean-Claude Lefort, Chronique intempestive. De la télévision de proximité en Guadeloupe »Questions de communication [En ligne], 8 | 2005, mis en ligne le 29 mai 2012, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/5822 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.5822

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Auteur

Vincent Hecquet

Université Paris 3
Vincent.Hecquet@insee.fr

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