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Notes de lecture

Olivier Donnat, Paul Toila, dirs, Le(s) public(s) de la culture

Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 393 p.
Maria Pourchet
p. 356-358
Référence(s) :

Olivier Donnat, Paul Toila, dirs, Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 393 p.

Texte intégral

1La critique de la culture (de masse) propose un terrain assez rare où conservateurs et progressistes se retrouvent autour d’une cause partiellement commune. Le thème d’une paupérisation de la culture et des esprits, conduite par les sournoises « industries culturelles », rassemble des théories critiques opposées, celles de Theodor Adorno et de l’école de Francfort et celles des gardiens de la pureté d’une culture élitiste sacralisée. Quant au sociologue Pierre Bourdieu, dont les conclusions s’abandonnent à la magique explication des déterminismes sociaux, reconnaissons qu’il appuie son échelle d’observation contre un mirador qui ne permet pas de percevoir, ne serait ce que confusément, l’individu, exclu de toutes les manières et depuis Émile Durkheim, de la discipline. Aussi, pour s’en défaire, d’autres analystes, peu portés sur la vérification, chantent-ils la vision irénique d’une société qu’un citoyen libre de codes et de cadres culturels parcourt en acteur de lui-même. À leurs côtés, des chercheurs prônant la « défaite de la pensée », enferment la question des publics de la culture dans une certainement fausse alternative : à qui ne saurait reconnaître la bourdivine théorie s’offre à titre de distinction, celle du relativisme culturel absolu… La carrière bibliographique est abyssale qui s’ouvre aux pieds de cette controverse (que sont nos rapports à la culture ? sur quoi se fondent nos pratiques ?), mais de satisfaction point. Enquêtes descriptives, sondages, essais comptables se sont additionnés, si bien que l’on pourrait assister à quelque saturation des études de publics et de « clientèle » culturelle ; si bien que l’on voudrait s’interroger : l’analyse descriptive, de nature socio-démographique aurait-elle atteint ses limites ? La régulière et quasi biblique enquête d’Olivier Donnat sur les pratiques culturelles des Français (Département des études et de prospective), de progressions millimétriques en aveu de permanence des mêmes écarts et hiérarchies, en réitérations fatiguées des toujours identiques disparités sociales et géographiques… autorisent à penser que l’enquête à échelle nationale serait devenue, par les contraintes même de sa méthodologie, un outil inapte à capter des transformations pour elle désormais furtives, désormais trop subtiles, trop « spécifiques » dirait Antoine Hennion. À cet égard ne serait-il pas scientifiquement fondé d’attendre des sociologues l’expression d’une mise en cause ? Nous pourrions être comblés… Car à la question comment continuer de rendre raison sociologique (et statistique toujours) des singularités individuelles, de la diversité des usages, des goûts et des itinéraires culturels, du jeu complexe des petits facteurs non identifiables, etc., sans régresser vers une psychologisation des rapports sociaux, répondent, de concert, deux récents ouvrages, l’un de Bernard Lahire (La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, Éd. La Découverte, 2004), l’autre que dirigent Olivier Donnat et Paul Toila. La solution qui pourrait s’en dégager prend la forme d’un programme d’interrogations adapté à cette complexité, mieux d’un modèle théorique, outils pour chercheurs refusant d’être seulement hommes du commentaire des moyennes et des grandes statistiques. Si seul le second ouvrage fait l’objet de la présente chronique, il nous paraît nécessaire d’évoquer, même fugitivement, le travail de Bernard Lahire qui s’inscrit justement et judicieusement dans cette perspective de rénovation de l’examen des usagers de la culture en France. Hétérodoxe à l’égard des doctrines de Pierre Bourdieu, mais revenant parfois vers lui, comme vers Émile Durkheim et Norbert Elias, celui-ci propose une critique nuancée de la théorie de la légitimité culturelle et de l’habitus, en considérant « le monde social à l’échelle individuelle », plus précisément les variations significatives dans la pratique culturelle observée chez le même individu. Variations « dues à des patrimoines individuels de dispositions plus ou moins hétérogènes » (p. 119). La minutie de ces « instantanés » sociologiques viendra parfaire, achever ou précéder la lecture de Public(s) de la culture, enquêtes qui, pour exhausser l’analyse de la culture administrée, laissent de côté les pratiques domestiques de celle-ci.

2L’ouvrage est l’aboutissement d’un colloque éponyme (novembre 2002) et place la question des publics face au fait culturel sur le terrain d’une heureuse sociologie qui ne refuse pas de se laisser investir par les sciences politiques, l’histoire ou les sciences dites « de la gestion ». Ses deux volumes articulent quatre thématiques. Pour commencer et pour « situer », un exposé des principaux effets des mutations et transformations de ce qui fut « appareils idéologiques d’État » – et dont certains demeurent perçus comme véhicules premiers et désignés de la culture (école, famille…) –, du travail, de la sociabilité. À cet endroit, on soulignera la richesse d’un article généraliste narrant les tribulations de l’école en France, du modèle républicain à l’enseignement démocratique de masse. De la disparition de l’un par excès de malthusianisme et des risques encourus par l’autre du fait de « l’inflation » de diplômes toujours plus dévalorisés, l’auteur regrette de conclure au déclin d’une institution. Ensuite sont confrontés à l’imaginaire des publics de la culture (comme ceux du TNP, du festival d’Avignon…) transportés par les artistes et les responsables politiques, la réalité de ceux vérifiés par les enquêtes de fréquentation. Ici, les résultats issus de l’observation du « cas Avignon » éclaire le problème – étendu dans le champ de la création artistique – de la perception des instances réceptrices : on dénonce une image foncièrement idéologisée d’un public otage de tous les discours, et ce, malgré l’incantatoire et perpétuelle promesse d’un renouvellement d’une audience vieillissante par le bel élan d’une action culturelle réfléchie. Mais il semble, ironise le chercheur, qu’il soit plus aisé et meilleur marché de « renouveler les idéologies sur le public que de renouveler le public des idéologies » (p. 186)… Plus tard, l’incontournable réflexion critique autour de la pertinence des analyses de Pierre Bourdieu discute la sociologie de la culture et plus spécifiquement la question de la légitimité. Enfin, est recensé l’ensemble des secteurs et équipements culturels, à travers les parcours et « arts de faire » inédits qu’y activent les usagers, atomes originaux de groupes-publics.

3Bien entendu, les quatre entrées dans le même énoncé augmentent ce dernier d’une pluralité de communications pertinentes qui, pour beaucoup d’entre elles, mériteraient que l’on s’y attarde. Toutefois, une ombre au tableau des attentes qui préexistait à cette lecture : à l’heure de la culture de flux et de flux médiatique ou de la dématérialisation des supports, pourquoi pareil programme s’arrête-t-il à la fréquentation des seuls et traditionnels équipements de la culture urbaine (théâtres, musées, bibliothèques) ? N’y a-t-il pas là comme un plébiscite inconscient de la culture légitimée ? Il arrive que le vieux rasoir d’Okham ait des vivacités dommageables. C’est là que Bernard Lahire – qui reconnaît en la télévision une pièce maîtresse dans la construction actuelle des profils culturels dissonants – prend la relève du discours sans tendre, précisons-le, vers aucune forme de néo-populisme.

4En dehors, et peut-être au-delà des avancées marquées en matière de connaissance des « agirs » culturels publics, ces actes ont un avantage méthodologique dont les jeunes chercheurs apprécieront le précieux caractère de transférabilité. En effet, ils mettent en évidence la diversité des approches possibles et des schémas interprétatifs mobilisables dans toute occurrence scientifique où les données d’enquête demandent à être interprétées. Au cœur d’un bilan critique disciplinaire, ils rappellent ou mettent au jour des tensions consubstantielles à la sociologie, tensions singulières relatives à l’objet entre « public inventé », « public constaté » et « public idéal », mais aussi tensions larges, propres aux sciences sociales, entre volonté de modélisation, d’explication de faits, de mesure d’une part et approche compréhensive d’états et comportements (à la manière de Bernard Lahire), refus de réduction, d’autre part. Le défi lancé aujourd’hui à la sociologie, celle des publics surtout, tient bien en ceci que résume Antoine Hennion, collaborateur de l’ouvrage : « Comment, sans renoncer aux acquis de la sociologie critique, rendre l’analyse plus sensible aux pratiques réelles et aux rôles actifs de ce qui se présente moins comme un public que comme un éventail varié de milieux, d’usagers, d’amateurs ? » (p. 20). On sera sensible à l’évolution éminemment positive, depuis les années 60, de cette perspective de recherche.

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Pour citer cet article

Référence papier

Maria Pourchet, « Olivier Donnat, Paul Toila, dirs, Le(s) public(s) de la culture »Questions de communication, 6 | 2004, 356-358.

Référence électronique

Maria Pourchet, « Olivier Donnat, Paul Toila, dirs, Le(s) public(s) de la culture »Questions de communication [En ligne], 6 | 2004, mis en ligne le 16 mai 2012, consulté le 19 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/4602 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.4602

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Auteur

Maria Pourchet

CREM, Université de Metz, mariapourchet@hotmail.com

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