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Notes de lecture
Médias, technologies, information

Philippe Viallon et Elizabeth Gardère, Médias dits sociaux ou médias dissociants ?

Clara Galliano
p. 627-633
Référence(s) :

Philippe Viallon et Elizabeth Gardère, Médias dits sociaux ou médias dissociants ? Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2020, 192 pages.

Texte intégral

1Par le titre à forme interrogative, les auteurs tentent de cerner le caractère social ou dissociant des médias sociaux en faisant un état des lieux, voire un bilan, assez substantiel. Dès les premières pages, Philippe Viallon et Elizabeth Gardère rappellent l’évolution des médias sociaux, le temps hebdomadaire passé sur ces derniers, ainsi que l’histoire d’internet. Le Web est un sujet tendu entre utopie (gratuité, liberté, empowerment) et réalité (technique, usages). Les perspectives de recherche sont ensuite annoncées grâce à la mobilisation de plusieurs références francophones en sciences de l’information et de la communication (SIC). Un paragraphe est alors consacré à l’explication des supports numériques d’information (réseaux, sociaux, réseaux sociaux numériques, médias sociaux, plateformes…) et leurs différentes appellations. Le terme retenu ici est « médias sociaux ». Il regroupe les plateformes, les forums, les blogs et les sites internet ; une précision est aussi apportée sur la notion de « média ». L’introduction (p. 5-14) se termine par la dimension contradictoire entre individualisme et sociabilité : est-ce que les médias sociaux encouragent les liens entre les individus ou, au contraire, est-ce que les individus s’enferment dans des bulles ?

2Le premier chapitre est consacré à l’évolution des médias et des réseaux sociaux de 1960 à 2020 (p. 15-30). En revenant sur les fondamentaux, les auteurs dressent un historique des techniques de communication directe, illustré par la Citizen band et le Minitel. S’ensuivront des années plus tard : Arpanet, SixDegrees.com, Facebook, LinkedIn, YouTube, Flikr, WordPress, Twitter, Snapchat… transformant peu à peu le World Wide Web en Web 2.0, davantage interactif. Puis les termes « informatique », « numérique » et « digital » sont définis, chacun étant le support et l’évolution de l’autre, afin de mettre fin aux amalgames. À ces termes correspondent trois séquences (ou cycle d’information) : les médias sociaux, les réseaux sociaux et les utilisateurs-contributeurs. Pour évoquer les réseaux sociaux, les auteurs n’hésitent pas à se référer à la mythologie grecque en citant les GAFAM – les plus grosses entreprises du numérique et de l’électronique Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. La communication sur les réseaux sociaux permet aussi la création d’un lien à l’échelle du collectif, unifiant les membres d’un groupe (le mythe) tout en les dissociant du temps présent (le rite), à la recherche de la légitimité. On parle alors de communication rituelle et de réseau réticulaire.

3Les médias sociaux s’inscrivent dans un écosystème longuement étudié par les SIC. Le deuxième chapitre, davantage théorique, confronte l’histoire des médias à plusieurs courants de pensée (p. 31-44). De la hiérarchie platonicienne à la rhétorique antique d’Aristote et Cicéron, de l’esprit critique des penseurs des Lumières à la théorie contractuelle de John Locke, en passant par la sociologie de l’École de Chicago et la communication de masse : chaque énoncé est illustré par une théorie visant à mieux comprendre les médias sociaux. Pour cela, les auteurs n’oublient pas d’énumérer les concepts majeurs : la boîte noire et le feedback (Norbert Wiener), le schéma de la théorie mathématique de la communication et l’entropie (Claude Shannon), les gate-keepers (Kurt Lewin), la communication à double étage (Paul Lazarsfeld et Elihu Katz) et l’agenda setting (Maxwell McCombs et Donald Shaw). Ensuite, cette chronologie des théories conduit le lecteur à découvrir les travaux des chercheurs de l’École de Palo Alto, repris ultérieurement par Yves Winkin avec la communication orchestrale (p. 38). Cette école de pensée a permis de considérer d’autres éléments dans le processus de communication (le paraverbal, la kinésique, la proxémique, le temps, les relations interculturelles) et de développer de nouvelles notions (la « métacommunication » et les quatre dimensions de l’organisation sociale). Enfin, d’autres mouvements théoriques sont abordés à travers le structuralisme (liens forts et liens faibles selon Mark Granovetter), le constructivisme (Gregory Bateson et Paul Watzlawick) et les cultural studies (Richard Hoggart).

4Le chapitre suivant oriente cette fois-ci vers une tout autre problématique, en rapport à l’écologie environnementale (p. 45-54). Les avis concernant les causes du réchauffement climatique ne sont pas unanimes, même si la majorité considère que les gouvernements doivent réagir en urgence pour que les changements s’opèrent au niveau des industriels et des citoyens. Ici, les auteurs questionnent la place des nouvelles technologies dans cette lutte écologique et environnementale. Pour répondre à ce problème, six éléments sont exposés, à charge et à décharge des médias sociaux. Dans un premier temps, la consommation énergétique des réseaux est pointée du doigt, notamment à cause de l’infrastructure nécessaire au fonctionnement d’internet. L’effet des usages numériques permis par la 5G peut aussi accentuer la consommation des réseaux et des serveurs. Cependant, les serveurs doivent répondre à des besoins colossaux, en particulier pour le stockage des données dans des data centers qui demandent là aussi une nouvelle consommation pour refroidir les bâtiments abritant les processeurs. Ce développement permanent des techniques (photographie, vidéo, mails) et de leurs usages (streaming) conduit à de nombreuses formes d’obsolescence. En parallèle, et grâce à une démarche collaborative, des applications ont été développées dans différents domaines pour économiser de l’énergie (Waze pour le guidage routier, Too good too go pour le gaspillage alimentaire ou encore Yuka pour l’évaluation des produits cosmétiques et alimentaires). Puis, pour revenir sur la nécessité d’installer la 5G, il existe également le concept du network slicing qui consiste à découper virtuellement le réseau physique en plusieurs réseaux logiques. Dans le monde du travail, l’alternative du distanciel est aussi une piste à privilégier pour les réunions et les collaborations. À la fois pour son confort, sa praticité et le gain de temps procuré, il ne faut pas négliger les avantages offerts par la technique.

5Les médias sociaux ont bouleversé les usages des internautes et leurs représentations sociales. Cette « révolution », qui touche à bien des valeurs de l’être humain, est l’objet de ce chapitre (p. 55-70). D’abord, la temporalité est impactée : l’information est accessible et instantanée, le rapport espace-temps est modifié. Malgré certains freins (culture, langue, identité), cet espace n’a plus de frontière géographique et physique rendant virtuellement le monde « à portée de tous » (p. 59). À l’inverse, la dématérialisation a avantagé les entreprises pure players qui ont préféré réinvestir l’espace (comme Free) en ouvrant des boutiques dans les centres-villes : c’est le phénomène de la « phygitalisation ». Si les réseaux sociaux ont été initialement développés pour les internautes, aujourd’hui Facebook est aussi utilisé par les entreprises, les associations et les collectivités territoriales à travers des comptes officiels ou des pages, notamment pour sa dimension unificatrice. Ces médias sociaux permettent de brouiller les pistes entre le réel et le virtuel, même si ces deux termes ne sont pas opposés. Les chercheurs évoquent les « bulles de filtres » ou « chambre d’écho » pour souligner cette relation entre réalité et virtualité chez les jeunes, à partir du fonctionnement des algorithmes des médias sociaux qui enferment les individus dans un monde construit à leur image, les privant d’accéder à d’autres contenus. Le combat entre l’information et la communication est également remis au goût du jour, en particulier avec le phénomène des fake news, d’où la nécessité de vaincre « l’incommunication » (p. 62). La limitation entre la sphère privée et la sphère publique a permis aux internautes de se façonner une identité numérique ou une e-réputation, jouant entre intimité et extimité. Les médias sociaux favorisent l’individualisme (le selfie) et la culture participative (cyber volontariat).

6Le cinquième chapitre traite des modifications fondamentales apportées par les médias sociaux dans les échanges économiques (p. 71-84). L’économie des médias sociaux fait partie de l’économie du numérique : elle concerne tous les domaines, bouleverse le schéma pyramidal (top down) et comporte un caractère novateur. C’est un marché multiface et plusieurs néologismes ont été développés par la suite. En référence à la culture du libre et au concept d’open source, l’économie du bien commun s’intéresse à la mise en commun d’outils et de leur production (à l’image de Wikipédia). En parallèle, l’économie du partage repose sur une extension, voire une systématisation, de l’offre et la demande, ou encore le don contre don. En conséquence, l’essor des plateformes numériques a fait émerger le phénomène « d’uberisation » et une forme de prolétariat (p. 76). Ce sont la relation et l’expérience qui expliquent le succès de ces médias sociaux. L’économie du clic (digital labor) a été étudiée dans les pays développés et à faible niveau de vie. Elle concerne des tâches peu qualifiées, répétitives (la modération, le classement, répondre à des sondages en ligne, traduire des morceaux de texte, etc.) mais possède une dimension économique et symbolique. À l’inverse, l’économie de la donnée alimente la vision utopique de la gratuité d’internet car, en réalité, la publicité et la récole de données sont les principaux moyens de financement. L’économie de la confiance est fondée sur l’attention et le temps consacrés par l’internaute, alors que la défiance est caractérisée par les comportements des internautes (théories du complot, messages de haine, infox, etc.). L’économie de la connaissance se rapporte quant à elle à la recherche et au développement, l’innovation, l’éducation ainsi que les technologies de l'information et de la communication. Ces données sont souvent centralisées dans des bases ouvertes au public, s’inscrivant dans le même courant que l’accès aux résultats scientifiques.

7La surinformation, les fake ou ghost news et l’économie souterraine numérique des médias (dark Web) tuent la liberté d’expression. Les notions de preuve et d’espace public sont alors critiquables, c’est pourquoi la régulation et la règlementation sont abordées dans le chapitre « Réseaux sociaux : usages dérégulés et réglementations » (p. 85-98). En France, la protection individuelle des données numériques offre aux citoyens un droit d’information, d’accès, de correction et de suppression, notamment avec la loi informatique et libertés complétée par la loi sur la communication des documents administratifs. Mais, depuis, le cadre réglementaire s’est renforcé : l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et l’Autorité de régulation des communications électroniques ont un pouvoir de surveillance des réseaux sociaux, la Commission nationale de l'informatique et des libertés garantit la conformité des données, le règlement général sur la protection des données encadre le traitement des données personnelles. À une échelle plus large, les lois NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) et [Clotilde] Valter (2015), ainsi que la loi pour une république numérique (2016) encouragent l’accessibilité de tous aux documents administratifs gratuitement et l’innovation numérique. Quant à la loi [Laetitia] Avia de 2019, elle s’étend au périmètre du cyberharcèlement. À l’échelle européenne, la public sector information directive datant de 2003 est révisée en 2013, dans le périmètre de la réutilisation des données. Le domaine du journalisme a aussi été sujet à une démarche collaborative pour lutter contre les fausses informations, notamment dans le cadre du projet CrossCheck en 2017. D’autres pays ont adopté des mesures et possèdent leur propre cadre juridique, mais il s’agit de les harmoniser au niveau mondial. Le caractère addictif des réseaux sociaux et des applications, par l’intermédiaire des écrans, pose également question, car ceux-ci provoquent chez les usagers des symptômes psychosociaux. Lorsque les projets de loi n’aboutissent pas pour protéger les usagers, ce sont des initiatives collectives qui sont imaginées pour pallier ce manque (Netiquette, Brizzly). Malgré les règlementations, le bilan reste mitigé et la population doit faire preuve d’autodiscipline (p. 96-97).

8Au-delà de cette règlementation, il est question de régulation sociale. Ainsi, l’internaute n’est-il plus un simple lecteur assertif et passif mais un contributeur engagé capable d’initiatives. Le septième chapitre propose de s’intéresser à la citoyenneté régulée (p. 99-114). Pour rappel, le Web crée un maillage de diffusion complexe et hétérogène entre navigateurs, liens hypertextuels et sous-réseaux (deep Web) utilisant des protocoles différents pour échanger les informations, tandis que les réseaux sociaux développent un maillage officieux de transfert de l’information. Plusieurs dimensions de la régulation de la société sont alors analysées : le degré de formalisation et de codification, ceux de finalisation, de prise de conscience et d’intériorisation, puis de délégation. Dans l’écosystème d’internet, la notion de citoyenneté n’est plus appropriée, et par automatisme, un lecteur est contributeur. Pour autant, le civisme est de mise. La théorie de la régulation sociale combine le contrôle et l’autonomie tout en se fondant sur le conflit, la règle et la négociation. Il faut alors distinguer la régulation produite par les contributeurs et celle des dirigeants des plateformes. Les réseaux sociaux sont à l’interface entre la thèse « utilitariste » et « culturaliste ». La régulation du réseau social passe par la sociabilité et la conservation des valeurs primordiales d’un groupe par le contributeur, mais c’est la responsabilisation des dirigeants qui semble être la bonne voie.

9Pour sa part, le chapitre qui suit aborde les médias sociaux au prisme des entreprises et de leur capacité d’évolution (p. 115-128). Afin de faire face à l’hybridation des usages professionnels et personnels permettant une intrusion incessante des flux privés en entreprise, un Code du travail numérique a été annoncé en 2020. À l’inverse, les réseaux sociaux permettent aux entreprises de gérer une triple relation : entreprise-citoyen, citoyen-entreprise, entreprise-entreprise et d’obtenir une vitrine. Pour ce qui est de la forme organisationnelle, on parlera d’entreprise-réseau même si la dématérialisation prend le dessus sur l’entreprise, fragmentant la hiérarchie au détriment des relations interpersonnelles. Il existe quatre formes d’entreprises réseaux : réseau au marché interne ; au marché vertical ; le réseau inter-marché concentrique et le réseau d’opportunité. Cette notion ne doit pas être confondue avec le réseau d’entreprise qui permet de faciliter la communication entre les employés et les partenaires : on parle de réseau social d’entreprise (RSE) comme un outil de management et de fédération des équipes. Cependant, le RSE présente des risques et le droit à la déconnexion pour éviter les dangers est requis. Dans une autre mesure, le réseau social professionnel s’adresse lui aux citoyens (tels LinkedIn, Viadeo). Les postes de community manager et de Social Media Manager sont essentiels dans la constitution d’une stratégie d’inbound marketing. Le contributeur est incité à se créer une image, une identité : c’est la tendance du personal branding.

10Enfin, le dernier chapitre recense les domaines professionnels impactés et les métiers créés suite au développement des médias sociaux (p. 129-144). Ces métiers comportent plusieurs caractéristiques : l’autoformation, la culture participative, la taille des structures, l’évolution des savoirs et des techniques. Par conséquent, l’informatique, l’information-documentation, la communication, le marketing et la formation sont les domaines les plus touchés par les métiers en lien avec le numérique et les médias. Pour illustrer, on citera les métiers de documentaliste, d’archiviste, de développeur, d’administrateur de réseaux, d’éditeur, d’influenceur, etc.

11Au total, les auteurs rebattent les cartes en reprenant les grandes lignes de l’ouvrage (p. 145-152). D’abord, le capital numérique a un effet positif sur les gains de productivité globale de l’économie mais les intentions de collecte des données à des fins marchandes ne sont pas explicites. Ensuite, le lien social est recomposé : les médias sociaux font partie d’une expérience continue enrichie de la réalité et stimulée par la virtualité. Il est aussi reprécisé que l’informatique, le numérique et le digital sont chacun le support, le medium et l’évolution des uns vers les autres. Puis, la liberté d’expression et le libre arbitre du citoyen sont confrontés aux règles des réseaux sociaux, pouvant entraîner des dérives, quand il s’agit de régulation, au détriment du contributeur (censure active). Dans l’univers professionnel, les entreprises sont aussi concernées par les réseaux qui leurs demandent une réorganisation interne organisationnelle. En somme, le modèle réticulaire du média se renouvelle sans cesse, garantissant le caractère social, non dissociant et répondant brièvement à la question en titre de l’ouvrage.

12En dernier lieu, soulignons les apports de cet ouvrage, ainsi que ses limites. Pour commencer, le style d’écriture et la taille des chapitres offrent une lecture fluide et agréable en dépit des sujets trop « survolés ». Par exemple, l’éducation aux médias et à l’information est simplement citée dans le chapitre 4, alors qu’elle mérite d’être approfondie, notamment en mobilisant les travaux d’Anne Cordier, ou encore ceux de Maud Pélissier dans le chapitre 5 sur les biens communs. Cependant, saluons la bibliographie très dense et les références supplémentaires, majoritairement récentes et en SIC, ajoutées à la fin du livre (p. 153-185). En tout cas, cet ouvrage sera plutôt considéré, en raison du manque d’approfondissement dans les sujets mentionnés, comme un « manuel » qui s’adresse aux universitaires et aux étudiants (niveau Master et Doctorat), afin de passer en revue l’histoire des médias sociaux et les concepts qui gravitent autour.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clara Galliano, « Philippe Viallon et Elizabeth Gardère, Médias dits sociaux ou médias dissociants ? »Questions de communication, 45 | -1, 627-633.

Référence électronique

Clara Galliano, « Philippe Viallon et Elizabeth Gardère, Médias dits sociaux ou médias dissociants ? »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 03 juillet 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/36093 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wz4

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Auteur

Clara Galliano

Université de Toulon, Imsic, F-83000 Toulon, France clara.galliano[at]univ-tln.fr

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Droits d’auteur

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