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Notes de lecture
Médias, technologies, information

Simon Ngono (dir.), L’Économie des médias et le numérique en Afrique

Idé Hamani
p. 611-616
Référence(s) :

Simon Ngono (dir.), L’Économie des médias et le numérique en Afrique, Saint-Denis (La Réunion), Presses universitaires indianocéaniques, 2021, 208 pages.

Texte intégral

1Le développement technique et technologique des médias en Afrique subsaharienne a un impact aussi bien sur les pratiques professionnelles que sur les usages des publics et requiert une adaptation des supports médiatiques, des professionnels et des populations. C’est dans ce contexte que l’ouvrage collectif dirigé par Simon Ngono, spécialiste des médias et des industries culturelles en Afrique, aborde les bouleversements induits par les technologies numériques dans le domaine de la presse en Afrique francophone. C’est une entreprise collective éditoriale originale qui présente des résultats de nombreuses enquêtes, dont les méthodologies d’analyse sont rigoureusement maîtrisées par les auteurs. Les différentes contributions se fondent sur des enquêtes menées sur place et en ligne dans une approche pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales (SHS) et permettent de comprendre les enjeux socio-économiques des médias dans le contexte politique actuel des usages numériques en Afrique.

2L’ouvrage est composé de huit chapitres structurés en trois grandes parties. La première partie, « Reconfigurations des logiques d’organisation, de production et de diffusion des médias classiques à l’ère numérique » (p. 19-65), étudie les nouveaux dispositifs de production et la qualité des contenus médiatiques, ainsi que leur rentabilité économique. Honoré Kahi, chercheur en communication pour le développement et des usages sociaux du numérique, relève à cet effet les pratiques sur internet et les enjeux économiques en rapport avec la presse écrite en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso à partir de données empiriques. Il interroge les nouvelles méthodes d’organisation des institutions de presse et les contenus proposés dans les deux pays (p. 28). La transition des pratiques journalistiques est analysée par le biais de blogs, de forums de discussion ou de sites internet de journaux et d’applications mobiles (p. 22). H. Kahi explique qu’internet et les réseaux sociaux engendrent de nouvelles formes de relations entre les médias, les professionnels et les citoyens. Il examine des formes de discours en rapport avec les mesures sanitaires liées à la pandémie du Covid-19 en Côte d’Ivoire, impliquant des pratiques sociolinguistiques locales (p. 43-44), mais ne renseigne pas le niveau d’étude des locuteurs. Cela aurait pu aider le lecteur à comprendre l’incidence du statut socioprofessionnel des participants sur leurs propos.

3Une enquête par observation participante en ligne et entretiens semi-directifs avec des journalistes de presse écrite et de gestionnaires de cybercafés permettent à H. Kahi de comprendre les enjeux économiques et rédactionnels relatifs au processus de numérisation des médias en cours (p. 30). Des journalistes de radio et de presse écrite témoignent de leur utilisation du téléphone mobile pour la collecte d’informations et la réalisation de photographies, mais aussi des usages de tablettes pour le traitement des données au détriment des dictaphones et des appareils photo classiques (p. 31). H. Kahi a recours aux travaux d’Henri Assogba (« Quand des dispositifs numériques font des publics des “producteurs” d’émissions d’information », dans F. Liénard et S. Zlitni (éds), Médias numériques et communication électronique, Bruges, Aquiprint, 2016, p. 497-508) qui relèvent le rôle central du téléphone portable dans les activités radiophoniques et les rapports professionnels, entre journalistes ainsi qu’entre journalistes et auditeurs (p. 40). Une autre transformation que précise H. Kahi est la possibilité pour certains titres de presse de proposer des journaux hybrides, c’est-à-dire en version papier et en fac-similé sous format Portable Document Format (PDF) ; les lecteurs peuvent les acheter directement dans les kiosques à journaux ou en ligne, soit par numéro unitaire, soit par abonnement (p. 37).

4Expert des médias et des rapports entre médias et pouvoir politique, Jonas Charles Ndeke analyse quant à lui le fonctionnement de Télé Congo, la télévision nationale du Congo-Brazzaville, du point de vue de la production et des dispositifs de diffusion sur internet. Il propose une définition du média télévisuel avant de se focaliser sur le contexte particulier de Télé Congo. Il note le principal frein à l’acquisition d’équipements techniques pour cette chaîne publique depuis sa création en 1962 : « Il apparaît clairement que Télé-Congo est confrontée à des difficultés économiques limitant sa marge de manœuvre dans le cadre de la production et de la diffusion de ses programmes » (p. 54). Toutefois, J. C. Ndeke souligne des initiatives gouvernementales et de compagnies de téléphonie mobile installées dans le pays qui permettent aux populations d’avoir accès à internet. Bien que plus des trois quarts des journalistes déclarent utiliser le Web pour des besoins différents, « 83 % dont 34 % pour la recherche, la vérification et la collecte de l’information, 26 % pour se connecter aux réseaux sociaux numériques et 17 % pour des usages privés et 6 % pour des usages non déclarés » (p. 58), l’absence de système d’abonnement mensualisé entraîne une augmentation des coûts de connexion. L’auteur affirme que les usages des réseaux sociaux comme WhatsApp contribuent à la réduction des coûts de déplacement des journalistes sur le terrain, la collecte des données se faisant directement à partir de leur bureau à l’aide d’un téléphone multifonction, d’une tablette ou d’un ordinateur connecté (p. 59). La rediffusion des émissions ou d’extraits d’émissions se fait sur les pages Facebook et YouTube de Télé Congo (p. 61).

5La mobilisation numérique des médias en Afrique est abordée dans la deuxième partie, « Stratégies de déploiement en ligne et modèles d’affaires émergents des médias classiques » (p. 67-146), consacrée aux enjeux de visibilité et de rentabilité économique de la presse sur internet. C’est dans cette perspective que El Hadji Malick Ndiaye, spécialiste des médias et des plateformes numériques, propose une analyse de deux groupes de presse privés au Sénégal (groupe Futurs Médias) et en Côte d’Ivoire (groupe Olympe) en s’appuyant sur des données d’entretiens semi-directifs et avec des responsables de médias en ligne. Il s’intéresse plus particulièrement à leur (in)adaptation à l’environnement numérique. E. H. Malick Ndiaye remarque à cet effet que la « culture de la gratuité » et les réalités socio-économiques et techniques constituent un frein au développement des médias traditionnels sur internet dans les deux pays (p. 79-80). Il note que l’absence de communautés virtuelles auxquelles les internautes peuvent s’identifier, sur lesquelles ils peuvent interagir entre eux et avec les journalistes, ainsi que partager leur point de vue sur des questions sociopolitiques, représente l’une des causes de l’échec des premiers journaux en ligne, à la différence de nouveaux médias nés avec et à partir de l’internet (ibid.). En outre, E. H. Malick Ndiaye précise une particularité liée à la dimension sociale du groupe Futurs Médias par la mise en scène des coulisses de la préparation de certaines émissions de grande écoute et le dynamisme des échanges avec les internautes (p. 82). Le témoignage du directeur des supports numériques du groupe sur l’organisation interne des supports et leur rythme de travail est à cet égard édifiant. Celui-ci relève une présence régulière de leur équipe sur les plateformes numériques en ces termes : « On a une brigade du matin et une brigade du soir […] il m’arrive de rester sur le service jusqu’à 1 h voire 2 h du matin » (p. 83). Cela peut suggérer un lien avec ce que l’on appelle aujourd’hui des « cyber-combattants », c’est-à-dire des individus, généralement des informaticiens, engagés pour défendre de manière quotidienne des systèmes informatiques militaires et civils qui peuvent être la cible d’attaques.

6Du côté du groupe Olympe, c’est l’autonomisation par rapport à la rédaction et aux autres imprimeurs nationaux qui représente une particularité notable. En effet, E. H. Malick Ndiaye souligne que la publicité et le partenariat avec des personnalités politiques et des entreprises constituent les principales sources de revenus du groupe (p. 89). Il définit ces pratiques comme du « journalisme de communication » (p. 90) qui s’oppose au journalisme d’information, qui n’est pas sans conséquence sur l’orientation de l’information de part le risque de diffusion de discours élogieux à l’endroit des personnalités politiques et des multinationales.

7Pour sa part, Mamadou Diouma Diallo, chercheur en journalisme à l’ère numérique, traite le bouleversement induit par l’internet dans les pratiques journalistiques au Sénégal. Il explique le développement des médias traditionnels au fil de l’histoire et leur adaptation aux technologies modernes. Il souligne la présence de deux groupes de médias sénégalais sur les réseaux sociaux, D-Média et Futurs Médias, qui disposent chacun « d’au moins une chaîne de télévision, une station de radio, un journal papier et un site d’information en ligne » (p. 101). M. Diouma Diallo insiste sur la programmation de ces deux groupes de presse dont les chaînes de télévision et les stations de radio proposent aux auditeurs et aux téléspectateurs des tribunes, leur permettant de donner leur point de vue en direct sur des faits de société. Après la diffusion des émissions participatives, les auditeurs sont invités à partager leurs expériences par le biais d’extraits vidéo/audio avec les autres sur les réseaux sociaux, en particulier WhatsApp (p. 102). L’auteur souligne que les lives Facebook et les live tweets organisés simultanément avec la diffusion des programmes en direct par les journalistes constituent l’une des innovations et de présence en ligne les plus notables de ces deux principaux groupes de presse au Sénégal (p. 110).

8Cette deuxième partie se termine par l’article de S. Ngono qui étudie l’apport des technologies numériques de l’information et de la communication à la presse écrite au Cameroun (p. 115-146). Il s’agit notamment du passage au numérique des titres de journaux et des opportunités économiques que cela entraîne. Au-delà de la présence en ligne, pour la visibilité du média et la création/consolidation des liens sociaux avec et entre les internautes, « les journaux sont à la recherche de la rentabilité » (p. 119). L’avènement d’internet et des réseaux sociaux est en rapport avec la fluctuation des prix des journaux, selon la version papier ou le support électronique. Par ailleurs, S. Ngono souligne la précarité économique de la presse liée entre autres facteurs à la corruption et à la baisse des ventes des journaux depuis 1990 en lien avec la crise économique qu’a connue le pays. Mais la création de la boutique en ligne EKiosque où l’on peut acheter tous les titres des journaux du pays constitue une alternative aux problèmes de distribution, de rentabilité économique et participe à la visibilité des titres au niveau national et international (p. 131). Toutefois, S. Ngono pense qu’avec les activités journalistiques sur les réseaux sociaux les professionnels semblent plus se soucier de communiquer sur leur propre image ou de faire de la publicité pour le média pour lequel ils travaillent que du contenu de l’information (p. 135). Il note aussi que le partage sur la page Facebook du journal ou les retweets des contenus des internautes par les journalistes consistent à créer des liens de proximité dans l’objectif de les fidéliser à leur journal.

9Dans la troisième et dernière partie de l’ouvrage, « Pratiques et économie de survie de l’activité de production et de vente de journaux à l’ère numérique » (p. 147-206), Adrien Bitond, spécialiste de la presse écrite au Cameroun, se demande si, au-delà des opportunités économiques et éditoriales qu’occasionne le numérique, les journalistes camerounais développent des activités qui peuvent leur rapporter de l’argent et améliorer leurs conditions de vie, comme la création d’un blog personnel ou d’un site internet. Il révèle en effet que des journalistes démissionnent de leur entreprise médiatique où le salaire reste dérisoire pour s’investir dans la presse en ligne qui leur permet de mieux gagner leur vie : « Avec Internet, un journaliste peut décider d’être freelance, il peut créer son blog, sa télévision Web, etc. Dès ce moment, il en devient le propriétaire, il est lui-même responsable de son affaire » (p. 160). Cela montre que des professionnels se sont approprié le fonctionnement de la presse en ligne. Cependant, A. Bitond note de nombreuses difficultés pour le journalisme web au Cameroun, notamment en ce qui concerne l’accès aux ressources publicitaires, soit parce que les annonceurs ne lui font pas confiance et continuent de confier leurs messages aux médias traditionnels, soit parce qu’ils signent des contrats de publicité directement avec Google qui envahit les pages de la presse en ligne (p. 164).

10Dans le prolongement de cette réflexion sur les problèmes des journaux en ligne, Waliyu Karimu, expert du journalisme et la démocratie politique en Afrique, aborde le cas de la Côte d’Ivoire à partir d’entretiens semi-directifs réalisés avec des responsables médiatiques. Il ressort de son analyse que l’expansion des usages d’internet et des réseaux sociaux ne répond pas aux attentes des professionnels, d’autant que la mévente des journaux est désormais couplée au manque d’attribution de marchés de publicité (p. 169-170). W. Karimu souligne que la création du site mutualisé www.pressecotedivoire.ci, qui propose aux lecteurs un abonnement ou des achats d’articles à l’unité en version PDF à prix avantageux, ne permet pas à la presse quotidienne et hebdomadaire de résoudre ce problème économique. Il explique que le gouvernement de la Côte d’Ivoire, par le biais du Fonds de soutien et de développement de la presse (FSDP), finance la création de sites pour les journaux (p. 177) afin d’accompagner la transition numérique. Les patrons de la presse avaient misé sur la publicité sur les sites afin de gagner de quoi couvrir leurs dépenses, mais en réalité cet objectif semble difficile à atteindre. Selon l’auteur, certains journaux ont réduit leur fréquence de parution en semaine au profit d’une parution régulière en ligne afin de réaliser des économies sur les dépenses des impressions (p. 178-179). Mais les institutions politiques et certains lecteurs tiennent toujours au journal papier, et la disponibilité des titres dans les kiosques garantit leur visibilité, ainsi que le maintien des financements publics dont ils bénéficient.

11Dans le dernier chapitre (p. 187-206), Olivier Kouassi Kouassi, expert de la radio en Côte d’Ivoire, se penche sur la situation socio-économique de la presse dans ce pays dans le contexte de l’émergence des réseaux sociaux. Il y fonde sur des données d’enquête par questionnaire et par entretien avec les autorités de régulation des médias et des responsables de la presse nationale. Après avoir brossé un historique de la presse écrite, il présente l’évolution des usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la couverture de réseau internet par région et par taux de pénétration dans la population (p. 200). Il analyse aussi des données statistiques officielles qui témoignent de la chute des ventes des titres de journaux sur une période déterminée (de 2010 à 2019), liée notamment aux usages actuels des réseaux sociaux et à la cherté des titres qui paraissent (p. 202-203).

12En conclusion, cet ouvrage collectif met en lumière les transformations technologiques, numériques et économiques des médias traditionnels en Afrique subsaharienne francophone. Il étudie plus particulièrement l’importance des enjeux économiques pour les entreprises de presse à l’ère des usages d’internet par les professionnels et les populations en Afrique. Des méthodologies rigoureusement maîtrisées et appliquées pour les recueils des données d’enquête menées en ligne et à la fois sur place au Cameroun, au Congo-Brazzaville, mais aussi au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso constitue l’un des éléments qui contribue à l’intérêt de cet ouvrage. Les auteurs qui ont participé à la rédaction de cet ouvrage mettent à la disposition des lecteurs des ressources empiriques afin de mieux comprendre un phénomène rarement abordé dans les travaux sur les médias en Afrique : le fonctionnement économique et technologique des médias.

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Pour citer cet article

Référence papier

Idé Hamani, « Simon Ngono (dir.), L’Économie des médias et le numérique en Afrique »Questions de communication, 45 | -1, 611-616.

Référence électronique

Idé Hamani, « Simon Ngono (dir.), L’Économie des médias et le numérique en Afrique »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/36053 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wyy

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Auteur

Idé Hamani

Elliadd, Université de Franche-Comté, F-25000 Besançon, France hamanide[at]yahoo.fr

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