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Notes de lecture
Médias, technologies, information

Anne Cordier, Grandir informés. Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes

Cécile Dolbeau-Bandin
p. 596-601
Référence(s) :

Anne Cordier, Grandir informés. Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes, Caen, C&F Éd., 2023, 343 pages.

Texte intégral

1Cet ouvrage comporte 12 parties dont une partie de et 11 thématiques avec un seul objectif : « Donner à voir et à ressentir les expériences éprouvées, au sein de la famille, du groupe de pairs, de l’école, mais aussi d’espaces comme la médiathèque de quartier, le café ou la communauté en ligne » (p. 15). Cette recherche essaie de saisir les pratiques informationnelles et communicationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes dans un contexte particulier (crise sanitaire, flambée des infox) et technologique (déploiement des médias sociaux, des applications, du smartphone et des vidéos).

2Des échanges et des témoignages avec des enfants, adolescents et jeunes adultes, menés de 2012 à 2022, permettent de retracer leur parcours biographique informationnel et de bien distinguer le panel émotionnel engendré par l’activité informationnelle : l’information documentaire qui est l’objet d’émotions positives et l’information dite d’actualité qui génère des émotions exacerbées et est souvent rattachée à un « champ anxiogène » (p. 26). Quoi qu’il en soit, des sociabilités informationnelles se mettent en place en partageant leurs découvertes informationnelles entre pairs ou/et proches ; et une notion de plaisir est associée à cette activité informationnelle liée aux loisirs ou à la sphère académique.

3Leurs pratiques informationnelles sont issues d’un héritage familial : « La famille tient une place importante dans leurs discours à propos de leurs pratiques informationnelles, tant passées qu’actuelles » (p. 44). Ces pratiques reposent sur une transmission d’appétence et un soutien d’appétence. L’activité informationnelle en famille est aussi ritualisée, socialisée et source d’imitation. La relation avec le numérique est relative à l’information par le biais de la famille. En outre, les pratiques informationnelles ont aussi un héritage et les répertoires de ces pratiques sont profondément culturels, ce qui induit une prise en charge informationnelle.

4À l’école primaire, une ritualisation autour de la lecture de la presse est mise en place. On parle ainsi de sensibilisation articulée autour de la recherche d’informations en ligne et de rituels informationnels. Au collège, l’expérience informationnelle semble se concentrer sur l’année de sixième durant laquelle les élèves sont accompagnés par un documentaliste au centre de documentation et d’information (CDI). Anne Cordier insiste ainsi sur le fait qu’une éducation à l’information, aux médias et au numérique à la hauteur des enjeux sociaux, culturels et politiques doit être mise en place à l’école primaire, au collège, au lycée et à l’université.

5Durant leur enfance, le média de référence pour accéder à la documentation reste la télévision. À l’adolescence, un détachement affectif et pragmatique vis-à-vis de la télévision s’effectue. Le Web a une place prédominante dans l’écosystème informationnel des jeunes. Les adolescents décrivent leurs démarches d’information par les médias sociaux comme non volontaristes : c’est une « activité informationnelle fortuite et souvent indécise » (p. 117). Ils utilisent aussi le moteur de recherche Google. De plus, le fil d’actualité (Discover via Snapchat) concentre voire conditionne l’accès à l’information, et notamment à la presse, comme source d’information. Ce qu’énonce clairement Théo, un élève de première économique et sociale (ES) : « J’arrive à être informé sans le vouloir » (p. 117). Ces jeunes s’informent sans obligation. La radio n’est pas partie prenante dans leur écosystème informationnel.

6Les pratiques informationnelles juvéniles sont des pratiques quotidiennes reposant sur une grande diversité de dispositifs et d’espaces de médiation des savoirs. Les enfants et adolescents évoluent au sein d’un régime intermédiaire, fait de complémentarité et de dialogue entre espaces et ressources en ligne et hors ligne. Les fonctions socialisatrices des espaces sont démontrées : ces espaces « ancrés dans une dynamique sociale » (p. 155) témoignent d’une certaine forme de convivialité. Il est important de les penser comme des lieux d’acculturation à l’information et pas simplement comme des lieux de vie : « Les espaces documentaires ont un rôle fondamental pour l’exercice d’une pensée critique, la compréhension d’un monde complexe et le pouvoir d’agir dans ce monde. Et cela passe par une reconnaissance de l’usage du lieu comme acteur informationnel » (p. 156).

7Cet ouvrage atteste de l’existence de culture plurielle de l’information, des médias et du numérique qui se « coconstruisent dans des processus sociaux dynamiques et évolutifs » (p. 176) en corrélation avec la biographie des acteurs, leur engagement et leurs aspirations personnelles. Il est important de plaider pour une reconnaissance effective de l’expertise informationnelle acquise et effectuée hors des murs académiques. Ainsi s’agit-il de reconnaître les individus, de prendre conscience de la mobilisation de compétences informationnelles dans des sphères diverses (professionnelles, politiques ou de loisirs). Les cultures de l’information sont multiples et se répandent dans toutes les sphères sociales. Par conséquent, l’éducation à la formation ne peut être considérée uniquement via le milieu scolaire et ses exigences.

8Tous les récits de ces jeunes adultes démontrent la nécessaire affiliation à un monde de référence exigeant sur le plan informationnel, quelquefois éloigné des habitudes et postures des jeunes concernés. Cet engagement dans ces processus d’acculturation informationnelle sont parfois onéreux sur le plan cognitif et temporel. Il existe bien un capital informationnel ou plus exactement un « avantage informationnel » (Laura Robinson, « Information-Seeking 2.0. The effects of Informational Advantage », RESET, 1, 2012. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/​10.4000/​reset.135). L’éducation à l’information doit être une éducation qui précise les codes et les décrypte : « Prendre en compte et respecter les pratiques informationnelles de chacun, considérer avec respect toutes les ressources informationnelles que les jeunes convoquent dans leur quotidien est une chose fondamentale » (p. 209).

9Afin de mettre en lumière à la fois des privilèges techniques et des privilèges informationnels, A. Cordier se réfère aux travaux de Dominique Pasquier (L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale, Paris, Presses des Mines, 2018) et à l’étude menée par les Emmaüs Connect et l’Observatoire des inégalités (2015). Le fait d’asséner qu’il existe des digital natives n’inclut pas tous ces jeunes adultes et même les exclut. Par exemple, l’usage du numérique dans une salle de cours peut devenir une nouvelle expérience de l’inégalité et agir comme un espace de reproduction de distinction (Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, 1979). Il existe également des inégalités de genre comme l’expertise masculine du numérique. Ces inégalités sont encore présentes dans notre société : « Ce sont bien des connaissances techniques, informationnelles et culturelles qui vont permettre à chacun de ces jeunes adultes de s’épanouir et surtout de prendre place dans la société » (p. 231).

10Pour ces jeunes, l’évaluation de l’information est une tâche fort complexe et leur démarche est bien souvent incertaine. Cette évaluation est surtout présente pour l’information en ligne. Dans leur imaginaire, l’imprimé serait plus fiable. Ils ne vérifient pas l’information plaisir. Leur vérification (date, références scientifiques, mention d’un auteur, etc.) est associée à un contexte plus académique. Wikipédia reste le premier site qu’ils consultent, une sorte de portail informationnel. Ces jeunes sont inquiets vis-à-vis des infox qui génèrent de l’anxiété. Ils sont sensibles au design des objets informationnels (smartphones) et à la présentation de l’information. Loin d’une soumission, ces jeunes cherchent un équilibre favorisant leur épanouissement singulier. De YouTube à TikTok, les recommandations constituent pour ces jeunes adultes des leviers d’exploitation. A. Cordier souligne l’exploitation informationnelle et l’enrichissement de l’univers personnel. Néanmoins, ils mettent tous en évidence la difficulté de conserver une certaine maîtrise en raison du système de notification qui constitue une forme d’oppression. Ils ont pleinement conscience de l’existence de la bulle de filtre et des modes de surveillance via internet. Une culture technique et économique du Web et de l’information s’avère indispensable pour la compréhension du pouvoir d’agir sur les algorithmes (Dominique Cardon, « Le pouvoir des algorithmes », Pouvoirs, 164 [1], 2018, p. 63-73).

11Contrairement aux discours sociaux répandus sur la désaffection des jeunes pour l’information, les propos et pratiques des acteurs enquêtés témoignent d’un engagement non négligeable dans l’activité informationnelle. Seulement, la manière dont ils conçoivent et entreprennent cette activité ne correspond pas à la représentation que l’on peut traditionnellement en avoir, ni à des discours tenus par des médiateurs. Pour eux, il s’agit d’accéder à une information efficace et rapide qui serve à la fois leurs besoins académiques et personnels. Si la recherche d’informations en ligne permet de répondre à des attentes scolaires du collège au lycée, elle est conjointement associée à l’enrichissement de ses connaissances personnelles (loisir, centre d’intérêt). L’information de type documentaire est au cœur de leur exploration et ils aiment la chercher ou l’approfondir. Lorsqu’il s’agit de s’informer pour des besoins académiques, les acteurs sont vigilants à l’égard des sources d’informations et opèrent systématiquement un croisement de ces ressources. L’engagement dans l’activité informationnelle est constant et limpide entre les sphères formelles et non formelles. Au cœur de leur pratique informationnelle, YouTube paraît incontournable dans l’étude de l’écosystème informationnel personnel. Les discours des adolescents et jeunes adultes et leurs modes de gestion de l’information et des connaissances sont traversés par l’accès à l’immédiateté et la mobilité. Ce qui leur permet de satisfaire leur envie de connexion, d’interaction et d’informations. La fonction communicationnelle du smartphone est évidente ; et le rôle de cet objet connecté dans l’activité informationnelle l’est beaucoup moins. Pourtant, il favoriserait le déploiement d’une activité informationnelle fortement appuyée via les médias sociaux.

12En définitive, cet ouvrage montre que l’information, les activités et pratiques informationnelles font intrinsèquement partie du quotidien des enfants, adolescents et jeunes adultes accompagnés d’inquiétudes, de joie et d’obstacles. Il est important d’instituer une éducation aux médias et à l’information de la maternelle à l’université. L’enseignement de la méthodologie de travail universitaire, notamment de la recherche documentaire, est nécessaire. Mais il sera important d’inclure cette notion de plaisir : le plaisir à rechercher de l’information. Négliger la pluralité de pratiques informationnelles de ces jeunes, c’est occulter les besoins fondamentaux pour l’insertion sociale et professionnelle. A. Cordier souligne que le « sentiment d’illégitimité informationnelle est prégnant dans les propos tenus par les enfants, adolescents et jeunes adultes étudiés » (p. 315). Afin d’y remédier, il serait préférable de guider et d’accompagner ce jeune public vers des offres médiatiques et informationnelles qui croisent leurs centres d’intérêt et favorisent la culturation informationnelle de ceux qui ne disposent pas des codes. Cet « immense sentiment de solitude informationnelle » (p. 316) est surtout décrit par des étudiants qui entrent à l’université. A. Cordier souligne que les discours ordinaires sur les pratiques numériques de ces jeunes opposent les parents, les enseignants et ces jeunes adultes. Alors qu’il serait temps de les reconnecter tous ensemble pour le bien de nos jeunes !

13Cet ouvrage se termine sur la description du travail de recherche mené par A. Cordier. Elle y décrit les tenants et aboutissants d’une recherche scientifique menée en sciences humaines et sociales et plus spécifiquement en sciences de l’information et de la communication. On y retrouve encore une fois cette notion de plaisir, de temporalité, de contexte et de respect de l’autre. Elle souligne aussi qu’il est important de diversifier les techniques d’enquête. Cela fait plus de 10 ans qu’A. Cordier enquête, observe, suit, est en contact, connaît et respecte Amélie, Anaïs, Delphine, Élise, Flavien, Guillaume, Julie, Kelly, Kim, Morgane, Reynal et Zoé…

14Ce livre est un outil indispensable pour les enseignants du primaire, du secondaire et surtout du supérieur : c’est une clé pour accompagner, guider avec bienveillance les jeunes dans leur pratique informationnelle, en ligne et hors ligne, et développer leur sens critique. Cette enquête de terrain, met enfin un terme au débat dépassé et stérile de savoir si le numérique est positif ou négatif, aux termes réducteurs (digital natives, petite poucette, crétins digitaux, etc.). Ce qui fait écho à Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne, Paris, Éd. Calmann-Lévy, 1961 [1958]) : nous sommes tous pareils mais tellement différents !

15Seulement, cet ouvrage devrait insister davantage sur les pratiques des enseignants du primaire, il aurait été intéressant de décrire avec minutie leur cheminement : comment compensent-ils ? Quel est leur processus de recherche informationnelle ? Il aurait été bénéfique de développer ou d’illustrer les dimensions affectives et émotionnelles de la pratique informationnelle : ils ont plaisir à chercher, mais comment gèrent-ils leur frustration liée à cette recherche informationnelle ?

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Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Dolbeau-Bandin, « Anne Cordier, Grandir informés. Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes »Questions de communication, 45 | -1, 596-601.

Référence électronique

Cécile Dolbeau-Bandin, « Anne Cordier, Grandir informés. Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/36027 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wyx

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Auteur

Cécile Dolbeau-Bandin

Cerrev, Université de Caen-Normandie, F-14000 Caen, France cecile.dolbeau[at]unicaen.fr

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