David Buckingham, The Media Education Manifesto
David Buckingham, The Media Education Manifesto, Cambridge, Polity, 2e éd. 2021, 128 pages.
Texte intégral
1Ce plaidoyer enthousiaste de David Buckingham en faveur de la promotion d'une éducation critique aux médias semble opportun dans le débat public actuel. L’ouvrage donne un plan d’actions clés en main. Par sa réflexion, cet universitaire expérimenté défend une nouvelle orientation de « l’éducation aux médias en tant que prérequis fondamental de la citoyenneté contemporaine » (p. 16), dans une « approche pédagogique » (p. 65), non banalement « protectionniste ». En effet, ce contraste entre ces deux approches pratiques est à mettre en lumière, les pouvoirs publics affichent l’ambition de voir se mettre en place au moins une fois par an, du CM1 à la terminale, un atelier d’éducation aux médias. Ainsi, la multiplication des déclarations politiques, des craintes parentales, des études sur l’enjeu de désinformation des jeunes (Fondation Jean Jaurès, La mésinformation scientifique des jeunes à l’heure des réseaux sociaux, janv. 2023) expriment-elles l’attente sociale forte de notre société autour de l’éducation aux médias.
2Cette nécessité d’être éduqué au « digital capitalism » (p. 3) et aux nouvelles logiques informationnelles en ligne est légitime, il s’agit même d’un vrai « droit » pour D. Buckingham. Néanmoins, loin des envies solutionnistes rapides du politique sur un problème complexe, il en rappelle le travail de long terme : « Si nous voulons vraiment que les citoyens aient une culture médiatique, nous avons besoin de programmes complets, systématiques et soutenus d'éducation aux médias comme un droit fondamental pour tous les jeunes » (p. 3-5). L’effort de conscientisation aux médias étant un enjeu de citoyenneté en évolutions et renouvellements. Dans cet ouvrage, notre regard se porte de la sorte sur les conseils à l’éducation aux médias, inspirantes ailleurs dans le monde de nombreux ateliers. Une réflexion à la fois accessible à tous sur la forme, par la concision et la clarté du propos, tout en préservant une complexité d’analyse. L'intérêt principal de l'ouvrage se situe dans son aspect pratique, donnant un plan d’actions tangibles. De multiples suggestions peuvent être facilement utilisés par ceux qui sont impliqués dans l'éducation aux médias (enseignants, parents). Il n’est pas question de l’addition de compétences technico-instrumentales, mais d’une approche pédagogique large et tournée vers l’esprit civique. L'éducation aux médias ne consiste pas à expliquer le bon usage d’outils, un bon et un mauvais sous la caricature ou le doigt accusateur. Elle doit avant toute chose impliquer « une compréhension critique approfondie du fonctionnement de ces médias, de leur mode de communication, de leur représentation du monde et de leur mode de production et ses multiples usages » (p. 5-6).
3D. Buckingham commence par relever certains débats fondamentaux dans le domaine de l'éducation aux médias. Il dénonce les faiblesses courantes de la réflexion sur l'éducation aux médias, comme une forme de solutionnisme : « Voir l'utilisation des médias en termes de distinction binaire, entre risque et bénéfice, ignore la complexité et la diversité générales des pratiques médiatiques quotidiennes des populations » (p. 26-28). Rappelant que « les recherches suggèrent que les risques et bénéfices sont interconnectés dans l’usage des médias », loin d’une volonté élémentaire d’un comportement type à généraliser. En effet, pour D. Buckingham l’éducation aux médias demande de s’intéresser aux expériences multiples des jeunes, leurs originalités, à la culture populaire (culture du web, etc.) et incorporer cela dans la réflexion. Il n’est pas question de ne présenter qu’une seule culture formelle valide, voulant que le jeune citoyen se conforme à un cadre restrictif. C’est au contraire une formation à la citoyenneté par l’interrogation sur soi, ses usages et productions créatives.
4Concrètement, D. Buckingham donne certaines clés pédagogiques par une approche cohérente et fruit de « trente-cinq ans » (p. 63) de réflexions et pratiques à l'éducation aux médias. L’esprit critique est mis en avant, porteur d’autonomie en faveur de l’apprenant. Pour penser les médias de manière critique, l’auteur propose quatre perspectives (p. 59-63) :
- le « langage des médias », c’est-à-dire la manière dont le langage utilisé par les journalistes et ses rouages (expressions, raccourcis, etc.), sert à transmettre le sens. L’auteur précise que « chaque média a sa propre combinatoire, ton de communication […] pour la télévision il faut prendre en compte le langage de l’image et du son » (p. 59) ;
- la « représentation dans les médias », c’est-à-dire le « comment » et le « qui ». Par exemple, un travail pédagogique permettant de voir les logiques de discriminations ou de sous-représentations parfois à l’œuvre ;
- la « production », c’est-à-dire comment les médias réalisent du contenu techniquement, leurs adaptations à certains objectifs, les enjeux marchands. L’auteur note sa complexité pour un public débutant « étudier la production médiatique, s'intéresser aux technologies impliquées dans la production et la distribution ; les différents rôles et types de travail impliqués ; les entreprises qui achètent et vendent les médias et comment ils réalisent des bénéfices [...] » (p. 60-61) ;
- « L’audience des publics », c’est-à-dire le paradigme des effets vulgarisé sur des exemples symboliques. Les enjeux de ciblages de l’audience, ou encore le questionnement concernant son profil de spectateur médiatique. Puisque « le public est souvent considéré juste comme d'autres personnes […] nous devons donc également comprendre et réfléchir sur nos propres utilisations des médias » (p. 62-63).
5Ce cadre théorique n’est en rien construit pour aboutir à un récit monolithique du pouvoir des médias, alors que le chercheur rappelle le succès malheureux des théories conspirationnistes sur cet enjeu. Ces pistes pédagogiques doivent nuancer le propos, contre-argumenter devant les fantasmes du sens commun, prendre en compte la diversité réelle des médias.
6Ensuite, D. Buckingham propose trois dimensions à « l'approche pédagogique » (p. 69) de l’éducation aux médias : l’analyse textuelle (avec une diversité de contenus), la « production créative » (sous la forme de « simulations ») et l'analyse contextuelle (compréhension de la relation média/société). Plus précisément, cette dernière amène à revenir vers sont fort intérieur. C’est là un des « deux principes clés qui guident une pédagogie efficace de l'éducation aux médias ». Le soin de prise en compte de l’apprenant est constant, « il faut partir de ce que les élèves savent déjà […] Commencer par les connaissances existantes des élèves et par leur propre expérience directe s'avérera probablement beaucoup plus engageant et efficace » (p. 71). A contrario, nous sommes encore plongées dans une « approche protectionniste » (p. 65-68), décrite comme majoritaire, ignorant le « plaisir » des usages médiatiques et numériques par les jeunes. Telle « une relation autoritaire entre maître et élève » (p. 69), cette approche tend à valoriser un bon comportement et oublie la complexité humaine de l’adoption de nouveaux usages.
7D. Buckingham porte là une analyse de fond perspicace et complète sur la pratique du métier. Cependant, par son analyse globale et globalisante, il tend parfois en partie à oublier l’enjeu d’interculturalité et les adaptations nationales : un atelier pédagogique au Japon ne peut être fait dans la même logique qu’en Angleterre ou en France. Les méthodologies passent donc par une réflexion nationale, l’objectif d’aiguiser un « esprit critique » parfait du public face aux médias étant par nature un défi utopique, puisque le qualificatif critique est déjà un terme problématique : « Lorsque nous parlons de quelqu'un qui est critique, nous voulons souvent dire qu'il est simplement négatif […] D'un autre côté, on accuse aussi les populations d'être peu critiques […] Il y a souvent une césure ‘‘nous et eux’’. Nous sommes critiques, tandis que ceux qui ne sont pas d'accord avec nous ne sont pas critiques » (p. 54). L’éducation aux médias se doit ainsi de faire attention à ses propres valeurs en privilégiant la modération : « Le scepticisme ne doit pas être confondu au cynisme » (p. 115).
8À la lecture de cet ouvrage, un paradoxe apparaît dans la stratégie nationale du gouvernement en faveur de l’éducation aux médias. D’abord, les décideurs politiques mettent trop souvent l'accent sur la réglementation stricte des médias et contenus, sans considérer parallèlement l'éducation aux médias comme un vrai moyen complémentaire. Comme le note l’auteur, ces deux piliers doivent pourtant toujours se réfléchir ensemble, mais obligatoirement dans un état d’esprit séparé. En effet, le cadrage par les normes sur le contenu médiatique ne peut être parallèlement un cadrage des esprits par des ateliers dans une « approche protectionniste ». Ces futurs ateliers sont donc à penser dans un cadre interactif, selon une « approche pédagogique » aux médias et à la citoyenneté, loin des tentations d’un Service national universel semi-militarisé.
9In fine, D. Buckingham entend ouvrir la réflexion à l’environnement numérique et aux besoins de nouvelles régulations, plus larges, militant pour le fait de « considérer Internet comme un service public de base, comme l'eau potable et l'air » (p. 116-118). Une nouvelle donne où « les entreprises numériques devraient payer leurs impôts, qu'elles parviennent actuellement à éviter pour la plupart. Ces taxes pouvant être utilisées pour financer des initiatives publiques culturelles, telles que la création de contenus en ligne fiables, la fourniture d'un accès internet gratuit aux populations précaires et le développement de ressources et de formations pour l'éducation aux médias » (p. 120).
10C’est là un défi autant de constructions de politiques publiques adaptées, de géopolitique du numérique, d’autonomisation du citoyen, que d’éducation aux médias stricto sensu. Un travail d’avenir sur le long terme dont l’universitaire nous invite à mieux explorer et discuter collectivement.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Cilluffo Grimaldi, « David Buckingham, The Media Education Manifesto », Questions de communication, 45 | -1, 588-591.
Référence électronique
Pierre Cilluffo Grimaldi, « David Buckingham, The Media Education Manifesto », Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35987 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wyt
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