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Notes de lecture
Médias, technologies, information

Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier (dirs), Le Manuel de journalisme

Yeny Serrano
p. 574-582
Référence(s) :

Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier (dirs), Le Manuel de journalisme, Paris, Éd. Ellipses, 2022, 532 pages.

Texte intégral

1Destiné principalement aux étudiant·es qui entreprennent des études supérieures dans le journalisme, les médias, ou l’information-communication, cet ouvrage convient aussi aux formateurs/formatrices, aux professionnel·les et aux chercheur·euses travaillant sur ce champ professionnel. Le manuel vise un double objectif : établir un état des savoirs des mondes de l’information et servir de guide aux étudiant·es désireux·ses de préparer les concours des écoles de journalisme. Au vu de ce dernier objectif, cette recension propose un commentaire de chaque contribution. Quatre axes thématiques, traités en 38 chapitres, constituent le fil conducteur : 1) devenir journaliste, 2) déontologie et instances de régulation de la profession, 3) écriture de l’information et 4) journalisme international. Trente-sept chercheur·euses et professionnel·les en sciences de l’information et de la communication, science politique, journalisme, sociologie, histoire et droit participent à l’ouvrage.

2Dans la partie I, « Les études de journalisme : la constitution d’un champ de recherche » (p. 19-73), Chloë Salles (chapitre I, p. 21-30) propose un panorama de la structuration du journalisme comme objet d’étude au sein des universités dès le début du xxe siècle, d’abord aux États-Unis, puis en France, jusqu’à devenir, avec l’influence du contexte géopolitique (guerres mondiales) et sociopolitique (mouvements sociaux des années 1970), une profession et un champ de recherche reconnus (journalism studies).

3Olivier Standaert (chapitre II, p. 31-50) considère que ce domaine de recherche fournit un appareil théorique et méthodologique original pour interroger les enjeux du journalisme dans nos sociétés. L’auteur évoque les principaux courants (normatif, empirique et Cultural Studies), ainsi que les quatre cadres théoriques permettant d’appréhender le journalisme respectivement comme profession, institution sociale, pratique (discursive), industrie et marché économique. Plus récemment, ce sont le digital turn et l’audience turn qui façonnent ce champ professionnel et de recherche. À ce sujet, Simon Gadras (chapitre III, p. 51-68) expose les mutations contemporaines de la profession, engendrées par la massification de l’usage du Web et des réseaux sociaux numériques. L’apparition de nouveaux acteurs, concurrents des journalistes, transforme leur rôle de gatekeepers en un journalisme de communication.

4Cette première partie se conclut avec l’entretien d’Arnaud Mercier par Valérie Devillard (p. 69-73) sur l’impact du numérique sur le journalisme. Pour le politiste et spécialiste des médias, il s’agit davantage d’une transition que d’une révolution, car l’essence du métier et les critères de qualité de l’information perdurent. Néanmoins, il existe des changements dans le rôle du public, influençant la manière d’enseigner le journalisme (place et maîtrise du numérique).

5La partie II, « Les métiers du journalisme : formations, carrières, marchés » (p. 75-151), apporte un éclairage sur les marchés de l’emploi. V. Devillard et Guillaume Le Saulnier présentent les caractéristiques sociodémographiques des journalistes et leur évolution (chapitre I, p. 77-85), en se basant sur les enquêtes de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). Certes, les journalistes sont de plus en plus diplômé·es et les femmes de plus en plus présentes, néanmoins, les conditions d’emploi, très hétérogènes, sont de plus en plus précaires. D’ailleurs, les auteur·ices reviennent sur les conditions exigées en France pour devenir journaliste professionnel·le (chapitre II, p. 87-96) : il et elle évoquent la « course aux diplômes », le recrutement très sélectif, les stratégies pour préparer les concours, ainsi que les difficultés d’insertion professionnelle après l’obtention du diplôme, l’instabilité et la précarité dues à la diversité de statuts (titulaire, stagiaire, pigiste…).

6Pour mieux comprendre ce champ professionnel, Gaël Stephan (chapitre III, p. 97-108) explique l’impact de l’imposition de logiques commerciales sur le secteur médiatique. Il évoque l’évolution des coûts de la production de l’information, surtout avec l’arrivée du numérique et de grands groupes industriels dans le paysage médiatique. L’auteur défend le rôle de l’État face à l’arrivée de ces grands groupes, permettant aux médias d’avoir plus de ressources, mais représentant néanmoins un risque pour le pluralisme de l’information. Pour Rémy Le Champion, ces transformations conduisent à un glissement, dans la presse écrite française, d’un journalisme de l’offre (dont la mission est d’informer et de servir l’intérêt public) à un journalisme de la demande, se limitant à faire du profit afin de répondre aux pressions des annonceurs et du public (chapitre IV, p. 109-125).

7En ce sens, Cégolène Frisque (chapitre V, p. 127-145) s’intéresse à l’intrication du journalisme et de la communication. Pour l’autrice, les formations en journalisme et en communication se rapprochent par la nécessité de maîtriser le numérique. Ensuite, les activités de communication sont une source de revenus complémentaires pour les journalistes et offrent des perspectives de reconversion. De la même manière, une expérience en communication constitue un atout pour entrer dans le journalisme de spécialité. Enfin, les activités de communication utilisent les codes journalistiques, le journalisme utilise les outils de la communication pour la production de contenus indifférenciés et les agences sont de plus en plus polyvalentes.

8Cette deuxième partie se termine avec l’entretien d’Alexandre Joux par V. Devillard (p. 147-151), au sujet des logiques de recrutement des écoles de journalisme et tout particulièrement à l’École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM). L’ancien directeur de l’EJCAM constate que les profils d’entrée et de sortie de cette école sont plus diversifiés du fait de l’importance du numérique, de la crise du marché de l’emploi, de l’intrication communication/journalisme et de la polyvalence demandée par les médias.

9Dans la partie III est abordée « L’éthique du journalisme en pratique » (p. 153-221). Agnès Granchet part du constat de l’éclatement des pratiques professionnelles, pour poser la question de la distinction entre éthique et déontologie (chapitre I, p. 155-181). L’autrice rappelle le contexte historique, les auteur·ices (syndicats, organisations professionnelles, conseils de presse, etc.) et la portée (nationale, internationale, européenne, plurinationale) des principaux codes de déontologie journalistique. Elle évoque la diversité des chartes médiatiques et identifie les principes fondamentaux que ces textes défendent : liberté et indépendance des journalistes, responsabilité de ces derniers/dernières à l’égard du public. En annexe, les lecteur·ices peuvent trouver les trois textes de référence : la Charte de Munich (1971), la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (2011) et la Charte d’éthique mondiale des journalistes (2019).

10En traitant le cas particulier des lanceur·euses d’alerte, Camille Laville (chapitre II, p. 183-192) montre comment le cadre juridique propre aux journalistes, qui protège les sources et leur anonymat, peut contribuer à leur protection. Elle rappelle la distinction entre lanceur·euses d’alerte (qui mettent en lumière un risque), leakers (qui font fuiter l’information), et whistleblowers (qui dénoncent des pratiques illégales).

11Cela étant, il ne s’agit pas uniquement de protéger les journalistes ou leurs sources, mais aussi les publics. À ce sujet, A. Granchet évoque (chapitre III, p. 193-209) la lente évolution de la régulation de l’information en ligne et de l’autorégulation professionnelle. En dépit de l’existence d’instances de contrôle comme le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, qui a depuis fusionné avec la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet [Hadopi], pour former l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [Arcom]), l’autrice dresse un constat mitigé des quelques initiatives d’autorégulation qui ont vu le jour : portée limitée et capacité limitée ou inexistence de sanction. D’ailleurs, pour Amal Benhamoud, le véritable défi dans l’actualité de toutes les instances est celui de réguler les réseaux sociaux numériques (chapitre IV, p. 211-216), ce qui revient à poser les limites de la liberté d’expression et de la presse. L’autrice illustre cette discussion en analysant les conditions dans lesquelles on peut évoquer le principe de la bonne foi du/de la journaliste dans des délits d’injure, de diffamation et de provocation au crime et au délit.

12Lorsque Benoît Grevisse est interrogé par A. Granchet (p. 217-221), le directeur de l’École de journalisme de Louvain reconnaît un progrès important, une meilleure crédibilité de nombreux conseils de presse et un passage d’une déontologie corporatiste vers un modèle plus partagé, qui lui semble mieux approprié pour répondre aux évolutions digitales. Pour lui, c’est par la réaffirmation des règles déontologiques, dans ce contexte qui pose la question de la liberté personnelle d’expression, que le ou la journaliste peut participer de ce marché qui l’exclut progressivement.

13La partie IV, « Les genres et les formats journalistiques » (p. 223-288), montre comment la pratique journalistique s’adapte aux innovations technologiques et culturelles. La longévité et les évolutions de deux formats emblématiques sont ainsi analysées par Éric Lagneau (chapitre I, p. 225-233) et Marie-France Chambat-Houillon (chapitre II, p. 235-242) : respectivement, la dépêche et le journal télévisé (JT). Tout en préservant une quête d’objectivité pour raconter le monde, la dépêche et le JT ont su montrer une souplesse face aux innovations technologiques qui leur permettent désormais d’élargir leurs cibles (B to B [business to business] et B to C [business to consumer] pour la dépêche) et d’évoluer vers des formules avec des rubriques de commentaires et de fact-checking. Ces évolutions cherchent également à faire face à la perte de confiance des publics et à la concurrence imposée par les réseaux sociaux numériques. M.-F. Chambat-Houillon s’intéresse aussi à une tendance plus récente (chapitre III, p. 243-251), l’infodivertissement, plus précisément à la manière dont celui-ci interroge la place des médias dans le débat public et dont l’information peut être considérée comme une ressource rationnelle des débats démocratiques. Plus qu’un format ou un genre, l’infodivertissement relève d’une stratégie des chaînes (autour de la personnalisation des sujets traités) et témoigne de l’évolution du paysage audiovisuel et des transformations culturelles du journalisme. L’infodivertissement a ainsi contribué à la peopolisation des personnalités politiques à la télévision, car il repose sur des procédures de recadrage médiatique comprises entre deux visées : informer et divertir.

14Une presse et un genre beaucoup moins populaires intéressent Flore Di Sciullo, qui revient sur les périodiques artistiques (chapitre IV, p. 253-264) et la critique d’art (chapitre V, p. 265-271). Elle souligne que les premiers ont joué un rôle important dans l’évolution de l’art moderne vers l’art contemporain. En dépit de la précarité du métier de critique d’art, due en partie aux pressions financières, l’autrice considère que le déclin annoncé de la presse magazine d’art n’est pas à l’ordre du jour, grâce au développement des formats hybrides sur internet.

15C’est à nouveau l’impact du numérique que Maxime Fabre analyse dans sa contribution sur la photographie de presse (chapitre VI, p. 273-284). Certes, le développement du photojournalisme dans les années 1930 a été possible grâce à des innovations technologiques qui lui ont permis de s’imposer en promettant une vision objective du monde. Néanmoins, ces innovations remettent en cause la photo de presse. Le numérique briserait le rapport de confiance existant entre le spectateur/la spectatrice et les images de presse. Pourtant, l’auteur considère que la photographie de presse a su se métamorphoser : en reprenant les codes esthétiques, populaires et amateurs de la photographie mobile (qui vise l’exposition et l’ostentation et non pas le témoignage du réel), les photojournalistes se fondent dans une pratique qui est gage de plus de « vérité », car plus proche des pratiques quotidiennes des lecteur·ices.

16L’analyse des genres et formats journalistiques se conclut avec l’entretien de Roselyne Ringoot par Lucie Alexis (p. 285-288). En articulant l’analyse du discours, la sémiologie et la sociologie du journalisme, la codirectrice de l’École de journalisme de Grenoble réaffirme la pertinence de la notion de genre, qui renseigne sur la production d’énoncés journalistiques et les cadres d’interprétation. Plus récemment, le numérique, permettant la convergence du son, de l’image et du texte, a une incidence sur les genres journalistiques. De nouveaux genres apparaissent comme les vidéos avec incrustation de texte ou le podcast.

17À la lecture de ces contributions, c’est l’impact du numérique et de nouveaux modèles économiques de gestion des médias et de l’information qui est interrogé. Plus précisément, la partie V est consacrée aux « nouvelles écritures de l’information » (p. 289-334). Pauline Amiel (p. 291-298) présente le journalisme de solutions, aussi appelé « sojo » (solutions journalism) ou « journalisme constructif », consistant à élaborer des informations constructives (une sixième question qui s’ajouterait aux 5W [What, Why, Who, When, Where] : « et maintenant ? ») et Jérémie Nicey s’intéresse au journalisme participatif (chapitre II, p. 299-314). Les deux journalismes répondent en partie à la crise des médias, aux nombreuses critiques dont les journalistes font l’objet et aux questionnements sur le métier. Pourtant, le « sojo » est souvent accusé d’être béatement positif, d’être un discours de promotion ou un journalisme militant. Quant au journalisme participatif, si, par le biais de progrès technologiques, les publics ont été successivement sollicités pour interpeller les médias, puis pour témoigner et enfin pour produire des contenus, leur participation favorise des contributions centrées sur l’opinion, avec ses dérives et ses radicalités. En outre, la participation des publics dans les médias a aussi complété, à moindre coût, les ressources des rédactions. On le voit, les vieux formats mutent, mais de nouveaux apparaissent aussi, comme le rappelle L. Alexis, qui examine la façon dont ces nouveaux formats en ligne obligent les journalistes à repenser le rapport à l’actualité et son traitement, dans l’immédiateté (brève vidéo et newsletter) et dans le temps plus long (podcast et applications [chapitre III, p. 315-327]).

18L’entretien par L. Alexis de la journaliste Lucie Soullier et de la metteuse en scène Clea Petrolesi (p. 329-334) présente l’expérience de la rencontre entre deux métiers : le journalisme et le théâtre. En effet, la metteuse en scène a créé un spectacle (entre le théâtral et le photographique) à partir d’un article de la journaliste retraçant le voyage d’une Syrienne à travers son fil WhatsApp. Néanmoins, cette contribution semble déconnectée de l’approche privilégiée par ce manuel de journalisme.

19La contribution de Loïc Ballarini et Camille Noûs (chapitre I, p. 337-356) ouvre la partie VI, « Le décryptage de l’information » (p. 335-400), en s’intéressant aux sources journalistiques, pour constater que les questions soulevées depuis longtemps sont toujours d’actualité : le problème des sources uniques, les stratégies des sources pour influencer les journalistes, l’indisponibilité ou l’inaccessibilité des sources. Plaidant pour un journalisme guidé par une éthique de recherche de la vérité, les auteurs voient dans le numérique un outil pour diversifier les sources.

20Comme les lecteur·ices l’auront constaté, c’est le numérique qui constitue le fil rouge de nombreuses réflexions de ce manuel. Vincent Bullich parle ainsi d’un nouveau paradigme journalistique (chapitre II, p. 357-366), car les données numériques ont produit des transformations profondes affectant les pratiques, les normes, les représentations, ainsi que les cadres cognitifs et légaux de la profession. S’il est vrai que l’écriture journalistique est de plus en plus outillée numériquement, que les coûts de production ont diminué et que l’on peut mieux cibler les audiences, ces transformations appauvrissent le traitement de l’information. Les journalistes perdent en autonomie car ils/elles délèguent l’éditorialisation aux algorithmes et produisent le plus rapidement possible pour répondre aux demandes des audiences.

21Dans cette même lignée, Laurent Bigot interroge la soumission des rédactions aux plateformes, en parlant du passage d’un journalisme d’information à un journalisme de démenti (chapitre III, p. 367-380). Il revient sur les origines du fact-checking, inventé aux États-Unis par les médias traditionnels pour valider et crédibiliser les contenus informatifs. Dans les années 2000, il s’agissait de vérifier la parole publique (surtout politique). Puis, dès 2016 (à la suite du Brexit et de l’élection de Donald Trump), il s’agit de lutter contre les rumeurs et les tentatives de déstabilisation, dont les plateformes numériques, en particulier les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, ont été accusées de tirer profit. Cherchant à (re)gagner la confiance de leurs publics, ces plateformes ont accepté de participer au fact-checking, mais l’auteur pose la question de la dépendance économique et technologique des journalistes à leur égard.

22À l’ère de la post-vérité, où les croyances et les opinions l’emportent sur les faits, il convient justement de s’intéresser aux nouvelles facettes du métier de journaliste pour le décryptage de l’information. C’est ce que fait Virginie Sassoon dans sa contribution sur l’éducation aux médias et à l’information (EMI [chapitre IV, p. 381-394]). Après un bref historique, elle en présente les enjeux, les principaux acteurs en France, les approches (protectionniste, critique et politique), ainsi que les thématiques actuelles – lutte contre la radicalisation, le complotisme, les discriminations et la haine en ligne, protection des données personnelles et engagement pour le développement durable. L’autrice donne ensuite des conseils aux journalistes pour préparer des interventions dans des écoles, en partant des pratiques informationnelles des jeunes, en étroite collaboration avec l’enseignant·e.

23Pour mieux comprendre les défis des journalistes à l’ère de la post-vérité, Inna Biei questionne Fabrice d’Almeida (p. 395-400) sur les rapports du journalisme aux fausses nouvelles, à la rumeur et à la propagande. L’historien des médias voit dans la post-vérité une version conservatrice des approches constructivistes et relativistes qui ont suivi le linguistic turn des années 1970 et analyse ce qu’il y a de nouveau à partir de 2016, avec l’élection de D. Trump. Il distingue ainsi les manips (manipulations conscientes de l’information) des manias (manipulations d’amateurs, croyances et idées latentes, partagées par des secteurs d’opinion) et explique sa préférence pour l’expression « fausses nouvelles » – plutôt qu’infox – recommandée par la Commission d’enrichissement de la langue française pour traduire fake news.

24La partie VII est consacrée au journalisme international (p. 401-446). Dominique Marchetti analyse son évolution au sein des rédactions (chapitre I, p. 403-412). Il observe un déclin dans les médias généralistes qui suppriment leurs services à l’étranger, car l’actualité internationale est devenue trop spécialisée et coûteuse, ainsi qu’une évolution, dès la fin de la Guerre froide, dans l’agenda (davantage déterminé par des événements imprévus) et le cadrage (tourné davantage vers la psychologisation et la personnalisation) de ce type d’actualité.

25Se penchant plus précisément sur le reportage de guerre, Olivier Koch (chapitre II, p. 413-428) explique l’évolution de la mortalité des journalistes couvrant l’actualité internationale, non seulement comme une conséquence de l’évolution des conflits (après la Guerre froide), mais aussi comme résultant de la manière de produire et de diffuser l’information. En effet, dès 2016-2017, le nombre de professionnel·les de l’information tué·es dans des périodes de conflit armé diminue sensiblement. Ce sont alors les journalistes locaux/locales et en situation de précarité (pigistes, free-lance) qui sont les plus visé·es. L’auteur explique cette relation entre précarité et mortalité par l’évolution du management de l’information : moins de correspondant·es à l’étranger, géolocalisation imposée aux journalistes qui deviennent des cibles faciles, etc.

26Olivier Baisnée consacre sa contribution à l’un des plus grands corps de correspondant·es au monde, mais aussi celui ayant le moins de notoriété et de visibilité (chapitre III, p. 429-437) : les correspondant·es à l’Union européenne (UE). Les premier·ères correspondant·es (années 1930) produisent une information très institutionnelle basée sur le discours des sources officielles promouvant le projet européen. Dans les années 1990-2000, la communication à l’UE devient plus centralisée, les correspondant·es ont moins accès aux sources officielles et le journalisme d’investigation et la critique du journalisme institutionnel gagnent en légitimité. Dès les années 2000, l’apparition d’une presse spécialisée en ligne entraîne des répercussions sur la couverture de l’information de l’UE. Puis les médias sociaux numériques engendrent de nouvelles pratiques, basées sur l’instantanéité et un accès à des sources primaires et secondaires. Avec la crise de 2008 et les années qui suivent, l’UE regagne une place dans l’agenda des médias généralistes mais le cadrage évolue : l’actualité européenne est mise en récit sous l’angle de la dramatisation et de la personnalisation.

27Internet a aussi permis de parler de globalisation et de démocratisation de l’information. Pourtant, Tristan Mattelart remet en question cette idée dans l’entretien mené par V. Devillard (p. 439-446). En se basant sur des exemples de l’actualité récente, le professeur en sciences de l’information et de la communication reconnaît qu’internet facilite l’accès à des contenus sur le monde, mais pas de la même façon pour toutes les populations de la planète. Internet reproduit une hiérarchie déjà existante, puisque la production des contenus est toujours centrée sur les États-Unis et l’Europe.

28La dernière partie est un guide pratique (p. 447-520) qui s’adresse tout particulièrement aux étudiant·es souhaitant préparer le concours pour les écoles de journalisme. Des trois chapitres, le premier (p. 449-509) est le plus détaillé. Julie Vayssière commence par un historique des écoles de journalisme. Puis elle présente les 14 écoles reconnues en France, en précisant le type de diplôme préparé, ainsi que les modalités et les épreuves d’admission. L’autrice explique comment préparer les concours : rédaction du curriculum vitæ et de la lettre de motivation, type d’épreuves. Elle informe sur les attentes des jurys et donne des conseils pour se tenir au courant de l’actualité, mieux connaître le paysage médiatique français et améliorer sa culture générale. Enfin, l’autrice revient sur la préparation de l’oral de motivation.

29Un weborama des acteurs de référence de l’information en ligne vient compléter les outils proposés aux lecteurs et lectrices : médias traditionnels présents sur internet, pure players et sites de vulgarisation scientifique, avec un focus sur les médias sociaux (L. Alexis et Mathias Valex, chapitre II, p. 511-516). L’ouvrage se termine par la contribution de V. Sassoon (p. 517-520) sur des initiatives en EMI portées par des médias et des journalistes. Ce chapitre aurait mieux complété le chapitre IV de la partie VI, qui traite de l’EMI.

30En somme, ce manuel de journalisme permettra aux lecteur·ices de mieux comprendre les transformations de la pratique engendrées par le numérique ces quinze/vingt dernières années. Sans chercher à décourager les candidat·es, l’ouvrage rend compte de la réalité du métier : nouveaux concurrents, précarité et instabilité de l’emploi. Reste à savoir si les jeunes seront réceptifs à ce manuel qui leur présente le champ journalistique et les défis que les nouveaux/nouvelles diplômé·es devront surmonter.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yeny Serrano, « Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier (dirs), Le Manuel de journalisme »Questions de communication, 45 | -1, 574-582.

Référence électronique

Yeny Serrano, « Lucie Alexis, Valérie Devillard, Agnès Granchet, Guillaume Le Saulnier (dirs), Le Manuel de journalisme »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35970 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wys

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Auteur

Yeny Serrano

Lisec, Université de Strasbourg, F-67000 Strasbourg, France yeny.serrano[at]unistra.fr

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