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Notes de lecture
Langue, discours

Dominique Ulma, Anne Pauzet et Anne Prouteau (dirs), Écritures créatives. Représentations contemporaines et enjeux professionnels

Yves Landerouin
p. 569-574
Référence(s) :

Dominique Ulma, Anne Pauzet et Anne Prouteau (dirs), Écritures créatives. Représentations contemporaines et enjeux professionnels, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, 352 pages.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif témoigne de la belle vitalité des ateliers d’écriture, aussi bien à l’intérieur qu’en dehors des institutions scolaires ou universitaires, et du développement des travaux de recherche sur l’écriture créative, objet de nombreuses publications et ayant donné lieu à l’organisation de plusieurs colloques ces derniers temps. Les actes de celui que Dominique Ulma, Anne Pauzet et Anne Prouteau ont organisé à l’université catholique de l’Ouest (Angers) en juin 2018 offrent l’avantage de rassembler les contributions d’acteurs et théoriciens venant d’horizons très divers : enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation ou didactique des langues étrangères ; enseignants en « création littéraire » au Québec ; écrivains et chanteur animant des ateliers ; formatrice à « l’Académie des projets de vie » ; coach ; ingénieur-chercheur ; animateurs en école d’ingénieurs ; à l’hôpital, etc. Les contributeurs reflètent ainsi la grande diversité des pratiques actuelles. En outre, certains d’entre eux intègrent à leurs articles plusieurs témoignages instructifs, non seulement d’enseignants, qui doivent dès leurs débuts initier leurs élèves à l’écriture d’invention au lycée (article d’Hélène Ballé-de Canteloube et Hélène Stoyanov, « L’écrit d’invention au lycée : entre normativité et créativité, le travail ordinaire d’enseignants débutants ») ou qui commencent à s’essayer eux-mêmes à l’écriture créative dans des « cercles d’auteurs » (article d’Ophélie Tremblay, Élaine Turgeon et Véronique Bachand, « Six enseignantes en quête d’une posture d’auteure : écrire pour mieux enseigner l’écriture »), mais aussi de toutes sortes d’« enseignés » : un cadre dans une société d’édition (texte d’André Petitjean) ; des étudiants de master abordant la rédaction d’un mémoire académique (D. Ulma) ; des participants étrangers et allophones d’un atelier de français langue étrangère (FLE) proposé à la Sorbonne-Nouvelle (Déborah Aboab et ses collègues en FLE) ; des « rédacteurs professionnels » (Marie-Noëlle Roubaud), des élèves ingénieurs (Sophie Bossard, Brad Tabas), etc.

2Comme il se doit, les perspectives adoptées dans la première partie de l’ouvrage (p. 17-98) sont à la fois historiques et théoriques. Jacqueline Lafont-Terranova remonte utilement aux origines des ateliers d’écriture en France, expliquant le rôle joué juste après 1968 par les pionnières que furent Anne Roche à Aix-en-Provence – à partir de l’idée que les étudiants de lettres ont une pratique de l’écriture « cachée sous la table » – et Élisabeth Bing – d’abord animatrice d’un atelier d’enfants considérés comme « caractériels » dans un institut, puis créatrice en 1981 d’une très active association. Nathalie Denizot indique la différence entre « l’écriture d’invention » au lycée – supprimée par la réforme de 2020– et l’enseignement rhétorique de la IIIe République, puis se livre à une étude intéressante sur l’évolution entre 2002 et 2016 des sujets de l’épreuve anticipée de français, où la part de la métatextualité et de l’argumentation dans l’invention diminue au profit de l’hypertextualité, privilégiant des pratiques qui rappellent, notons-le, celles de la « critique-fiction ». Centré sur le développement de l’écriture créative dans l’enseignement supérieur français, le texte d’A. Petitjean rappelle que, si les ateliers d’écriture ont connu au xxie siècle un essor dans les formations post-baccalauréat, il a fallu attendre 2012 pour voir apparaître en France les premiers masters en création littéraire (alors qu’à la même date on en comptait 304 aux États-Unis) et un doctorat en recherche-création. Dans un article assez décousu, Marc André Brouillette s’interroge à juste titre sur la nature de l’objet d’étude des ateliers d’écriture. La contribution d’Alain André envisage leur dimension cathartique, essentiellement au sens psychanalytique du terme.

3La deuxième partie (p. 101-155) est consacrée à leur rôle dans le « développement personnel », compris par Patricia Bonnin comme étant « tout ce qui touche à la conscience et l’affirmation de soi par l’écriture » (p. 138) et favorise « l’équilibre » de la personne. Patrick Gillet explique que la pratique de l’écriture en atelier d’un haïku, genre qui s’y prête particulièrement bien par la brièveté et le caractère contraint de ses productions, permet d’aiguiser l’attention du sujet à son environnement, à l’ici et au maintenant.

4La troisième partie (p. 159-210), reprenant le titre des essais de Julien Gracq En lisant en écrivant (Paris, J. Corti, 1980), met l’accent sur le rôle complémentaire de ces deux activités à travers les comptes rendus d’expériences diverses. Les étudiants polonais de Beata Klebeko, professeur de philologie romane, et de son doctorant Lukasz Swiercz « lisent pour écrire [ensemble] » (p. 167) des nouvelles policières en langue française, démarche qui vise à conjurer le risque d’indifférence de l’étudiant linguiste aux textes littéraires. D. Aboab et ses collègues demandent notamment à leurs étudiants allophones de nommer et expliquer les « intraduisibles » de leur langue afin de développer leur « conscience plurilingue ». A. André propose à ceux qui le veulent d’écrire des textes mettant en œuvre des procédés littéraires développés au xxe siècle tels que le monologue intérieur, à partir de celui de Molly Bloom à la fin d’Ulysse de James Joyce (Paris, Gallimard, 1929 [1922]) ; et Antoinette Bois de Chesne, à des étudiants en licence information-communication d’« écrire leur lecture » (p. 202).

5La quatrième partie, la plus riche, est davantage centrée sur le « transfert de compétences vers le monde professionnel », même s’il y est encore question de transmission, comme dans l’article de Maurice Niwese et Célia Saparart sur les vertus que présentent, pour les élèves du primaire, les réécritures successives de leur production (d’un conte, en l’occurrence). Une des institutrices suivies par O. Tremblay, É. Turgeon et V. Bachand affirme apprendre, en s’essayant elle-même à l’écriture créative dans les « cercles d’auteurs », à « aller chercher les enfants dans cette partie qui vient d’eux » (p. 270). S. Bossard soutient que, grâce aux ateliers d’écriture collective qu’elle leur propose avant et après leur voyage de 3e année d’études d’ingénieur, elle permet à ses étudiants de mettre en œuvre des compétences relationnelles et de cultiver une « humilité » (p. 298) qui s’avéreront utiles pour l’exercice de leur métier. Dans une courte contribution écrite avec Catherine Malard, Solange Lavoine, cadre de santé, affirme (sans donner d’exemple précis) que les ateliers où les soignants du centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers peuvent « écrire leur pratique » apportent souvent un éclairage nouveau sur un problème, absent de leurs discussions professionnelles, et parfois même de nouvelles solutions. Chacun de son côté, M.-N. Roubaud et B. Tabas ont la bonne idée de définir la nature et les exigences des métiers auxquels ils contribuent à former leurs élèves respectifs, celui de « rédacteur professionnel » pour la première et d’ingénieur pour le second, afin de justifier la démarche créative qu’ils ont adoptée avec eux. Par exemple, avant de faire rédiger en binôme une critique d’art à ses « rédacteurs », M.-N. Roubaud les amène à repérer puis à s’approprier les « stéréotypes du genre » (p. 242) ; pour que ses futurs ingénieurs sachent se poser les bonnes questions au départ, B. Tabas leur fait d’abord explorer succinctement plusieurs pistes d’écriture, etc.

6À travers la variété des contributions, le lecteur peut dégager certaines idées qui font consensus : l’intérêt didactique de placer les élèves dans « une posture d’auteur », « position énonciative prise par les élèves à partir de laquelle ils vont donner du sens à une activité d’écriture donnée », selon une des définitions de la page 263 ; l’importance de la bienveillance du regard posé par l’animateur et les autres acteurs de l’atelier sur la création de l’« écrivant », qui doit « sentir qu’il est entouré de gens qui ne vont pas le pénaliser excessivement si ses essais de sortir du cadre finissent par des échecs » (p. 311) ; ou encore le pouvoir libérateur de l’écriture créative. Si les auteurs de ce volume rendent compte d’activités parfois assez éloignées du free writing, en ce qu’elles comportent des consignes contraignantes (M. Niwese et C. Saparart décrivent même un projet d’écriture en primaire assez ludique mais extrêmement encadré), ils sont nombreux à dire les bienfaits d’un affranchissement des « diktats » des professeurs sur le style et la correction de la langue, bienfaits recherchés dès les premiers ateliers d’É. Bing et dont P. Bonnin témoigne tout particulièrement à propos de jeux d’écriture proposés à un groupe de boulangers, charpentiers, infirmières, etc. en formation. Mais personne – et pas même Christophe Bell Œil évoquant « l’écriture analphabète » dans un entretien avec A. Pauzet – n’aborde la question de savoir à partir de quel point une mauvaise maîtrise des règles de la langue empêche le sujet d’écrire, c’est-à-dire de communiquer, alors que la plupart des contributeurs insistent sur la nécessité du partage avec les autres, effectué le plus souvent au moyen d’une lecture, d’une oralisation de l’écrit dans l’atelier. Toujours au sujet du pouvoir libérateur de l’écriture, on aimerait savoir parfois en quoi « l’approche privilégiant le sujet » plutôt que « l’objet textuel », pour reprendre les catégories distinguées par Pascale Denance, et productrice éventuellement d’une catharsis, comme l’explique A. André, se distingue d’une psychanalyse. Une nette différence apparaît avec le témoignage d’une enseignante citée par O. Tremblay et ses collègues : « C’est en s’affirmant dans son écriture que le sujet s’affirme : et les outils de cette réassurance ne sont pas ceux de l’investigation psychologique mais ceux de l’écriture elle-même : le chemin parcouru libère l’imaginaire et permet à chacun de trouver peu à peu les exigences de sa propre écriture » (p. 272). Anne-Laure Cesbron, malgré le caractère parfois imprécis de son style – que veut dire « sortir du mental » (p. 107) ? Et n’est-ce pas en contradiction avec l’objectif de se « mettre en relation avec son intériorité » (p. 110) ? –, nous fait penser que la rédaction d’un « Journal créatif » permet au sujet d’échapper à « l’oubli de l’être » dénoncé par Martin Heidegger, à moins que ce ne soit plus simplement ici à « l’oubli de soi ». Le volume met aussi en évidence l’importance accordée à la dimension collective et les vertus qu’elle recèle. On rétorquera peut-être qu’à l’université d’autres types d’activités artistiques en équipe, par exemple au sein d’un atelier théâtre ou d’un groupe de musique, amènent également des étudiants à développer les « compétences sociales » et « relationnelles » dont parlent respectivement B. Klebeko et S. Bossard, à améliorer la « gestion des organisations » que les ingénieurs encadrés par B. Tabas doivent maîtriser. Mais le lecteur trouvera dans l’article de ce dernier – à condition de passer outre certaines tournures peu idiomatiques – des idées d’organisation originales, ainsi que des moyens littéraires pour sensibiliser les participants aux enjeux éthiques de leur futur métier, dimension que les autres types d’atelier créatif ou les fablabs ne leur permettraient pas d’appréhender. Il est reconnaissant à M.-N. Roubaud de lui expliquer comment on peut organiser la rédaction collective d’une critique d’art, exercice a priori périlleux et sans doute – pouvons-nous ajouter – difficilement réalisable sous une autre forme que la juxtaposition (concertée) de « morceaux choisis ». Si l’article de M. Niwese et C. Saparart décrit avec précision, étape par étape, le déroulement de la rédaction d’un conte en classe de CM2, nous donnant ainsi les moyens d’apprécier la pertinence des deux phases de réécriture par les élèves, il ne nous dit pas dans quelle mesure les acquis observés ont pu être réinvestis dans d’autres activités d’écriture. Et plus généralement – défaut inhérent sans doute à la formule du volume collectif –, très peu de comptes rendus d’ateliers présents dans celui-ci réunissent à la fois un exposé des fondements théoriques, une description précise du déroulement de l’activité et une analyse des retours fournis par les participants.

7Enfin, deux questions problématiques reçoivent ici un traitement insuffisant. Il manque d’abord une réflexion systématique et rigoureuse sur le second terme de l’expression « Écritures créatives ». Dans son article, N. Denizot considère avec Nicole Biagioli-Bilous qu’« il n’y a pas d’écrit a priori plus créatif que d’autres mais plutôt des “situations créatives” » (p. 36). Or, si l’on définit par exemple la « créativité » comme l’invention par le sujet d’une forme d’expression appropriée à l’impression personnelle qu’il ressent (par exemple, à la lecture d’une œuvre), on peut dire que certains textes critiques sont plus « créatifs » que d’autres (voir Yves Landerouin, La Critique créative, Paris, H. Champion, 2016). L’imprécision conceptuelle demeure lorsque N. Denizot synthétise sa réflexion sur ce point dans une phrase qui semble distinguer la « créativité » de « l’imagination » et de « l’expression personnelle » du « sujet scripteur » (p. 37). On pourrait interroger également la distinction genétienne entre métatextualité et hypertextualité qu’elle emploie pour commenter l’évolution des sujets d’invention du baccalauréat, puisqu’en vérité réécrire un texte (par transformation et/ou imitation) c’est aussi en produire une interprétation, un commentaire. La même contributrice a le mérite d’aborder, un peu plus loin, une question plus pragmatique : celle de l’évaluation. Bien entendu, le volume évoque des exemples d’ateliers où les produits écrits ne sont pas destinés à être évalués et ne doivent pas l’être. Dans les autres cas, où l’acquisition de savoirs ou de savoir-faire est en jeu, le problème présente un degré de complexité dont M. A. Brouillette, enseignant la création littéraire à l’Université du Québec à Montréal, donne une idée en ces termes : « Quel est le sens de l’évaluation dans le cadre d’un champ de pratiques, comme la création littéraire, qui s’inspire de la puissance-de-ne-pas (formulée par Agamben) pour aborder des processus qui conduisent à des objets – des textes – qui n’existent pas encore ? […] Alors que l’évaluation porte généralement sur un ensemble de connaissances existantes, comment évaluer des démarches qui reposent sur de l’inexistant, du retenu, des éléments réels mais inexploités ? » (p. 81).

8Dans le cadre d’un cours de travaux dirigés de « culture littéraire », A. Bois de Chesne laisse ses étudiants choisir leurs textes au sein d’une bibliographie d’œuvres récentes, leur soumet non pas une « consigne » mais une « proposition » – « au sens où ils peuvent, en cours d’écriture, s’écarter de la contrainte formelle proposée si quelque chose surgit pour eux » (p. 205) – et indique, au passage, que « l’évaluation consiste en un dossier des textes écrits en séances » (p. 203). Malheureusement, pour ce qui est de connaître les critères d’évaluation de cette liberté, de l’approche personnelle des textes lus, le lecteur reste sur sa faim. Amener les élèves/étudiants à pratiquer des procédés, des genres littéraires, à imiter des auteurs permet incontestablement d’apprécier la compréhension qu’ils en ont ; cependant, pour reprendre une formule de N. Denizot à propos des sujets d’invention au baccalauréat : « comment évaluer des savoirs par des savoir-faire ? » (p. 39). Peut-être faut-il prendre pour un symptôme de ces difficultés la discrétion du volume sur la question. Peut-être aussi les contributeurs ont-ils craint de livrer des critères voire des grilles qui sembleraient entrer en contradiction avec les vertus qu’ils prêtent à l’écriture créative et à son pouvoir libérateur.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Landerouin, « Dominique Ulma, Anne Pauzet et Anne Prouteau (dirs), Écritures créatives. Représentations contemporaines et enjeux professionnels »Questions de communication, 45 | -1, 569-574.

Référence électronique

Yves Landerouin, « Dominique Ulma, Anne Pauzet et Anne Prouteau (dirs), Écritures créatives. Représentations contemporaines et enjeux professionnels »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35947 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wyr

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Auteur

Yves Landerouin

Alter, Université de Pau et des Pays de l’Adour, F-64012 Pau, France yves.landerouin[at]univ-pau.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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