1« Marque » et « Territoire », deux mots au cœur de l’ouvrage collectif édité sous la direction de Violaine Appel et Delphine Le Nozach, enseignantes-chercheuses à l’université de Lorraine. L’ouvrage a pour sujet les relations entre ces deux notions : « marque » et « territoire », aux frontières du politique, de l’économique et du culturel, sous le regard des sciences de l’information et de la communication (SIC), de la géographie, de l’urbanisme et du patrimoine. Le titre est concis, mais est porteur au sein de chaque terme de nombreux jeux communicationnels et de problématiques sociétales. L’utilisation du singulier pour le titre met en valeur chacune des notions et les envisage dans leur globalité, comme une marque en tête de gondole dans un magasin qui proposerait de découvrir ses produits et marques dérivées. Le sous-titre au pluriel permet de mettre en exergue toutes les complexités que nous découvrirons à la lecture. Les différents auteur·ices qui composent l’ouvrage vont ainsi, par leurs propositions, explorer les liaisons et les rapports d’influence qui s’opèrent entre ces deux termes. Grâce à diverses observations, entretiens, images, documents, les auteurs donnent à réfléchir sur le processus de construction des espaces vécus, selon des stratégies de marques. Seront alors étudiés les intérêts que ces dernières apportent aux territoires, et les dérives parfois observables.

2Ces auteur·ices provenant de Lorraine, Bourgogne, Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Hauts-de-France, Rhône-Alpes ou encore Occitanie, proposent une vision du sujet à travers des études de cas de régions, de villes au rayonnement national et international. Chaque texte propose un angle d’observation sur les pratiques dans les territoires et s’intéresse à la « fabrique d’une image spécifique à sa construction » (p. 11), c’est-à-dire aux différentes stratégies mises en place pour faire vivre un territoire. L’ouvrage est divisé en trois parties, comptant chacune trois études qui apportent des éclairages particuliers sur les dispositifs, les stratégies et les enjeux de l’association des deux concepts.

3La première partie, intitulée « Espaces territoriaux : négociation et appropriation » (p. 15), est constituée d’articles dédiés à la compréhension du développement du marketing territorial et des stratégies de marques sur les territoires. Patrick Fraysse, Valentine Châtelet et Sylvie Couralet proposent une réflexion sur la marque « Pays Cathare », une des plus anciennes du territoire de l’Aude. Le département souhaitait moderniser son image, fortement marquée par l’imaginaire médiéval, se détacher de ce passé cathare mythifié et redynamiser un arrière-pays négligé. La méthode utilisée par les acteurs est l’accumulation de labels et de marques pour garantir une authenticité et valoriser les savoir-faire locaux pour ainsi dépasser la simple image d’une région de châteaux en ruines, et orienter le récit vers un territoire fertile qui ouvrirait les portes d’une candidature à l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Écrit par Alizée Bertetto et Anne Cadoret, le chapitre suivant relève l’importance des labels et marques dans un dessein de protection du territoire. Le Luberon est l’échantillon d’observation de cette enquête. Il est pertinent car il est triplement labellisé en espace protégé : un label parc naturel régional, un pour sa réserve de biosphère et le prestigieux label Unesco. Cette étude permet de comprendre les enjeux touristiques, financiers et humains que représente la labélisation. L’article met face aux exigences et contraintes que rencontrent les élus de ce territoire ainsi qu’aux conséquences pour les populations. Dans une perspective plus orientée sur la relation entre marque et patrimoine, Anne Parizot, David Michon et Daniel Raichvarg s’intéressent au Jura avec sa marque « Made in Jura » et surtout la production de récit territorialisant et attractif grâce à l’homme du pays : Louis Pasteur. Un homme du terroir, mais aussi un homme tourné vers le monde. La pertinence de cette recherche, c’est l’ambivalence de la figure historique-scientifique et internationale de L. Pasteur face à l’appropriation territoriale et culturelle de son image où il a vécu sa jeunesse, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

4Axée sur les « constructions et représentations » des marques territoriales (p. 79), la deuxième partie s’intéresse à la mise en scène des territoires et aux stratégies de placement des marques sur ces derniers dans un but d’accroître la visibilité et l’attractivité médiatique, touristique et sociétale. L’Ardèche est mise en avant par D. Michon. L’auteur s’est intéressé à la construction du discours performatif de l’Ardèche à travers une stratégie de communication fondée sur la recherche d’engagement durable sur la qualité de vie qu’offre la région. Le but est de créer un écosystème avec tous les acteurs et marques qui travaillent à valoriser le territoire autour de valeurs et de symboles communs, le tout au sein d’un collectif, « Goûtez l’Ardèche ». Dans une optique similaire de développement durable des territoires, les cas d’« OnlyLyon » et de la marque « Bretagne », développés par Thomas Bihay et Frédéric Aubrun, cherchent à rendre le territoire attractif en créant des campagnes de communication innovantes et en attirant l’attention sur les modes de vie qu’offrent ces espaces. C’est dans la créativité que la stratégie de séduction est proposée ici, promouvant une alternative offrant une douceur de vivre. L’article traite des capacités du territoire à accorder les temps de travail et de loisirs afin d’attirer une population jeune et familiale. Toujours dans l’esprit de sensibiliser aux apports de ce type de lieu, l’article de Jérémy Tourrette cherche dans la communauté écossaise de France les retombées de la marque « Scotland is Now » souhaitant valoriser la nation écossaise et son terroir auprès de sa diaspora. Mais au vu des résultats de l’enquête menée auprès de la marque, celle-ci se retrouve confrontée à une nation intégrée à son pays d’adoption, la France, loin des réalités et des préoccupations du pays écossais.

5Enfin, dans la troisième partie, traitant des « Représentations territoriales : dispositifs culturels et mises en scène » (p. 145), l’intérêt se porte sur la façon de mettre en scène le territoire grâce à l’aspect culturel. Élise Butel explore la mobilisation de la ville d’Annecy lors du Festival d’animation qui se tient chaque année, début juin, dans la cité. La ville aux couleurs du festival alterne détente, immersion dans un cadre créatif et expertise professionnelle pour proposer une expérience unique du festival aux participants. Le chapitre explore le festival dans sa version numérique, particulièrement lors de la pandémie de Covid-19 : détaché de la matérialité et de l’attractivité de la ville, elle avait peiné à mobiliser. De son côté, Simon Renoir étudie la promotion du film Detroit (2017) au sein de la ville éponyme. Un film qui retrace un passé difficile et contraste avec la dynamique, ainsi que la politique actuelle de réhabilitation de l’image de Détroit, voulu par les institutions et par les communautés afro-américaines. La question est ici de voir s’il y a une corrélation intéressante entre le film et la ville, et comment elle se manifeste. Enfin, Patricia Jullia et Frédéric Marty proposent une série télévisée comme moteur dynamique d’une région. Ici, la série Un si grand soleil (2018 en cours) propose comme décor la région occitane. Une figuration très participante de la région pour qui la série est à la fois une vitrine innovante et un levier économique important.

6Les différentes propositions de cet ouvrage, bien que très denses et parfois complexes, tendent à montrer comment chaque espace et ses acteurs s’attèlent à faire vivre leur propre territoire et à le rendre attractif, à le protéger et le valoriser. Le rôle des marques et labels est pertinent comme objet d’étude, non seulement pour l’aspect financier et la légitimité qu’ils apportent, mais surtout pour les méthodes et techniques de plus en plus innovantes et créatives qu’insuffle cette association. Il y a des réussites et parfois des échecs. Ce rapprochement entre « territoire » et « marque » soulève une recherche pionnière en SIC. En effet, l’instauration des nouvelles régions en France ont redessiné les contours des territoires et des identités. L’utilisation des outils communicationnels par les marques et leur capacité à mettre en scène les espaces permettent de raconter autrement les villes et régions, et donnent une place de choix au marketing territorial. Cette association suscite de nouvelles perceptions et histoires, ainsi que d’autres façons de regarder les espaces. Cet ouvrage apparaît donc comme un véritable échantillon des techniques de communication mises à l’œuvre aujourd’hui et un témoignage de ces territoires en mouvement, concernant divers thématiques comme la construction identitaire, le tourisme, l’attractivité commerciale et patrimoniale. Il est donc nécessaire pour la compréhension de la société actuelle et offre aux chercheur·euses en marketing territorial un terrain foisonnant et constitue aussi un support intéressant pour les professionnels de la mise en valeur des territoires.