Mukhit-Ardager Sydyknazarov, Uninterrupted History of Nationhood in Kazakhstan. The Kazakh State on European and American Maps of the XVI-XIX Centuries
Mukhit-Ardager Sydyknazarov, Uninterrupted History of Nationhood in Kazakhstan. The Kazakh State on European and American Maps of the XVI-XIX Centuries, Bruxelles, Mukhit-Ardager Sydyknazarov, 2021, 532 pages.
Texte intégral
1Le livre auto-édité dont le titre se traduit par « Histoire ininterrompue de la nation au Kazakhstan. L’État kazakh sur les cartes européennes et américaines des xvi-xixe siècles » est publié en trois langues : anglais, russe et kazakh. Il présente une double fonction : avoir le format adéquat pour reproduire qualitativement des cartes du xvie au xixe siècle (43 x 30 cm) et être un bel objet, du type de ceux qu’une ambassade offre à ses interlocuteurs. L’ouvrage est l’œuvre de Mukhit-Ardager Sydyknazarov, directeur de l’Institute of Contemporary Studies au L.N. Gumilyov Eurasian National University (Kazakhstan).
2Fruit de nombreuses années de travail, le livre présente « l’État kazakh », comme le nomme l’auteur, ou la Tatarie indépendante, nom le plus fréquemment indiqué sur la majorité des cartes du corpus. Celles-ci, dessinées et publiées entre le xvie et le xixe siècles (précisément de 1562 à 1879) proviennent principalement de trois fonds des États-Unis : le David Rumsey Map Center at Stanford University, le Barry Lawrence Ruderman Antique Maps Inc. et la Library of Congress. Le choix des cartes s’appuie sur une longue liste des différents noms du pays, de l’espace ou des peuples qui l’ont occupé, soit 45 dénominations au total. En voici un extrait : « Pays des Kassaks, Lang des Kirkizs Kaisaken, Independant Tartary, Independant tatars, Tartarie Independante, Cassachi, Cassakia, Cassaqy, Cassak, Cazalgites, Chalzag, Chazalgites, Cosaques errants, Kassakia, Kalzag, Kirghiz, Kirghizs Khasaks… » (p. 10) et bien d’autres. Celles-ci peuvent être regroupées en trois catégories : politique, ethnographique ou géographique. Cela reflète les évolutions, voire les incertitudes liées à la dénomination de cette zone.
3Les motivations de l’auteur sont exposées ainsi : « Une image claire de l’avenir consiste en une connaissance fiable du passé riche et mouvementé de la nation ininterrompue du Kazakhstan, de sa position politique sur la carte du monde dans le flux de l’histoire, du passé et du présent » (« A clear image of the future consist of reliable knowledge about the rich and eventful past, the uninterrupted Nationhood of Kazakhstan, its political position on the world map in the flow of history, past and present », p. 10, notre traduction). De plus, « selon le Tartu, de tradition kazakhe, ce livre est un cadeau de l’auteur à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan » (p. 10, idem). Plus précisément, « le système politique, la vie sociale, l’environnement ethno-confessionnel et ethnoculturel, auxquels les Kazakhs ont adhéré et maintenu, permettent aux chercheur·euses européen·nes d’identifier clairement l’État kazakh sur les cartes de l’Asie et du monde depuis le xvie siècle, de la fin du Moyen Âge jusqu’au début de l’ère moderne » (« Political system, social life, ethno-confessional and ethno-cultural environment, which the Kazakh adhered and maintained, allows European researchers to clearly identify the Kazakh state on the maps of Asia and the world since the XVI century, the late Middle Ages up to early modern era », p. 10, notre traduction). Par ces arguments, l’auteur souligne que la force identitaire de l’État kazakh a conduit la recherche européenne à reconnaître le Kazakhstan comme un état souverain. Il fait ici le lien entre la présence du nom du pays, ou d’un peuple (la notion n’est pas discutée), sur des cartes conçues à des fins commerciales et politiques européennes ainsi que la vitalité, la force du système politique, ethnique et culturel de l’État kazakh durant ces périodes. Mentionnons d’abord que ce lien n’est pas automatique, ensuite que la notion d’État au sens politique et ethnique est à débattre. Toutefois, ceci nous éloigne de cette recension.
4Notons l’usage de deux mots, sans doute issus de la cartographie et dont nous ne trouvons aucune occurrence dans les dictionnaires anglais et français en ligne : « cratonym » et « polytonym ». Selon les commentaires d’un professeur d’Antiquité de l’université de Fribourg (octobre 2023) : « L’usage de ces deux termes surprend, car “polytonyme” est un néologisme qui fait offense aux racines grecques. On peut parler de “polyonyme” = “un nom composé de plusieurs” ou “ce qui comporte plusieurs noms”, mais pas de “polytonyme. Dans 'polytonyme”, il y a confusion entre la racine poly- qui signifie “beaucoup” et poli- qui signifie “la cité”, l'“organisation politique”. De plus, c'est un concept inventé de toutes pièces circulant en Russie et visiblement exploité à des fins nationalistes pour prouver la supériorité de l'appartenance politique sur l'appartenance ethnique ». Ces deux termes sont présents dans le passage suivant, laissé en anglais compte tenu de ces termes : « The Kazakh state has been a cohesive and unified state since its formation. This is what influence the continuity of the cratonym and the polytonym of the Kazakh state that the world cartographers of the XVI-XIX centuries consistently reflected in their languages » (« L’État kazakh est un État cohérent et unifié depuis sa formation. C’est ce qui influence la continuité du cratonym et du polytonym de l’État kazakh que les cartographes des xvie-xixe siècles reflétaient constamment dans leurs langues », p. 10, notre traduction).
5La démarche de l’auteur consiste à examiner attentivement ces cartes afin d’attester, voire justifier, l’existence d’un État kazakh. Et si le mot « Kazakh » ou « kirghize » ou toute autre occurrence citée plus haut est présent sur ces cartes européennes, alors il s’agit de l’État kazakh. Des notices jointes aux cartes indiquent le nom du pays ou du peuple, plus les noms identifiables des villes et des fleuves. La lecture de l’ouvrage, dans une perspective historique, de communication sous l’angle désormais courant de « récit national » ou d’objet historico-communicationnel, amène quelques remarques. Dans La Nation en récit : des années 1970 à nos jours, Sébastien Ledoux (Paris, Belin, p. 16) donne la définition d’un fait narratif consacré au national : « Le fait narratif est entendu ici comme le fait d’identifier une collectivité rassemblant des individus par un récit qui raconte son passé, son présent et son devenir dans le monde. L’acte de raconter induit l’intention première de décrire des faits dans un enchainement cohérent, qui est détaché du souci de la vérité historique ».
6D’abord, il est étonnant de parler d’État kazakh quand les États-nations n’existent pas encore, puisqu’il s’agit d’une invention du xixe siècle. A minima, la discussion de la notion de « Kazakh state » est absente de l’ouvrage. Ensuite, l’examen des cartes des xviie et xviiie siècles indique plutôt des espaces géographiques divisés en zones de couleur comme l’Europe, l’Afrique ou l’Asie, elle-même divisée en zones colorées grandes ou petites. Sur une carte italienne de 1683 (p. 146-147), les zones en Asie portent les noms de tribus ou de peuples. Sur une carte britannique de 1775 (p. 274-275), l’Asie centrale au sens très large est divisée selon les différents noms et variations spatiales de la Tatarie. En revanche, au xixe siècle, les cartes présentées comportent des lignes de couleur qui ressemblent à des frontières et qui conduisent un lecteur du xxie siècle à reconnaître certains pays actuels. Dit autrement, les cartes reflètent le plus souvent les zones de peuplement. Cependant, aucune frontière n’existe réellement, en particulier pour l’Asie centrale, espace le moins défini de tous durant ces périodes (sauf pour le xixe siècle).
7Sur les cartes publiées en français, la zone porte essentiellement le nom de Tartarie, elle-même divisée en quatre espaces : Tartarie indépendante (Turkestan occidental, ni en Russie ni en Chine), Tartarie moscovite (Kalmoukie) ou russe (Sibérie), Tartarie d’Europe (khanat de Crimée), Tartarie chinoise (Turkestan oriental/Xinjiang, Qinghai, Tibet).
8Conçu comme une contribution à une construction nationale, identitaire et historique, ce travail pose la question suivante : de quel type d’indépendance parle-t-on à propos de Tartarie indépendante ? Dit autrement, que signifie la notion d’indépendance dans l’esprit des géographes et des cartographes des xviie, xviiie et xixe siècles ? Ce point n’est pas abordé dans le livre et pourrait faire l’objet de recherches approfondies sur la constitution des cartes et leurs usages géographiques ou identitaires. Par ailleurs, l’auteur revendique des sources et des cartes à 100 % européennes et américaines. Il aurait été intéressant de comparer avec des cartes proposées par la Moscovie et par l’Empire russe, mais l’auteur assume pleinement ce choix et le revendique même par le titre.
9En somme, cet ouvrage permet quatre constats. Il s’agit clairement d’une contribution à la construction identitaire pour l’affirmation d’un pays récemment indépendant (avec, en 2021, la célébration des trente années d’indépendance). D’ailleurs, l’ambassadeur du Kazakhstan auprès de l’Union européenne Margulan Baimukhan indique dans son introduction : « Je tiens à souligner que le travail effectué par le scientifique kazakh coïncide avec l’objectif principal et les tâches du programme d’État “Ruhani Zhangyru” (Programme d’identité nationale), initié par le premier président de la République du Kazakhstan, Elbasy Nursultan Nazarbayev » (« I would like to emphasize that the work carried out by Kazakh scientist coincide with the main goal and tasks of the State program “Ruhani Zhangyru” (National Identity program), initiated by the First president of the republic of Kazakhstan, Elbasy Nursultan Nazarbayev », p. 6, notre traduction). Ce livre forme aussi un objet communicationnel qui contribue au débat et à une prise de distance du passé totalitaire du Kazakhstan. Même s’il ne forme pas un récit en soi ni ne le revendique, cet ouvrage prend part à la construction d’un récit national, soit la lecture par un pays de sa propre histoire, ce que l’auteur revendique. Le livre est aussi un outil de recherche par le recensement des cartes et des dénominations. Enfin, c’est un beau livre susceptible d’être offert, actant alors la fusion de statut et d’usage entre les deux points précédents.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Arifon, « Mukhit-Ardager Sydyknazarov, Uninterrupted History of Nationhood in Kazakhstan. The Kazakh State on European and American Maps of the XVI-XIX Centuries », Questions de communication, 45 | -1, 529-532.
Référence électronique
Olivier Arifon, « Mukhit-Ardager Sydyknazarov, Uninterrupted History of Nationhood in Kazakhstan. The Kazakh State on European and American Maps of the XVI-XIX Centuries », Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 05 juillet 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35848 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wyh
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