Claudia Senik (dir.), Pandémies. Nos sociétés à l’épreuve
Claudia Senik (dir.), Pandémies. Nos sociétés à l’épreuve, Paris, Éd. La Découverte, 2022, 227 pages.
Texte intégral
1Sorti en novembre 2022, cet ouvrage rassemble les travaux de 12 auteurs lauréats 2021 de la Fondation pour les Sciences Sociales, aux centres d’intérêt variés (historiens, sociologues, juristes, anthropologues, psychologues), sur les pandémies et avec, comme l’indique le sous-titre « nos sociétés à l’épreuve », des approches sociétales dans des contextes de crise. Le livre ne se lit pas comme un roman, mais il pourra intéresser beaucoup de spécialistes et pourquoi pas les professionnels de santé, même si les aspects médicaux, épidémiologiques, biologiques et thérapeutiques, hormis les vaccinations, sont finalement peu présents. Les textes sont regroupés dans quatre chapitres de 2 ou 3 articles, après un texte isolé mais très argumenté sur la notion et l’histoire de la quarantaine en Croatie et en Italie au Moyen Âge et à la Renaissance.
2Il n’y a pas vraiment de fil rouge, sinon le mot « pandémie » qui se retrouve dans une collection d’approches plutôt rétrospectives au vu la date de publication, comme si la pandémie était terminée, ce qui n’est pas le cas. Tous les textes bénéficient d’une bibliographie pertinente ; les tableaux sont en petits caractères à la limite de la lisibilité. Les aspects médicaux du Covid sont centrés sur l’infectiologie et les infectiologues avec un focus essentiellement médiatique et parisien. Les autres disciplines biologiques et médicales sont quasiment absentes, en particulier l’immunologie et pourtant Jean François Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19 était à la télévision quasiment tous les jours, et même la microbiologie a été largement représentée par le biais de plusieurs médecins et universitaires en particulier Didier Raoult.
3Le texte est un chaos de citations individuelles de ces « étoiles filantes », regroupées dans des ouvrages parus dans l’urgence rassemblés sous la thématique « carnets de guerre » (p. 41), et quelques réflexions politiques issues des premiers congrès d’infectiologie qui se sont tenus peu après la première vague. Le problème du traitement médiatique de l’information et de l’attitude des professionnels de l’information journalistique n’est pas discuté, ce qui est regrettable et mériterait une étude à part entière. Les conséquences sur la santé mentale d’une épidémie font l’objet du second texte. Santé mentale, well being, qualité de vie, etc. le sujet n’était pas abordé auparavant, il est maintenant quantifié ! Toutes les mesures (du confinement à la vaccination) sont présentées comme des défis psychologiques (dans le chapitre 3, en particulier p. 55). Le concept d’incertitude est évidemment mis en avant, en tant que source d’inquiétude, d’anxiété et d’inégalités dans nos sociétés protectrices.
4Pour les oppositions aux vaccinations en France, le sujet est remis en situation depuis le début du siècle jusqu’à son évolution depuis la pandémie de Covid. Les relations avec la politique sont discutées et, plus largement, la défiance vis-à-vis de la science en général considérée comme une institution qui pourrait être un facteur important de l’hésitation vaccinale. Les réseaux sociaux sont personnifiés par Twitter et les auteurs y analysent les échanges, réactions et vocabulaires employés dans le contexte du confinement. Aucune discussion n’est faite sur les autres réseaux sociaux. La partie sur l’intelligence artificielle et les réseaux face à la pandémie qui vise à résumer l’action des instances et organismes supranationaux au concept de « publicités » et non d’information scientifique est intéressante et surprenante pour un scientifique sur le plan de la communication institutionnelle vis-à-vis d’une épidémie. Les conséquences de l’usage d’algorithmes pour les diffuser selon les régions, les couches sociales et les genres montrent que l’infiltration d’outils d’économie commerciale n’est peut-être pas la meilleure solution pour la mise en place de la communication en santé publique.
5Ensuite, deux articles s’intéressent aux cadavres : l’un sur le plan historique en se concentrant sur la grippe espagnole en 1918/1919 à Paris et Grenoble ; l’autre sur les enjeux juridiques et éthiques des corps dans un contexte sanitaire d’urgence, les conséquences humaines du bouleversement des rituels et cérémonies limitant la chaîne du deuil. L’approche est intéressante dans le contexte de nos sociétés qui ont tendance à occulter non seulement la mort, mais aussi la fin de vie, même en contexte hospitalier. En outre, la discussion bio-pouvoir et thanato-pouvoir pourrait être un sujet utile aux médecins en formation.
6Autre pandémie ayant mis nos sociétés à l'épreuve, un chapitre sur le Sida remonte 40 ans en arrière et met en exergue les conséquences diplomatiques autour d’Haïti, les enjeux économiques de la découverte du virus, dans le cadre du contentieux franco-américain de l’identification du virus, et les conséquences géopolitiques dans le contexte de la guerre froide Est-Ouest, avant les problèmes Nord-Sud. Les demandeurs d’asile au temps du Covid sont abordés dans le chapitre 10 mais l'auteur ne remonte pas aux migrations et déplacements de populations au temps des pandémie historiques. Il se focalise sur la gestion administrative des droits des migrants dont le problème a percuté l’épidémie en France.
7À l'évidence, la pandémie a touché le monde entier de façon globale, le chapitre 12 a l'originalité de se focaliser sur une région microscopique isolée, contrastant avec le monde global actuel. Il interroge sur l’attitude de communautés isolées et de leur environnement géographique proche vis-à-vis de l’arrivée d’une épidémie, comme les habitants de villages contaminés par un colporteur au xviiie siècle ?
8Les auteurs se demandent si la science-fiction avait des réponses. Dystopie, espace cathartique, le sujet interpelle par les prévisions issues de l’imagination d’auteurs variés. Les chercheurs trouveront une revue bibliographique sans doute utile aussi à la réflexion des politiques.
9Au début de l’ouvrage, l’histoire est abordée à travers le sujet des quarantaines. On y apprend que le confinement à domicile était réservé aux élites à la Renaissance (p 20). Mais cela pose beaucoup de questions sur les quarantaines en France, en Angleterre, leurs échecs et leurs conséquences sur les sociétés des différentes époques jusqu’à la diffusion de la peste dans les régions. Quaranta ou isolement, des mots différents, des temps différents, des maladies différentes.
10Conséquence inéluctable de la gravité des maladies infectieuses non prévenues, la gestion des corps dans le cadre des épidémies est également un vaste sujet qui nécessiterait des recherches historiques et comparatives. Certaines images médiatiques de New York interrogent, ainsi que la prise en charge du problème, dissimulé, semble-t-il, à Wuhan.
11Néanmoins, dans cet ensemble hétérogène de textes, on reste sur sa faim à propos d’un sujet qui a évolué et, espérons-le, fait toujours l’objet de recherches et d’analyses. L’ouvrage reste très concentré sur un angle franco-français. Ce n’est pas un livre global au sens géographique alors que par définition, le mot pandémie recouvre des épidémies mondiales. Il y a l’Himalaya mais c’est évidemment anecdotique. Il manque d’abord l’Europe, sauf dans les approches historiques (Italie, la Suède). Il manque surtout les points de vue du reste du monde : la Chine, les Amériques, l’Australie et le Pacifique, alors que les problèmes de société ont intéressé et continuent à concerner tous ces espaces du monde connu. Quelques exemples : les fake news et leurs conséquences vaccinales, les réactions des jeunes Chinois à ces années de confinement, les conséquences économiques des pandémies.
12En somme, un livre inspirant et stimulant, qui doit interroger les médecins en infectiologie et les chercheurs, suscitant aussi de nouveaux sujets de recherche en sciences humaines et sociales.
Pour citer cet article
Référence papier
Gilbert Faure, « Claudia Senik (dir.), Pandémies. Nos sociétés à l’épreuve », Questions de communication, 45 | -1, 526-529.
Référence électronique
Gilbert Faure, « Claudia Senik (dir.), Pandémies. Nos sociétés à l’épreuve », Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35842 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wye
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