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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Fabien Conord, Jean-Philippe Rey et Gilles Vergnon (dirs), Les Napoléon en Républiques (1870-2022). Politique et mémoire

Michael Palmer
p. 498-501
Référence(s) :

Fabien Conord, Jean-Philippe Rey et Gilles Vergnon (dirs), Les Napoléon en Républiques (1870-2022). Politique et mémoire, Recoubeau-Jansac, Éd. La Baume rousse, 2022, 250 pages.

Texte intégral

1Qualifiées de « Napoléonides », mot qui désigne habituellement des pièces de monnaie frappées à l’effigie de Napoléon et des membres de sa famille », ce terme s’applique ici à diverses dates marquantes des commémorations des « Napoléons ».

2La moitié des communications réunies provient d’une journée d’étude analysant les dates marquantes de ces commémorations dans l’espace public. La totalité des textes provient d’historiens ; certains d’entre eux s’approprient les approches des commémorations souvent développées par les communicologues. Ce sont dix textes plutôt brefs (de 15 à 20 pages chacun) qui s’attaquent à des sujets qui peuvent avoir une certaine portée historiographique, sans pour autant les approfondir. On sent les regrets de Céline Piot, spécialiste de l’histoire de la Gascogne, la seule ici à présenter une monographie du bonapartisme en région, qui doit se contenter d’un survol du bonapartisme en Gascogne de 1870 à 1914 (p. 59-80). Elle présente le boulangisme de la fin des années 1880 comme un piège pour le bonapartisme. Elle traite, en somme, du déclin du bonapartisme dans une région où, au début de la IIIe République, il était fortement implanté. S’attardant sur les rapports entre bonapartisme et boulangisme, Bertrand Joly, lui, souligne une complexité qui va bien au-delà de « l’arriviste démagogue » (p. 31) qu’était le général Georges Boulanger. A contrario, si l’on peut dire, le texte de Jean-Philippe Rey (p. 163-180), qui examine pourquoi Austerlitz n’a pas été commémoré, saisit bien le rapport entre contexte politique moderne et portée de l’événement militaire de 1805 ; pour simplifier, évoquer une victoire militaire ne convenait pas à l’agenda des politiques (p. 245). En revanche, une doctorante en sociologie, Judith Ardagna, et un jeune docteur en histoire, Yann Sambuis, explorent les nombreuses reconstitutions historiques napoléoniennes dans les années 1980-2000, en se focalisant sur les « reconstitueurs ». Ils les présentent comme « l’une des branches les plus dynamiques de la reconstitution historique » (p. 181).

3L’étude des reconstitueurs et de leurs discours est le thème dominant de la deuxième partie de l’ouvrage. Les remarques de Maryline Crivello (p. 187) et de Gérard Noiriel (p. 204), de même qu’un questionnaire Google Form (p. 196-197), sont convoqués, ainsi qu’un texte d’Émile Kern, auteur d’une communication revendiquant la complémentarité des approches (p. 211-231). Sont étudiées aussi bien des manifestations où participent des membres de la société civile que des manifestations officielles. Mais la situation reste paradoxale : Thierry Lentz, directeur général de la Fondation Napoléon, a beau rappeler que le président de la République précisait le 5 mai 2021 que « Napoléon Bonaparte est une part de nous » (p. 236), l’historien Gilles Richard note que « la famille politique bonapartiste est en voie d’extinction » (p. 250). Il y aurait comme une tension entre le déclin du bonapartisme politique et la fougue des « reconstitueurs » revisitant des temps forts de Napoléon sans la moindre ambition politique. La spécialiste du catholicisme, Corinne Bonafoux, étudiant l’héritage bonapartiste dans la droite catholique pendant l’entre-deux-guerres, revisite l’historiographie bonapartiste avant de se centrer sur les rapports entre les bonapartistes et les ligues. Le rôle des élites est souligné : on y trouve Xavier Vallat parmi les nombreux avocats et autres juristes.

4L’un des apports de cet ouvrage réside dans la diversité des sources déployées : ouvrages canoniques – Jean Tulard, René Rémond, André Siegfried par exemple – ; archives nationales et départementales ; articles de presse ; entretiens ; la bibliographie napoléonienne « tous azimuts », entre autres exemples.

5Le texte de Fabien Conord sur les « lieux de sépulture des Bonaparte » (p. 101-121) illustre bien ce décalage entre funérailles et patrimonialisation : la diversité même des lieux de sépulture des Bonaparte indique combien était vain l’espoir de Napoléon que la dynastie se retrouve, tels les rois de France, à la basilique de Saint-Denis. En effet, « Le métier de croque-mort » (p. 106) incombe au prince de Joinville, un des fils de Louis-Philippe, roi des Français, chargé de récupérer les cendres de Napoléon en 1840 et de les ramener de Sainte-Hélène pour être inhumées aux Invalides : il revient aux deux historiens Jean-Étienne Dubois et Gilles Vergnon, de qualifier les commémorations du centenaire de la mort de Napoléon en 1921 de « consensus national et républicain incomplet » (p. 125-142) et « le bicentenaire de 1969 » de « commémoration (presque) consensuelle ? » (p. 145-161).

6Bernard Lachaise réexamine ce qu’il qualifie de lieu commun : « la Ve République est-elle bonapartiste ? » (p. 81-98). Ayant écrit sur Georges Pompidou, Alain Juppé et le gaullisme, il est bien placé pour le faire. Hyper-empereur, hyper-président ? Le président Nicolas Sarkozy qualifiant son premier ministre François Fillon de « collaborateur » sonne comme une remarque à la Napoléon. Alain Duhamel observa que N. Sarkozy est « bonapartiste ». D’où une certaine déception aux yeux de B. Lachaise que l’une des grandes différences entre les régimes des Bonaparte et la Ve République ait été simplement leur durée. En fait, les deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon III, étaient très différents l’un de l’autre (tout comme les présidents de la Ve République). Les deux étaient des usurpateurs de la République – l’un lors du 18-Brumaire, l’autre lors du coup d’État du 2 décembre 1851 – ; les deux réprimaient la presse ; mais manquait à Napoléon III l’intelligence de son prédécesseur : on le voit mal écrire la phrase de son ancêtre « toutes les fois qu’il parviendra une nouvelle désagréable au gouvernement, elle ne doit pas être publiée jusqu’à ce qu’on soit tellement sûr de sa vérité qu’on ne doive plus le dire parce qu’elle est connue de tout le monde ». L’analyse de B. Lachaise est riche ; il en ressort que Pierre Messmer, Premier ministre du président G. Pompidou et ancien militaire, est le plus à même de se contenter du rôle de collaborateur.

7T. Lentz, directeur général de la Fondation Napoléon, regarde le bicentenaire de la mort de Napoléon du point de vue de cette Fondation (p. 233-238). Historien, il a été aux prises avec les adeptes de la « cancel culture » (sic). Formule qui fait écho aux propos de G. Richard sur la durée : c’est « la plus longue des Républiques », la troisième, qui effaça, pour l’essentiel, le bonapartisme. Et, en revisitant le bonapartisme depuis le 18 Brumaire, G. Richard se penche sur une question majeure – comment un nom devient un « isme » : « the magic and mystery of a name », dit l’anglais. Une question qui, d’une certaine manière, réactive la question de la pertinence ou non d’une commémoration. J.-É. Dubois décrit bien le contexte où, en 1921, la république honore Napoléon – prouesse militaire d’un chef de guerre à saluer après la victoire de la guerre de 1914-1918 ; Chambre « bleu horizon » élue en 1919. Et encore, le bicentenaire de la naissance de Napoléon en 1969 honore un chef peu après le retrait de cet autre chef qu’était le général de Gaulle. Mais, dans le texte de J.-P. Rey (p. 163-178), ce sont les motifs de la non-commémoration d’Austerlitz qui s’avèrent les plus riches ; il ne serait pas politiquement correct de saluer un succès militaire.

8Il est à noter que F. Conord remarque qu’Ajaccio devient un lieu de sépulture pour un nombre croissant de membres de la famille Bonaparte et d’ajouter que, située, non pas près d’une chapelle impériale mais près cimetière marin, figure le tombeau du chanteur Tino Rossi, qui attire davantage de personnes ?

9Scruter les reconstitueurs en même temps que revisiter des périodes où le bonapartisme représentait une force politique importante, c’est un peu le mariage de la carpe et du lapin : on peut ne pas être convaincu par cette démarche. On se demande à quand les reconstitutions des journées gaullistes ? Peut-on faire un « Puy du Fou » de toute journée qui jalonne l’histoire de France – la bataille d’Azincourt, la bataille de Valmy (déjà célébrée à Boston), etc. ? À Rouen, les Britanniques oseront-ils célébrer l’immolation de Jeanne d’Arc ?

10Cette étude ne relève pas vraiment de la sociologie politique ; elle tente plutôt, de cerner les approches en cours qui sous-tendent l’étude mémorielle réactivée par des reconstitueurs. Certains textes font ressortir des analogies avec la situation politique récente – comme le recours à l’article 49.3 de la Constitution. La diversité des approches est à saluer, même si le lecteur se trouve parfois décontenancé.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michael Palmer, « Fabien Conord, Jean-Philippe Rey et Gilles Vergnon (dirs), Les Napoléon en Républiques (1870-2022). Politique et mémoire »Questions de communication, 45 | -1, 498-501.

Référence électronique

Michael Palmer, « Fabien Conord, Jean-Philippe Rey et Gilles Vergnon (dirs), Les Napoléon en Républiques (1870-2022). Politique et mémoire »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35757 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wy8

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Auteur

Michael Palmer

CIM, Université Sorbonne-Nouvelle, F-75005 Paris, France michael.palmer[at]sorbonne-nouvelle.fr

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