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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Frédéric Chauvaud, Lydie Bodiou, Jean-Philippe Martin et Héloïse Morel (dirs), À coups de cases et de bulles. Les violences faites aux femmes dans la bande dessinée

Maël Rannou
p. 493-495
Référence(s) :

Frédéric Chauvaud, Lydie Bodiou, Jean-Philippe Martin et Héloïse Morel (dirs), À coups de cases et de bulles. Les violences faites aux femmes dans la bande dessinée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2023, 350 pages.

Texte intégral

1Faisant suite à un colloque tenu à Angoulême et Poitiers en 2019 et 2020, ces volumineux actes proposent une observation du sujet des violences faites aux femmes dans la bande dessinée. Dans cet ouvrage structuré en trois parties, les auteur·ices naviguent entre deux approches principales : analyser une ou des œuvres pour observer le discours sur les violences faites aux femmes ou analyser la manière dont des ensembles de titres peuvent servir de vecteurs pour évoquer ce sujet, dans une perspective plus proche de la vulgarisation. Les perspectives d’analyses sont très diverses, voulant par là montrer une diversité de regard bienvenue, sans limite d’espaces géographiques et temporels.

2L’ensemble du volume propose des perspectives tout à fait pertinentes, mais il est marqué par une profonde inégalité du contenu. Les introductions diverses – une générale, une par partie – sont assez longues et tentent de tout embrasser, remontant même à Bécassine, sans que le rapport avec le sujet soit toujours évident. Un cas exemplaire de cet élargissement est un article en soit tout à fait intéressant de Guillaume Garnier sur Adèle Blanc-Sec (p. 87-98) qui, s’il parle de son corps violenté par moments, brasse d’autres sujets et semble en décalage avec les articles plus typologiques qui le précèdent, ou l’analyse fine de l’œuvre d’Alan Moore au prisme des violences de genres de Sophie Bonadè qui le succède (p. 99-114). La lecture donne alors une impression générale de déséquilibre qui fait qu’on en ressort à moitié convaincu·e de la méthodologie, un problème plutôt lié à la composition de l’ouvrage qu’aux articles en tant que tels.

3Partant du principe que la bande dessinée représente la société, ou témoigne en tout cas d’une représentation ancrée dans une époque, le recueil propose des contributions souvent centrées sur des corpus courts, afin de les confronter à divers outils méthodologiques. La domination de l’histoire est cependant absolue dans les profils des auteur·rices, ce qui se ressent dans les analyses. Ceci d’autant plus que plus de la moitié des contributions ne sont pas de la main de chercheur·euses travaillant régulièrement sur la bande dessinée. Si cela peut assurément apporter une richesse de regard et de recul, ainsi de l’article de Laurent Bihl qui inscrit la bande dessinée dans une histoire plus globale en s'intéressant à l'image du voyeur dans la caricature, malgré un titre à l’humour un peu douteux sur ce sujet (« L’œil était dans la tombe et regardait le câlin », p. 23-52), plusieurs textes en montrent aussi certaines limites. De fait, plusieurs analyses intéressantes sur le fond se bornent souvent à décrire la violence sans vraiment détailler l’apport ou le problème posé par la bande dessinée, si ce n’est qu’elle est mise en image. L’article de Marine Remblière (p. 121-134), qui analyse le corps représenté de Tirésias/Thya dans une bande dessinée de Christian Rossi et Serge Le Tendre sortie en 2001 (Tirésias, Paris, Casterman), développe de très pertinentes analyses sur la représentation, mais ne constate qu’en conclusion que les auteurs ont représenté une femme dans les classiques de beauté des bandes dessinées pour adultes. Ce faisant, l’autrice ne fait pas le lien avec les débats intenses dans les années 2000 sur l’aspect « putassier » des bandes dessinées semi-réalistes s’appuyant sur des représentations constantes de femmes nues, souvent agressées, bien qu’elle note que seuls les viols du personnage féminin sont représentés. L’analyse est riche, mais la spécificité du contexte de bande dessinée semble méconnue, ce qui est dommage car il contient ici un débat propre au milieu, particulièrement fécond à l’époque de la conception de cet album.

4Les articles les plus percutants sont ceux qui mêlent les apports d’une analyse de bande dessinée en tant que média et des apports d’autres champs. À cet égard, celui de Madeleine Stratford, « au confluent de la traductologie, des études de genre et de la BD » (p. 311-322), montre combien ces croisements sont fructueux. Dans son étude des traductions du multiprimé Moi, ce que j’aime, c’est les monstres (Ferris Emil, Cenon, Monsieur Toussaint Louverture, 2018 [2017]), elle analyse la manière dont les violences sexuelles sont retranscrites selon les langues. Au-delà du contenu des textes et des dessins, elle relève également différents éléments propres à la bande dessinée comme les onomatopées, mais aussi les couleurs, la taille des séquences ou le travail de lettrage, qui peut particulièrement évoluer dans le cadre d’une traduction. On apprécie aussi le texte de Marys Renné Hertiman (p. 295-310), plus proche de la sociologie et des études de genres, ou des approches historiques plus classiques qui permet d'apporter un regard plus global sur le sujet. Surtout, un attachement semble avoir été porté à élargir le champ géographique des objets étudiés, en allant étudier des zones souvent méconnues ou invisibilisées, comme la très riche production de l’océan Indien, et particulièrement de La Réunion. Trois articles parlent de territoires passant souvent sous les radars médiatiques : celui de Mounia Ouziou (p. 245-258) sur le sexisme dans la bande dessinée au Maroc, celui de Pierre Éric Fageol et Frédéric Garan (p. 259-278), qui embrasse toute la production avoisinant La Réunion, et celui de Pascale Hellégouarc’h (p. 227-244), qui étudie la représentation des femmes mahoraises dans un titre de Charles Masson (Droit du sol, Paris, Casterman, 2009). Là encore, les approches en tant que telles varient, mais l’originalité des objets étudiés change des récits plus classiques et ethnocentrés présentés en ouverture.

5Si une certaine déception point à la lecture, elle semble surtout venir d’un travail d’édition insuffisant. Mieux cadré, il aurait pu permettre d’ancrer les contributions dans le champ du neuvième art afin qu’il ne soit pas qu’un support, mais bien un des objets d’étude. Un regret qui se ressent aussi dans certaines finitions, comme dans l’article d’Élisabeth Schulz, qui peut prêter à débat dans son approche psychanalytique, mais est surtout décrédibilisé par des images mal scannées, voire photographiées, alors que les éditeurs de bande dessinées transmettent facilement des fichiers en bonne définition si on le leur demande. Malgré ces défauts, et l’inégalité propre à tout collectif, il reste le premier ouvrage à se pencher, dans une approche aussi globale, sur un sujet de société majeur, que le président français Emmanuel Macron a dit vouloir ériger en « grande cause nationale ». Connectées à des mobilisations sociales fortes dans la société post-#MeToo, mêlant différentes générations de chercheur·es, les réserves n’enlèvent pas la profonde pertinence de son sujet comme celle de plusieurs de ses analyses.

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Pour citer cet article

Référence papier

Maël Rannou, « Frédéric Chauvaud, Lydie Bodiou, Jean-Philippe Martin et Héloïse Morel (dirs), À coups de cases et de bulles. Les violences faites aux femmes dans la bande dessinée »Questions de communication, 45 | -1, 493-495.

Référence électronique

Maël Rannou, « Frédéric Chauvaud, Lydie Bodiou, Jean-Philippe Martin et Héloïse Morel (dirs), À coups de cases et de bulles. Les violences faites aux femmes dans la bande dessinée »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35730 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wy6

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Auteur

Maël Rannou

Chcs, Université de Versailles, F-78280 Guyancourt, France maelrannou[at]lilo.org

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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