Frédéric Bidouze, Littérature et États généraux (1788-1789). Vol. I. Politique : préludes à la gauche et à la droite
Frédéric Bidouze, Littérature et États généraux (1788-1789). Vol. I. Politique : préludes à la gauche et à la droite, Pau, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2023, 125 pages.
Texte intégral
1Frédéric Bidouze est un historien des parlements d’Ancien Régime ; dans ce petit ouvrage, premier d’une trilogie à venir, il interroge la riche production littéraire à connotation politique publiée, pendant la période de préparation des États généraux d’août 1788, date de leur convocation, à mai 1789, date de leur réunion, en refusant, autant que faire se peut, tout parti pris téléologique. Il tente donc d’analyser ce vaste corpus en se plaçant du point de vue des auteurs, voire des lecteurs en essayant d’ignorer les événements postérieurs qui ont pour nom Révolution française, sans toujours y parvenir. Pour n’être pas originale, la démarche n’est pas si commune, tant il est à l’historien difficile de s’abstraire de son savoir global sur une période.
2L’introduction précédée de quatre épigraphes qui témoignent, pour l’auteur, de la diversité du corpus tout en attestant de l’unité de l’espace dans lequel il se manifeste entend être une introduction générale aux trois ouvrages. On en retiendra la volonté du roi de ne pas s’en tenir aux formes du passé tout en affirmant sa prépondérance (p. 19), ce qui l’entraîne, obnubilé par la crise financière, à s’appuyer sur l’esprit des Lumières, du moins sur ce qu’il en distingue, pour contrer l’adversaire de toujours, les parlements. N’hésitant pas à considérer les États généraux comme une « assemblée vraiment nationale » (p. 17, 19), il fait sauter les digues qui retenaient la critique en décrétant la liberté de la presse (p. 19), puis en procédant au doublement du tiers (p. 20), dont il ne pouvait ignorer qu’il menait au vote par tête déjà en vigueur dans les assemblées provinciales, curieusement ignorées par l’auteur. Pour se débarrasser de l’agaçante et permanente tentative de tutelle des parlements que la monarchie savait manœuvrer, Louis XVI donne sa forme au peuple souverain partenaire qui allait s’avérer plus malcommode (p. 27). Mais rien n’était écrit d’avance et F. Bidouze a raison de souligner que le succès du fameux Qu’est-ce que le Tiers-État ? de l’abbé Emmanuel-Joseph Sieyès (Paris, 1789) l’est d’autant que les historiens de la Révolution l’ont mis en avant quand nombre de textes attestent d’une grande diversité d’opinions sur le sujet (p. 21), comme de noter que, dans la période considérée, un courant conservateur, voire complotiste, certes minoritaire, se met en place (p. 24). L’idée d’une sorte de mécanisme qui, implacablement, se construit sur un malentendu entre le roi, ses ministres et les représentants, incarnant dans une société d’ordres le peuple (p. 27-30), pour faire table rase est un rien téléologique. Mais l’historien ne peut passer son temps à jouer les Œdipe tâtonnants, et le programme proposé, dont on sent bien qu’il prend parfois parti, est excitant par son angle d’attaque original.
3Le premier chapitre est consacré aux États généraux et leur campagne électorale (juillet 1788-mai 1789). Après avoir pris soin de caractériser cette courte période dans l’historiographie française comme une sorte de no man’s land, effacé de l’histoire de l’Ancien Régime comme prérévolutionnaire (p. 33) et, en conséquence, rattaché à l’histoire de la Révolution dans un mouvement téléologique sans ambiguïté (p. 34), l’auteur entend lui redonner une place dans la longue histoire d’un peuple et ses rois. Constatant que la France ignore la co-souveraineté à l’anglaise entre un peuple, ou à tout le moins ses représentants et le souverain, il montre une société où la contestation et le débat sont permanents, portés particulièrement par les parlements, cours judiciaires s’estimant représentatives, et le refus constant du roi d’avilir sa puissance en consultant peuple ou représentants, autoproclamés ou non (p. 35). La vie politique s’organise alors autour des démêlés (p. 36) entre les parlements et le roi. La prétention des parlements à limiter le pouvoir royal, travesti en despotisme ministériel, ne faisait pas l’unanimité, en témoigne Voltaire, et la division de la société en trois ordres n’empêchait pas que fussent pris en compte la liberté, la sûreté et la propriété avant de devenir acquis révolutionnaires (p. 37-38). Si l’on ajoute à cela L’Équivoque voltairienne sur le mot parlement dont le sens français est loin de recouvrir la réalité anglaise (p. 39), on voit poindre celle des États généraux, quand la population prit le parti des parlements (p. 40). S’ouvrait alors une séquence nouvelle où le roi vit l’occasion de se débarrasser des encombrants juristes, sans mesurer quelle boîte de Pandore il ouvrait. Après avoir réfléchi sur les précédents états généraux (p. 42-43), on convint de le faire dans des formes nouvelles qui devaient aboutir, comme cela est écrit dans l’introduction, au doublement du tiers et au vote par tête. Sans doute l’expérience, un brin légendaire, des précédents états généraux paraissait-elle garantir que le dernier mot resterait au pouvoir royal (p. 47), mais 175 ans s’étaient écoulés depuis leur dernière convocation. La tentative des parlements de refuser tout changement dans leur composition leur valut une hostilité quasi générale (p. 48-49). Désormais, le roi parut avoir le champ libre. Liberté qui transparaît sous forme de très nombreuses brochures, parfois suscitées par les ministres, lues et commentées en tous lieux, achevant de déconsidérer les parlements, mais entretenant l’illusion d’une entente du roi et de ses peuples sans nuages (p. 52-59). L’ambiguïté fit qu’antiparlementaires et roi se pensèrent du même côté de la barrière, d’autant que le règlement électoral, s’il conservait les ordres, ouvrait à la majorité des hommes le droit de vote (p. 58). Tandis que les brochures se radicalisaient, les conversations entre les partisans du mouvement et ceux du statu quo amélioré, qui allait devenir la réaction, cessèrent d’être possibles : « Raisonnons par écrit, puisque cela devient impraticable en conversation » déclare le rédacteur de la brochure Sur l’arrêté du 25 septembre 1788 (p. 55) ; quelque chose se nouait dans l’ordre du politique sans que l’on ne puisse encore en distinguer les formes.
4Intitulé « Lumières et littérature électorale », le deuxième chapitre s’efforce de remédier à l’indistinction des formes en repérant dans la masse des écrits des courants. Après avoir constaté le flot des imprimés des « apôtres du Bien public » (p. 63), mais aussi la construction de l’Autre (p. 64-65) – ceux qui refusent l’exaltation philosophique du moment, brocardés avec férocité (p. 65) –, l’auteur se lance dans des réflexions historiographiques où sont convoqués Alexis de Tocqueville, Hippolyte Taine, François-René de Chateaubriand et, surprise, Maximilien Robespierre en personne (p. 65). Ceci est fait au prétexte de lire et relire ces sources, largement partagées par les historiens, « dans leurs confluences, non pas politiques, ou idéologiques, mais en termes d’intérêt voire de fronde du public contre l’ordre du monde » (p. 66). On admirera au passage un moment téléologique pour mieux dire qu’on y renonce, habile mais peu convaincant. F. Bidouze surfe, on me pardonnera le procédé, sur l’idée que, bien avant la convocation des États généraux, la littérature avait procédé à une critique radicale des dogmes et des autorités qui formaient l’armature de la société. Il émet le constat que, sortant du cercle des élites policées, les idées, non pas nouvelles mais insuffisamment partagées, acquièrent des multiples écrits diffusés dans cette étonnante année non calendaire 1788-1789 une force irrésistible, la quantité transformant la qualité (p. 67-77). Ce surgissement de l’écrit, porté par une bohème littéraire avec laquelle l’auteur n’est pas tendre, reflet du moment qu’il interroge ou de ses convictions, on ne sait, mais l’incessant retour à H. Taine interpelle (p. 73-74), construit ce que nous appelons l’opinion publique (p. 78). Opinion dont on connaît aujourd’hui comme hier la versatilité comme le lien qu’elle permet de construire au sein d’une formation sociale. Si ce chapitre est érudit et bien informé des débats historiques, il déçoit par un trop grand intérêt pour l’historiographie révolutionnaire, semblant n’avoir pour horizon qu’une révolution à venir et souvent advenue au fil des pages (p. 81-82), ou se lançant dans l’analyse rétrospective des censures qui frappèrent Jean-Jacques Rousseau (p. 84-85). On eût préféré qu’il évoquât les écrits des « Rousseau de ruisseau » et autres « canailles littéraires » globalement cités (p. 73), mais à la production résolument ignorée. Plus conforme au projet esquissé dans l’introduction est le passage (p. 86-98) consacré aux prémices de la diabolisation en politique. Après être revenu sur l’instrumentalisation sur une longue durée de la Révolution, il pointe avec raison que la fin de la société d’ordres n’était ni dans le programme royal, ni dans celui de la majorité des députés du tiers. Elle fut une surprise au sens propre. Faisant retour sur les conflits bien embrouillés entre le roi et les parlementaires, il souligne que ceux-ci, ensevelis sous de multiples libelles injurieux, furent à l’automne 1788 les premiers diabolisés, bientôt suivi de tant d’autres plus attaqués pour ce qu’ils sont, ou censés être, que pour ce qu’ils disent (p. 97).
5Enfin, la conclusion hésite entre leçons pour le présent, l’insatisfaction jamais tarie comme moteur de la démocratie (p. 103) et une critique de la Révolution advenue, ce n’est pas très neuf, appuyée sur quelques contempteurs : Claude Quétel, Raymond Aron, Alain Finkielkraut, parmi lesquels Timothy Tackett doit se sentir bien seul à soutenir la révolte. Ce recours aux arguments d’autorité comme aux citations courtes est une détestable habitude universitaire, il ne sert à rien de la déplorer mais le procédé affaiblit les réflexions stimulantes sur l’émergence à l’occasion de la convocation des États généraux d’une proto-droite et d’une proto-gauche (p. 109), voire sur l’articulation passion/exclusion qui caractériserait la vie politique française, ce qui reste à démontrer.
6Ce petit ouvrage vivifiant, qui n’est que le premier de trois, ne tient pas la promesse de son introduction. Renoncer à la téléologie pour plonger dans un présent/passé vierge de son avenir est un programme peut-être intenable, en tout cas mal tenu, au risque de partis pris plus affirmés que justifiés. Cependant, on attend la suite avec une certaine impatience.
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Cadé, « Frédéric Bidouze, Littérature et États généraux (1788-1789). Vol. I. Politique : préludes à la gauche et à la droite », Questions de communication, 45 | -1, 474-477.
Référence électronique
Michel Cadé, « Frédéric Bidouze, Littérature et États généraux (1788-1789). Vol. I. Politique : préludes à la gauche et à la droite », Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35690 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wy1
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