Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Daphné Bolz, Yvan Gastaut, Sandrine Lemaire et Stéphane Mourlane (dirs), Une histoire mondiale de l’olympisme. 1896-2024
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Daphné Bolz, Yvan Gastaut, Sandrine Lemaire et Stéphane Mourlane (dirs), Une histoire mondiale de l’olympisme. 1896-2024, préface d’Antoine Petit, Poitiers/Neuilly-sur-Seine, Éd. Atlantique/ Éd. Atlande, 2023, 470 pages.
Texte intégral
1Cet ouvrage est publié sous la direction de pas moins de sept auteur·ices et compte trente-cinq contributeur·ices pour un total de 470 pages. Parmi ce collectif, on compte d’illustres signatures, Pascal Ory (p. 63-68) ou encore Georges Vigarello (p. 421-438) qui signe la conclusion. Le livre est soutenu par douze structures, dont sept ministères. On est d’emblée dérouté par la quantité d’auteur·ices et d’institutions qui chapeautent le projet. De plus, sous couvert du patronage, rien de moins que celui du président de la République. On se dit alors qu’il va s’agir d’un « bouquin » très « convenu », « propret », qui viendra vanter l’opportunité de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) à Paris en 2024. Néanmoins, ce n’est pas un ouvrage sur l’olympisme franco-français. Certes, les textes sont rédigés en français, mais les contributions sont majoritairement tournées vers l’international, comme pour mieux se confondre avec l’universalisme de l’idéal « coubertinien ». D’ailleurs, dans chacune des biographies, les auteur·ices ont systématiquement mis en exergue leurs publications dépassant le strict cadre hexagonal. On retrouve aussi beaucoup de titres en langues étrangères, essentiellement en anglais. Pour continuer sur la pluralité, cet ouvrage est le fruit de différentes contributions au cours des nombreux colloques dont la thématique était l’olympisme, cela depuis 2020, comme une « mise en bouche » avant l’événement de 2024. Contribuant encore à la multiplicité, est proposé dans ce travail un découpage en six parties chronologiques. En outre, la bibliographie compte 26 pages, ce qui est relativement peu courant pour un livre à caractère anthologique. Enfin, l’ouvrage s’inscrit dans le programme « Histoire, Sport & Citoyenneté (1896-2024) » porté par le groupe de recherche Achac et la Caisse d’aide sociale à l’Éducation nationale (Casden), dont il est souvent fait référence entre les différentes contributions.
2L’objectif de l’ouvrage est de montrer que, loin d’être un îlot pacificateur hors de la société, l’olympisme, malgré ses valeurs apolitiques, éducatives, ne fait que retranscrire les tensions de cette dernière. De fait, l’ouvrage compare la réalité des conflits d’une époque au discours olympique princeps, « coubertinien ». Malgré tout, rien de très nouveau sur le plan thématique : les balbutiements des premiers JO, l’entre-deux-guerres et la non-invitation des vaincus, la Guerre froide, la décolonisation, l’utilisation du sport par les régimes totalitaires, la difficile entrée des femmes, etc. Cependant, il faut reconnaître aux auteur·ices de ne pas avoir été complaisant·es avec les « commanditaires » de l’ouvrage et le monde olympique. Le discours critique est bien présent ; en témoignent les écrits concernant le dopage ou encore les procédures de choix des villes hôtes, et la qualité du travail réalisé par d’incontestables spécialistes est là. Cela permet donc d’apporter des informations précises et des interprétations bien argumentées aux simples curieux·euses, passionné·es, mais aux lecteur·ices plus averti·es du milieu de la recherche.
3L’intérêt incontestable de l’ouvrage ne réside pas tant dans sa dimension historique que dans celles prescriptive et prédictive, respectivement dans les Ve et VIe parties. En effet, les JO les plus récents et ceux à venir sont scrutés en fonction d’enjeux cruciaux : l’égalité entre les sexes, le caractère durable de ces grand-messes, l’enjeu écologique, la culture « 2.0 », la valorisation des sites, l’utilisation touristique, la rentabilité économique et sociale, etc. Ce sont alors davantage des économistes, des spécialistes de la gouvernance et du management, des philosophes, qui donnent de la plus-value à l’ouvrage dans ces parties et dans la conclusion générale, jusqu’à d’ailleurs remettre en cause l’organisation du « printemps quadriennal humain » (que l’on croyait inscrit une bonne fois pour toutes) par G. Vigarello. Alors, certes, comme dans tous les ouvrages collectifs, la qualité n’est pas uniforme, mais le travail éditorial permet de lisser les différences. Je conseillerais finalement la lecture de ce livre, mais peut-être après les Jeux de 2024, ce qui permettra d’en évaluer la valeur prédictive et la pertinence.
4Dans les premiers chapitres portant sur les premiers JO d’avant la Première Guerre mondiale, on peut lire qu’avant la tentative (réussie) de « réhabilitation » des Jeux par Pierre de Coubertin, ce sont les Grecs qui, tout au long du xixe siècle, ont tenté à plusieurs reprises de réinstaurer leurs Jeux organisés durant la période antique. On découvre que le nombre de spectateur·ices n’est pas une préoccupation des organisateur·ices pour deux raisons : des mécènes hellènes ont « mis la main au porte-monnaie » et la foule est très présente. En effet, Athènes a une vie artistique en dehors des Jeux, grâce aux pièces de théâtre qui drainent du monde. Ceci montre aussi que la séparation entre spectateur·ices et pratiquant·es, trait de la modernité sportive, n’est pas particulièrement marquée. Surtout, on peut lire entre les lignes que le spectacle sportif comme « apéritif des masses », une des idées pédagogiques phares de P. de Coubertin, n’est pas vraiment pris en compte. On reste sur l’idéal du compétiteur d’élite en charge de représenter sa nation. Ceci inaugurera ce qui se passera durant l’entre-deux-guerres, voire ensuite avec l’exacerbation du nationalisme par l’instrument olympique.
5Avec un titre provocateur « Les Jeux Olympiques de 1900 ont-ils eu lieu ? » (p. 63-68), P. Ory montre que les concours internationaux à caractère athlétique connaissent un vif succès par rapport aux épreuves olympiques : plus de participant·es, plus de pays représentés, plus d’épreuves organisées. Mais si, dans l’instant présent, l’exposition universelle de Paris a éclipsé les Jeux, sur les court et moyen termes il n’en est rien. Les gymnastiques, les jeux traditionnels, les exercices militaires proposés dans le cadre de l’exposition commencent à décliner et c’est bien le sport olympique qui va triompher. De plus, l’auteur montre que, par rapport aux Jeux de Saint-Louis (États-Unis) de 1904, ceux de Paris ont eu davantage d’envergure. Ceux-là ne restent « célèbres » que par l’organisation des journées anthropologiques de triste mémoire qui ne font que corroborer « scientifiquement » la supériorité de la « race blanche civilisée » sur les peuplades « indigènes » (Fabrice Delsahut, p. 69-79). Certaines contributions, dont celle de Michaël Attali (p. 91-103), montrent comment l’olympisme s’affirme autour de principes universels admis par bon nombre de pays. D’autres similitudes entre ces derniers sont mises en avant, par exemple l’existencede l’opposition, en Allemagne comme en France, entre sports athlétiques et gymnastiques patriotiques (Michael Krüger, p. 81-90), sorte d’avant-goût de l’opposition entre sport et éducation physique scolaire. Ce qui reste marquant, c’est le nationalisme et le patriotisme qui se dégagent du sport olympique. On pensait que l’appétence pour ces considérations était davantage marquée dans les gymnastiques militaires ou/et médicales, mais elles n’en n’ont pas la primeur.
6Comme les expositions, qui n’ont d’universelles que le nom, l’organisation par un pays des Jeux est l’occasion de dérives chauvines de la part de ses ressortissant·es, mais aussi des hôtes. En dépit de la crise de 1929, Los Angeles est une olympiade innovante (Philippe Tétart, p. 119-129), mais la faible participation européenne n’en fait pas une rupture marquante. En revanche, les JO de Berlin de 1936 (Daphné Bolz, p. 131-141) sont, malgré les circonstances, une réussite. Pourtant, trois obstacles nuisent à la préparation des Jeux : l’opposition entre le courant du sport bourgeois et celui des gymnastiques patriotiques (« Turnen »), la crainte des membres du Comité international olympique (CIO) de cautionner l’idéal nazi et enfin le peu d’intérêt que porte Adolf Hitler aux sports par rapport aux gymnastiques. Mais ces troubles se dissipent assez vite. Les « gymnastes » s’y retrouvent : on leur promet une grande visibilité à l’occasion des cérémonies, mais aussi lors des compétitions. Concernant le deuxième point, A. Hitler cesse, pour un temps, sa politique raciste et antijuive…, dont Theodor Lewald, voire Carl Diem auraient pu faire les frais. En dernier lieu, le Führer comprend très vite l’intérêt de faire briller son pays et son régime au travers des compétitions sportives. Ces JO auraient pourtant pu être un « flop » en l’absence des Américain·es dont la participation a suscité beaucoup de débats outre-Atlantique… Comme si, en quelque sorte, les États-Unis avaient cautionné, in fine, par leur présence le régime en dépit des performances de l’Afro-Américain Jesse Owens. A. Hitler a d’ailleurs fait de la présence américaine une affaire d’État et il a mis les petits plats dans les grands pour (bien) accueillir « l’Oncle Sam » (allégorie des États-Unis). Finalement le CIO, le régime nazi, les États-Unis, etc. ont trouvé un terrain d’entente autour du culte de l’athlète grec largement magnifié à l’intérieur du stade olympique créé pour la circonstance avec un gigantisme architectural, maintes fois souligné par l’autrice (D. Bolz, p. 131-141).
7Les contributions concernant les JO et la Guerre froide montrent une politisation croissante du sport. On apprend que, en 1948, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) souhaite venir s’affronter dans les joutes olympiques, mais elle différera son entrée aux Jeux de 1952 à Helsinki. Joseph Staline considère que, pour les JO de Londres de 1948, ses athlètes ne sont pas encore concurrentiel·les. On apprend aussi que, malgré la Guerre froide, l’Allemagne de l’Est ne concourra sous sa propre bannière qu’en 1968 à Mexico… Auparavant, la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la République démocratique d’Allemagne (RDA) comprenaient une seule délégation.
8L’ouvrage n’est pas un catalogue qui recense les défaites et les victoires ou qui décrit chaque olympiade l’une après l’autre. Certains articles font des focus par pays particulièrement réussis : l’Italie (Stéphane Mourlane, p. 143-154), l’URSS (Didier Rey, p. 155-164 et Yannick Deschamps, p. 191-202), les États-Unis (François Doppler-Speranza, p. 179-190), qui montrent le volontarisme patriotique et militant ayant permis à ces nations de grimper dans la hiérarchie sportive et diplomatique. Bref, des thèmes plus transversaux ou des focus différents de la temporalité et de l’événement JO viennent rompre le calendrier immuable, chronologique, jamais remis en question, sauf guerres ou épidémies. On découvre, côté États-Unis, que l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques en 1979 n’a été qu’un prétexte, car bien avant cet épisode, « l’Oncle Sam » songeait au boycott, compte tenu du sort réservé aux intellectuel·les dissident·es russes. Côté soviétique, cette fois-ci, on apprend que de nombreux accords bilatéraux avaient été signés entre l’URSS et respectivement l’Italie, la Grande-Bretagne et la France pour aider l’Union soviétique en matière de construction d’infrastructures, d’accueil touristique et de télédiffusion. Dès lors, ces trois pays ne boycotteront pas Moscou, non par souci d’indépendance par rapport aux États-Unis ou encore du fait d’une culture gaulliste du non-alignement dans l’exemple hexagonal, mais parce qu’en signant ces accords, le boycott devenait inenvisageable.
9L’avant-dernière partie du livre traite de l’arrivée – parfois fracassante – des pays du « tiers monde », essentiellement des ex-provinces coloniales. Incontestablement, les réussites, surtout africaines ou des minorités Noires en athlétisme, sont en accord avec l’idéal internationaliste, mais égratignent la culture du CIO, implicitement très occidentalo-centrée. Plusieurs auteur·ices commentent le geste de Tommie Smith et John Carlos brandissant, en 1968 aux Jeux de Mexico, le poing ganté du Black Panther Party (BPP) lors de la cérémonie de remise des médailles du 200 mètres. Ce cliché demeuré mythique a quelque peu éclipsé des manifestations du même type de Lee Evans, Larry James et Ronald Freeman sur le podium du 400 mètres, quelques jours après le coup d’éclat de leurs compatriotes. En 1972, de nouveau sur 200 mètres, Vincent Matthews et Wayne Collett sont désinvoltes lorsque retentit l’hymne américain dans le stade olympique de Munich. Tous les deux sont pieds nus, l’un est en short, l’autre en survêtement, la provocation est particulièrement visible. L’intérêt réside dans le fait que les épisodes périphériques rappelés par les auteur·ices (notamment Pascal Blanchard, p. 227-238) ont été éclipsés par le geste des pionniers. Davantage encore, il est fait mention que, lors de l’enterrement de l’Australien Peter Norman en 2006, T. Smith et J. Carlos ont fait le déplacement jusqu’à Melbourne et ont porté le cercueil. En effet, le médaillé d’argent « wallaby » avait été le seul à être mis dans la confidence de la future démonstration de force des deux Afro-Américains qu’il soutenait. Le point commun à tous ces acteurs revendiquant une égalité de droits entre Noirs et Blancs est qu’ils ont été expulsés à vie du CIO et de leur fédération.
10Aujourd’hui pourtant, dans sa politique mémorielle, comme l’atteste la dernière partie du livre, le CIO valorise, les clichés « choc », comme pour montrer que l’olympisme véhicule une égalité entre les peuples, alors que les décisions prises au moment des événements ont conduit à masquer ces derniers et à exclure leurs auteur·ices. Sans doute, l’instance a évolué et l’égalité sexuée et ethnique est désormais un pilier idéologique qu’elle a fait sienne. En toute fin, la postface de G. Vigarello (p. 421-438) insiste sur l’édification, la construction, la structuration, l’institutionnalisation d’une pédagogie, d’une morale, d’une éducation, d’un style de vie que les compétitions concrétisent, mettent en pratique, mais dont elles ne sont pas la finalité. Elles servent l’idéal olympique. Ce dernier est mis à mal dans les pratiques par le nationalisme des États, le chauvinisme de la foule, l’amateurisme marron, la corruption pour désigner les villes hôtes, le dopage, le terrorisme, le fait que la majorité des pays ne gagne jamais aucune médaille, etc. G. Vigarello appelle le CIO à inventer un avenir pour pérenniser les Jeux, alors que l’obsolescence des équipements, le coût des infrastructures deviennent exorbitants et la durabilité problématique. Peut-être faut-il supprimer les hymnes, les drapeaux, désigner une ville qui sera définitive et à laquelle les sportif·ives seront convié·es tous les quatre ans, ou au moins prévoir une sorte de forfait, à savoir qu’une ville s’engagerait pour organiser trois olympiades de suite ? Bref, pour l’auteur, si l’olympisme en tant qu’idéal n’est peut-être pas menacé, son expression pratique, les Jeux, le sont.
11D’une manière générale, la démonstration qui vise à mesurer l’écart entre l’idéal olympique et sa concrétisation sportive n’est pas si concluante. Chaque auteur·ice mentionne, sans argumenter, que les victoires (et les défaites) olympiques seraient autant de propagande et de notoriété engrangées par un pays ou groupe d’États, en plus ou en moins. Que sait-on vraiment, si au bout du bout les réussites sportives italiennes, allemandes, russes, américaines, britanniques… françaises ont été un gage de prospérité économique, politique et idéologique ? Pouvons-nous évaluer les conséquences directes des gestes politiques des Afro-Américains ? Sans doute, le sport a sa propre valeur et on a beau crier à gorge déployée que l’enjeu politique est majeur, le strict « petit » enjeu sportif, tout simplement, n’est-il peut-être finalement pas le plus prégnant ? L’ouvrage nous apparaît donc comme très utile à un public non initié. Les expert·es auront aussi la possibilité d’y trouver des connaissances inédites, mais de détail, qui ne remettront pas en question le paradigme globalement majoritaire de l’histoire et du développement de l’olympisme que la communauté des chercheur·euses partage.
Pour citer cet article
Référence papier
Pascal Charroin, « Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Daphné Bolz, Yvan Gastaut, Sandrine Lemaire et Stéphane Mourlane (dirs), Une histoire mondiale de l’olympisme. 1896-2024 », Questions de communication, 45 | -1, 469-474.
Référence électronique
Pascal Charroin, « Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Daphné Bolz, Yvan Gastaut, Sandrine Lemaire et Stéphane Mourlane (dirs), Une histoire mondiale de l’olympisme. 1896-2024 », Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35668 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wy0
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