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Notes de recherche

« Je ne suis pas raciste, mais je suis réaliste »

Cadrage et stratégies motivationnelles d’influenceuses anti-mesures sanitaires du Québec
“I’m not racist, but I’m a realist”Framing and Motivational Strategies of Quebecois Influencers mobilizing against Public Health Measures.
Vicky Girard, Michelle Stewart et Maxime Bérubé
p. 337-368

Résumés

Résumé : Traditionnellement, les femmes étaient perçues comme accessoires dans les mouvements des droites extrêmes. Durant la pandémie, plusieurs influenceur·euses ont fait preuve d’opportunisme pour augmenter leur nombre d’abonné·es (Stewart et al., 2023). Dans cet article, la théorie du cadrage de l’action collective est mobilisée pour analyser le discours tenu sur Facebook par trois influenceuses anti-mesures sanitaires lors de la période d’instauration du passeport sanitaire. Les analyses mettent en évidence des discours réactionnaires et libertariens. Ces influenceuses nourrissent le ressentiment en tant que femmes militantes, identifiant « l’injustice » et encourageant l’action collective en fusionnant les cadres d’extrême droite et les mouvements « New Age ». Elles se positionnent comme des résistantes face à la dévaluation des besoins du peuple de la part des élites et du gouvernement et les accusent de les priver de liberté.

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Texte intégral

1Le 11 mars 2020, lorsque l’Organisation mondiale de la santé a déclaré l’état de pandémie en raison du coronavirus SARS-CoV-2 (COVID-19), plusieurs changements sociétaux ont eu lieu. Les États du monde durent à mettre en place différentes mesures sanitaires, comme des confinements, des obligations de port du masque et la distanciation sociale. Certains groupes anti-mesures sanitaires ont cru que la sévérité de la maladie avait été exagérée par la communauté scientifique et les médias (Ahmed et al., 2020) et ont vu ces mesures comme des privations impardonnables de leurs droits comparant même ces mesures avec l’Allemagne nazie, la ségrégation et l’esclavagisme (Tripodi, 2022).

  • 1 Les théories du complot tentent d’expliquer les causes d’événements sociaux et politiques signific (...)

2Sur les médias socionumériques (MSN), particulièrement Facebook, la pandémie entraîne une surabondance d’informations (vraies et fausses), des discours haineux (Carignan et al., 2022), ainsi que des commentaires négatifs et populistes (Thiele, 2022). Plusieurs mouvements sociaux, comme le mouvement ReOpen (Tripodi, 2022) et des théories du complot1, comme #FilmYourHospital (Ahmed et al. 2020), prirent forme en raison de la méfiance envers la communauté scientifique et les médias (Tripodi, 2022). Selon les différentes théories du complot, les élites médicales, les médias et la gauche radicale sont accusés d’instaurer un régime socialiste et de vouloir contrôler le public (Tripodi, 2022). Ces interprétations et la méfiance qui en découlent conduirent les personnes adhérant aux théories du complot à moins respecter les mesures sanitaires et à se faire moins vacciner que le reste de la population (Ahmed et al., 2020).

3Des liens sont à faire entre le conservatisme (partie intégrante des courants politiques des droites et des droites extrêmes) et les groupes anti-mesures sanitaires, notamment en ce qui concerne le manque de confiance envers les médias et l’appel à la liberté (Tripodi, 2022). Les femmes partisanes, en amplifiant les messages, sont d’importantes diffuseuses des idéologies des droites extrêmes (Ebner et Davey, 2019). Comme les leaders sont majoritairement des hommes (Blee, 2020), elles donnent l’exemple à d’autres femmes et leur démontrent la place qu’elles peuvent tenir dans ces courants (Blee et Yates, 2017). Par leurs succès sur les MSN, elles normalisent les messages et rendent acceptables les idéologies des droites extrêmes (Askanius, 2021).

  • 2 Le passeport vaccinal a été instauré au Québec le 1er septembre 2021 et a été retiré le 12 mars 20 (...)

4Pour mieux comprendre les discours liés aux droites extrêmes d’influenceuses québécoises, le présent article propose une étude de cas portant sur l’ensemble des publications de trois influenceuses anti-mesures sanitaires québécoises lors de la période d’instauration du passeport vaccinal au Québec2. Plus précisément, il s’agit des publications émises entre le 23 août et le 10 septembre 2021 par Amélie Paul, Mel Goyer et Manon Coutu. L’article débute par une revue de la littérature sur les droites extrêmes en ligne et sur la place des femmes dans ces mouvements. Dans la foulée, est développée la théorie du cadrage de l’action collective à partir de laquelle est faite l’analyse du discours des trois influenceuses. Ensuite la méthodologie est expliquée puis vient une présentation des trois influenceuses ayant fait l’objet de l’étude de cas et des résultats de l’étude, mettant en lumière les différentes formes de cadrage (diagnostique, pronostique et motivationnel) observées. Enfin, l’article se clôt sur une discussion générale des résultats et revient sur les forces et les limites de l’utilisation de la théorie du cadrage de l’action collective dans cette analyse de discours.

Revue de littérature et problématique

Définir les droites extrêmes

5Les droites extrêmes renvoient à des idéologies très diversifiées (Bérubé et Campana, 2015). Plusieurs types de groupes différents les composent comme la droite alternative, le néonazisme ou la nouvelle droite. Les formes et les discours diffèrent d’une société à l’autre (Campana et Tanner, 2019), en fonction des contextes spécifiques (Nadeau, 2020). Il arrive que les différents types de groupes fassent cause commune, malgré les écarts idéologiques et organisationnels qui les constituent.

6En raison de la diversité des groupes, des contextes sociaux influençant le centre de l’échiquier politique et de l’absence de définition consensuelle, il a été choisi d’utiliser l’expression des « droites extrêmes », à l’instar de Caterina Froio (2017), en remplacement de celle d’usage plus commun « extrême droite ». Bien qu’il n’y ait pas de définition consensuelle (Nadeau, 2020), il subsiste tout de même quelques caractéristiques communes identifiées dans la littérature pour comprendre les droites extrêmes.

7Ces courants célèbrent les relations hiérarchiques et perçoivent les inégalités comme naturelles ; ils sont hostiles à la démocratie libérale et contre les institutions sociales qui la soutiennent ; ils construisent leurs identités autour de critères ethniques et raciaux (Mudde, 2019a). Cela se traduit notamment par des attitudes et des idées racistes, xénophobes, conservatrices et autoritaires. Dans leurs discours ethnocentriques, ils sont haineux particulièrement envers les courants politique de gauche (Davey et Ebner, 2017), les médias traditionnels, les élites, les communautés immigrantes, musulmanes et juives en les diabolisant (Froio, 2017).

Droites extrêmes en ligne

8Dans la littérature scientifique, différentes formes d’interactions ont été observées entre les MSN et le public dans la production et la diffusion de discours idéologiques (Tanner et al., 2020). Par exemple, Samuel Woolley et Philip N. Howard (2019) ont constaté une manipulation de conversations publiques qui mène à la polarisation des opinions politiques. L’usage massif de robots, entre autres équipement, donnerait une illusion de consensus ou d’intérêt pour un sujet, puisque ces derniers sont capables d’interagir avec des humains et des contenus, de déployer des messages rapidement et même de manipuler des algorithmes. Ces robots ont d’ailleurs été déployés durant des processus électoraux pour influencer les votes, diffamer et intimider les opposant·es (Woolley et Howard, 2019).

  • 3 Pour nous, le terme « racisme raisonnable » est problématique. Traduction du terme anglais reasona (...)

9D’autres auteurs perçoivent les MSN comme un pivot pour la radicalisation des idées où une transition est effectuée entre des discours de « racisme raisonnable »3 vers des discours haineux (Holt et al., 2020). Pour Alice E. Marwick (2018), ils tiennent les rôles de facilitateurs et d’amplificateurs de messages « partisans » et de « fausses nouvelles ». Il y a un flux constant de partage d’informations puisque les individus font davantage confiance à la personne qui partage l’information plutôt qu’à celle qui l’a publiée à la base (Marwick, 2018). La perte de confiance (particulièrement de la part des droites extrêmes) envers les institutions gouvernementales et les médias traditionnels n'est certainement pas étrangère à cela.

10À ce sujet, plusieurs auteurs et autrices ont étudié les messages de droites extrêmes diffusés sur différentes plateformes. Plusieurs observations en ont suivi. Notamment, Samuel Tanner et Aurélie Campana (2019) ont conclu que la haine est de plus en plus visible dans l’espace public, surtout dans l’espace public socio-numérique. Bien qu'il y ait peu de démonstrations claires à l'appui de la croyance largement répandue selon laquelle la navigation sur internet provoque des bulles de filtres, des études soulignent la manière dont les MSN aident les partisan·nes à se trouver les uns les autres et à s'organiser en ligne (Mitchell et al., 2022). Ils utilisent les MSN pour créer un espace public alternatif (Tanner et Campana, 2019), parfois sur des plateformes généralistes où l’audience est plus élargie, et d’autres fois sur des plateformes plus marginales où ils se sentent à l’aise de tenir des propos plus extrêmes au sein de groupes plus restreints (Rogers, 2020). L’expression d’opinions similaires contribue à la consolidation de l’identité défendue par le groupe.

11Les sujets les plus abordés sur les MSN par les courants des droites extrêmes sont, entre autres thème, la revendication de la liberté d’expression et la critique des ennemis (Al-Rawi, 2021). Stephen J. Neville et Ganaele Langlois (2021) décrivent ces ennemis comme imaginaires. Ils sont construits et projetés en raison d’une menace perçue, donc pas nécessairement réelle. Il en découle une définition stratégique du soi, où les groupes se positionnent en tant que victimes de ces ennemis imaginaires et en tant que défenseurs de la société.

12Les ennemis les plus souvent ciblés sont le Premier ministre actuel du Canada, Justin Trudeau, les immigrant·es « illégaux », les antifascistes (Neville et Langlois, 2021), les personnes juives (Froio, 2017) et musulmanes, qui sont d’ailleurs les plus déshumanisées (Mirrlees, 2021). Certains individus appellent même au génocide, notamment par l’utilisation du mot-clic #removekebab et par la rationalisation de la violence en positionnant les « ennemis » comme des menaces collectives (ibid.). Cette désignation en tant qu’ennemis est souvent liée à la théorie du complot nommée « le grand remplacement ». Selon cette théorie, il y aurait une machination de la part des élites pour réaliser le remplacement complet des « sociétés blanches ». Ce remplacement se ferait au niveau culturel et/ou ethnique (biologique) par l’immigration et l’augmentation des communautés minoritaires (Davey et Ebner, 2019).

  • 4 En mars 2019, un homme âgé de 28 ans a tiré sur des personnes présentes dans deux mosquées de Chri (...)

13Finalement, les représentant·es des courants des droites extrême diffusent leurs messages en ligne en mobilisant des rhétoriques racistes et populistes pour propager la haine (Potvin, 2017) et cherchent à influencer les débats politiques et les pratiques démocratiques, comme les campagnes électorales et le vote (Potvin, 2017 ; Tanner et Campana, 2019). D’ailleurs, à la suite de deux ans d’étude sur sept plateformes en ligne, Jacob Davey et ses collègues (2020) ont conclu qu’il y a eu une nette augmentation des activités en ligne durant la période électorale canadienne, mais aussi à la suite d’une période de crise, dans ce cas après les attentats de Christchurch4.

Les influenceuses des droites extrêmes

14Traditionnellement, les hommes sont surreprésentés dans les courants des droites extrêmes et pour cette raison, les femmes ont souvent été perçues, par dans l’univers de la recherche, comme des actrices manipulées par les hommes ou jouant un rôle accessoire (Blee, 2020). D’ailleurs, continuer de les décrire comme des actrices passives contribue à camoufler leur activisme (Blee et Yates, 2017). Ces perceptions tendent tout de même à évoluer et leurs rôles d’actrices violentes, de penseuses, de facilitatrices, de promotrices, d’activistes ou d’exemples genrés pour les autres femmes sont maintenant reconnus (Blee, 2020).

15Dans les courants des droites extrêmes, elles représentent généralement les rôles conventionnels de mères et d’épouses, ainsi qu’une « vulnérabilité à protéger » (Blee, 2020). La participation des femmes tourne surtout autour de la promotion du courant, puisqu’elles sont présentées comme porte-paroles (Askanius, 2021) en endossant notamment les rôles de recruteuses, de formatrices des nouveaux (Blee et Yates, 2017) ou d’influenceuses. En revanche, elles produisent moins de contenu que les hommes (Schradie, 2015).

16Internet apporte l’anonymat, ce qui rend attractif leur usage pour les femmes (Dauber, 2017). En effet, elles s’y sentent moins jugées par les personnes qui ne supportent pas la même cause et elles y voient d’autres femmes qui montrent leur visage au monde entier auxquelles peuvent s’identifier. Par l’utilisation des MSN, les femmes sont davantage visibles et ont drastiquement amplifié les messages des droites extrêmes. Selon Julia Ebner et J. Davey (2019), leur participation en ligne a contribué à générer des millions de vues des contenus partagés en ligne et a attiré l’attention des médias traditionnels aux causes des droites extrêmes. Leur succès sur ces plateformes en font des atouts stratégiques de sensibilisation des mouvements extrémistes, puisqu’elles introduisent graduellement l’idéologie et diffusent à grande échelle. Elles adoucissent l’image des courants, en rendant les discours acceptables aux yeux de la société (Askanius, 2021). Elles vendent une idéologie et tiennent des discours semblant contradictoires qui abordent le pouvoir d’agir, l’émancipation, mais aussi l’importance du rôle de la femme dans la reproduction de la « race blanche » en plus de sujets hors politiques comme les relations intimes et la santé (Askanius, 2021). Par exemple, lorsque leurs discours portent sur leur vie privée, elles donnent une apparence d’authenticité, mais l’idéologie politique transparaît tout de même dans leurs messages (Maly, 2020). Grâce à ces techniques, elles recrutent de nouveaux membres (Askanius, 2021), promeuvent la solidarité et créent des réseaux de contacts à l’extérieur du mouvement (Blee, 2020).

17Afin d’obtenir du succès en tant qu’influenceuses, les femmes doivent démontrer une compréhension des possibilités offertes par les MSN. En étudiant le cas d’une influenceuse états-unienne des droites extrêmes, Brittany Pettibone, Ico Maly (2020) a élaboré une liste de quatre compétences qu’une influenceuse doit maîtriser pour avoir du succès :

  1. utiliser ses auditoires pour qu’ils la suivent sur tous ses profils socionumériques et ainsi augmenter ses abonné·es ;
  2. collaborer avec d’autres influenceurs et influenceuses connus ;
  3. produire des contenus adaptés à ses abonné·es, en donnant accès à des éléments de sa vie privée pour les fidéliser ;
  4. mettre l’accent sur les moteurs de recherche pour être référencée. Notamment, B. Pettibone utilise des mots clés dans les titres de ses vidéos et leur description qui s’agencent avec les moteurs de recherche et qui avantagent ses contenus lorsque quelqu’un fait des recherches.

Problématique et questions de recherche

18À ce jour, peu d’attention a été accordée à l’engagement des femmes dans les courants de droites extrêmes (Dauber, 2017) et très peu d’études analysent spécifiquement les rôles des femmes dans ces mêmes courants et leurs discours, autant en ligne que hors ligne (Leidig, 2021). Il est difficile de mesurer les changements dans les statuts des femmes, puisqu’avant la pandémie, elles n’étaient pas souvent officiellement membres des courants des droites extrêmes (Blee et Yates, 2017). Grâce à une analyse des MSN il est possible d’avoir une meilleure compréhension de leur engagement (Dauber, 2017). De plus, la dynamique des courants des droites extrêmes a changé durant la pandémie de COVID-19 (Nadeau et al., 2021) : les groupes se sont affiliés à des groupes anti-mesures sanitaires pour gagner un public plus large ; les discours publics de ces groupes ont changé en conséquence. Très rapidement, leurs discours ont convergé avec des influenceurs et influenceuses anti-autorités, mettant l’accent sur les élites désormais accusées de vouloir mettre sur pied une dictature sanitaire (Nadeau et al., 2021). Les droites extrêmes ont donc transformé leurs cadres pour s’aligner avec d’autres cadres préexistants et les amplifier.

  • 5 Les théories conspirationnistes liées à la technologie mobile 5G expliquent que la pandémie est ut (...)

19Dans cette période de changements, les groupes, les influenceurs et les influenceuses des droites extrêmes encore actifs ont vu leur nombre d’abonné·es augmenter. Par exemple, la page YouTube de Radio-Québec, tenue par le complotiste QAnon Alexis Cossette-Trudel, a atteint jusqu’à 114 000 abonné·es (Péloquin et Bilodeau, 2020). Le nombre de vues de ses vidéos a quintuplé en comparaison avec la moyenne du nombre de vues de ses vidéos publiés avant la pandémie (Bélair-Cirino, 2020). Ce sont les idées antivaccins et liées à la 5G qui ont rapproché certains mouvements du bien-être avec les mouvements conspirationnistes5. Ces deux types d’idéologies se méfient des gouvernements, des industries pharmaceutiques et des vaccins (Baker, 2022). Cette fusion entre la conspiration et les mouvements du bien-être est nommée « conspiritualité » (Ward et Voas, 2011, cité dans Baker, 2022). Il s’agit d’un mouvement où la croyance qu’un groupe secret souhaite contrôler la politique et le social rencontre la croyance selon laquelle l’humanité est en plein changement de paradigme et que, pour ce faire, un éveil est nécessaire (Baker, 2022).

  • 6 Les expressions « suivre le lapin blanc » et « prendre la pilule rouge » font référence au film La (...)

20Dans sa recherche sur les influenceurs et influenceuses du bien-être, Stephanie Alice Baker (2022) a observé que ces dernier·ères en ont profité pour augmenter leur nombre d’abonné·es en parlant de principes de culture de bien-être et en partageant de la désinformation. Par des témoignages personnels, et en mettant l’accent sur les modes de connaissances intuitives, ce type d’influenceurs rend la culture du bien-être vulnérable à la désinformation et aux théories du complot puisque les vérités personnelles sont élevées au-dessus de l’opinion des experts. Les abonné·es sont invités à se lancer dans un voyage d'éveil spirituel, à suivre leur intuition, tout en recevant des invitations à faire leurs propres recherches, à « suivre le lapin blanc » et à « prendre la pilule rouge »6 (Baker, 2022). Pour ces raisons, nous proposons une étude de cas qui porte sur des discours d’influenceuses québécoises anti-mesures sanitaires tenant des rhétoriques familières aux courants des droites extrêmes. Nous répondrons aux deux questions de recherche suivantes :

  1. comment les influenceuses québécoises anti-mesure sanitaires cadrent-elles leurs discours auprès de leur auditoire ?
  2. quels éléments de leur discours se superposent aux courants des droites extrêmes ?

21Pour y répondre, voici une analyse du discours, selon la théorie du cadrage de l’action collective, de trois influenceuses lors de la période d’instauration du passeport sanitaire au Québec.

Cadrage de l’action collective

22Les acteurs et les actrices des mouvements sociaux sont des agents de production et de renouvellement de significations visant à atteindre les membres mêmes de leur mouvement, des adversaires ou des observateur·ices (Benford et Snow, 2012). Pour ce faire, ils tentent généralement de cadrer leurs discours de manière à atteindre le mieux possible ces auditoires. Grâce à ce cadrage, ils travaillent à encourager l’engagement dans l’action collective. Les cadres servent donc par exemple à recruter de nouveaux membres, à mobiliser ou à acquérir de nouvelles ressources (Benford et Snow, 2000). Ils ont pour but d’inspirer les publics, ainsi que de légitimer les mouvements sociaux et leurs actions (Benford et Snow, 2012).

23Les premières études concernant les cadres des mouvements sociaux remontent à Erving Goffman. Il les définit comme des schémas d’interprétation des situations auxquelles des personnes sont confrontées (Goffman, 1974, cité dans Bérubé, 2018). Il ne considérait pas les changements de cadrage à travers le temps (Bérubé, 2018), ce que Robert D. Benford et David A. Snow (2012) ont rectifié à travers leur modèle du cadrage de l’action collective identifiant deux grandes catégories de développement dans la construction des cadres qui orientent vers l’action :

  1. les opérations essentielles de cadrage ;
  2. les efforts stratégiques dans le processus d’alignement des cadres.

Les opérations essentielles de cadrage

24Plus tard, les mêmes auteurs (Benford et Snow, 2012) écrivent sur les opérations essentielles de cadrage. Dans les faits, les cadres de l’action collective se construisent lorsque les mouvements sociaux identifient une problématique à changer, des responsables, des solutions au problème et suscitent le passage à l’action. Cela se fait en trois opérations : le cadrage diagnostique, le cadrage pronostique et le cadrage motivationnel.

25Pour faire du cadrage diagnostique, les émetteurs ou les émettrices du cadre doivent identifier la cause et désigner les personnes responsables d’un problème. S’il y a la plupart du temps consensus pour cibler un problème, l’attribution de la responsabilité ne se réalise pas aussi facilement puisque divers facteurs peuvent expliquer un même problème. Donc, identifier la nature du problème peut être plus simple et moins conflictuel que de cibler à qui en revient la responsabilité (Benford et Snow, 2012).

26Une fois le diagnostic posé, intervient le cadrage pronostique, qui se réalise en deux étapes. La première est d’élaborer et de proposer une solution. La seconde est de développer des stratégies, des tactiques pour concrétiser ces solutions. C’est lors du cadrage pronostique que les adversaires et leurs cadres sont décrédibilisés pour proposer d’autres solutions ou d’autres cadres. Le but consiste à proposer des solutions qui sauront plaire aux adhérent·es potentiel·les (Benford et Snow, 2012).

27Finalement, le cadrage motivationnel n’est possible que lorsque les deux autres opérations sont en place. Il s’agit d’un appel à l’action, c'est-à-dire de susciter la motivation à l’engagement dans l’action collective (Benford et Snow, 2012). Il ne faut pas seulement convaincre une personne d’adhérer au mouvement, mais bien de s’y engager personnellement (Bérubé, 2018). Cette opération tourne souvent autour de dilemmes moraux, pour que la personne se sente dans l’obligation d’agir (Snow et Benford, 1988).

28Des lacunes ont été identifiées par Maxime Bérubé (2018) quant à la définition du cadrage motivationnel. La définition est trop abstraite pour appliquer facilement la notion. La définition est trop abstraite pour appliquer facilement la notion et ne permet pas d’identifier les tentatives de mobilisation dans un discours qui encourage l’engagement. Certains auteurs choisissent d’utiliser l’approche du cadrage de l’action collective, mais en soustrayant le cadrage motivationnel de leurs analyses (par exemple : Gerhards 1995, cité dans M. Bérubé, 2018). M. Bérubé (2018) fait une proposition de définition plus précise, puisqu’elle permet d’analyser comment les mouvements sociaux tentent de mobiliser ces facteurs d’attraction dans leur discours.

Quatre facteurs d’attraction du cadrage motivationnel

29Pour préciser la définition du cadrage motivationnel, M. Bérubé (2018) recense dans la littérature les facteurs d’attraction identifiés comme motivant l’engagement dans l’action collective. Il en a extrait quatre : identitaires, émotionnels, romantiques et pragmatiques.

30Premièrement, concernant le facteur identitaire, les individus peuvent être motivés par le désir de trouver une raison d’être, un sens à leur vie (Venhaus, 2010), un statut (Kruglanski et al., 2009) ou un sentiment d’appartenance (Melucci, 1996). Les mouvements sociaux mobilisent ces désirs dans leurs discours et les individus cherchent à construire leur identité selon les croyances et l’idéologie proposées par le mouvement (Hogg, 2009).

31Le second facteur de motivation est émotionnel. Pour M. Bérubé (2018), trois émotions principales peuvent susciter l’engagement dans l’action collective : le désir de justice, qui permet à l’individu de voir ses actions comme moralement justifiables et acceptables (Borum, 2014) ; le désir de vengeance, l’individu se perçoit comme une victime dans la société, pour lui, une force externe crée ses malheurs et complique l’accès au succès (Venhaus, 2010), les mouvements mettent alors l’accent sur les injustices dans le cadrage diagnostique (Borum, 2014) ; enfin, l’excitation, anticiper positivement les sensations fortes, le danger, la violence ou l’aventure peut donner le désir de s’engager (Ducol, 2013) notamment via les mouvements sociaux.

32Le troisième facteur d’attraction, le romantique, fait appel à l’imaginaire de l’individu. Les discours des mouvements sociaux peuvent avoir un caractère idéaliste ou utopique en mettant l’accent sur l’idéal du passé ou sur l’idéal à venir. Un aspect mythique ou fantasmatique qui attire les membres (Fletcher, 2002).

33Le dernier facteur d’attraction est l'attrait pragmatique. Il fait référence à une rémunération, à l’acquisition de produits de luxe, à un soutien matériel ou monétaire (Borum, 2014). En bref, ce sont les bénéfices que l’individu peut retirer pour soi (Borum, 2014) ou pour autrui (Snow et Byrd, 2007).

34Même si ces facteurs d’attraction précisent la définition du cadrage motivationnel et permettent une applicabilité, il y a certaines lacunes à la proposition de M. Bérubé (2018) que lui-même reconnaît. D’abord, elle ne tient pas compte du contexte de diffusion ni des représentations visuelles mobilisées. Ensuite, dans la production des discours, les personnes ne sont pas nécessairement conscientes des techniques qu’elles déploient. Finalement, nous ne pouvons pas savoir si les cadres s’alignent avec ceux des récepteurs et des réceptrices des messages. Or, l’alignement des cadres fait partie des efforts stratégiques dans le cadrage. Cependant, cette précision de la définition du cadrage motivationnel est pertinente et bien documentée, malgré qu’elle ait besoin d’être appliquée concrètement pour en saisir le potentiel analytique, c’est pourquoi elle vient compléter la théorie du cadrage de l’action collective. Bien que pour véritablement tester la réflexion critique de M. Bérubé et évaluer la manière dont le travail de cadrage aboutit ou non, il faudrait faire une étude de réception, cette analyse de discours en est un premier pas.

Les efforts stratégiques dans la construction des cadres

35Les processus d’alignements font référence aux efforts et aux tentatives des mouvements sociaux pour lier leurs intérêts et leurs cadres avec ceux qui peuvent leur fournir des ressources ou s’engager (Benford et Snow, 2000). Il existe quatre processus de base.

36Le premier processus, le rapprochement des cadres, consiste à mettre en commun plusieurs cadres congruents, mais sur des problèmes ou des questions de sources différentes, pour une même situation (Benford et Snow, 2000). Par exemple, le mouvement du convoi de la liberté commença à Ottawa en revendiquant l’annulation de la vaccination obligatoire pour les camionneur·euses. Cette revendication s’est rapidement transformée en demande d’arrêt de toute mesure sanitaire. Plusieurs têtes dirigeantes ont profité de la visibilité du mouvement pour émettre des revendications différentes (Lalande, 2023) : certain·es leaders souhaitaient mettre fin au communisme au Canada alors que d’autres voulaient démanteler le gouvernement fédéral (Proulx, 2022).

37Le deuxième processus est une amplification de cadre. Pour ce faire, le mouvement social n’a qu’« à idéaliser, embellir, clarifier ou vivifier les valeurs ou des croyances existantes » (Benford et Snow 2012, p. 240). De cette manière, l’adhésion des publics est facilitée. Par exemple, la diffusion de théories du complot est une amplification de cadre. Les théories du complot expliquent plusieurs situations désignant un groupe de personnes dites malveillantes comme responsables de celles-ci (Carignan et al., 2022). Ce faisant, la personne qui la diffuse confirme, vivifie ou clarifie des croyances que l’audience avait déjà.

38Le troisième processus, l’extension de cadre, transparaît lorsque les mouvements sociaux dépeignent leurs objectifs et la problématique comme allant au-delà de leurs propres intérêts « afin d’inclure les questions et les préoccupations présumées importantes aux yeux des adhérents potentiels » (Benford et Snow 2012, p. 241). Les mouvements usant du populisme s’inscrivent dans ce processus. Ces discours dépeignent les élites comme corrompues et contre la volonté générale du peuple (Mudde et Rovira Kaltwasser, 2017). Pour ce genre de mouvement, la politique devrait être l’expression de la volonté générale du peuple (Mudde, 2010) et il serait le seul pouvant représenter le peuple (Mudde, 2019b). Les membres responsables du mouvement social ne s’impliquent alors pas pour leurs propres intérêts, mais pour ceux du peuple.

39Le dernier processus, la transformation du cadre est une modification de la signification. Cette modification s’opère par un changement de compréhension du cadre en le modifiant lui-même (Benford et Snow, 2012). Ce processus a été directement inspiré du concept de modalisation (keying) de E. Goffman, mais a été nommé différemment pour unifier la terminologie des quatre processus (1974, cité dans Snow et al., 2014).

40Un exemple provenant de la page Facebook de la Fédération des Québécois de souche (FQS), un groupe d’intérêt des droites extrêmes (Girard, 2020), démontre bien la transformation du cadre par la décontextualisation. Du point de vue de la FQS, la pénurie de main-d’œuvre est créée par le Parti libéral du Québec et les industries pour maintenir les salaires bas. Pour illustrer son argument, la FQS prend des citations hors contexte de l’ancien ministre des Finances, Carlos Leitão : « Pour la pénurie de main-d’œuvre, la solution numéro un reste la formation de la main-d’œuvre. Dans ce contexte-là, on peut toujours aller chercher des immigrants dans des domaines spécialisés, mais l’immigration ne réglera pas la pénurie de main-d’œuvre de façon générale » (FQS, 24 sept. 2018). Dans les faits, Carlos Leitão a tenu ces propos en 2008. Voici la citation complète :

« Il faut augmenter le nombre d’immigrants, mais pas pour régler la pénurie de main-d’œuvre, dit Carlos Leitao. J’ai une vision plus humaniste de l’immigration. Pour la pénurie de main-d’œuvre, la solution numéro un reste la formation de la main-d’œuvre. Dans ce contexte-là, on peut toujours aller chercher des immigrants dans des domaines spécialisés, mais l’immigration ne réglera pas la pénurie de main-d’œuvre de façon générale » (Brousseau-Pouliot, 2008, en ligne).

41Par cette décontextualisation, la FQS consolide son point de vue anti-immigration (Girard, 2020). La transformation des cadres peut donc se traduire par des extrapolations tendancieuses et des citations erronées.

Méthodologie

42Pour répondre aux questions de recherche, voici une analyse qualitative de discours selon la théorie du cadrage de l’action collective, telle que définie. Avant de décrire les étapes de la méthode de collecte et d’analyse, il faut présenter les trois influenceuses étudiées.

Le choix des trois influenceuses anti-mesures sanitaires

43Les hommes étant surreprésentés dans les courants des droites extrêmes, le choix d’influenceuses était plus restreint. Les trois influenceuses ont donc été choisies selon leur nombre d’abonné·es, leurs usages des MSN ainsi que les idéologies diffusées. La présente section sert à justifier notre choix et à présenter les trois influenceuses, soit M. Goyer, A. Paul et M. Coutu. Les informations sont issues de leurs profils socionumériques et leurs sites web, à l’exception de M. Coutu qui n’en a pas. Pour la collecte de données, elle se limite à une seule plateforme, Facebook, soit celle sur laquelle les trois influenceuses avaient le plus d’abonné·es. Comme elles repartagent souvent les mêmes contenus d’une plateforme à l’autre, cela évite également les doublons.

  • 7 Les influenceuses utilisent des MSN alternatifs (moins connus) pour continuer à atteindre leur pub (...)

44La première influenceuse, M. Goyer, se décrit comme « toute sauf docile » (Goyer, s. d.). Avant de s’engager dans le mouvement anti-mesures sanitaires, elle a milité pour des causes environnementales, notamment pour l’organisme Greenpeace. Depuis le début de la pandémie, elle a organisé quelques événements (comme des marches) afin de dénoncer les mesures sanitaires. Elle a aussi été active sur les MSN : elle a des profils socionumériques sur cinq plateformes (Twitter, VKontakte, Odyssee, Rumble et Facebook)7. Son profil Facebook a été créé en 2008. Elle a, en 2024, 24 000 abonné·es alors qu’au moment de la collecte (2021) elle en avait 16 810.

45Ensuite, selon le profil Facebook d’A. Paul, cette dernière est chanteuse, vlogueuse, animatrice et actrice. Elle a des profils socionumériques sur au moins dix MSN, dont Facebook, Instagram, VKontake et Gettr. En se considérant comme une personnalité publique, elle utilise ses profils dans un but d’autopromotion, selon les stratégies de micro-célébrités pour attirer les abonné·es (Lewis, 2020). En effet, elle promeut sa musique sur différentes plateformes comme Spotify, YouTube et Apple Music. Elle a créé son profil Facebook en 2010 ; en 2021, elle avait 74 238 abonné·es alors qu’en 2024 elle en a plus de 83 000.

  • 8 L'équivalent en France de la planification financière est le conseil en investissements financiers

46Enfin, M. Coutu est retraitée de la planification financière8. Elle semble tenir plusieurs comptes Facebook. Celui qui a le plus d’abonné·es, choisi pour l’étude, a été ouvert en 2018. En 2021, elle avait 10 300 abonné·es alors qu’elle en a aujourd’hui 11 000. Elle n’a pas de site web d’autopromotion et semble n’avoir des profils socionumériques que sur Facebook et Twitter. Elle s’est présentée comme candidate au Parti libre du Canada pour les élections canadiennes de 2021. Sur ses MSN, en plus de discuter de son engagement politique, elle partage du contenu New-Age, comme des citations de développement personnel, sur le yoga, ou sur la « petite voix intérieure » par exemple.

47Ces trois influenceuses correspondent à des micro-célébrités qui prennent le rôle d’influenceuses politiques, tel que le conçoivent Michelle Stewart et ses collègues (2023). Les micro-célébrités se construisent un statut basé sur la crédibilité, l’apparence d’une authenticité et d’une réciprocité avec leur auditoire (Lewis, 2020, p. 20). Elles endossent le rôle de micro-célébrités politiques lorsqu’elles exploitent la rhétorique populiste et rejettent les discours médiatiques (Stewart et al., 2023) ; or, les discours antigouvernementaux et antimédiatiques sont centraux dans les discours des trois influenceuses.

Méthodes de collecte et d’analyses des données

48Pour réaliser la recherche, toutes les publications diffusées par les trois influenceuses anti-mesures sanitaires choisies ont été collectées manuellement entre 23 août et le 10 septembre 2021. Des captures d’écran (enregistrées en format PDF) ont été prises, des publications écrites et les publications vidéo ont été enregistrées pour en faire des transcriptions. Le choix de ces dates avait pour objectif de contenir le 1er septembre 2021, date où le passeport sanitaire est entré en vigueur au Québec. Comme nous avions observé que les influenceuses choisies tenaient des propos anti-mesures sanitaires et antigouvernementaux, nous avons pensé qu’elles seraient actives à l’annonce de ce passeport. Nous avons donc récolté 101 publications, soit 11 vidéos et 90 publications écrites, divisées selon le tableau 1.

Tableau . Nombre de publications par influenceuse.

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49Afin de pouvoir analyser les vidéos, elles ont été transcrites en verbatims et intégrées, avec toutes les publications collectées, dans NVivo avec la fonction « importer des fichiers ». Le codage à l’aide de NVivo, a été réalisé suivant un arbre thématique selon la définition de la théorie du cadrage de l’action collective, se divisant en trois catégories liées à chacune des opérations essentielles de cadrage : cadrage diagnostique, cadrage pronostique et cadrage motivationnel. Puis les indicateurs en sous-code, identifiés dans la définition de chaque opération. Voici une capture d’écran de l’arbre thématique :

Image . Capture d'écran de l'arbre thématique utilisé pour le codage.

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50Avec cette grille d’analyse, il est possible de comprendre les arguments utilisés par les trois influenceuses afin de mobiliser leurs adhérent·es dans l’action collective. De plus, cette grille permet d’appliquer à une étude de cas concrète la définition proposée par M. Bérubé (2018) et d’en connaître l’applicabilité. L’analyse des résultats est rédigée selon le modèle du cadrage de l’action collective de manière qualitative, c’est-à-dire selon la transversalité des thèmes plutôt que leur fréquence d’apparitions.

Résultats

Cadrage diagnostique

51Les trois influenceuses s’entendent sur un seul et même problème, la gestion de la pandémie par les mesures sanitaires. Bien qu’elles soient en accord sur ce point, elles en critiquent certaines dimensions et leurs cadrages diffèrent sensiblement de l’une à l’autre.

Identification des problèmes

52Deux grands thèmes englobent les problèmes abordés par les trois influenceuses : des critiques des mesures sanitaires et des sujets qui sont davantage d’intérêt politique, c’est-à-dire en lien avec la candidature de M. Coutu pour le Parti libre du Canada aux élections fédérales de 2021.Beaucoup des problèmes identifiés par les trois influenceuses sont en lien avec les mesures sanitaires, comme le port du masque obligatoire et le passeport sanitaire. A. Paul, M. Coutu et M. Goyer ont régulièrement souligné leur perception d’un manque de cohérence des mesures sanitaires, elles expriment qu’elles sont exagérées et qu’elles provoquent des injustices. M. Coutu exprime bien son opinion sur la question :

« J’ai passé devant une terrasse qui était bondée, bondée. Une terrasse de restaurant, c'était bondé, bondé de monde. Assis tout collé. Pas un ostie de fucking masque. Puis vous allez nous faire accroire que vingt-cinq enfants dans une classe vont être obligés de mettre un masque, dans la classe. Toi, papa, maman, grand-papa, grand-maman, mon oncle, ma tante, frère, sœur, voisin, garderie, école, enseignants, professeurs, trouves-tu ça normal ? » (Coutu, 26 août 2021).

53Elle ajoute plus tard dans sa publication, de manière sarcastique qu’une fois : « que t'es assis, t'en as plus besoin. Fait que les gouttelettes, c'est pas grave ça vole sur les murs, le plancher, ils désinfectent pu les paniers à l'épicerie, c'est pas grave. Tu vois-tu qu’il y a rien qui se tient ? Il y a rien d'intelligent, puis de logique » (Coutu, 26 août 2021). Dans cette citation, elle soulève ce qu’elle considère comme des contradictions dans la règlementation concernant le port du masque. Le ton et les sarcasmes qu’elle utilise soulignent la colère et l’indignation qu’elle vit.

  • 9 L’objectif de la loterie vaccinale est d’accélérer la vaccination. Il s’agit d’un tirage au sort o (...)
  • 10 Ce processus psychologique consiste à accuser un groupe d’une action que la personne elle-même aim (...)

54Le même genre de cadrage a été appliquée à la vaccination et à ce qui l’entoure. Deux citations sont éloquentes sur ces sujets. D’abord, M. Goyer critique du même coup la loterie vaccinale9 et les personnes vaccinées : « Le 3 septembre, c'est quoi  C'est le gros lot, le tirage d’un million de dollars payés avec nos taxes tabarnak! Nos impôts servent à donner un million de dollars aux pauvres endoctrinés qui se sont fait vacciner deux fois » (Goyer, 24 août 2021). Par son discours, elle fait comprendre qu’elle se sent indignée par l’injustice que ce soient ses taxes qui paient un service qu’elle désapprouve. Elle utilise un langage collectif pour créer une indignation partagée. Par sa création du collectif lésé, il y a une inversion projective10. Ce mécanisme est un moyen efficace pour passer d'un cadre diagnostique à un cadre motivationnel, de situer l'individu dans une hiérarchie sociale plus large avec une critique claire, de positionner les ennemis et les victimes de façon émotionnelle et antagoniste. Ensuite, A. Paul explique à ses abonné·es que l’obligation vaccinale pour le personnel de la santé est une catastrophe :

« J'imagine que tout le monde a entendu parler de la fameuse annonce que la vaccination sera maintenant obligatoire pour tout le personnel de la santé, à partir du 15 octobre. Donc là, c'est l'apocalypse pour plusieurs infirmiers, infirmières, gens qui travaillent dans le domaine de la santé. Êtes-vous vraiment surpris de ça les amis ? » (Paul, 8 sept. 2021).

55Sa formulation sous-entend qu’un avis inverse serait malvenu, mais aussi que les gouvernements ne peuvent qu’aller que contre le peuple, que c’était prévisible. Elle va plus loin dans sa publication. Pour elle, les mesures sanitaires, dont l’obligation vaccinale, sont une manière de mettre en place une dictature mondiale. Elle entre ainsi dans des théories du complot qui accusent les élites de vouloir instaurer un nouvel ordre mondial. Elle justifie ainsi les raisons pour lesquelles il y a des mesures sanitaires :

« Allo! Est-ce qu'on peut se réveiller s'il vous plaît ? Parce qu'il y a de gros enjeux en ce moment. Il y a une dictature mondiale qui est en train de se mettre en place. Tu sais, je dis ça même là, au cas où vous auriez pas remarqué. Parce que je vois qu'il y a bien du monde qui ont pas encore catché la patente, puis ça fait peur, tu sais. Ça fait peur, et le monde se ferme leur gueule » (Paul, 8 sept. 2021).

56Elle accuse du même coup la population de ne pas agir, de ne pas se soulever. Elle tient un discours polarisant dans le sens où elle place les personnes « éveillées » d’un côté et les « endormies » de l’autre. En écoutant sa rhétorique, on comprend qu’il n’y a qu’une seule bonne façon de percevoir la situation, la sienne.

57Ensuite, le deuxième thème source de problèmes, spécifiquement pour M. Coutu, englobe des questions politiques. Elle a particulièrement été active sur ce thème durant la période d’annonce de sa candidature, soit le 29 août 2021. Selon elle, les problèmes sociétaux qui méritent des changements sont : les allocations trop basses des personnes âgées, les intérêts payés par le Québec et l’Ontario au Canada, le prix des matériaux, le pourcentage du salaire reçu par les familles bénéficiant du régime québécois d’assurance parentale, un investissement de 50 millions pour former des pompiers en Colombie-Britannique et, finalement, le déclenchement d’élections fédérales par le Parti libéral du Canada après deux ans et demi au pouvoir et le coût engendré par ces élections. Elle questionne ses abonné·es en ajoutant un commentaire sarcastique sur la COVID-19 : « Est-ce que c'est normal d'après vous autres ? On est en pleine pandémie, c'est dangereux le COVID, le delta, les variants, le ci, le ça… C'est-tu normal de dépenser 60 millions pour des élections, un an et demi avant le temps? » (Coutu, 27 août 2021).

58Par ses questions rhétoriques, elle appelle à la raison et au sens commun pour influencer les adhérent·es dans la « normalité » et la « cohérence ». La communauté ne peut répondre que d'une seule voix « raisonnable ». D’ailleurs, pour illustrer son propos, elle calcule le coût des élections pour chacune des provinces et des comtés, tout en arrondissant vers le haut les coûts totaux :

« Sais-tu qu'est-ce qu'on m'a dit quand j'ai déposé ma candidature ? Ça coûte un million, juste pour le comté de Joliette, faire des élections. Alors moi, je prendrais le million pour le comté de Joliette… On peut-tu faire de belles choses avec un million d'après toi ? Mais là imagine-toi, un milliard pour le Canada au complet. Il y a dix provinces, fais ça vite. Un milliard divisé par dix, ça fait cent millions. C’est-tu cent millions que le Québec vient de perdre, pour des élections ? Donc prends cent millions, mets ça dans les toilettes, tire la chaîne » (Coutu, 27 août 2021).

59En somme, les trois influenceuses ont pointé du doigt plusieurs problèmes quant à la gestion des mesures sanitaires et la politique, mais expliquaient peu en quoi il s’agissait de problème. Ce qui est intéressant ici n'est pas seulement l'absence de solution, mais la manière dont les griefs s'organisent contre un ensemble spécifique d'institutions publiques, et ce de manière répétitive. Une fois ces critiques lancées, elles nourrissent le sentiment que le gouvernement leur prend peut-être quelque chose (par le biais des impôts) et qu'il gaspille ces ressources pour d'autres, un bilan destiné à susciter le ressentiment. Leurs arguments apparaissent populistes et libertariens, c’est-à-dire antigouvernementaux et pour la liberté individuelle plutôt que collective.

Identification des responsables

60Le consensus est assez clair quant aux responsables de ce qu’elles identifient comme des problèmes vécus par les Québécois. Les trois influenceuses s’entendent pour dire qu’il s’agit des gouvernements provincial et fédéral ainsi que les personnes qui les représentent. Pour les influenceuses, les mesures sanitaires sont mises en place pour combler les besoins politiques. A. Paul a clairement expliqué son point dans une vidéo :

« Je sais pas s’il y a encore des gens qui se surprennent des décisions gouvernementales de nos psychopathes en chef. Il faudrait qu'on commence tranquillement à arrêter de se surprendre. Ça va toujours aller comme ça, de pire en pire. Préparons-nous, préparons-nous au contraire. On le sait que pour, bon à part peut-être quelques personnes qui dorment encore au gaz, on le sait que c'est pas une question de santé. C'est pas des mesures sanitaires. C'est vraiment politique » (Paul, 8 sept. 2021).

61Dans cette citation, nous voyons la mobilisation de tactiques d’influence, comme la réciprocité et la « libre pensée ». Avec sa formulation, elle s’inclut dans le groupe. On sent tout de même qu’A. Paul tente d’amener ses abonné·es à s’aligner sur sa façon de penser, notamment en qualifiant d’« endormies » les personnes qui raisonnent différemment. Il est sous-entendu qu’il n’y a qu’une manière de comprendre le rôle des politicien·nes. Elle démontre aussi que, pour elle, les politicien·nes ne rendent pas service au peuple, mais à eux-mêmes.

62Selon M. Coutu, en lisant un article de journal qu’elle commente, elle affirme que les membres du gouvernement ne posent pas les actions nécessaires pour retirer certaines mesures sanitaires.

« “L’émergence de la quatrième vague de la pandémie et l’essor du variant Delta, plus contagieux et virulent ont chamboulé le plan du gouvernement en prévision du retour à l’école”. Bullshit, bullshit. Vous vous êtes pogné le cul tout l’été, l’Assemblée nationale était fermée. Vous étiez tous en vacances. Mangez donc un char d’amour. Le masque en classe à la rentrée, bien oui, bien oui » (Coutu, 24 août 2021).

63Dans son style discursif – « relatable », ordinaire et populaire, voire grossier – elle tente de se positionner près des gens, en tant que libre penseuse antisystème. En tant que candidate aux élections, elle cherche à se différencier de ses adversaires, ici J. Trudeau, ce qui fait de celui-ci une cible privilégiée. Il serait responsable :

  1. de dépenser de l’argent en élections alors qu’il manque d’employé·es dans les hôpitaux ;
  2. en raison de l’instauration de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et de la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE)11, d’une pénurie de main-d’œuvre ;
  3. de laisser entrer trop d’immigrant·es qui coûteraient cher au pays.

« La PCRE que Trudeau a repoussée jusqu’au mois d’octobre, c’est-tu pour s’acheter des votes ? Trudeau fait rentrer sept cent mille immigrants par année. C’est-tu pour s’acheter des votes ? En théorie, tu mords pas la main qui te nourrit. Comme les animaux. Un moment donné c’est assez là. Mais si tu comprends tu que l’animal, tu le nourris, mais tu le fais de bon cœur. Mais si c'est juste pour après ça l'exploiter… » (Manon Coutu, 23 août 2021).

64En somme, l’ennemi le plus souvent ciblé est le gouvernement en place. Selon les trois influenceuses, les gouvernements ne sont pas au pouvoir dans l’objectif du bien commun, mais plutôt pour leurs propres intérêts, en plus de montrer qu’ils font mal leur travail. Elles tentent de démontrer que la gouvernance ne fonctionne pas pour le peuple (dont elles font partie). Les personnes vaccinées, qui suivent les mesures sanitaires, sont aussi régulièrement pointées du doigt. Elles sont qualifiées d’endoctrinées ou d’« endormies ». Les « éveillés » doivent s’unir pour s’élever contre ses ennemis.

65Certaines stratégies rhétoriques typiquement réservées aux femmes dans les droites extrêmes ont été mobilisées par M. Coutu. Elle tente de se montrer authentique, notamment par l’usage d’un langage vulgaire et par la démonstration d’émotions (colère et indignation). À plusieurs reprises, elle a aussi partagé ses histoires personnelles pour transmettre des aspects de son idéologie, dont la critique des mesures sanitaires et de la vaccination dans le but de défendre les enfants et les familles. Cette stratégie est utilisée par les femmes influenceuses pour attacher leurs abonné.es (Maly, 2020).

Cadrage pronostique

  • 12 La SAQ et la SQDC sont deux sociétés d’État qui ont pour mandat la gestion de la vente d’alcool et (...)

66Les trois influenceuses identifient des problèmes sociétaux et critiquent des personnes qu’elles considèrent responsables, une tactique classique du cadrage de l’action collective (Benford et Snow, 2012). Cette tactique, caractéristique du populisme, fait partie intégrante des droites extrêmes. Elle est mobilisée par les adeptes de QAnon aux États-Unis (Marwick et Partin, 2022), par des partis politiques populistes partout dans le monde (Mudde, 2019 ; Halikiopoulou et Vlandas, 2022) et par d’autres mouvements sociaux en Europe (Harsin, 2018) et au Canada (Al-Rawi, 2021). Dans le cas des trois influenceuses étudiées, quelles sont les solutions proposées ? Dans les faits, peu de solutions concrètes sont suggérées, seule M. Goyer le fait et cela s’explique possiblement par son expérience militante. En somme, A. Paul, M. Goyer et M. Coutu incitent surtout à l’action collective directe sans préciser clairement d’alternatives à ce qu’elles critiquent. Les actions qu’elles proposent sont des manifestions, des marches, le boycottage de magasins de la société d’État – comme la Société des alcools du Québec (SAQ) et la Société québécoise du cannabis (SQDC)12 –, la démonstration de l’engagement sur les MSN (like, partage, abonnements, hashtag, etc.), démarrer son entreprise pour se détacher de du régime social actuel, le minimalisme et voter. M. Goyer et A. Paul demandent aussi, pour action collective, de faire des dons pour financer leurs activités et engagements :

« Et si vous aimez mon contenu et si seulement vous pouvez vous le permettre, je vous invite à me faire un don. Parce que moi j'aide la mobilisation et vous pouvez m'aider, financièrement bien sûr aussi, en faisant un don […] Donc je vous remercie beaucoup pour toutes les donations. Chaque dollar fait une différence pour moi. Ça me permet d'être souveraine, puis au lieu d'aller me chercher une job, travailler quarante heures par semaine à me faire chier, puis à pas pouvoir faire les recherches puis vous livrer du contenu, puis me mobiliser tout mon temps pour faire des manifs faire des actions... bien ça me permet ça » (Goyer, 24 août 2021).

67Pour revenir aux solutions proposées, il y a l’exception de M. Goyer qui publicise les revendications des manifestations. Les revendications sont plutôt des solutions réactionnaires, au sens où elles ne demandent que le retrait de mesures :

  • la fin sans condition de l’état d’urgence sanitaire ;
  • l'abrogation de la loi sur la santé publique ;
  • la fin immédiate de toutes les mesures/code QR ;
  • la liberté vaccinale (libre-choix) ;
  • l'abandon du pass sanitaire /code QR ;
  • la fin définitive de la propagande médiatique ;
  • des débats publics en DIRECT ;
  • une enquête indépendante sur la gestion de la pandémie ;
  • l'accès aux études scientifiques sur lesquelles le gouvernement base ses décisions (Goyer, 24 août 2021).

68En bref, il semble qu’elles souhaitent faire des appels à l’action collective en dénonçant ce qu’elles considèrent problématique et en offrant des occasions d’engagement qui, pour certaines, ne sont pas nécessairement cohérentes avec leurs revendications. Par exemple, boycotter la SAQ et la SQDC ou démarrer son entreprise n’a pas de lien direct avec les mesures sanitaires. Ces engagements ne sont que des gestes réactionnaires pour démontrer leur mécontentement.

Cadrage motivationnel

69Pour tenter de mobiliser leurs abonné.es dans l’action collective, les trois influenceuses ont utilisé surtout deux facteurs d’attraction : les incitations émotionnelles et les incitations identitaires.

70Rappelons que, selon M. Bérubé (2018), il y a trois émotions qui peuvent inciter à l’action collective : le désir de justice, le désir de vengeance et l’excitation. Les trois influenceuses ont surtout mis l’accent sur le désir de justice. Dans leur cadrage diagnostique, elles soulignent régulièrement l’aspect injuste et la victimisation de leur abonné·es. Par exemple, M. Coutu affirme que :

  • 13 La Direction de la protection de la jeunesse, sous la Loi de la protection de la jeunesse, a pour (...)

« je ne suis pas homophobe, je suis pas raciste, mais je suis réaliste en calice. Parce qu'il rentre sept cent mille immigrants par année. Puis vous avez le culot de nous dire qu'on a de propres enfants à nous, qu'on n'est pas capable de s'occuper avec de la DPJ13 correctement. Qui ont de la misère à manger, et qu'on en accueille sept cent mille par année. Que ça nous coûte treize mille chacun par année, pour les aider pendant les fucking deux ou trois prochaines années » (Coutu, 23 août 2021).

71Par son commentaire, elle souligne son sentiment d’injustice par rapport aux enfants du Canada en faveur, selon elle, des personnes immigrantes. Son argumentation est erronée d’abord parce que la DPJ est de juridiction provinciale, alors que les immigrant·es dont elle parle sont de juridiction canadienne. Ensuite, le nombre d’immigrant·es avancé est faux. En 2022, le Canada a atteint un nombre record d’immigrant·es, soit 431 645 (Radio-Canada, 2023). Il serait donc impossible qu’il en soit entré 700 000 en 2021, cette argumentation montre un désir de susciter un sentiment d’indignation et d’injustice. De plus, dans son désir de protéger les enfants, elle semble s’inscrire dans des discours près des « tradwifes », autrement dit, elle ne promeut pas directement le rôle des femmes dans la reproduction de la « race blanche » (Askanius, 2021), mais elle encourage la protection des enfants Blancs du Canada.

72Elles ont aussi tenté de faire surgir chez les abonné·es, par les incitations identitaires, cette colère et ce désir de justice. Plus spécifiquement, elles utilisent le désir d’appartenance au groupe pour susciter le ressentiment, la colère et le désir de justice, M. Coutu a bien démontré cet aspect en énonçant : « Mais tu réalises-tu là, que tu sois Noir, Blanc, Jaune, juif, Afghanistan, que tu sois Cubain… que peu importe d'où tu viens, tu te fais enculer pareil comme nous autres. Parce que le gouvernement, il t'a eu. Il t'a fait rêver. Il te fait rêver en t’emmenant ici, juste pour mieux t'enculer » (Coutu, 23 août 2021). Par le choix de ses mots, on comprend qu’elle cherche à soulever de la colère, mais aussi à créer une identité collective où les membres ressentent les mêmes émotions envers les mêmes forces oppressives. En positionnant le « Nous » comme une force contre le gouvernement, elle propose une communauté d’individus connectés uniquement par leur rejet d’être gouvernés. Rhétoriquement, elle consolide une identité sociale en suscitant des émotions fortes et en les attachant de manière claire aux cadrages diagnostique et motivationnel. Enfin, elle ne se revendique pas raciste, parce que tout le monde peut rejeter les lois imposées par le gouvernement, mais il faut regarder en quoi ce rejet est un rejet d’une certaine politique étatique multiculturelle et collectiviste.

73Les influenceuses ont aussi tenté de manière plus positive de créer des liens entre leurs abonné·es et une communauté d’« éveillé·es ». Cette stratégie a aussi été observée dans les discours sur le bien-être qui tentent de créer une communauté consciente qui atteindra une moralité supérieure. Ce faisant, les abonné·es deviennent fidèles et prêt·es à défendre le système de croyances (Baker, 2022). Par exemple, M. Goyer a créé un groupe Facebook pour que les membres puissent offrir leurs services (par exemple la coiffure, la réparation d’automobiles, l’esthétique, etc.) sans adhérer aux mesures sanitaires. A. Paul a aussi créé un groupe Facebook pour du réseautage entre « éveillé·es » dans sa région. Elle explique aussi que les manifestations peuvent servir à se faire un réseau social :

« C'est pour élever la conscience des gens, pour se faire du bien aussi, pour se retrouver. Justement pour faire du réseautage. “Ah oui, toi tu viens de quelle région ? Ah cool hein ! On peut s'échanger nos numéros”. Puis de plus en plus s’échanger les vraies coordonnées, numéro de téléphone, adresse, avec des gens de confiance, évidemment » (Paul, 8 sept. 2021).

74Les trois influenceuses ont très peu mobilisé les incitations romantiques et pas du tout les incitations pragmatiques. Les incitations romantiques de la conspiritualité pourraient notamment être des références à : l’éveil spirituel, l’ordre supérieur où tout est lié et que la justice sera rendue, la défense de la liberté, la vérité et l’intuition individuelle (Baker, 2022). Lorsqu’elle met l’accent sur l’idéal à venir, A. Paul parle du Nouveau Monde en construction, de l’éveil et de souveraineté individuelle. Par exemple, elle explique se détacher de l’Ancien Monde pour faire place au Nouveau Monde.

« Si ça vous intéresse pas, il va falloir sortir de ce monde de mensonges et de ce système qui va s'écrouler. Donc, se rattacher à ça, ça sert à rien. We had a good run, on a eu une belle ride dans ce monde-là, peu importe notre âge. Il y en a que ça a été plus court que d'autres, je suis désolée pour les jeunes, parce que moi j'ai eu une très bonne ride. […] Puis c'est correct, vous allez avoir la chance de vivre plus longtemps, dans le Nouveau Monde qu'on est en train de bâtir et bravo. Je veux dire, ce qu'on va bâtir, je pense que ça va être beaucoup mieux » (Paul, 8 sept. 2021).

75En somme, les trois influenceuses ont déclaré avoir identifié plusieurs problèmes de société et en ont attribué la responsabilité à différents gouvernements. Par des arguments populistes, elles ont décrit ceux-ci comme corrompus et contre le bien commun. Elles proposent surtout des modes d’action en réaction à leurs insatisfactions, qui sont parfois peu cohérents avec les quelques solutions proposées. Elles semblent chercher à susciter du ressentiment chez leurs abonné·es pour les inciter à agir et à continuer de les suivre. Leur ressentiment est basé sur l’inversion projective en revendiquant continuellement la victimisation.

Conclusion

76Les trois influenceuses ne s’inscrivent pas à proprement parler dans l’idéologie « tradwifes », c’est-à-dire qu’elles ne promeuvent pas, par exemple, le rôle des femmes dans la reproduction des enfants Blancs et dans le soutien des hommes. En revanche, sans énoncer clairement leur statut de femmes, elles endossent certains rôles traditionnellement attribués aux femmes dans les droites extrêmes Par leurs appels à l’action, elles se positionnent comme porte-paroles du mouvement anti-mesures sanitaires, en font la promotion et tentent de recruter de nouvelles personnes militantes. Elles entretiennent le ressentiment envers les institutions et incitent chacun·e de leurs abonné·es à ne s’appuyer désormais que sur leur seule intuition. En créant des groupes Facebook et en promouvant la solidarité et la création de réseaux de contacts entre personnes « éveillées », elles font rêver leurs abonné·es d’émancipation et de pouvoir d’agir alors qu’elles proposent peu de solutions concrètes à ce qu’elles critiquent. Une partie de ce réveil associe des versions quelque peu aseptisées des idéologies des droites extrêmes à des critiques de la gouvernance et à une pensée indépendante. En soulevant ce qu’elles voient comme des injustices, sans vraiment proposer de solutions claires, les trois influenceuses s’inscrivent dans une attitude réactionnaire. C’est-à-dire qu’elles sont réfractaires aux changements, elles critiquent le statu quo et prône la restauration du passé (Capelos et al., 2021). Même si, dans leurs propos, elles semblent valoriser un avenir meilleur, leurs propositions suggèrent surtout un retour vers le passé en abolissant notamment les mesures sanitaires.

77Leurs propos démontrent aussi une proximité avec l’idéologie libertarienne grandissante depuis plusieurs années aux États-Unis. Pour Ravi Iyer et ses collègues (2012), cette idéologie prône les libertés individuelles et rejette l’idée que les besoins d’une personne imposent un devoir moral aux autres. Les actions gouvernementales ne devraient servir qu’à mettre en place les conditions nécessaires pour assurer cette liberté individuelle, comme l’éducation et les soins de santé. Dans le cas des trois influenceuses, les discours antigouvernementaux qui font référence à l'immigration, à la santé publique, à la gestion des taxes renforcent les arguments et la rhétorique libertariens existants Lorsqu'elles utilisent le pronom « nous », les trois influenceuses semblent discourir à propos d'une collectivité. Or, il s'agit d'un groupe d'individus rassemblés autour de besoins individuels et non pas d’un collectif.

78Le populisme réactionnaire et le libertarisme dont les influenceuses font preuve entretiennent le ressentiment. Ce dernier est une émotion couplée avec la frustration en raison d’un sentiment d’impuissance face à un événement défavorable (Ferrari, 2021). Entretenir le ressentiment conduit à de la colère plus grande et potentiellement à la violence (Breeze, 2019). L’exemple d’Alexandre Bissonnette, qui a tiré sur des musulmans à la Grande Mosquée de Québec, en témoigne. L’auteur de l’attentat a tué six personnes et en a blessé dix-neuf. Selon les médias et ses proches, il a entretenu une haine envers les personnes musulmanes en suivant des médias alternatifs des droites extrêmes critiquant l’Islam (TVA Nouvelles, 2017). Ce qui est certain, c’est que ces émotions suscitent l’engagement dans l’action collective (Borum, 2014). En soulevant les injustices dans le cadrage diagnostique, les adhérent·es voient leurs actions comme moralement justifiables (Borum, 2014). Le recrutement est aussi facilité par l‘identification de menace réelle ou imaginée. Cela permet de s’appuyer sur des croyances pour susciter l’engagement ou la mobilisation (Blee et Yates, 2017). En bref, blâmer les autres est attractif et donne l’occasion de donner un sens à l’action, puisque le populisme mobilisé par les influenceuses est une réponse au manque perçu d’option dans l’espace politique (Mudde, 2019b).

79En conclusion, bien que cette recherche ait apporté des réponses sur l’usage des médias socionumériques par des femmes tenant des discours apparentés aux droites extrêmes, elle contient quelques limites et nuances qui doivent être soulignées. Notamment, en ce qui concerne la durée de la collecte de données, les publications collectées ont été publiées dans une période temporelle assez restreinte, ce qui en limite la généralisation et ne nous permet pas d’en constater l’évolution à travers le temps. Le corpus se caractérise aussi par d’importantes inégalités par rapport à la quantité de publications des trois influenceuses, où les propos de M. Coutu y sont surreprésentés. Afin de limiter les biais relatifs à cette limite dans l’analyse, nous avons tenté d’équilibrer le nombre d’exemples entre les influenceuses et de bien préciser lorsque certaines observations ne relevaient que d’une influenceuse en particulier. Finalement, l’analyse s’est faite sur un seul profil socionumérique par influenceuse en se concentrant sur la plateforme où l’auditoire était le plus important, mais des études plus approfondies des plateformes plus marginales seraient à envisager. En effet, cela permettrait notamment de percevoir des distinctions dans les formes de cadrage déployées ou dans la manière dont celles-ci sont vulgarisées par les influenceuses.

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TVA Nouvelles, 2017, « Bissonnette influencé par les médias alternatifs d’extrême droite », TVA Nouvelles, 16 févr. https://www.tvanouvelles.ca/2017/02/16/bissonnette-influence-par-les-medias-alternatifs-dextreme-droite, (consulté le 15 mars 2024).

Venhaus M., 2010, United States Institute of Peace. Special report, 236, Why Youth join al-Qaeda. https://www.usip.org/publications/2010/05/why-youth-joinal-qaeda, (consulté le 15 mars 2024).

Woolley S. et Howard P. N., 2019, « Introduction: Computational Propaganda Worldwide », dans S. Woolley et P. N. Howard, Computational Propaganda: Political Parties, Politicians, and Political Manipulation on Social Media, Oxford, Oxford University Press, p. 3‑20.

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Notes

1 Les théories du complot tentent d’expliquer les causes d’événements sociaux et politiques significatifs par la désignation de coupables puissants (Douglas et al., 2019). Ces ennemis sont des gouvernements, de grandes entreprises ou des organisations internationales qui souhaiteraient l'imposition d'un nouvel ordre mondial. Ces derniers sont perçus comme malveillants et puissants, malgré leur minorité (Giry, 2015). Ils influenceraient nos vies secrètement, sans que nous ne soyons au courant (Prooijen, 2018). Ils sont accusés d’être responsables de tous les problèmes sociétaux : des crises, des catastrophes ou des maladies par exemple (Giry, 2015 ; Taïeb, 2011). En bref, le cours de l’Histoire serait déterminé par ce groupe secret (Taïeb, 2011).

2 Le passeport vaccinal a été instauré au Québec le 1er septembre 2021 et a été retiré le 12 mars 2022. Celui-ci permettait aux personnes dites adéquatement vaccinées (2 doses) d’accéder à certains lieux, comme les salles de spectacle et les restaurants.

3 Pour nous, le terme « racisme raisonnable » est problématique. Traduction du terme anglais reasonable racism, Thomas J. Holt et ses collègues (2020) y voient un discours plus tempéré qui met l'accent sur des discussions pseudo-rationnelles sur la « race » afin d’attirer un public plus large. Ils font donc référence à la banalisation des discours racistes et à leur acceptation sociale.

4 En mars 2019, un homme âgé de 28 ans a tiré sur des personnes présentes dans deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Il en est résulté 51 morts. Le tireur a publié son attaque en direct sur le média socionumérique 8chan (Beckett, 2019).

5 Les théories conspirationnistes liées à la technologie mobile 5G expliquent que la pandémie est utilisée pour camoufler les effets néfastes de cette technologie. D'autres théories positionnent cette dernière comme responsable de la pandémie (Giry, 2022).

6 Les expressions « suivre le lapin blanc » et « prendre la pilule rouge » font référence au film La Matrice et à l’éveil de Néo, le protagoniste principal (Evans 2020d, cité dans Baker 2022). Pour les partisan·nes, elles signifient récupérer son pouvoir et ressentir sa propre vérité (Brogan 2020a, cité dans Baker, 2022).

7 Les influenceuses utilisent des MSN alternatifs (moins connus) pour continuer à atteindre leur public dans les cas où leurs profils sur les MSN traditionnels seraient fermés ou censurés. Cette stratégie assure la viabilité du mouvement (Donovan et al., 2019). Certains groupes des droites extrêmes ont même développé leur propre MSN (Gab, Rumble, Telegram, VKontakte) où une liberté d’expression totale est prônée, c’est ce que Joan Donovan et al appellent les « Alt-tech ». Ce sont des stratégies de contournement des pratiques de modération de contenu des MSN traditionnels (Facebook, YouTube, Twitter).

8 L'équivalent en France de la planification financière est le conseil en investissements financiers.

9 L’objectif de la loterie vaccinale est d’accélérer la vaccination. Il s’agit d’un tirage au sort organisé par le gouvernement du Québec pour personnes vaccinées. Des lots de 150 000$ et d’un million de dollars canadiens étaient tirés parmi les personnes ayant reçu une ou deux doses de vaccins. Des bourses d’études étaient aussi en jeu pour les adolescent·es de 12 à 17 ans (Radio-Canada, 2021).

10 Ce processus psychologique consiste à accuser un groupe d’une action que la personne elle-même aimerait accomplir (Dundes, 1991, cité dans Taguieff, 2019 :7) : « [i]l en va de même pour la transformation du “Je vous hais ” en “Vous me haïssez” ». Ce statut de victime sert à la fois à justifier les positions réactionnaires et à consolider le « Nous » en imaginant une menace (la perte de statut, ou les chimères du « racisme inversé ») dont le groupe dominant doit maintenant se protéger.

11 La PCU a été déployée par le gouvernement fédéral. Les personnes ayant perdu leur emploi en raison de la pandémie recevaient 2 000$ imposables toutes les quatre semaines. La PCRE a remplacé la PCU à la fin du programme (Dubé, 2021).

12 La SAQ et la SQDC sont deux sociétés d’État qui ont pour mandat la gestion de la vente d’alcool et de cannabis au Québec.

13 La Direction de la protection de la jeunesse, sous la Loi de la protection de la jeunesse, a pour mandat d’assurer le respect et le bien-être des enfants vivant dans des situations compromettantes (Gouvernement du Québec, 2018).

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Pour citer cet article

Référence papier

Vicky Girard, Michelle Stewart et Maxime Bérubé, « « Je ne suis pas raciste, mais je suis réaliste » »Questions de communication, 45 | -1, 337-368.

Référence électronique

Vicky Girard, Michelle Stewart et Maxime Bérubé, « « Je ne suis pas raciste, mais je suis réaliste » »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 07 octobre 2024, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/35483 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wxg

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Auteurs

Vicky Girard

Université du Québec à Montréal, CAN-H2L 2C4 Montréal, Canada

Michelle Stewart

Université du Québec à Montréal, CAN-H2L 2C4 Montréal, Canada

Maxime Bérubé

Université du Québec à Montréal, CAN-H2L 2C4 Montréal, Canada

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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