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Notes de lecture
Théories, méthodes

Marion Lemoine-Schonne et Matthieu Leprince (dirs), Être un chercheur reconnu ? Jugement des pairs, regard des publics, estime des proches

Clara Galliano
p. 653-657
Référence(s) :

Marion Lemoine-Schonne et Matthieu Leprince (dirs), Être un chercheur reconnu ? Jugement des pairs, regard des publics, estime des proches, Éd. Maison des sciences de l’homme en Bretagne/Presses universitaires de Rennes, 2019, 204 pages.

Texte intégral

1La préface de Nicolas Thély (p. 7-10) et les remerciements (p. 203) nous permettent de comprendre le rôle de la Maison des sciences de l’Homme de Bretagne (MSHB), l’origine de la création de la série d’ouvrages et le contexte de la recherche proposée par les auteurs. Ce livre fait suite aux journées d’étude qui se sont tenues à la MSHB entre 2017 et 2018 à Rennes. Son objectif consiste à interroger les nouvelles conditions de travail et le statut d’une pluralité de chercheurs dans un contexte académique bouleversé par la restructuration (organisationnelle et financière, entre autres facteurs) du paysage français de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) depuis une dizaine d’années mais aussi décrypter les leviers de reconnaissance. L’introduction générale (p. 11-24) tient lieu d’état de l’art et de revue de la littérature, où trois partis pris sont évoqués : la réflexivité des chercheurs, la question de la reconnaissance et la légitimité des sciences sociales par rapport aux sciences exactes. En lisant ces premières pages, on réalise qu’il est question de plusieurs formes de reconnaissance : celle des pairs, celle des publics et celle des proches. Le plan annoncé permet au lecteur d’apprécier la ligne directrice choisie par Marion Lemoine-Schonne et Matthieu Leprince.

2Dans un premier temps, la reconnaissance est abordée à travers la success story de trois scientifiques (p. 25-48). Certains parcours peuvent être considérés comme rectilignes, avec des mouvements pendulaires entre institutions comme c’est le cas pour l’historien Patrick Boucheron. Ce dernier a choisi de s’orienter vers une carrière universitaire en acceptant le rite de passage académique qui consiste à soutenir une habilitation à diriger des recherches (HDR), avant de devenir professeur au Collège de France. Selon les parcours personnels des chercheurs interrogés, rien n’est calculé et rien ne les prédestinait à cette carrière. Comme rien n’est écrit à l’avance, Patrick Boucheron et le sociologue Jean-Claude Kaufmann confient s’être essayés à des expérimentations et de nouvelles formes d’adresse du savoir (radio, théâtre, télévision, etc.). Cependant, si la vulgarisation fait partie des missions de l’enseignant-chercheur, le jeu de la notoriété n’est pas toujours vu d’un bon œil. En effet il peut être facile de se couper du monde scientifique en étant trop médiatisé mais, selon J.-C. Kaufmann, la médiatisation n’est pas une trahison (p. 37). L’enseignement et la recherche peuvent également être adossés à d’autres fonctions administratives et politiques. À travers son récit, André Lespagnol nous livre la troisième dimension du métier qui est celle de la participation aux responsabilités collectives (président d’université, directeur d’unité au Centre national de la recherche scientifique [CNRS], recteur et vice-président de région, etc.). Pour lui, combiner ces casquettes revient à sacrifier son temps de recherche et à devenir un « intermittent de la recherche » pouvant générer d’inévitables frustrations (p. 46).

3Dans le milieu académique, la reconnaissance est inéluctablement assimilée à l’évaluation par les pairs comme forme de légitimité passant par plusieurs étapes, évoquée dans cette partie par cinq témoins (p. 49-92). Si la reconnaissance dans la communauté scientifique passe par l’évolution statutaire (maître de conférences, professeur des universités) et la réussite aux concours (qualification au Conseil national des universités, HDR, agrégation dans certaines disciplines), l’enseignant-chercheur est souvent en quête d’approbation selon Sandrine Maljean-Dunois (p. 58). C’est notamment le cas en droit, où, par exemple, le manque de culture des projets de recherche dans les évaluations est pointé du doigt par Marion Del Sol et Maryline Boizard. L’évaluation par les pairs, majoritairement quantitative, n’est pas toujours favorable et peut aussi conduire à des échecs, des remises en question et des désillusions sur l’utilité même du métier. Certains se sont sentis rejetés par la discipline à cause de leur « pas de côté » et d’autres ont préféré se réorienter. Nous découvrons alors les cas de M. Del Sol, Jean-Max Colard et M.  Boizard qui ont choisi de quitter le monde universitaire par manque de reconnaissance à un moment donné dans leur carrière académique. En sciences de gestion, univers qualifié « d’hétéronome » par Fabienne Pavis (p. 60), « l’universitaire peut être reconnu au nom de la valeur marchande de son savoir » (p. 61). Cela nécessite un ajustement positionnel, car il peut être perçu soit comme un savant inutile, soit comme un commerçant de prestations intellectuelles (p. 67). De ce fait, l’articulation entre la science et le marché chez les universitaires en sciences humaines et sociales (SHS) n’est ni évidente, ni facilitée.

4La partie suivante concerne cette fois-ci la reconnaissance par le public (p. 93-124). Les activités de diffusion et de valorisation de la recherche relèvent d’une injonction institutionnelle et sociale (p. 95). En effet, la vulgarisation permet de construire un réseau plus large, de casser sa routine professionnelle, de découvrir d’autres univers sociaux et d’accroître sa notoriété. Mais plusieurs questions se posent : à quel public s’adresser ? Par quels moyens et dans quel but en sachant que la communication (jargon, discours), ou encore la « traduction » (p. 98), ne sont pas aisées dans toutes les disciplines ? Les réponses sont ici apportées par trois chercheurs. Thomas Frinault évoque la place du chercheur dans les médias et questionne l’expertise de l’universitaire en dehors de la sphère académique (p 117). Être enseignant-chercheur, ce n’est pas seulement faire de la recherche pour ses pairs et enseigner auprès des étudiants. Gauthier Aubert est fier d’avoir monté un cycle de conférences « Rencontres d’histoire » ayant gagné en visibilité locale, avant de reprendre un métier « quasi-administratif » (p 108). Mathias Waelli évoque la courte durée de la médiatisation via le prix Le Monde qu’il a reçu suite à la publication de sa thèse en sociologie (p. 121). Mais, malgré son caractère éphémère, la reconnaissance du grand public a permis aux trois témoins de se « faire une place » (p. 122).

5Dans la quatrième partie, trois chercheuses témoignent de leur rapport au public et de la légitimité des sujets de recherche (p. 125-158). Pour Mannaig Thomas, qui étudie la langue et la littérature bretonnes, Jodelle Zetlaoui-Léger, qui travaille dans l’urbanisme participatif, ou encore Fanny Bugnon, qui s’intéresse à la question du genre, les objets de recherche peuvent être plus ou moins facilitateurs dans cette quête de visibilité en dehors de la sphère académique, même s’il existe un décalage avec les demandes du public et un risque d’« instrumentalisation » (p. 142). Via leurs expériences, nous comprenons qu’il est possible d’associer la recherche et l’engagement, voire le militantisme, sans pour autant être rejeté par les professionnels dans des situations de projet. Dans certains cas, l’universitaire adopte une position de « praticien-chercheur » (p. 142) ou encore « d’acteur-ressource » (p. 155).

6La dernière partie traite de la reconnaissance extra-académique (p. 159-192). Cet aspect plus personnel, voire intime, est retranscrit par les discours de deux doctorantes (Camille Giraudon et Tiphaine Rivière) et de deux professeurs (Philippe Hamon et Daniel Le Couédic). Lorsque l’on s’aventure dans la réalisation d’une thèse, il est souvent courant de se sentir incompris par ses proches, soit par rapport à l’utilité de son sujet ou de son inscription disciplinaire, soit par le décalage entre l’image et la réalité du métier. De ce fait, il est très courant dans la communauté des doctorants de parler du « syndrome de l’imposteur ». L’estime des proches peut alors peser lourd dans la balance. Pour P. Hamon, le soutien de sa famille lui a donné une certaine confiance dans sa carrière universitaire et évoque une ascension plus collective qu’individuelle. Au contraire, si l’appartenance sociale d’origine est trop éloignée des études supérieures, les représentations peuvent être faussées et l’intérêt des proches peut aussi s’estomper (p. 174).

7La conclusion générale rédigée par Christian Le Bart permet de saisir l’importance de la question de la légitimité dans les métiers de l’ESR en France (p. 193-201). Bien qu’elle ne soit pas spécifique aux SHS, la problématique de la reconnaissance permet de mieux comprendre ce « petit monde social ». À la fois charme et poison (ou encore pharmakon), cette course à la reconnaissance sans fin incite les acteurs du champ académique à adopter des stratégies multiples pour prétendre à une reconnaissance ultra-individualisée, qu’elle soit interne ou externe à l’institution. Permettant aux universitaires de se distinguer et d’exister, ces épreuves s’inscrivent dans un contexte universitaire singulier et évolutif, marqué par une logique cumulative et une culture de l’évaluation individuelle toujours plus quantitative (« indicateurs mous » p. 197). Toutes ces étapes, parfois jouissives mais souvent inabouties, procurent mal-être et désenchantement. En effet, si les métiers liés à la fonction publique sont souvent moqués, la réalité de l’activité d’un enseignant-chercheur est toute autre. Cette image peut inciter à modifier sa trajectoire pour quitter le monde universitaire et s’épanouir dans d’autres voix professionnelles comme cela a été mentionné à plusieurs reprises dans cet ouvrage.

8Enfin, certains aspects méritent d’être soulignés. Même si l’exhaustivité n’a pas été recherchée, et cela a été mentionné, on apprécie l’authenticité puis la sincérité des chercheurs qui ont accepté de se prêter à l’exercice et dans lequel il est possible de se reconnaître. Malgré une volonté de croiser les regards de chercheurs en SHS et de traiter exclusivement la question de la reconnaissance plurielle, l’originalité de cette recherche peut être discutée, car le sujet a déjà été traité dans plusieurs disciplines par le biais d’enquêtes qualitatives et quantitatives. Les détails et les concepts théoriques liés à la méthodologie employée sont absents, bien que les textes soient présentés sous forme de témoignages, de portraits ou d’entretiens retranscrits accompagnés d’une photographie permettant une lecture facilitée. Par conséquent, que le lecteur soit familier des problématiques de l’ESR ou qu’il soit simplement curieux, les textes de ce livre lui permettent d’appréhender de la réalité du métier d’enseignant-chercheur souvent idéalisé. Les dix-huit profils variés interrogés, allant de doctorant à ancienne doctorante et de professeur des universités à directeur de recherche au CNRS, offrent une approche singulière, individuelle et autoréflexive sur la profession avec un besoin constant de reconnaissance. Ce questionnement prend tout son sens encore aujourd’hui avec les conséquences induites par le vote de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2023 qui mériterait, là aussi, de nouveaux entretiens couplés avec les données de la Conférence des praticiennes et praticiens de l’ESR.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clara Galliano, « Marion Lemoine-Schonne et Matthieu Leprince (dirs), Être un chercheur reconnu ? Jugement des pairs, regard des publics, estime des proches »Questions de communication, 45 | -1, 653-657.

Référence électronique

Clara Galliano, « Marion Lemoine-Schonne et Matthieu Leprince (dirs), Être un chercheur reconnu ? Jugement des pairs, regard des publics, estime des proches »Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/34733 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wxo

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Auteur

Clara Galliano

Université de Toulon, Imsic, F-83000 Toulon, France clara.galliano[at]univ-tln.fr

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