Navigation – Plan du site

AccueilNuméros43Notes de lectureHistoire, sociétésAnthony Mangeon, L’Afrique au fut...

Notes de lecture
Histoire, sociétés

Anthony Mangeon, L’Afrique au futur. Le renversement des mondes

Paris, Hermann, coll. Fictions pensantes, 2022, 286 pages
Christophe Cosker
p. 408-410
Référence(s) :

Anthony Mangeon, L’Afrique au futur. Le renversement des mondes. Paris, Hermann, coll. Fictions pensantes, 2022, 286 pages

Texte intégral

1Anthony Mangeon propose un nouvel essai sur le rapport de l’Afrique avec le temps. En effet, après avoir été longtemps réduit au continent de la tradition et donc du passé, ainsi qu’associé à un présent marqué par le marasme, l’auteur choisit d’aborder le futur de l’Afrique, non pas de façon optimiste ou pessimiste, conformément à un certain « catéchisme médiatique » (p. 10) reprenant l’antienne des lendemains qui ne peuvent que chanter, mais de façon lucide, en explorant des fictions littéraires contemporaines. Pour ce faire, une trentaine d’œuvres sont convoquées. On y croisera notamment Émile Driant, alias capitaine Dandrit, auteur de « la première Internationale djihadiste » (p. 40) intitulée L’Invasion noire (1894). L’auteur introduit un certain nombre des thèmes traités de façon diverse dans les productions suivantes : « Né un 11 septembre, Émile Driant (1855-1916) semblait prédestiné à devenir l’auteur de la plus stupéfiante anticipation djihadiste et fururiste connue à ce jour. Officier formé à Saint-Cyr et prolixe romancier de La Guerre de demain, il exerçait encore le métier des armes en Tunisie lorsqu’il publia son nouveau feuilleton, L’Invasion noire, en 1894. Au fil de ses quatre volumes (La Mobilisation africaine, Concentration et pèlerinage à la Mecque, À travers l’Europe et Autour de Paris), l’écrivain militaire se plaît à imaginer, en situant les événements de son récit-fleuve dans les années 1910, « l’anéantissement de l’Europe, la domination de l’Islam et la vengeance de l’Afrique opprimée » (p. 40).

2Dans la perspective de la mondialisation, on notera que la plupart des fictions liées à l’Afrique ne se déroulent pas, ou pas seulement en Afrique, mais sont en interface avec l’Europe, suivant le fil de ce qui est parfois colonisation réciproque. La méthode suivie par A. Mangeon est propre à intéresser les sciences de l’information et de la communication (SIC) : « Nous posons ici l’hypothèse que ces productions apparemment disparates partagent en réalité des images, des figures de style, des modalités argumentatives ou narratives que des approches poétiques et esthétiques permettent de mettre au jour, en mobilisant par exemple les outils critiques de la narratologie, de l’étude rhétorique des textes et de l’analyse poétique ou intermédiatique des supports. De manière très simple, on peut commencer par se demander où la production contemporaine sur les futurs africains puise ses règles thématiques, et si ces dernières sont fondamentalement originales et novatrices ou parfois convenues et déjà anciennes. Quelles productions ont eu et exercent encore aujourd’hui le plus d’influence sur nos manières d’imaginer les futurs africains ? Lesquelles parviennent à atteindre une diffusion véritablement internationale, voire globale ? Y a-t-il alors de significatives différences entre les visions occidentales et les visions africaines des futurs du continent ? » (p. 12)

3Dans cette perspective, la démarche choisie entend penser ensemble littérature et littérature d’idée par le truchement de deux concepts convergents en manière de chiasme, d’une part les « pensées fictionnalisantes qui mobilisent les ressources de l’imagination pour conduire leurs expériences de raisonnement, et notamment l’élaboration de leurs possibles ou plausibles scénarios pour l’avenir » (p. 14) et, d’autre part les « fictions pensantes, c’est-à-dire [les] affabulations qui réfléchissent, au moyen de la mise en mots, en intrigue ou en récit, à ces mêmes questions relatives aux devenirs du continent » (p. 14). Le discours littéraire de Léonora Miano en constitue un exemple paradigmatique. En effet, lors des Ateliers de la pensée organisés à Dakar en 2016, l’écrivaine indique que l’Afrique est le nom exogène d’un continent qui doit, ipso facto, apprendre à se réapproprier lui-même. Parmi les noms endogènes qu’elle propose – Alkelu-Lan, Farafina, Afuraka, TaMery, ou encore Kama, elle en sélectionne un pour rebaptiser l’Afrique dans son roman Rouge impératrice (2019) : Katiopa.

4En outre, la collection dans laquelle paraît l’essai d’A. Mangeon, et qu’il inaugure chez Hermann, s’avère particulièrement pertinente. Dirigée par Franck Salaün, elle s’intitule « Fictions pensantes » et se présente comme suit : « Le concept de fiction pensante, proposé par Franck Salaün pour définir certaines œuvres de Diderot, constitue avant tout un point de repère. Derrière la variété des objets et des méthodes, des monographies aux études thématiques en passant par les recherches théoriques, les essais publiés dans la collection « Fictions pensantes » ont en commun d’interroger la façon dont les textes littéraires pensent. Il s’agit non seulement de comprendre à quoi ils pensent, et dans quels buts, mais aussi comment ils pensent » (p. 288).

5Trois concepts permettent d’organiser le discours ici étudié, articulant Afrique et futur en référence notamment à la science-fiction et à la prospective définie comme le récit d’un futur possible. Ainsi l’afrotopisme est-il un « utopisme centré sur l’Afrique » (p. 24), l’afroprophétisme une « eschatologie conférant à l’Afrique un rôle central dans le destin (religieux ou non) de l’humanité » (p. 24) et l’afrofuturisme « l’exploration imaginaire d’un monde afrocentrique ou afrocentré, conscient des héritages coloniaux et raciaux et cherchant (ou non) à s’en départir via la projection dans d’autres mondes, d’autres temporalités ou d’autres espaces-temps » (p. 24). Ainsi, dans la série Insh’Allah, Steven Barnes africanise-t-il et féminise-t-il les découvertes techniques : « L’histoire bifurque en revanche radicalement lorsque toutes les avancées scientifiques et techniques deviennent africaines, souvent initiées par des femmes de science noires : on doit ainsi à une savante dogon, Kyanfuma, « d’incroyables découvertes dans les domaines de la médecine, de l’astronomie et de l’optique », comme les inventions du télescope puis du microscope ou encore la maîtrise de la vapeur pour divers véhicules (bateaux, voitures) ; dans son sillage, c’est une jeune Africaine du Bilalistan, Chifi Kokossa, qui mène les premières expériences sur l’électricité » (p. 132).

6Les Affamés et les Rassasiés (2018) de Timur Vermes illustre le deuxième concept lorsqu’il met en scène la migration irrésistible de plus de cent mille hommes qui partent d’Afrique subsaharienne – guidés par un jeune homme photogénique prénommé Lionel et devenu l’icône d’une émission de téléréalité allemande intitulée Un Ange dans la misère, et change la face du monde. Quant au troisième concept, l’œuvre paradigmatique nous paraît être un vaste roman-feuilleton en plusieurs volumes composé par É. Driant et publié, en 1894, sous le titre L’Invasion noire. Selon l’auteur, il s’agit « de la plus stupéfiante anticipation djihadiste et fururiste connue à ce jour » (p. 40).

7Dans le détail, A. Mangeon reprend à Richard Saint Gelais un concept central, celui de « xéno-encyclopédie ». Ce dernier se définit comme l’ensemble « des représentations ordinaires et même stéréotypées qui font traditionnellement de l’Afrique un continent de la démesure et de l’aberration cognitive, caractérisé par sa monstruosité et sa sauvagerie » (p. 26). Le cœur de l’ouvrage justifie enfin le sous-titre et montre comment la macrofigure du mundus inversus fait coïncider la science-fiction africaine avec un retournement de la colonisation, autrement dit : « Une subversion sans précédent de la domination multiséculaire exercée par les puissances occidentales sur les populations africaines et leurs diasporas, sous la forme notamment d’invasions, de migrations de masse, de conquêtes coloniales et de guerres totales désormais menées depuis l’Afrique vers l’Europe » (p. 26).

8Dans cette perspective, la lecture la plus féconde développée par A. Mangeon est celle des États-Unis d’Afrique (2006) d’Abdourahman Waberi qui permet de « donner à lire l’inversion qu’il opère entre point de vue eurocentré et point de vue africain » (p. 140).

9Ainsi L’Afrique au futur est-il le discours qui imagine le futur de l’Afrique, ou plutôt les futurs anticipés depuis déjà longtemps, au point de former une tradition du meilleur et du pire.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Cosker, « Anthony Mangeon, L’Afrique au futur. Le renversement des mondes »Questions de communication, 43 | 2023, 408-410.

Référence électronique

Christophe Cosker, « Anthony Mangeon, L’Afrique au futur. Le renversement des mondes »Questions de communication [En ligne], 43 | 2023, mis en ligne le 01 octobre 2023, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/32083 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.32083

Haut de page

Auteur

Christophe Cosker

Université de Bretagne Occidentale, HCTI, F-29200, Brest, France. Université de La Réunion, LCF, F-93200 Saint-Denis (La Réunion), France

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search