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Notes de lecture
Sociétés

Michael Rinn, dir., Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue

Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Interférences, 2008, 371 p.
Luce Albert
Référence(s) :

Michael Rinn, dir., Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue. Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Interférences, 2008, 371 p.

Texte intégral

1L’ouvrage collectif dirigé par Michael Rinn, Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue, propose une réflexion méthodologique autour de la troisième des preuves rhétoriques après l’ethos et le logos : le pathos. Il le fait selon quatre axes principaux : d'abord, les divers modèles théoriques de la pensée pathétique dans la culture occidentale ; ensuite, les fonctionnements argumentatifs du pathos et les genres de discours dans lesquels il s’épanouit avec prédilection ; puis, la poétique du pathétique ou ses figures de prédilection ; enfin, une analyse des procédures de stéréotypisation du pathos qui nourrissent la véhémence du discours pathétique.

2La première partie de l’ouvrage est introduite par l’article de Fernand Delarue qui retrace les fondements théoriques et pratiques de l’éloquence civile et judiciaire à travers les œuvres des grands théoriciens et orateurs de l’Antiquité. Il montre que le pathos triomphe à la fin de la république romaine. Après deux siècles pendant lesquels l’orateur était au contraire aussi charismatique que sage, il aspire désormais à l’exaltation et l’intensité pathétique qui deviennent même le signe de la liberté. Avec l’étude de discours cérémoniels de la fin du XVIIe siècle, Pierre Zoberman analyse le topos de l’émotion populaire, c'est-à-dire la mise en scène de l’explosion de joie de la vox populi. Il montre que ce topos est producteur d’une illusion d’harmonie sociale qui fonctionne comme une justification idéologique fondamentale de l’absolutisme. Patrick Charaudeau examine, quant à lui, les manifestations du pathos dans le discours politique et, plus spécifiquement, dans les discours populistes, c'est-à-dire en s’appuyant sur quelques citations de discours de Jean-Marie Le Pen, dont il relève des invariants tels la dénonciation d’une situation de déclin, l’identification d’un coupable, etc., le tout participant de la dramatisation extrême de ce type de discours. Empruntant à la philosophie du langage et remontant à Aristote, Georges Molinié propose de considérer le pathos comme l’universel humain par excellence, c'est-à-dire comme ce qui signale et unifie l’humain, comme l’expression d’une pensée somatique partagée par tous les êtres humains. Pour clôturer cette première partie, Georges-Elia Sarfati relit les concepts austiniens de façon critique pour envisager l’agir-humain comme fondé sur le sens commun, et l’acte de parole comme reposant et résultant d’un ensemble de normes aussi bien procédurales que pragmatiques.

3La seconde partie de l’ouvrage s’ouvre sur la contribution de Marc Angenot. À travers la notion de ressentiment, ce dernier examine les liens intimes qu’entretiennent logos et pathos, catégories qui ne devraient pas, selon lui, être disjointes. Il définit en effet le ressentiment comme « une sorte de logos guidé par une passion misérable » (p. 89). Il montre que la posture énonciative du ressentiment adoptée par de nombreuses idéologies modernes, constitue une réaction au désenchantement du monde. Pour sa part, Emmanuelle Danblon explore les figures de la transgression déployées dans le genre du pamphlet, à travers l’analyse d’un pamphlet situationniste. Elle montre comment le pamphlet, par le maniement de l’ironie notamment, joue avec les limites de la sociabilité. Ruth Amossy s’attache à mettre en valeur la manière dont l’ethos s’établit sur un double plan qui tient aussi bien du logos que du pathos. Elle insiste pour cela sur la sympathie suscitée par l’ethos aussi bien à l’encontre de l’orateur lui-même qu’envers la collectivité, sympathie permettant d’éveiller un sentiment d’appartenance à la communauté en mobilisant compassion et bienveillance. Raphaël Micheli propose quant à lui d’examiner la façon dont les émotions peuvent s’argumenter, c'est-à-dire de montrer comment, dans le débat qui oppose les parlementaires abolitionnistes et les anti-abolitionnistes au début du XXe siècle, chacun tente de fonder en raison ce qu’il convient ou non d’éprouver. Pour clôturer cette deuxième partie, l’étude de Christian Plantin, Véronique Traverso et Lilane Vosghanian qui s’appuie sur l’analyse d’une interaction verbale pour montrer que les conditions de production et les manifestations des émotions sont intimement dépendantes d’une vision de soi et du monde partagée par les interlocuteurs.

4La contribution de Marc Bonhomme inaugure la troisième partie de l’ouvrage par l’analyse d’un pamphlet d’Aimé Césaire, dont il extrait une rapide typologie de procédés « pathiques » destinés à augmenter l’adhésion empathique de l’auditoire. Philippe Mesnard pose la question d’une typologie de ces figures et de leurs enjeux dans le contexte extrême des discours aussi bien littéraires que philosophiques sur les camps de concentration. De son côté, Michael Rinn analyse les figures de la véhémence mobilisées par les anti-négationnistes dans une polémique où la violence verbale du pathos privilégie notamment l’argument ad hominem, entre promotion de soi et humiliation de l’autre. Jean-Paul Dufiet propose une étude de la pièce de théâtre Qui rapportera ces paroles? de Charlotte Delbo (1974), qui prend pour sujet la représentation d’un camp nazi. Le pathos y est donc imposé, mais la représentation dramatique est fondée sur un pathos éthique, c'est-à-dire exempt de larmoiement, extrêmement varié tant dans sa formalisation que dans son intensité. Il retrouve ainsi de façon directe l’efficacité rhétorique pragmatique qu’Aristote lui avait attribuée : persuader. Gilles Declercq prolonge cette étude en s’intéressant également à un corpus théâtral composé de pièces de Racine et de Sophocle qui lui permettent de s’interroger sur les effets du pathos et de sa monstration calculée par le dramaturge : la théâtralité met à distance le pathos, évitant une fascination paralysante et ouvrant la voie à son intelligence.

5Dans la quatrième et dernière partie de ce volume, François Rastier montre que l’usage exalté et grandiloquent du pathos dans les essais politiques et théologiques sur la Shoah conduit à l’irruption du mythe voire de l’idolâtrie dans l’Histoire. À l’inverse, Florence Balique analyse des discours de propagande nazie et montre que le pathos fonctionne dans ce discours comme un appel à l’irrationnel et se cache derrière une dimension idéologique identitaire forte qui tente de persuader son auditoire qu’il est un peuple élu en même temps qu’il le convainc de rejeter le peuple tiers. Ekkehard Eggs se concentre sur un aspect original qui est celui des indices corporels et expressifs du pathos, notamment l’exclamation et l’ironie. Il les met en relation avec la doxa, et montre les liens qu’ils entretiennent avec les structures prosodiques et éthiques du discours. Ioannis Kanellos, Ioanna Succiu, et Thierry Moudenc réfléchissent à la manière d’améliorer la locution d’une machine dont la voix, synthétisée sur des modèles préexistants, devrait intégrer des paramètres émotionnels tels que le timbre, l’intensité, le rythme ou le débit, pour entrer en communication avec l’homme. Aurélie Lagadec s’attache quant à elle à montrer comment l’exploitation de la puissance émotionnelle des attentats du 11-Septembre par les médias a pu conduire à une reconstruction sémantique de l’événement. La dernière étude de cet ouvrage, menée par Louis Panier, s’intéresse aux dispositifs sémiotiques de l’émotion à travers l’analyse de quelques « Unes » de journaux parues au moment de l’annonce de la mort de Yasser Arafat.

6Cet ouvrage fait donc miroiter le pathos au travers de multiples facettes par lesquelles il se présente à nous, et en donne des exemples variés et des analyses diversifiés. Pourtant, nous pouvons regretter, d’une part, le manque d’homogénéité du volume aussi bien au niveau diachronique (les contributions de Fernand Delarue, Pierre Zoberman et de Gilles Declercq sont bien isolées) que théorique et, d’autre part, l’absence d’une solide bibliographie qui aurait actualisé utilement la liste des ouvrages nombreux qui se sont attachés à l’étude du pathos jusqu’à présent. Ces deux aspects écartés, les contributions ici réunies éclairent utilement les manifestations et les effets de cette preuve rhétorique incontournable pour mener l’analyse de tout discours persuasif.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Luce Albert, « Michael Rinn, dir., Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue »Questions de communication [En ligne], 17 | 2010, mis en ligne le 23 janvier 2012, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/265 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.265

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Auteur

Luce Albert

CERIEC, université d’Angers
slalbert@free.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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