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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard (dirs), La France en guerre. Cinq « années terribles »

Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2018, 420 pages
Benjamin W. L. Derhy Kurtz
p. 411-414
Bibliographical reference

Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard (dirs), La France en guerre. Cinq « années terribles », Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2018, 420 pages

Full text

1L’ouvrage au sous-titre évoquant le sublime recueil de Victor Hugo dans lequel il se fait à la fois historien et poète (L’Année terrible, Paris, M. Lévy, 1872) dirigé par Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard – respectivement professeur émérite et maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Clermont-Auvergne – porte un concept fort intéressant : revisiter la notion d’année terrible en y incluant cinq « binômes » différents : 1870-1871, bien sûr, mais aussi 1792-1793, 1814-1815, 1914-1915 et 1939-1940. Les directeurs explorent ici trois axes, qui constituent les parties du livre – chacune composée de huit chapitres.

2La première partie (« Expériences du basculement », p. 119-138) se concentre sur des « récits de basculement dans une autre temporalité liée à de fortes ruptures et séparations de l’univers […] habituel[,] écrits sur le vif » (p. 19). Ainsi Anne Rolland-Boulestreau (p. 25-40) suit-elle trois parcours de Vendéens pendant la guerre civile de 1793 en Anjou. L’historienne offre une analyse pertinente et des conjectures éclairantes grâce à l’usage de la microhistoire, mais sans aller plus loin que les parcours de ces trois personnes dans ce lieu restreint. Néanmoins, l’utilisation d’éléments présentés comme des faits, telles des citations d’un père dans l’ouvrage de son fils pour en tirer des conclusions (p. 39, par exemple) peine-t-elle parfois à convaincre et appellerait à prendre davantage de recul. Dans l’un des meilleurs chapitres, Nicolas Beaupré (p. 41-52) offre une analyse psychologique passionnante de l’effet de l’entrée en guerre en 1914 sur les Français de l’époque. Ainsi cette analyse pertinente résume-t-elle la situation : « Du fait de la guerre, le temps est en quelque sorte retourné comme un gant. Le futur devient passé et l’avenir est en fait le passé vers lequel on voudrait revenir » (p. 52). L’intéressante contribution de Chantal Dhennin-Lalart (p. 53-68) s’intéresse au Nord, occupé, de la France à la même époque. L’historienne évoque la « radicale déshumanisation » des populations locales à travers bombardements, dénis des droits humains et expropriations (p. 55). En bonne suite, la contribution de Ronan Richard (p. 69-84) s’attarde ici sur l’exode mentionné dans la précédente. Elle met l’accent sur la solidarité décroissante au fil du temps des régions mises à contribution pour l’accueil des réfugiés, malgré l’image héroïsée qui fut donnée. Odile Roynette (p. 85-96) se penche ensuite sur la manière dont Louis-Ferdinand Céline a vécu, non pas la Seconde, mais la Première Guerre mondiale. L’autrice semble pourtant plus se concentrer sur L.-F. Céline que sur l’année terrible, et sans pour autant expliquer l’intérêt pour l’ouvrage de se focaliser sur lui en particulier. Claire Maingon étudie elle aussi la période 1914-1915 (p. 97-110), mais se focalise sur l’École des Beaux-Arts et la Villa Médicis à cette période. On y découvre le patriotisme des élèves, nombreux à « tomber à l’ennemi », c’est-à-dire à être tués par les soldats allemands, à travers d’émouvants écrits personnels, ainsi que la gestion de ces institutions au regard de la situation. La contribution suivante, de Pauline Breton-Chauvet (p. 111-124), porte sur Georges Duhamel et évoque surtout ses fonctions de membre de l’Académie française en 1940 et les liens entre deux de ses ouvrages, mais quiconque n’a pas lu ces deux livres se retrouve quelque peu perdu. Toutefois, bien qu’en ne le citant que par bribes, l’historienne parvient à présenter formidablement bien la pensée de l’auteur lorsqu’il transcrit son ressenti dans ses livres de l’époque. Enfin, le chapitre de Thibaut Tellier (p. 125-138) revient sur un point pertinent pour la compréhension de « la débâcle » en étudiant la manière de gouverner de Paul Reynaud à cette époque, bien que cela sorte là aussi quelque peu du thème fixé.

3La deuxième partie (« Filiations, décalages et contrepieds », p. 139-268) examine la manière dont « le recours à un passé mythifié » vise à « trouver des réponses, si possibles partagées par le plus grand nombre » (p. 141). Nicolas Mariot (p. 149-168) expose l’histoire de l’engagement guerrier de la famille Hertz durant trois des années terribles, sans vraiment justifier ce choix. Les liens présentés avec les guerres passées sont logiques et bien pensés. La contribution cesse alors d’aborder la mémoire pour repasser au présent, faisant qu’elle aurait aussi bien pu s’insérer dans la partie précédente. Alexandre Dupont (167-178) propose un article intéressant sur le moment où, après la Commune de Paris, les royalistes ont cru pouvoir restaurer la monarchie. Pourtant, ces derniers étant divisés entre légitimistes et orléanistes, comment justifier qu’il n’y ait que quatre mentions de ces derniers, regroupées sur 36 lignes ? Il faut attendre la contribution d’Aurélien Lignerieux (p. 179-192), qui semblerait bien plus à sa place dans la première partie, pour que soit abordée la période 1814-1815. Ici, l’auteur conçoit uniquement que l’année fut « terrible » pour les « patriote[s] » (p. 179), feignant ainsi de voir le caractère terrible de ces invasions et occupations pour l’ensemble des Français. Plus tard, il ne cite que des lettres de royalistes (p. 188), ignorant ainsi tant révolutionnaires que bonapartistes, et finit par poser une question capitale : qui un historien doit-il écouter ? « Celui qui crie le plus fort […], celui dont le témoignage s’avère plus conforme à ce que la postérité a retenu » ? Il conclut que « peu importe » (p. 192). Bien au contraire, l’historien doit écouter tout le monde et, par bonne foi, présenter un aperçu représentatif de la société de l’époque, sans parti pris ni jugement : n’étant ni sociologue, ni idéologue, ni magistrat.

4Dans son étude rigoureuse de publications datant de 1939-1945, Fabien Conord (p. 193-208) expose des parallèles faits par des intellectuels de l’époque, dont certains pétainistes, analysant leurs pensées et les moyens de sortie de crise qu’ils proposent à travers leur lecture du passé. Clément Million (p. 209-222) souhaite aider à « mieux comprendre ce qu’il reste de 1870-71 en Allemagne en 1940 » (p. 211), mais son but n’est pas toujours clair. Il fait d’intéressants parallèles visant à mieux expliquer certains choix de l’Allemagne nazie durant l’Occupation, mais il ne faudrait pas disculper plutôt que contextualiser certains agissements de l’armée du IIIe Reich tel l’assassinat systématique des francs-tireurs, en évoquant « la peur » que les soldats allemands auraient eue de ces derniers (p. 212). Vincent Flauraud (p. 223-236) voit des « effets miroir » entre 1940 et 1914 (p. 223), à l’opposé de son prédécesseur. De nouveau, le manque de dialogue est dommage ; chaque chapitre apparaît tel un électron libre et la cohérence de l’ouvrage en pâtit. Étudiant 1914 dans La Croix, l’historien fait des remarques pertinentes sur la « modalité de mobilisation de la mémoire » et « la part réduite du prisme religieux » dans la relecture de 1914 par le quotidien (p. 232). Dominique Kalifa (p. 237-246) explique ensuite que l’expression Belle Époque n’est apparue qu’en 1940 avec une émission de radio collaborationniste et développe les raisons psychologiques et politiques du succès de cette époque dans les spectacles du tout-Paris. Enfin, essentiel sur la place et la représentation des femmes durant les années terribles, le chapitre d’Emmanuelle Retaillaud (p. 247-268) étudie le sujet sous tous les angles. Il s’agit de la contribution faisant le plus référence à L’Année terrible de V. Hugo, et donc du seul à véritablement « jouer le jeu ».

5La troisième et dernière partie (« Remémorer, représenter, résister », p. 269-382) se penche à la fois sur « la construction mémorielle de l’année terrible » et « les expériences vécues par les individus cherchant à résister » (p. 271). Bien qu’elle soit décrite comme « en dialogue avec les deux premières » (ibid.), les chapitres la composant n’en mentionnent aucun autre. Est aussi rappelé le fait que « le présent influe sur l’écriture du passé » (p. 275) : cela était bien démontré dès les contributions de la deuxième partie, ce qui fait encore penser à une vraie difficulté dans la séparation, parfois peut-être « arbitraire », des chapitres. De Philippe Bourdin et Côme Simien (p. 277-290), le premier revient en détail sur les faits du siège de Lyon en 1793 et analyse scrupuleusement plusieurs poèmes composés sur ce thème pour un concours durant la Restauration. Puis, Pierre Triomphe (p. 291-302) s’intéresse à la construction de l’expression Terreur blanche pour désigner la fin de 1815. Hormis un bref rappel historique, l’auteur se concentre plus ici au chrononyme qu’aux événements. Il évoque aussi la mémoire, d’une part des royalistes, de l’autre des « patriotes » (p. 296), mais celle des bonapartistes y est inexplicablement absente. Rémi Dalisson (p. 303-316) s’intéresse à la construction du « roman national » (p. 305). Le discours semble parfois orienté et la conclusion paraît davantage juger qu’analyser : après avoir étudié diverses commémorations nationales, l’historien termine avec des termes d’une grave dureté (pulsions identitaires, régressives). Bertrand Tillier (p. 317-326) commence par un jeu de mot évoquant « les soldats mobilisés et immobilisés en masse » (p. 317) et cherche à comprendre la signification de « l’art des Poilus » (p. 318), mais sans estimer la proportion de ces derniers à y avoir pris part. Le texte ne reprend pas la notion d’année terrible de V. Hugo, étudiant une production constante tout au long de la guerre. Il en va de même pour Iveta Slavkova (p. 327-344) qui évoque aussi plusieurs années d’affilée – 1939, 1940 et 1941 –, s’éloignant ainsi de l’acception hugolienne. L’autrice revient sur la vie d’Otto Wolfgang Schulze, dit Wols, analysant en détail ses dessins au camp de Milles et ses écrits à Dieulefit ; c’est sa vie qui semble être ici le véritable sujet. Julien Blanc (p. 345-356) s’attache à l’impact psychologique de la débâcle de 1940 sur les Français, leurs différentes réactions et la naissance de la Résistance. Bien que ne mentionnant pas V. Hugo, ni son acception spécifique, son analyse passionnante s’insère au cœur de l’ouvrage et y apparaît fondamentale. Cécile Vast (p. 357-370) aborde la manière dont l’historiographie de la débâcle fut traitée par les historiens à travers le temps, analysant leurs discours avant de revenir sur les faits eux-mêmes : un régal à lire. Sans véritablement présenter un plan de son intervention, Laurent Douzou (p. 371-382), analyse pensées et ressentis de 1940, principalement mis à l’écrit par des inconnus, cette fois, montrant davantage encore dans les extraits choisis la détresse morale, souvent canalisée en souhaits et actes de résistance.

6Dans son ensemble, l’ouvrage est très hétérogène, mais plus sur la forme que sur le fond. On ressent davantage le côté « pêle-mêle » d’actes présentés dans une conférence – qui ne s’interrogent ni ne répondent les uns aux autres, qui parfois se contredisent ou se répètent – que l’unité que l’on pourrait attendre, non d’une publication d’actes, mais d’un ouvrage collectif dirigé. C’est d’ailleurs pour cela que cette recension est plus longue qu’elle ne devrait ; le manque profond d’homogénéité poussant à aborder chacune des (trop ?) nombreuses contributions, plutôt qu’à discuter le livre comme d’un tout. Ce dernier comporte 24 chapitres, plus introductions et conclusion : c’est beaucoup. Peut-être une sélection plus rigoureuse avec davantage de liens entre les contributions aurait-elle été une bonne chose. De plus, certaines mentions de « l’année terrible » arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe : parfois juste une en conclusion, plus souvent en miroir d’une première en introduction, comme pour « adapter » – en surface uniquement – le contenu au titre du livre. Il y a également un déséquilibre profond au niveau de la présence des cinq années annoncées. 11 contributions abordent 1939-1940, soit près de la moitié, et 9 sont liés à 1914-1915, soit près du tiers – en incluant ceux abordant plusieurs années. Il y a donc surreprésentation de ces deux années par rapport aux autres, avec seulement deux articles spécifiquement consacrés à 1815, deux également à 1870-1871 (dont un par le prisme de 1940) et à 1792-1793, conjurée à deux reprises, et ce uniquement à travers des spécificités géographiques limitées : l’Anjou et Lyon. Ces années presque inexistantes rendent le sous-titre peu représentatif du contenu, alors que d’autres, envahissantes, mènent à un certain nombre de répétitions comme avec l’ouvrage L’Étrange Défaite de Marc Bloch (1946), cité encore et encore, parfois même les mêmes phrases, résultant de nouveau du manque de communication et d’interconnexion entre les chapitres. Il aurait mieux valu, soit limiter le livre aux deux guerres mondiales, tout en s’assurant d’un dialogue entre les contributions, soit faire une sélection différente, avec moins de contributions sur ces deux périodes et plus sur les autres.

7Les sources sont en tout cas très variées, mêlant anciens témoignages et nouvelles recherches, souvent intelligemment combinées pour faire vivre au lecteur les années terribles de l’intérieur tout en les analysant de l’extérieur. Pourtant, souvent, là où une référence apparaît et où le lecteur aimerait trouver davantage de contexte, il n’est renvoyé qu’au titre de l’ouvrage, le laissant, à répétition, sur sa faim. Ainsi même le lecteur averti doit-il l’être dans toutes les époques. C’est dommage : une occasion manquée de rendre le livre accessible à un public plus large, mais aussi d’en rendre la lecture plus gratifiante. Pour ces raisons, la pertinence – pourtant certaine – de ce travail collectif n’est pas optimale et si tous les contributeurs sont des historiens, il n’est pas toujours facile d’accès pour les lecteurs issus d’autres disciplines. L’ouvrage n’est donc pas dénué d’intérêt, loin s’en faut : c’est même un régal de voir tant de périodes clés de l’histoire s’y mélanger, parfois cohabitant à travers deux chapitres juxtaposés, parfois profondément entrelacées comme certaines analyses s’efforcent de le démontrer. Mais il est inégal : certains chapitres y sont tout à fait à leur place, d’autres moins, et les contributions n’ont pas toujours l’unité nécessaire. Au total, Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard proposent un livre dont l’intérêt est indéniable, avec des prismes d’analyse originaux.

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References

Bibliographical reference

Benjamin W. L. Derhy Kurtz, “Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard (dirs), La France en guerre. Cinq « années terribles »Questions de communication, 37 | 2020, 411-414.

Electronic reference

Benjamin W. L. Derhy Kurtz, “Jean-Claude Caron et Nathalie Ponsard (dirs), La France en guerre. Cinq « années terribles »Questions de communication [Online], 37 | 2020, Online since 15 November 2020, connection on 12 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/22693; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.22693

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Benjamin W. L. Derhy Kurtz

Avignon Université, LCC, F-84029 Avignon, France
benjamin.derhy-kurtz[at]univ-avignon.fr

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