Arnaud Mercier, Nathalie Pignard-Cheynel, dirs, #info. Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook
Arnaud Mercier, Nathalie Pignard-Cheynel, dirs, #info. Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, coll. Le (bien) commun, 2018, 352 pages
Texte intégral
1Se repérer dans les significations multiples, codées et émergentes dans les fils d’actualité de Twitter et de Facebook, voici le défi – réussi – d’#info. Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook. Depuis un moment, les réseaux socio numériques (RSN) constituent un espace d’expression – fait déjà largement analysé – et un écosystème numérique en formation, dont les modalités et les limites se construisent jour après jour. Ce livre considère ces espaces comme un objet d’étude et propose au lecteur de s’orienter, en classifiant les pratiques de consommation et de productions de contenus par les utilisateurs.
2La plupart des articles proviennent du projet Info-RSN mené sur 31 sites d’information sélectionnés, soit 878 359 articles. Une seconde collecte portait sur des données recueillies et analysées de Twitter. L’introduction (pp. 11-25) précise l’interdisciplinarité du projet, mené en grande partie au sein de l’université de Lorraine, au Centre de recherche sur les médiations en particulier, combinant informatique et intelligence artificielle, statistiques, sociologie de la communication et des médias ou sciences du langage.
3Le smartphone – ce couteau suisse numérique – est au centre du dispositif, car il permet une convergence entre une technologie, une pratique sociale et un dispositif sociotechnique (p. 22). De fait, cette convergence prend acte de plusieurs phénomènes, dont la valorisation des contenus médias sur les réseaux (cœur de leur modèle économique, point non traité dans ce livre) et de l’importance de ces réseaux comme moyen d’accès aux médias et donc à l’actualité.
4Divisé en deux parties, le livre aborde, dans la première, les tactiques de partage d’informations. Le premier chapitre (pp. 29-53) de Dario Compagno et Nathalie Pignard-Cheynel étudie le rôle et la place des newsbots sur Twitter, programmes qui permettent aux médias de diffuser de l’information et de mettre en avant leur production d’actualité. L’analyse permet d’identifier ces comptes automatisés et d’en déduire des classes thématiques. Le deuxième chapitre (pp. 55-85) s’attache aux discours d’escorte de communication sur Twitter, c’est-à-dire les tactiques utilisées pour ajouter du sens ou de la visibilité, dans le cadre très contraint des 140 caractères de Twitter. L’approche, très linguistique, demande parfois une attention soutenue (ou une meilleure formation du lecteur) afin de plonger dans les délices de « déictiques d’ostention » ou des « accroches allocutives ». Ce travail contribue également à l’analyse des mentions et des adresses et donne un aperçu précis des usages des internautes pour susciter l’attention, afin « de comprendre les enjeux de ce qui se passe en dehors du lien URL sec, complété plus rarement par d’autres éléments en lien ou non avec le premier tels que des images ou des cartes » (p. 84). Auteur du troisième chapitre, Arnaud Mercier explore l’usage des hashtags dans le partage et le commentaire d’informations sur Twitter (pp. 87-129). Le hashtag organise une communauté éphémère « marqueur de ce l’on veut dire ou ce dont on veut parler » (p. 88). Un exemple marquant est celui de #PorteOuverte du 13 novembre 2015 créé pour localiser les lieux sûrs lors des attentats du Bataclan et des terrasses à Paris. Fidèle à l’approche du livre, l’auteur identifie, explique et illustre par des cas une typologie. Il propose successivement le hashtag coordinateur, indexateur journalistique, événementiel de branchement, grappin, axiologique, modalisateur, clin d’œil, indice d’ironie et par concrétion lexicale. Le hashtag est donc bien un outil de coordination, de cristallisation et un moyen pour interpréter l’actualité.
5Conscient de ses limites à 140 caractères, Twitter a introduit de nouveaux espaces d’expression (en 2017 en France). C’est le sujet du cinquième chapitre de Justine Simon et Bénédicte Toullec (pp. 131-163). Organisé autour de « l’analyse semi-discursive du tweet multimodal », l’article catégorise les différents usages des images dans Twitter dans une co-construction, entre narration et typologies d’arguments. Ainsi est-il possible d’inclure des cartes (cards) dans son Tweet : image, résumé, large image, photographie, lecteur, galerie. Utile, cet article aurait gagné à une conclusion accompagnant le lecteur vers une synthèse. Dans « Facebook pour s’informer ? Actualité et usages de la plateforme par les jeunes » (pp. 169-191), Arnaud Mercier, Alan Ouakrat et Nathalie Pignard-Cheynel livrent l’une des contributions les plus intéressantes. Le travail indique – fait déjà connu – l’effacement de la frontière entre information et divertissement. Il met surtout en lumière les logiques de pratique et de consultation d’information régulière des 18-24 ans sur Facebook et montre que le partage et le commentaire sont peu fréquents. Facebook apparaît comme un média de complément, non exclusif des autres (socio numériques ou version numérique des médias). Enfin, l’interface du réseau social brouille les repères « entre ce qui est une information crédible portée par une source fiable et une information non vérifiée » (p. 195), ceci permettant aux annonceurs de s’insérer dans la conversation des internautes qui, en retour, doivent (ou devraient) développer des compétences de discernements. Dans « Le partage de l’actualité politique sur les profils personnels de Facebook » (pp. 199-226), Coralie Le Caroff explique le besoin de distinction et de reliance sociale des utilisateurs de la plateforme. Elle distingue quatre profils : ego visibles, ego centrés, partageurs et spectateurs. Cette première partie conduit de manière méthodique à une compréhension plus fine de chaque composante d’un Tweet et d’un post : discours d’escorte, usage des mentions, des hashtags et des images.
6Dans la seconde partie intitulée « débattre de l’actualité sur les réseaux socionumériques », Brigitte Sebbah, Arnaud Mercier et Romain Badouard s’attachent à la fabrique des tweets polémiques lors de la réforme pénale de juin-juillet 2014 (pp. 229-266). Sur les 17 millions de tweets collectés durant le projet info-RSN entre mai et octobre 2014, 1 824 tweets polémiques retenus ont été classés dans l’une des sept catégories de « style Twitter » : émoticône, injure, acronyme, onomatopée, hashtag, ponctuation et majuscule. L’ensemble s’organise autour du combat contre, ou du soutien à, Christine Taubira, garde des Sceaux à cette période. L’article répertorie les tweets selon différentes catégories : styles, approches, arguments, procédés de cadrage, agressivité ou encore racisme. Chaque catégorie contient des exemples. L’article donne à voir la politique en train de se faire et surtout, les usages à la fois créatifs et polémiques du réseau, faisant fi des procédés de civilité en usage dans la société. Les auteurs concluent que « Twitter favorise chez certains militants une parole acerbe et déviante, où l’attaque directe contre des personnalités cibles se fait sur des bases idéologiques ou physiques et personnelles » (p. 266).
7Pour sa part, Agata Jackiewicz (pp. 267-293) signe un huitième article sur le rapport texte-image dans les tweets polémiques et traite « la question de la matérialité hybride (langagière, iconique, hypertextuelle…) des discours des univers numériques en ligne, en lien avec le contexte sociétal qui informe la situation d’interaction où sont produits ces discours » (p. 217). Ce travail suggère également des catégories : brièveté et polyphonie, mot-dièse, contenus multimodaux, rapports texte-image. Il conclut sur la nécessité de poursuivre les recherches. De son côté, Julien Longhi s’écarte du projet info-RSN et traite, à partir d’un corpus différent, 34 273 tweets centrés sur la politique (pp. 295-314). Visualisation par nuage de mots, analyse des similitudes, classification descendante du sous-corpus idéologique sont proposées ; le tout à l’aide de logiciels et d’analyse factorielle de correspondance. Comme le sens échappe à l’auteur de ces lignes, il est préférable de citer l’une des phrases de la (brève) conclusion : « Ces analyses ont permis de montrer que malgré quelques similitudes lexicales entre ces sous-corpus, les thématiques qui sont développées sont relativement différentes : thèmes plutôt conceptuels de la politique, thèmes polémiques, ou thèmes contextuels » (p. 313). Pour finir, Arnaud Mercier (pp. 315-337) propose un sujet où humour et usages se côtoient : l’analyse des emojis et des émoticônes, depuis leurs origines jusqu’aux usages et modifications. De nouveau, une typologie recense les usages : donner de la visibilité, exprimer ses sentiments, juger l’actualité, humour et hyperbole, détournements d’usage. Les émoticônes servent donc à compléter le sens, parfois afin d’éviter les mots trop violents.
8Grâce à la qualité de son corpus et à la cohérence de ses articles, #info tient bien ses promesses. Élément par élément, chacun article analyse les usages des solutions créées par les internautes pour s’exprimer et partager l’actualité. Ce livre remplit également une seconde fonction : proposer une aide à la lecture des RSN, à leurs tonalités et à leurs usages. Pour l’utilisateur averti, c’est une aide à la prise de recul sur ses propres pratiques, pour le néophyte (ou le plus âgé, selon les cas), c’est une ouverture vers un monde aux codes vibrants, changeants et si contemporains.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Arifon, « Arnaud Mercier, Nathalie Pignard-Cheynel, dirs, #info. Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook », Questions de communication, 34 | 2018, 415-417.
Référence électronique
Olivier Arifon, « Arnaud Mercier, Nathalie Pignard-Cheynel, dirs, #info. Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook », Questions de communication [En ligne], 34 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/16982 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.16982
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