Marcin Sobieszczanski, Les Médias immersifs informatisés. Raisons cognitives de la ré-analogisation
Marcin Sobieszczanski, Les Médias immersifs informatisés. Raisons cognitives de la ré-analogisation, Berne, P. Lang, 2015, 300 pages
Texte intégral
1L’évolution constante des technologies numériques de l’information et de la communication a engendré des manières – radicalement inédites – d’appréhender autrement la réalité sociale environnante, d’expérimenter des procédures interactionnelles originales, de développer de nouvelles façons d’être au monde et de consommer des phénomènes culturels et entre autres des fictions vidéo-ludiques, des productions télévisuelles ou cinématographiques pour ne citer que ces exemples. Les recherches sur les environnements immersifs communicants informatisés s’efforcent d’établir une connexion signifiante entre l’épistémologie historiquement constituée en Europe (Auguste Comte, Claude Bernard, Gaston Bachelard) et la pragmatique américaine incarnée par Charles S. Peirce, William James et John Dewey. Ce chantier de recherche s’appuie sur une hypothèse immersive qui affirme que l’évolution des médias et celle des périphériques d’ordinateurs suivent une trajectoire en tous points identique.
2Le livre de Marcin Sobieszczanski – maître de conférences habilité à diriger les recherches en sciences de l’information et de la communication (SIC) à l’université de Nice Sophia Antipolis – se compose de sept parties, respectivement consacrées aux rapports entre « Communication et industrie de l’immersion sensorielle », à une « Approche anthropologique : immersion naturelle / immersion anthropienne », aux « Hallucinations, à la conscience et à la mémoire », à la « Jonction du cinéma et des environnements immersifs », à une « Hypothèse immersive : médias en tant qu’externalisation du cerveau », aux « Recherches empiriques : Télé-immersion collaborative », aux « Recherches postulatives : de quoi sera fait l’Être Immersif et Communicant ? ». Cet ouvrage – tiré de son habilitation à diriger les recherches (HDR) en SIC – part du principe épistémologique suivant : « Les médias immersifs témoignent d’une prise de conscience particulièrement aiguë du rôle rétroactif que les médias en général jouent dans le domaine des rapports entre le sujet humain et son environnement » (p. XIII).
3Dans la première partie (pp. 11-91), l’auteur rappelle fort judicieusement qu’« il n’est point anodin que la discipline-carrefour Sciences de l’Information et de la Communication partage avec le bloc interdisciplinaire Sciences Cognitives la même racine : la mouvance intellectuelle appelée la Cybernétique ». En effet, tout processus social, tout échange et toute interaction sont des phénomènes cognitifs. La psychosociologie des comportements communicationnels est nécessairement d’obédience cognitive dans ses approches et sa méthodologie. L’être humain est résolument social, il se définit par sa façon « d’habiter sa niche écologique, nous l’appellerons la médialité. Ainsi, tous les langages humains : visuels, auditifs, tactiles, gustatifs, olfactifs, et finalement verbaux participent de la pression créative par laquelle l’être après s’être tenu informé sur le monde, informe son milieu et manifeste sa manière propre d’habiter le monde » (p. 14). Le premier média de l’homme préhistorique, c’est le langage articulé et, celui-ci constitue une pratique communicationnelle somme toute assez récente dans le processus d’hominisation. Marcin Sobieszczanski revisite à nouveaux frais la métaphore bien connue de la caverne de Platon et dépasse la simple dichotomie entre le monde des idées et le monde visible, entre le simulacre et la réalité, entre le monde souterrain et la surface : « Platon dresse les conditions d’un protocole expérimental imaginaire et pourtant très précis et détaillé, permettant de mettre en relation causale le conditionnement perceptif ou l’ergonomie cognitive de différents médias avec la praxie de la construction d’un monde et la mise en place par des sujets cognitifs de la procédure du contrôle de ce monde » (p. 17). Selon l’auteur, Platon serait donc le premier médiologue de la pensée occidentale et l’initiateur extrêmement précoce des travaux ultérieurs sur l’immersion. Prenant ensuite pour objet le jeu de stratégies auxquelles se livrent actuellement les industries informatisées de l’image, Marcin Sobieszczanski analyse avec finesse le mécanisme d’analogisation qu’il définit « dans son acception la plus large en tant que tendance actuelle de l’informatique à s’orienter vers l’automatisation et l’autonomisation. Ce mouvement d’autonomisation s’étend essentiellement à l’environnement des machines traitant l’information dans le processus d’acquisition des données sur le monde extérieur, et sur elles-mêmes, par la bande » (p. 66).
4Les environnements immersifs communicants (EIC) qu’analyse tout particulièrement l’auteur participent pleinement de la tendance actuelle de l’analogisation informatique. Les EIC produisent une double synthèse sensorielle : « Si les industries de l’image, du son, du toucher, de l’odorat ou du goût reconstituent les percepts directs de leur sens de référence, les médias immersifs doivent travailler sur l’intégration de ces reconstitutions » (p. 89). En tant que dispositifs distribués les EIC incarnent l’autonomie de l’« Être informatique » qui est celle de l’automatisation analogique des périphériques d’ordinateurs qui acquièrent en même temps que la puissance de calcul une forme d’intelligence artificielle.
5Puis Marcin Sobieszczanski (pp. 139-164) établit une synthèse de ses précédents travaux de recherche menés préalablement à l’écriture de son HDR. Ces travaux antérieurs portaient sur l’évolution des modes de visionnement des réalisations cinématographiques qui passait ainsi du classique mono-écran au split-screen (écran séparé en plusieurs portions) ou au multi-screen. Ces nouvelles techniques d’écriture et de distribution de l’image sur divers écrans ou panneaux utilisent plusieurs caméras mais avec une projection plate bien que multiple qui pose de nouveaux problèmes sémiotiques et cognitifs des plus intéressants et conduit le spectateur à s’engager totalement dans le processus de construction du sens et d’interprétation : « Le partage complexe de l’attention, la reconstruction de la spatialité et de la temporalité à partir de sources d’information multiples, l’audition sélective, sont tour à tour mobilisées dans ces expériences. La richesse perceptive du réel correspond à la richesse des rapports spatiotemporels et attentionnels qu’a le spectateur plongé dans ce type de dispositif » (p. 148).
6Fort de ces analyses, l’auteur envisage de façon plus précise et approfondie les conséquences théoriques de l’hypothèse immersive pour le cinéma le plus contemporain (pp. 165-214). C’est un véritable changement de paradigme qui s’opère entre la réception passive du film et le cinéma immersif : « La vision immersive du cinéma traite des “subterfuges perceptifs” que le spectateur déploie pour se procurer la dynamique spatiale du réel filmique. Ces stratégies perceptives […] correspondent à l’approche cognitive du cinéma » (p. 186) que certains chercheurs et Marcin Sobieszczanski au premier plan développent depuis quelques années.
7Dans la conclusion (pp. 255-269) de son ouvrage, l’auteur précise et affine son cadrage théorique et le domaine de recherche nouveau qu’il ouvre et qui pourra donner lieu à des publications, mais aussi à l’encadrement de recherches doctorales sur ces sujets émergents : « La télécollaboration immersive est un processus d’intervention dans le réel par le truchement d’un média basé sur l’effet de média immersif » (p. 255). Les effets cérébraux validant les percepts fussent-ils imparfaits donnent la possibilité au monde créé/externalisé d’être à l’image du monde prééxistant : infiniment épais et imprédictible. L’auteur a voulu inscrire la tendance immersive des médias informatisés actuels dans le maintien de cette richesse et de cette imprédictibilité. Cela ouvre un très beau chantier de recherche, riche et exigeant à l’image de ce livre. Un ouvrage à mettre entre des mains déjà habituées au croisement entre les SIC et les sciences cognitives mais qui s’avère, indépendamment de sa complexité et de sa technicité, pour le moins stimulant.
Pour citer cet article
Référence papier
Alexandre Eyries, « Marcin Sobieszczanski, Les Médias immersifs informatisés. Raisons cognitives de la ré-analogisation », Questions de communication, 32 | 2017, 488-489.
Référence électronique
Alexandre Eyries, « Marcin Sobieszczanski, Les Médias immersifs informatisés. Raisons cognitives de la ré-analogisation », Questions de communication [En ligne], 32 | 2017, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/11739 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.11739
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