Guillaume Courty, Julie Gervais, dirs, Le Lobbying électoral. Groupes en campagne présidentielle (2012)
Guillaume Courty, Julie Gervais, dirs, Le Lobbying électoral. Groupes en campagne présidentielle (2012), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. Espaces politiques, 2016, 268 pages
Texte intégral
1Cet ouvrage traite d’un sujet peu abordé, le lobbying électoral des groupes d’intérêt, étudié ici durant la campagne présidentielle française de 2012, moment « d’engorgement » ou chaque groupe cherche à agir. Généralement invisibles pour les médias, et donc pour le public, les actions des groupes d’intérêts sont, dans ce moment, plus visibles, plus documentées et donc plus analysables. C’est le propos de ce livre. Assurément, livre de science politique, par ses méthodes, ses registres et même son style, il analyse les répertoires d’actions (de fait, des actions de communication) et étudie souvent les parcours professionnels de personnes clés. Un répertoire d’action est ici défini comme : « Un ensemble de moyens d’action propre à des groupes spécifiques qui se mobilisent dans un contexte donné » (p. 20, n. 8). Le lobbying, étudié majoritairement en science politique, et peu en sciences de l’information et de la communication, est souvent pensé d’une seule manière : les comportements des acteurs selon leurs actions. Le travail va ici plus loin. En s’appuyant notamment sur des entretiens, il bénéficie d’informations plus fines.
2La préface de Daniel Gaxie (pp. 11-16) souligne le processus de recherche collective des auteurs, l’étude des groupes d’intérêt durant la campagne de 2012 et les stratégies collectives de ces groupes, profitant de la campagne pour médiatiser leurs activités de lobbying.
3L’introduction des coordinateurs (pp. 17-45) pose un cadre clair et se révèle motivante. Elle répertorie les pratiques, essentiellement la communication des groupes d’intérêts, alors que les médias et les contempteurs du lobbying les résument souvent à de l’entre-soi et à de la corruption. Les constats argumentent sur le mélange des genres et sur les enjeux multiples d’un groupe lors d’une campagne. Nous notons que sur 895 mobilisations relevées en 2012, 42,3 % sont menées par des associations, 22 % par des organisations professionnelles et 10,4 % par des coalitions et des collectifs (p. 43). Nous sommes loin de la domination habituellement prêtée aux industries et aux multinationales comme acteurs du lobbying à Bruxelles et Washington, il est vrai. L’ouvrage indique clairement que « la campagne n’est pas principalement un moment où l’influence sur les programmes, les partis ou les électeurs s’exerce et cherche à s’obtenir » (p. 45). En d’autres termes, Guillaume Courty et Julie Gervais sont conscients que les enjeux pour les groupes d’intérêt sont d’abord institutionnels et relatifs à la légitimité. Ensuite, qu’il est irréaliste de chercher à tracer l’origine et la diffusion d’un thème particulier dans le débat de campagne, voire parmi les acteurs eux-mêmes. Venons-en aux contributions avant de soulever les limites de l’ouvrage.
4Le premier chapitre écrit par les deux coordinateurs (pp. 49-75) propose un état de l’art sur le lobbying et montre, à l’exception de quelques rares monographies, l’absence de recherche sur les groupes d’intérêts durant des campagnes présidentielles françaises. Un facteur explicatif est l’interdit de financement de 1995 qui rend les groupes invisibles. Guillaume Courty et Julie Gervais proposent ensuite un long détour par la science politique aux États-Unis ou les déclarations de financement rendent visibles les actions des groupes d’intérêts. Toutefois, la loi oblige ces groupes à adopter une communication plus ordinaire – car visible – que marquée politiquement (appel au vote pour tel candidat par exemple). Nous relevons ici ce qui semble être la clé de l’ouvrage lorsqu’on s’intéresse au lobbying : penser la porosité des frontières entre partis politiques et groupes d’intérêts mobilisés. Toutefois, notons l’absence totale de références aux travaux sur et autour de l’Union européenne comme nous y reviendrons.
5Le chapitre deux (pp. 77-102) traite des actions des associations de personnes handicapées. Fondées sur un pacte de non-agression au quotidien, les relations associations/partis politiques sont plus actives durant une campagne, parce que la concurrence s’accroît entre les associations et car ce moment est adéquat pour faire connaître les demandes. Fort bien écrit et documenté, l’article de Pierre-Yves Baudot et Anne Revillard conclut sur deux points : la question de l’accessibilité contenue – ou non – dans les programmes, et l’organisation de rencontres avec les candidats.
6Le chapitre trois (pp. 103-125) étudie les relations entre syndicats de police et parti socialiste. D’un style parfois complexe, l’article de Rafaël Cos insiste plus sur la description des acteurs et des individus et moins sur les répertoires. Il donne une profondeur historique à une question qui semble avoir embarrassé longtemps le parti socialiste français et conclut en l’absence d’actions particulières des syndicats de police en période de campagne. Dans une veine proche, le chapitre suivant (pp. 127-15) explore les liens, les actions et l’influence potentielle entre réseaux d’anciens syndicalistes et la campagne de François Hollande. L’article de Sophie Béroud et Anne-France Taiclet est divisé en deux. La première partie explore les liens entre d’anciens syndicalistes et le candidat, dont l’action de deux laboratoires d’idées, le Réseau 812 et l’Institut Érasme. Avec l’avancée de la campagne, les membres et acteurs de ces réseaux vont se trouver marginalisés et certains n’auront d’ailleurs pas les postes espérés lors de la formation du gouvernement. Une seconde partie plus courte, traite du contrat de génération, promesse du candidat Hollande, et trace les allers-retours entre syndicalistes, laboratoire d’idées et équipe du candidat. Le lecteur devine dans ce passage combien une promesse contribue à structurer, parfois sur des années et avec des contraintes fortes, la politique d’un candidat une fois élu, même si ce point n’est pas le résultat d’une action d’un groupe d’intérêt en particulier. Toujours dans le registre syndical, le chapitre cinq de Sidy Cissokho (pp. 155-176) présente la campagne du syndicat national des travailleurs du transport sénégalais durant la campagne présidentielle de ce pays en 2012. Il décrit comment la grève est utilisée pour faire pression sur le candidat Abdoulaye Wade et surtout les enjeux de pouvoir et d’action dans les gares routières, lieux d’échange et donc d’action politique. L’article insiste beaucoup sur les trajectoires individuelles d’acteurs locaux, notamment le président d’un syndicat à l’échelle d’une gare, cherchant à retracer son parcours, ses liens et donc son influence.
7Dans le sixième chapitre (pp. 177-199), Audrey Célestine et Aurélie Roger se demandent si l’outre-mer est un enjeu mineur dans l’élection de 2012. Fort documenté, c’est le seul article de l’ouvrage qui présente en détail les réactions et les réponses des deux candidats, François Hollande et Nicolas Sarkozy aux demandes des acteurs de l’outre-mer, notamment la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom). Il propose deux résultats : les modalités d’échanges entre ces associations et les équipes de campagne et comment la Fedom développe une plateforme de propositions. C’est, en quelque sorte, retracer l’action en train de se faire.
8Puis c’est un retour aux laboratoires d’idées. Le chapitre sept (pp. 201-225) scrute le rôle du think tank Terra Nova dans la campagne. L’étude de l’activité d’un think tank est un fait assez rare pour être souligné et la relation des enjeux et des stratégies de l’intérieur est le premier intérêt de cet article. Le deuxième est de présenter les modalités et les profils des experts. Camilo Argibay montre ici la force du réseau et l’importance des carrières et expériences politiques et universitaires dans le recrutement. Enfin, l’article explique les modalités de diffusion du projet politique de Terra Nova et des sujets par secteur, selon le mode dominant en vigueur à Bruxelles. En définitive, Terra Nova développe plus des solutions pragmatiques et électorales à piocher qu’un projet complet pour le candidat Hollande. Ceci confirme les procédés d’influence déjà étudiés à Bruxelles.
9La conclusion proposée par Guillaume Courty et Julie Gervais (pp. 227-245) encourage une autre lecture des échanges entre candidats et groupes d’intérêts : le don, et le contre-don, non financier. C’est un point intéressant, car il introduit l’anthropologie, convoquant Paul Veyne, Maurice Godelier et Marcel Mauss dans le but de penser les symboles des échanges, l’obligation et ses rituels. Toutefois, à partir de ces auteurs, les coordinateurs proposent un autre détour aux États-Unis pour nourrir leur propos. À ce stade, nous pointons quelques limites de l’ouvrage. Pourquoi une référence aux travaux menés aux États-Unis, si, d’une part, le mécanisme du don est différent, et si, d’autre part, les lois de financement sont totalement différentes entre les deux pays ? En outre, l’ouvrage et les références proposées semblent oublier ou évacuer les importantes recherches sur l’influence, le lobbying et les actions et logiques des groupes d’intérêt dans le cadre de l’Union européenne. En effet, de nombreux outils et explications sont disponibles, même si le cadre de la campagne présidentielle est différent. Les coordinateurs proposent ensuite un autre axe de recherche : l’étude des actes des conseillers et autres membres des équipes de campagne afin d’évaluer les interactions avec les groupes. Enfin, tous les articles insistent sur la campagne comme révélateur de l’ordinaire : les interactions régulières entre groupes d’intérêts et équipes politiques. Deux limites de l’influence sont posées (p. 245) : en période d’élection, le champ politique est dépassé par le volume des demandes et ignore les voix discordantes. Et les groupes les plus divers parlent rarement au nom de tous, même s’ils le revendiquent. Finalement, et c’est un aspect très positif, la lecture de cet ouvrage apporte des réponses pointues à des questions complexes et peu traitées.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Arifon, « Guillaume Courty, Julie Gervais, dirs, Le Lobbying électoral. Groupes en campagne présidentielle (2012) », Questions de communication, 32 | 2017, 403-405.
Référence électronique
Olivier Arifon, « Guillaume Courty, Julie Gervais, dirs, Le Lobbying électoral. Groupes en campagne présidentielle (2012) », Questions de communication [En ligne], 32 | 2017, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/questionsdecommunication/11646 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsdecommunication.11646
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